Organisateur : Gérard DUBOIS
Introduction, Gérard Dubois, membre de l’Académie nationale de médecine.
Les industriels du tabac, bien que disant officiellement que fumer est réservé aux adultes, ne cessent subrepticement d’attirer les mineurs, pré-fumeurs. Les documents internes ciblent, en 1975, pour Camel filtre les 14-24 ans, et Marlboro en 1979 dit dominer le marché des 17 ans et moins, capturant plus 50% de ce marché. Plus les premières cigarettes seront fumées tôt plus l’addiction à la nicotine sera engagée. L’industrie du tabac est longtemps parvenue à faire croire que fumer était un choix d’adulte auquel elle répondait, mais au prix de 7 millions de vies humaines chaque année. L’objet de cette séance est de mettre en évidence la dette humaine et financière que cette industrie meurtrière a contractée face à l’humanité entière notamment en malmenant ses enfants, faisant du tabagisme une maladie pédiatrique.
Risques associés au tabagisme maternel pendant la grossesse. Attention particulière aux risques postnataux. Ivan Berlin, Hôpital Pitié-Salpêtrière-Sorbonne Université Paris ; Centre Universitaire de Médecine Générale et Santé Publique (UNISANTE), Lausanne ; CESP-INSERM 1018.
Le tabagisme maternel pendant la grossesse est un facteur de risque évitable de troubles de santé pré- et périnataux. De grandes études internationales de cohortes des 10 dernières années (en 2010 et 2016), avec 1 800 000 enfants exposés au tabac pendant la grossesse, mettent en évidence un risque accru de mortalité postnatale (mort subite) et de divers troubles de santé de l’enfant : petite taille, psychopathologie de l’attention, hyperactivité, asthme, obésité, diabète de type 2. Le risque augmente en fonction du nombre de cigarettes fumées par jour pendant la grossesse. Les mécanismes de ces troubles sont discutés : retard de croissance in utero (hypoxie fœtale), toxicité épigénétique.
La prévention lors de la première consultation prénatale est insuffisante ou absente. L’institution de la remise de chèques cadeaux à chaque visite prénatale aux femmes qui restent abstinentes s’est montrée efficace. Il faut éradiquer le tabagisme pendant la grossesse.
Le tabagisme passif et l’enfant. Loïc Josseran, EA 4047 Handiresp – UFR Simone Veil-Santé. Université de Versailles Saint Quentin en Yvelines. 78280 Montigny le Bretonneux ; Président de l’Alliance contre le tabac ; Département Hospitalier de santé publique, Hôpital Raymond Poincaré, 92380 Garches.
Le tabagisme passif est lié à l’inhalation par un non-fumeur de la fumée d’une cigarette et surtout de celle expirée par des fumeurs proches. Cette fumée contient 4000 composants, un gaz le monoxyde de carbone (CO), des goudrons (une cinquantaine de substances cancérogènes, certaines perturbant l’endothélium vasculaire), de la nicotine. Si son impact sanitaire est connu, il est souvent minoré. Pourtant, le tabagisme passif est responsable de près de 3 000 décès annuels et, sur 12 personnes qui meurent du tabac en France, deux sont des non-fumeurs. Le message commence à passer : l’exposition à la maison est passée de 33% en 2005 à 28% en 2014 et le décret Bertrand en 2006 imposant l’interdiction de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif a joué un grand rôle. Mais la sensibilisation des femmes enceintes peine à s’imposer : en 2016 30% des femmes interrogées ont déclaré avoir fumé juste avant leur grossesse et 17 % des femmes fumaient au moins une cigarette par jour au 3ème trimestre de grossesse, soit un niveau de consommation de tabac voisin de celui observé en population générale chez les femmes des mêmes classes d’âges. La prise en charge de ces femmes fumeuses doit être améliorée : 20% d’entre elles ne sont pas interrogées sur une éventuelle consommation de tabac par un professionnel de santé et, parmi les fumeuses, 54% ne reçoivent aucun conseil. Le problème du tabagisme passif de l’enfant se pose avant même sa conception car le tabagisme de la femme diminue la fécondité. Pendant la grossesse l’augmentation du taux de CO peut entraîner un retard de croissance, une mort fœtale, un accouchement prématuré, puis chez le nouveau-né et l’enfant, malformation, mort subite, obésité, troubles ORL…
La lutte contre le tabagisme passif passe par l’augmentation du prix du tabac qui doit se poursuivre, les paquets neutres, la prise en charge de l’aide au sevrage. Mais les industriels du tabac poursuivent la promotion d’alternatives à la cigarette : tabac chauffé présenté sans preuve comme sans risque, chicha…
L’enfant et l’adolescent, cibles de l’industrie du tabac. Daniel Thomas, Institut de cardiologie, Groupe Hospitalier Pitié-Salpêtrière, 75013 Paris.
