Communication scientifique
Session of 13 mai 2008

Régression de la fibrose rénale : ce que nous apprennent les modèles animaux

MOTS-CLÉS : angiotensine ii. insuffisance rénale chronique. metalloproteases.
Reversal of renal fibrosis : lessons from experimental models
KEY-WORDS : angiotensin ii. kinins. metalloproteases. models, animal.. renal insufficiency, chronic

Jean-Claude Dussaule, Christos Chatziantoniou

Résumé

Au cours de ces dernières années, les connaissances sur les mécanismes physiopathologiques à l’origine de la progression des néphropathies chroniques ont progressé grâce au recours à des modèles animaux. Si le rôle central de l’angiotensine II dans le développement de la fibrose rénale et l’utilité en clinique des antagonistes de ce peptide sont bien établis, d’autres agents pro-fibrosants comme le TGF β , l’endothéline ou les récepteurs activés des facteurs de croissance ont été également reconnus. Les études in vivo chez l’animal ont prouvé qu’il était possible de faire régresser la fibrose rénale. Les nouvelles approches thérapeutiques susceptibles de ralentir la progression des néphropathies humaines et de favoriser la régression des lésions constituées sont envisagées à partir des données expérimentales reposant sur l’utilisation d’antagonistes pharmacologiques des facteurs pro-fibrosants et d’animaux génétiquement modifiés.

Summary

New insights into the pathophysiological mechanisms of renal disease progression have been provided by recent experimental studies. It is now clear that angiotensin II is a key factor in the development of renal fibrosis, and that angiotensin II antagonists can slow the progression of renal disease in humans. However, other profibrotic agents, such as TGF bêta, * Unité INSERM 702, Hôpital Tenon, Paris, France et Université Pierre et Marie Curie, Paris, France. Tirés à part : Professeur Jean-Claude Dussaule, Hôpital Saint-Antoine, 184 rue du Faubourg Saint-Antoine 75571 Paris Cedex 12. Article reçu le 4 décembre 2007, accepté le 7 janvier 2008. endothelin, and activated growth factor receptors have also been implicated. In vivo experimental studies have shown that renal fibrosis can be reversed. Based on the results of genetic and pharmacological antagonism of profibrotic agents in animals, this review describes potential future therapeutics that might limit the progression of human nephropathies, or even reverse them.

On estime qu’il existe actuellement environ cinq-cent millions de patients souffrant d’une maladie rénale. Ce nombre augmente régulièrement dans le monde entier :

une part significative de ces néphropathies progresse vers l’insuffisance rénale chronique terminale qui relève d’un traitement par dialyse ou transplantation. En vingtcinq ans, l’incidence de cette maladie a doublé aux Etats-Unis et en Europe [1, 2]. Selon le ministère de la santé, trente cinq mille patients sont actuellement dialysés et plus de vingt-cinq mille ont été transplantés. L’incidence de l’insuffisance rénale chronique terminale augmente de 7 % par an. La dialyse chronique, si elle permet à la majorité des patients de poursuivre de nombreuses activités socioprofessionnelles induit une forme de dépendance thérapeutique astreignante. De plus, l’insuffisance rénale chronique représente un facteur indépendant d’exposition aux accidents cardiovasculaires. En termes médico-économiques, la prise en charge des néphropathies chroniques représente 2 % des dépenses de santé.

