Published 26 October 2021

Les séances de l’Académie*

* Par Catherine Barthélémy, Pierre Brissot, Martin Danis, Vincent Delmas, Francis Michot

 

 

Séance bi-académique

Mardi 26 Octobre 2021

Académie nationale de Chirurgie et Académie nationale de Médecine

Sous la présidence des Professeurs Bernard Charpentier et Philippe Marre

 

« Le Ganglion sentinelle en cancérologie »

Séance coordonnée par Richard VILLET, membre de l’Académie nationale de médecine

 

Le concept du ganglion sentinelle : une révolution dans la prise en charge de l’envahissement ganglionnaire par Roman ROUZIER, Département de chirurgie, Institut Curie – Saint-Cloud. Université Versailles-St-Quentin-en-Yvelines.

Le ganglion sentinelle est le premier ganglion lymphatique atteint par les cellules métastatiques d’une tumeur primitive. Son exérèse, technique peu morbide, permet d’établir le statut ganglionnaire d’un cancer du sein avec fiabilité. Ainsi, cette exérèse sélectionne les patients qui, ayant des métastases ganglionnaires occultes au regard de l’évaluation clinico-radiologique, pourraient bénéficier d’un traitement régional ou systémique adjuvant. Les premières techniques pour retirer ce ganglion étaient basées sur des modèles anatomiques standards et n’ont jamais remplacé les lymphadénectomies classiques. Le développement de techniques plus fonctionnelles de cartographie lymphatique pré- et peropératoire dans les années 1990 a ensuite permis de valider le concept de ganglion sentinelle en tant qu’alternative au curage. L’hypothèse de dissémination tumorale séquentielle et la notion de premier filtre ont été validées dans de nombreuses études de biopsie du ganglion sentinelle avec curage ganglionnaire régional à visée confirmatoire. Cette technique du ganglion sentinelle a complètement révolutionné la prise en charge de certains cancers. Elle est en adéquation avec l’ensemble des théories de la dissémination métastatique lymphatique. Elle permet de concentrer les efforts d’analyse et devrait permettre à terme de mieux comprendre, appréhender et utiliser la relation tumeur-hôte à des fins théranostiques (démarche combinée diagnostique et thérapeutique permettant une médecine personnalisée). La faisabilité et l’intérêt de la technique du ganglion sentinelle, clairement établis pour le cancer du sein ou le mélanome, restent à démontrer pour de nombreuses autres tumeurs : des études randomisées sont en cours pour certaines tumeurs dont la dissémination lymphatique est bien systématisée comme le cancer du col de l’utérus ; pour d’autres tumeurs, le site d’injection même rend la technique du ganglion sentinelle illusoire.

 

Le ganglion « usine immunitaire » de la migration cellulaire et tumorale par Eliane PIAGGIO, Equipe d’immunothérapie translationnelle, INSERM U932, Institut Curie, Paris.

Avec l’avènement des traitements d’immunothérapie comme traitement standard en oncologie médicale en phase métastatique, et plus récemment en phase précoce dans plusieurs types de cancer, la question du rôle des ganglions drainant la tumeur et des conséquences de leur résection chirurgicale systématique sur l’efficacité des différentes immunothérapies devient pertinente. D’un point de vue immunologique, les ganglions drainant la tumeur constituent notamment le site d’initiation de l’activation des lymphocytes T et de la réponse immune anti-tumorale. Les ganglions drainant la tumeur présentent un enrichissement en cellules immunitaires spécifiques de la tumeur qui représentent des cibles activables d’un point de vue thérapeutique par des traitements d’immunothérapie tels que des vaccins, ou modulables par des anticorps bloquant les points de contrôle immunitaire. Ces ganglions sont également une source précieuse de cellules à visée de thérapie cellulaire adoptive. Le degré d’invasion et le remodelage de la réponse immune dans les ganglions par la présence de cellules tumorales tendent à déréguler la réponse immunitaire en créant un environnement immunosuppresseur, et donc conditionnent la sensibilité aux immunothérapies. Il est important de considérer pour chaque situation particulière quelle serait la stratégie optimale médicale, chirurgicale et immunologique, pour rétablir le fonctionnement des ganglions lymphatiques et faciliter la réponse aux thérapies qui favorisent la réactivation de la réponse immune anti-tumorale.

 

Le ganglion sentinelle : point de vue du pathologiste.

Frédérique Penault-Llorca, Service de Pathologie, Centre Jean Perrin, Clermont-Ferrand.

L’avènement de la biopsie du ganglion sentinelle a changé la façon dont les pathologistes ont envisagé l’examen histopathologique des ganglions. A travers l’expérience du ganglion sentinelle dans les cancers du sein, les pratiques ont évolué de l’examen minimaliste à l’ultra stadification pour revenir vers un examen quasi-conventionnel en fonction de l’accumulation des données cliniques et de l’amélioration des traitements locorégionaux et généraux. Dans les cancers du sein, si le ganglion sentinelle est non métastatique sur les colorations classiques et après immunohistochimie, la probabilité d’un envahissement des ganglions non-sentinelles est inférieure à 0,1%. L’expérience gagnée par les pathologistes par les années de travail dans les cancers du sein ou les mélanomes a permis une adoption rapide de ces approches dans d’autres types de cancers. L’examen du ganglion sentinelle varie selon les types de cancers et selon les recommandations. Il consistera soit en l’examen d’un niveau de coupe par tranche de section, soit de coupes sériées (au moins sur trois niveaux) associées, en cas d’absence de métastases, à un examen par immunohistochimie sur coupes adjacentes voire dans certains cas de techniques de biologie moléculaire. Enfin, le développement de techniques de lecture automatisée des ganglions sentinelles avec l’aide de l’intelligence artificielle devrait permettre de soulager les pathologistes dans le criblage des métastases ganglionnaires et de se passer de techniques d’immunohistochimie en cas de besoin d’ultrastadification du ganglion sentinelle

 

 

 

La technique du ganglion sentinelle : un formidable exemple de désescalade chirurgicale en cancérologie par Jean-Marc CLASSE, Département de chirurgie, Institut de cancérologie de l’Ouest, Saint-Herblain.

Les tumeurs solides présentent un risque de diffusion ganglionnaire. Les curages ganglionnaires apportent l’information de l’envahissement ganglionnaire sans impact significatif sur la survie globale. Ces chirurgies ganglionnaires systématiques de stadification s’accompagnent de risques de complication à court, moyen ou long terme pouvant impacter de façon durable la qualité de vie des patients. La technique du ganglion sentinelle permet de cibler le premier relai ganglionnaire drainant la tumeur. Ainsi, par une chirurgie ciblée, l’information de l’envahissement ganglionnaire est obtenue avec moins de morbidité que le curage ganglionnaire. La technique du ganglion sentinelle s’inscrit dans les démarches de désescalade chirurgicale en cancérologie. C’est l’information concernant le statut ganglionnaire qui joue un rôle sur le choix de la stratégie thérapeutique. Ainsi, dans le mélanome malin, l’atteinte du ganglion sentinelle indique d’engager une immunothérapie. La technique du ganglion sentinelle permet d’obtenir cette information avec une morbidité significativement moins importante que le curage ganglionnaire. Le développement des connaissances concernant les critères moléculaires du pronostic des tumeurs devrait participer à réduire les indications de prélèvement ganglionnaire. Le cancer du sein est la première localisation à tester, à travers des essais randomisés multicentriques, l’impact de l’absence de tout geste de chirurgie ganglionnaire.