L’industrie du tabac a toujours eu une préoccupation vitale de recruter de nouveaux consommateurs, afin de remplacer ceux qui arrêtent et surtout ceux qui meurent prématurément. En 2017, en France, un adolescent de 17 ans sur quatre était fumeur quotidien. Les compagnies du tabac ont communiqué sur : fumer est une activité d’adulte, donc attirante pour un adolescent et ont misé sur : l’introduction de produits aromatisés, festifs (jusqu’à leur interdiction partielle en France) ; l’intrusion des « produits tabac » dans les films et séries (publicité indirecte, passive !) ; la promotion massive des « influenceurs » sur les réseaux sociaux. La jeunesse des pays émergents, en voie de développement, sans législation anti-tabac, est encore plus soumise précocement au tabagisme passif par ces stratégies, auxquelles s’ajoute l’exploitation illégale des enfants dans les plantations de tabac. Les stratégies de lutte contre ces activités meurtrières par des campagnes d’information et des législations appropriées sont une priorité partout dans le monde.
Le tabac et l’enfant : naissance d’une addiction. Bertrand Dautzenberg, Pneumologie, Hôpital Pitié-Salpêtrière APHP, 75013 Paris ; Institut Arthur Vernes, 75006 Paris ; Hôpital Marmottan, GHU psychiatrie, 75017 Paris.
En France 73000 fumeurs meurent chaque année du tabac, du fait d’une maladie chronique incurable contractée «enfant» : la dépendance tabagique. Dès la consommation des premières cigarettes, des récepteurs à la nicotine se créent dans le cerveau, qui induisent un besoin de fumer dès que la nicotine est absente. La cigarette est une drogue dure, elle accroche autant que l’héroïne, plus que l’alcool ou le cannabis. L’inoculation de la dépendance nicotinique est partie intégrante de la stratégie formalisée il y a 50 ans par l’industrie du tabac pour engranger des profits. Elle est le principal vecteur de la maladie. Les cigarettes aromatisées (vanille, menthol, … ) ont été développées pour atténuer l’effet irritant (toux, nausées) des premières cigarettes et introduire plus vite la dépendance. Les cigarettes mentholées ne seront interdites qu’en 2020, retard dû au lobbying intense des industriels.
Les substituts nicotiniques et le « vapotage », qui sont dépourvus des composants de la fumée, donc de la toxicité systémique, sont efficaces pour sortir progressivement de la dépendance. Le plan national de lutte contre le tabac prévoit que tous les enfants nés après 2014 appartiennent à de nouvelles « générations sans tabac » (moins de 5% de fumeurs réguliers par génération). Les données actuelles montrent que cet objectif est atteignable. La lutte contre la dépendance tabagique passe par la poursuite de la dénormalisation du tabac et l’émergence de générations sans tabac annoncées pour 2032. Si la cigarette est de moins en moins populaire et de moins en moins consommée par les jeunes, le tabac roulé, la chicha et les joints de tabac/cannabis sont une source de tabagisme contre lesquels bien peu d’actions sont conduites. Ainsi s’explique que la consommation de cannabis n’ait pas régressé au cours de la dernière décennie. L’initiation au tabac de l’enfant n’est pas une fatalité. Avec une motivation politique forte, soutenue par toutes les autorités sanitaires, la France peut s’engager à faire disparaître le tabac dans 10 à 20 ans, car le tabac est une drogue sans intérêt, si ce n’est l’intérêt financier de ceux qui en font la promotion.