L’insuffisance rénale chronique terminale se caractérise par un déclin continu de la fonction rénale secondaire à l’accumulation anormale de matrice extracellulaire (collagène de type IV déjà présent à l’état normal et collagènes de type I et III absents du rein normal) et à des altérations structurales de tous les compartiments du rein, vasculaire, glomérulaire et tubulo-interstitiel. Il existe, physiologiquement, un équilibre entre les agents qui favorisent les dépôts de matrice extracellulaire et ceux qui induisent sa dégradation. Dans des conditions physiopathologiques, cet équilibre est rompu ce qui provoque un excès de production rénale de matrice ou un défaut de sa dégradation. Quelle que soit l’origine de la néphropathie (immunologique, diabétique, vasculaire, obstructive), les étapes finales conduisant à l’insuffisance rénale chronique sont communes ce qui suggère que le développement de la fibrose rénale est la conséquence de l’intervention invariante d’agents pro-fibrosants au stade terminal de la maladie. L’identification des agents favorisant l’acquisition de caractéristiques phénotypiques de cellules fibroblastiques par des cellules vasculaires, mésangiales ou épithéliales tubulaires (appelée dans ce dernier cas transition épithélio-mésenchymateuse) est donc susceptible d’offrir de nouvelles voies pharmacologiques avec comme objectif thérapeutique l’arrêt de la progression voire la régression des lésions de fibrose installées.

Système rénine-angiotensine et progression de l’insuffisance rénale chronique

Les schémas physiopathologiques classiques proposaient une séquence linéaire d’évènements pathologiques rénaux faisant intervenir une activation inadaptée du système rénine-angiotensine. Au cours des néphropathies hypertensives, l’hypothèse était la suivante : l’hypertension artérielle provoque des modifications hémodynamiques locales se traduisant par une synthèse accrue d’angiotensine II, peptide pro-inflammatoire et vasoconstricteur donc hypoxémiant. La fibrose intervient secondairement, comme un phénomène adaptatif stoppant la phase inflammatoire mais altérant le fonctionnement des cellules rénales résidentes. En réalité, les modèles animaux nous ont montré qu’inflammation et fibrose coexistaient au cours de la majorité des néphropathies expérimentales et que l’angiotensine II induisait une réaction inflammatoire en favorisant la synthèse de molécules d’adhésion et une production excessive de matrice extracellulaire, par un effet transcriptionnel direct.

Ainsi, dans notre laboratoire, nous avons observé dans un modèle de néphropathie hypertensive induite par une carence en monoxyde d’azote (NO) que l’angiotensine II favorisait la migration de cellules inflammatoires après synthèse d’une chémokine, MCP 1, et activait le gène du collagène de type I en stimulant deux voies de transduction distinctes et complémentaires : l’une passant par une synthèse d’endothéline suivie d’une transactivation du récepteur du facteur de croissance épidermique (EGF), l’autre par l’activation du facteur transformant des fibroblastes de type bêta (TGF β). La phosphorylation du récepteur de l’EGF entraîne l’activation de la voie des MAP/ERKinases 42/44 et la synthèse du facteur de transcription AP1. Les antagonistes du récepteur AT1 de l’angiotensine II, les antagonistes des récepteurs de l’endothéline ou de l’EGF ainsi que les inhibiteurs de la phosphorylation des MAP/ERKinases préviennent l’activation du gène du collagène de type I dans ce modèle [3-6]. Le blocage de la voie TGFβ/SMAD a les mêmes conséquences [7] (Figure 1). Ces effets pro-inflammatoires et pro-fibrosants de l’angiotensine II sont indépendants de son action vasoconstrictrice systémique. Plusieurs travaux ont dé- montré qu’il existait d’autres médiateurs profibrosants activés par l’angiotensine II comme l’inhibiteur de l’activateur du plasminogène de type 1 (PAI-1), le facteur de croissance dérivé des plaquettes (PDGF), le facteur de croissance du tissu conjonctif (CTGF), les dérivés réactifs de l’oxygène et de l’azote ou encore les cytokines pro-inflammatoires [8-11]. Ce schéma d’interaction entre des signalisations intracellulaires variées, faisant intervenir des phénomènes inflammatoires et de prolifération cellulaire simultanément à ceux aboutissant à la synthèse de matrice extracellulaire (Figure 2), est donc plus complexe que celui, initialement envisagé, d’un processus séquentiel [12].

Régression expérimentale des lésions de fibrose rénale par les antagonistes du système rénine-angiotensine

Comme indiqué précédemment, l’insuffisance rénale chronique terminale chez l’homme a de multiples causes que l’on peut modéliser chez le rongeur. A titre d’exemples, l’obstruction urétérale unilatérale est un modèle de néphropathie obstructive, la carence en NO de néphroangiosclérose, l’injection d’anticorps antimembrane basale induit une glomérulonéphrite, celle de streptozotocine une néphropathie diabétique tandis que la néphrectomie des 5/6 reproduit les conséquences d’une perte massive de néphrons fonctionnels. Dans l’ensemble de ces pathologies animales, chez le Rat ou la Souris, l’administration d’inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine II (IEC) ou d’antagonistes des récepteurs de type AT1

Fig. 1. — Voies de transduction de l’angiotensine II (Ang II) à l’origine de l’activation du gène du collagène et du développement de la néphroangiosclérose et de la glomérulosclérose. Les flèches en grisé indiquent les actions pharmacologiques susceptibles de limiter la fibrogenèse et la progression de l’insuffisance rénale chronique. ET-1 : isoforme 1 de l’endothéline. Les flèches et la triple hélice dans le noyau cellulaire symbolisent l’action stimulatrice des facteurs de transcription sur l’expression des ARNm codant pour les chaînes alpha 1 et alpha 2 du collagène de type I.

Fig. 2. — L’angiotensine II est susceptible de modifier les propriétés cellulaires telles que la contractilité, l’inflammation, la prolifération ou la synthèse de matrice extracellulaire qui, selon l’environnement cellulaire, sont capables, en interagissant entre elles, de favoriser le développement de la fibrose.

 

Tableau 1. — Régression de l’inflammation et de la fibrose rénales et restauration de la fonction rénale Modèle de fibrose

Traitement

Espèce

Référence

Vieillissement Anti AT1 Rat [46] Inhibition du NO Anti ET-A/B Souris [15] Néphropathie génétique Inh. de ECA + Anti AT1 Rat [47] Inhibition du NO Anti AT1 Rat [14] UUO Inhibition de ECA Rat [48] Néphrectomie des 5/6e Inhibition de ECA Rat [49] GN par AC anti MB BMP-7 Souris [27] Diabète BMP-7 Souris [26] UUO HGF Rat [31] Ciclosporine Inhibition de l’aldostérone Rat [37] HTA du rat Dahl Kallicréine Rat [44] UUO : obstruction unilatérale de l’uretère NO : monoxyde d’azote GN par AC anti MB : Glomérulonéphrite par AC anti membrane basale a entraîné une régression des lésions de fibrose rénale (tableau 1). Dans notre propre expérience, la carence en monoxyde d’azote d’une durée de 4 semaines chez le rat induit des lésions dont la gravité dépend de la dose de L-NAME, l’antagoniste de la NO-synthase administré. Pour une dose modérée, des anomalies structurales à type de dépôts de collagène de type I dans les glomérules et de collagène de type IV dans l’interstitium, d’épaississement de la média des artérioles et d’ischémie glomérulaire précèdent l’atteinte fonctionnelle à type de protéinurie et de diminution du débit de filtration glomérulaire. L’excès d’activité du système rénine-angiotensine est expliqué par une surexpression de l’enzyme de conversion de l’angiotensine non compensée par la diminution d’expression du récepteur AT1 dans le cortex rénal [13].

L’augmentation de production d’angiotensine II s’accompagne d’une hypertension artérielle systémique et d’une baisse du débit sanguin rénal. L’administration d’un antagoniste du récepteur AT1 de l’angiotensine II, le losartan, induit une régression totale des anomalies fonctionnelles et structurales du rein. La normalisation de la densité de la matrice extracellulaire s’explique en même temps par un arrêt de sa synthèse dépendant de l’angiotensine II et par une dégradation du collagène excé- dentaire par l’augmentation d’activité des métalloprotéinases. Il n’existe pas de corrélation entre le degré d’hypertension artérielle et l’évolution de la néphropathie comme le montre l’absence de régression des lésions lorsque l’anti-hypertenseur choisi est un vasodilatateur direct qui ne diminue pas l’activité du système rénine- angiotensine [14]. En revanche, les antagonistes de l’endothéline et du récepteur de l’EGF qui sont dépourvus d’effet anti-hypertenseur ont un effet favorable sur la néphropathie même si leur action curative est moins constante que celle des antagonistes du système rénine-angiotensine [15, 16]. Lorsque le L-NAME est administré à une dose plus élevée ou pendant une période prolongée, les lésions glomérulaires sont plus diffuses et s’accompagnent de lésions tubulaires. La régression des lésions sous losartan est alors variable, plus ou moins complète voire inexistante : les néphropathies induites par le L-NAME semblent donc avoir, dans certains cas, dépassé un point de non retour au-delà duquel la fibrose rénale devient irréversible.

Ce point de non retour, relativement difficile à atteindre dans le modèle de carence en monoxyde d’azote, est la situation malheureusement la plus fréquente dans les néphropathies humaines au cours desquelles, contrairement aux modèles animaux, la régression des lésions est l’exception et où l’objectif thérapeutique est de prévenir la progression de l’insuffisance rénale plutôt que d’obtenir le retour à une fonction rénale normale [17]. Cette différence d’efficacité des inhibiteurs du système rénineangiotensine peut tenir à la durée d’évolution de la néphropathie ou à l’existence de lésions associées difficiles à reproduire chez l’animal. Elle justifie d’améliorer les modèles animaux actuels de néphropathie pour se rapprocher davantage des pathologies humaines et de tester l’efficacité d’autres approches thérapeutiques.

Nouvelles approches pharmacologiques : inhibition de facteurs profibrosants

Si l’angiotensine II est un facteur clé de la progression de l’insuffisance rénale chronique, son action est amplifiée comme nous l’avons vu par de nombreux agents dont certains ne sont pas uniquement activés par le système rénine-angiotensine.

Aussi, paraît-il judicieux d’évaluer les capacités anti-fibrosantes de leurs antagonistes, utilisés seuls ou en association avec les inhibiteurs du système rénineangiotensine.

Antagonistes des récepteurs de l’endothéline

La progression de néphropathies expérimentales s’accompagne d’une augmentation d’activité de l’endothéline —1 et la surexpression de ce peptide chez la Souris induit une sclérose rénale [18, 19]. Cette double constatation explique que de nombreux travaux aient cherché à mettre en évidence un effet protecteur des antagonistes des récepteurs de l’endothéline. Si les résultats ne sont pas univoques, la majorité des études expérimentales ont conclu à un effet bénéfique de cette approche thérapeutique [20], bien qu’habituellement moindre que celui des antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II. L’étape ultérieure sera de rechercher si l’association de ces deux classes thérapeutiques apporte un progrès significatif pour ralentir la progression des néphropathies.

 

Antagonistes des récepteurs des facteurs de croissance

La mise en évidence d’une transactivation des récepteurs des facteurs de croissance par les peptides vasoactifs a conduit à étudier les conséquences du blocage de ces récepteurs sur le développement de la fibrose vasculaire ou rénale. Autant les antagonistes de la voie des récepteurs de l’EGF que ceux de celle du PDGF ont eu des effets bénéfiques dans différents modèles animaux : carence en NO [16], néphrectomie des 5/6e ou perfusion d’angiotensine II [21] pour les inhibiteurs du récepteur de l’EGF, surexpression de la rénine pour ceux du récepteur β du PDGF [22].

Précédemment, il avait été montré un effet protecteur d’un antagoniste de l’isoforme D du PDGF [23]. Si le blocage chronique de l’activité de récepteurs de facteurs de croissance se révélait plus nocif par ces effets secondaires que bénéfique, en revanche un traitement ciblé dans le temps ou sur l’un des ligands de ces récepteurs (comme le TGF α [21] pour le récepteur d’EGF) mériterait d’être envisagé comme traitement adjuvant de la progression de l’insuffisance rénale.

Inhibiteur de l’activateur du plasminogène de type 1 (PAI-1)

Au cours de néphropathies expérimentales ou du simple vieillissement, les concentrations rénales de PAI-1, un inhibiteur de l’enzyme activant la formation de plasmine à partir de plasminogène, augmentent. De plus, la délétion du gène codant pour le PAI-1 protège les souris génétiquement modifiées de la fibrose rénale vasculaire ou interstitielle [24]. A partir de ces données, il a été proposé d’inhiber l’activité de cet inhibiteur pour traiter la fibrose rénale. Cependant, le caractère pathogène du PAI-1 n’est pas retrouvé dans tous les modèles animaux puisqu’au contraire, au cours de la glomérulonéphrite à anticorps anti-membrane basale, la progression des lésions est accélérée chez les souris dépourvues du gène codant pour cet inhibiteur [25]. Ce résultat inattendu pourrait s’expliquer par l’implication du PAI-1 dans l’inactivation du TGF β, une action anti-fibrosante en contradiction avec les effets pro-fibrosants décrits dans les précédents modèles, ce qui rend aléatoire l’effet protecteur d’antagonistes de ce facteur en pathologie humaine.

Inhibiteurs de l’activité du TGF β

Le TGF β est un facteur pro-fibrosant dont l’activation ne dépend pas exclusivement de celle du système rénine-angiotensine de sorte que d’éventuels inhibiteurs pharmacologiques de cet agent pourraient jouer un rôle additif à celui des antagonistes de l’angiotensine II. Afin de bloquer l’activité du TGF β, une stratégie séduisante consiste à renforcer l’action de ses antagonistes naturels, le BMP (bone morphogenic protein) —7 ou le facteur de croissance des hépatocytes (HGF). L’injection de BMP —7 entraîne une régression des lésions glomérulaires dans deux modèles de néphropathies secondaires au diabète [26] ou à l’injection d’anticorps anti membrane basale [27] ou dans des maladies glomérulaires héréditaires chez la Souris (déficience de la chaîne alpha 3 du collagène de type IV ou mutation reproduisant la maladie lupique dans la souche MLR/MpJlpr/lpr) [28]. L’HGF est le second antagoniste endogène du TGF β [29] dont l’efficacité anti-fibrosante a été testée dans différents modèles de maladies rénales soit par administration de la forme recombinante humaine (dans l’obstruction urétérale unilatérale et la réduction néphronique [30, 31]) soit par thérapie génique dans un modèle de rejet de transplantation rénale [32]. La protection anti-fibrosante apportée par l’HGF s’exerce sur le compartiment glomérulaire ou sur le compartiment interstitiel en empêchant la transition épithélio-mésenchymateuse. Si ces études présentent un intérêt physiopathologique majeur en montrant le rôle favorable de l’équilibre entre facteurs profibrosants (TGF β) et anti-fibrosants (BMP-7, HGF), les perspectives thérapeutiques de cette approche sont éloignées compte tenu de la nature peptidique de ces agents, interdisant leur administration par voie orale. D’autres modalités pharmacologiques de blocage de l’activité du TGF β ont été testées chez l’animal : ainsi, la néphropathie obstructive est prévenue par un antagoniste de ALK 5, inhibiteur des protéines SMAD2/3, impliquées dans la transduction du TGF β [33]. Le tranilast qui inhibe la libération du TGF β, en association avec un IEC a également partiellement prévenu le développement de la fibrose rénale après obstruction urétérale [34]. Des essais thérapeutiques ont débuté dans la néphropathie diabétique humaine avec un succès partiel de réduction de la progression de la maladie rénale [35].

Antagonistes des récepteurs de l’aldostérone

Les effets pro-fibrosants de l’aldostérone sont bien caractérisés en pathologie cardiaque. En revanche, le rôle de cette hormone dans la progression des maladies rénales chroniques reste à établir. Quelques travaux récents dans des modèles animaux de néphropathie (diabète et intoxication par la ciclosporine [36, 37]) suggèrent que les récepteurs minéralocorticoïdes rénaux pourraient être exprimés dans d’autres structures que le tube collecteur et que leur activation favoriserait la sclérose glomérulaire et tubulo-interstitielle. Ces données méritent d’être confirmées dans d’autres modèles. Les effets inhibiteurs des antagonistes de l’aldostérone sur la sécrétion de potassium justifieraient quoi qu’il en soit une grande prudence dans leur maniement au long cours chez l’insuffisant rénal chronique.

Inhibition des récepteurs du collagène

Parmi les systèmes interférant avec la matrice déjà constituée, figurent les récepteurs à domaine discoïdine (DDR). Ces récepteurs ont la particularité de posséder un domaine intracellulaire à activité tyrosine kinase. Après leur liaison au collagène extracellulaire, ils stimulent la voie de transduction p38 MAP kinase et le facteur de transcription ATF-2 [38] qui, lui-même, est impliqué dans la réponse inflammatoire (Figure 3). Les souris déficientes en récepteurs DDR de type 1 sont totalement protégées de l’inflammation rénale induite par l’angiotensine II et partiellement de la sclérose qui lui fait suite ; leur fonction glomérulaire est préservée, contrairement

Fig. 3. — Mécanisme d’action du récepteur DDR1 sur la paroi vasculaire ; le collagène se lie au domaine extracellulaire du récepteur, ce qui conduit à la phosphorylation du domaine intracellulaire du récepteur puis à la stimulation de P38MAP/Kinase et à l’induction de la réponse inflammatoire. Une fois cette réponse inflammatoire initiée, elle favorise à son tour la synthèse de collagène d’où la constitution d’une boucle positive de stimulation de la fibrose.

à celle de souris sauvages [39]. DDR-1 semble donc agir comme un intermédiaire entre fibrose et inflammation, puisque son activation dépend du collagène induit par l’angiotensine II et facilite la réaction inflammatoire qui, elle-même, se résout en un accroissement de la sclérose. Des résultats préliminaires de notre laboratoire semblent démontrer que la protection contre la progression de l’insuffisance rénale ne serait pas spécifique de ce modèle vasculaire mais s’observerait également en cas d’atteinte primitive tubulo-interstitielle (modèle d’obstruction unilatérale de l’uretère). Dans les deux modèles étudiés, il faut noter que le développement de la néphropathie est responsable d’une surexpression de DDR-1 dans le rein. S’il n’existe pas actuellement d’antagoniste pharmacologique de DDR-1, le caractère conditionnel de son expression rénale et son rôle pro-inflammatoire chez l’animal suggèrent que l’inhibition chronique de ce récepteur pourrait être une voie thérapeutique efficace et dénuée d’effets secondaires délétères chez l’homme.

Activation des agents anti-fibrosants Dégradation de la matrice extracellulaire

L’action anti-fibrosante des métalloprotéinases s’explique par leur capacité à dégrader la matrice extracellulaire déjà constituée. Dans plusieurs modèles animaux dont celui de la carence en NO [14], l’activité des métalloprotéinases représente un mécanisme compensateur limitant l’accumulation de la matrice. L’action protectrice des statines notée dans un modèle d’HTA expérimentale s’explique en partie par le maintien de cette activité enzymatique [40]. Pourtant dans d’autres modèles expérimentaux, les métalloprotéinases favorisent la progression de la néphropathie en contribuant à la transition épithélio-mésenchymateuse. Cette action duale des métalloprotéinases expliquerait pourquoi la surexpression sélective de l’une d’entre elles, la MMP2, dans le tubule proximal induit une fibrose et une perte des fonctions rénales [41]. Dans un modèle animal mimant le syndrome d’Alport humain, l’inhibition pharmacologique des métalloprotéinases a un effet protecteur au stade initial de la maladie (lorsque les métalloprotéinases contribuent à la perte du phénotype normal des cellules épithéliales) et un effet tardif aggravant (lorsque ces enzymes limitent le développement de la fibrose) [42]. Ces données expérimentales suggèrent que l’utilisation de ces inhibiteurs puisse s’avérer décevante dans la prévention de la progression des néphropathies humaines au cours desquelles les différentes étapes physiopathologiques ne sont pas aisées à discerner.

Activation des récepteurs des kinines

Le système kallicréine-kinine est un système paracrine, présent dans le rein et possédant des similitudes avec le système rénine-angiotensine dans la cascade des évènements enzymatiques conduisant à la production des peptides actifs, kallidine et bradykinine. Ces peptides se fixent sur leurs cellules cibles à des récepteurs B1 et B2. Les récepteurs B2 sont prédominants et des antagonistes spécifiques de ces récepteurs ont été synthétisés. Les kinines sont vasodilatatrices dans les vaisseaux rénaux, favorisent localement la production de NO et de prostaglandine E2. Leurs effets hémodynamiques et tubulaires rénaux sont donc opposés à ceux de l’angiotensine II de sorte que la question de leur possible action anti-fibrosante a été posée.

L’enzyme de conversion de l’angiotensine dégrade les kinines et l’efficacité thérapeutique des IEC s’expliquerait en partie par une diminution du catabolisme des kinines. A l’appui de cette proposition, un antagoniste du récepteur B2 diminue les effets bénéfiques d’un IEC sur la fibrose glomérulaire, interstitielle et vasculaire dans un modèle de rat transgénique surexprimant le gène de la rénine [43]. Dans le modèle de néphropathie hypertensive du rat Dahl, la perfusion de kinines ou la surexpression du gène de la kallicréine ont eu un effet protecteur contre la glomérulosclérose, l’infiltration du parenchyme rénal par des cellules inflammatoires et la dilatation des tubules [44, 45].

CONCLUSION

Les progrès de la biologie cellulaire et le renouveau de l’expérimentation in vivo apporté par l’utilisation d’animaux génétiquement modifiés, ont montré que des propriétés cellulaires que l’on imaginait distinctes comme la contractilité, le chimio- tactisme, les capacités de synthèse de matrice ou de prolifération, partageaient des voies de transduction communes et se conjuguaient au décours d’une agression extérieure pour aboutir soit à une réparation soit à une sclérose et une perte de la fonctionnalité de l’organe (Figure 2). Ce concept et ces approches expérimentales récentes sont utiles pour tester de nouvelles thérapeutiques contre la progression de l’insuffisance rénale chronique même si les modèles animaux restent encore trop éloignés de la pathologie humaine. Il est manifeste que l’activité inappropriée du système rénine-angiotensine est un facteur clé de la progression des néphropathies chroniques ; il est tout aussi incontestable que les antagonistes de ce système ne sont pas suffisamment actifs en clinique pour prévenir l’insuffisance rénale terminale dans nombre de cas. L’inhibition, efficace dans les modèles expérimentaux, de facteurs pro-fibrosants associés à l’angiotensine II comme le TGF β et l’endothéline représente probablement un traitement adjuvant utile chez l’homme si ses effets secondaires ne s’avèrent pas rédhibitoires (tableau 1). D’autres voies méritent d’être explorées comme celle de l’inhibition des récepteurs à tyrosine kinase de facteurs de croissance ou du collagène lui-même, récepteurs qui sont au confluent des voies de transduction de l’inflammation, de la prolifération et de la fibrose. Il est enfin possible que les nouvelles méthodologies d’études non ciblées du transcriptome ou du protéome mettent en exergue l’implication pathogène de protéines a priori insoupçonnables parce que leur rôle physiologique dans le rein est encore méconnu.

Cette nouvelle approche ne doit pas nous faire oublier la nécessité de développer l’étude de marqueurs précoces de la fibrose, indispensable pour entreprendre chez l’homme des traitements actifs avant la survenue d’un point de non retour conduisant inéluctablement à la perte fonctionnelle des reins.

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DISCUSSION

M. Jean-Daniel SRAER

Existe-t-il des résultats connus dans la progression de l’IRC des transplants avec des médicaments anti-récepteurs de l’endothéline ?

A ma connaissance non. De toute façon, l’utilisation d’antagonistes des récepteurs de l’endothéline ne pourrait être qu’un traitement adjuvant des antagonistes du système rénine-angiotensine. Les modèles expérimentaux actuels ne sont pas comparables, en terme de complexité physiopathologique, au rejet chronique du transplanté rénal.

M. Gabriel RICHET

Existe-t-il des différences dans les effets anti-inflammatoires des divers inhibiteurs de l’enzyme de conversion ?

Cette question n’a pas été traitée par notre équipe directement. Effectivement, parmi les inhibiteurs de l’enzyme de conversion, certains possèdent des radicaux thiols, ce qui leur confère des propriétés spécifiques, anti-oxydantes. Tout porte à croire que la production de dérivés réactifs de l’oxygène participe aux effets profibrosants de l’angiotensine II lors de la progression de l’insuffisance rénale chronique.

M. Jacques MILLIEZ

Pourquoi les femmes enceintes dont le système rénine-angiotensine est exalté ne développent-elles pas de fibrose rénale ?

 

Cette question est importante et va au-delà de la stimulation physiologique du système rénine-angiotensine chez les femmes enceintes. En fait, la stimulation du système rénineangiotensine s’observe dans des pathologies (cirrhose, insuffisance cardiaque) qui ne s’accompagnent pas nécessairement de fibrose rénale. Autrement dit, la stimulation du système rénine-angiotensine est nécessaire mais non suffisante pour induire une fibrose rénale. Nos résultats expérimentaux sur les antagonistes des récepteurs de l’endothéline sont cohérents avec cette proposition.

M. Claude-Pierre GIUDICELLI

N’est-il pas licite de prescrire systématiquement un inhibiteur de l’angiotensine II en présence d’une néphropathie qui conduira vers la fibrose et ceci même en l’absence d’hypertension artérielle ?

Il faudrait en avoir confirmation auprès de cliniciens mais il me semble que ce vous énoncez est un schéma thérapeutique proposé au cours de la néphropathie diabétique M. Pierre GODEAU

Le Tgf Beta est la plaque tournante de la fibrose. N’est-ce pas à ce niveau qu’il faudrait essayer de bloquer l’évolution de la fibrose qu’elle soit rénale ou extra-rénale ?

Vous avez raison de souligner le rôle majeur du TGF bêta dans le développement de la fibrose rénale. Etant donné, le peu de progrès thérapeutiques jusqu’à présent dans la mise au point d’antagonistes de synthèse du TGF bêta, utilisables chez l’homme, il faut avoir à l’esprit l’existence d’antagonistes endogènes comme l’HGF et le BMP 7. Ces facteurs jouent en particulier un rôle important pour prévenir la transition épithéliomésenchymateuse induite par le TGF bêta.

M. Raymond ARDAILLOU

Les facteurs de progression de la sclérose rénale interviennent-ils aussi par le mécanisme de la raréfaction capillaire à côté des effets profibrosants et pro inflammatoires ?

Il s’agit d’une piste nouvelle dans la compréhension de la physiopathologie de la fibrose rénale. Expérimentalement, nous avions jusqu’à présent peu d’outils pour mettre en évidence cette raréfaction capillaire mais durant ces derniers mois, plusieurs résultats à propos du compartiment interstitiel vont dans ce sens, y compris dans notre laboratoire.

La perte de capillaires péritubulaires ou, à un stade moins avancé de la maladie, la dysfonction endothéliale de ces capillaires favorisent localement l’ischémie et peuvent également intervenir dans la diminution globale du flux sanguin rénal. Actuellement, dans le laboratoire, nous recherchons le rôle que pourraient jouer certaines protéines comme la thrombospondine de type 2 dans ce mécanisme.

 

Bull. Acad. Natle Méd., 2008, 192, no 5, 987-1001, séance du 13 mai 2008