RAPPORT D’ACTIVITÉ (1991-2001) au nom de la Commission XVII (Langue française)
Maurice CARA Nous avons l’honneur de vous présenter la synthèse des travaux de la Commission de la Langue française au cours des dix dernières années. Notre Président, notre regretté confrère Jean-Charles Sournia, avait mené de pair l’activité de la Commission avec la rédaction des Dictionnaires de notre Académie. Avant sa disparition cinq dictionnaires étaient déjà parus et quatre autres, qui étaient sous presse 1, ont pu paraître cet été, grâce à la diligence éclairée de notre confrère Jacques Polonowski qui a repris la direction des dictionnaires. Je dois le remercier particulièrement pour l’aide efficace qu’il m’a apportée dans la mise en forme du dictionnaire dont la rédaction m’a été confiée.
Pour conforter la rédaction du Dictionnaire, Jean-Charles Sournia avait concentré l’activité de la Commission sur un Groupe de travail de Terminologie qu’il dirigea jusqu’en 1991, puis je lui ai succédé. De 1991 à 1994, je vous ai rendu compte de l’activité du Groupe de travail 2. Il n’y a pas eu d’autre compte rendu parce que Jean-Charles Sournia qui vous a présenté chaque tome du dictionnaire, a souhaité que nous attendions pour vous communiquer le rapport d’activité du Groupe de travail.
En 1998, le ministère de la Santé a demandé un avis sur la féminisation des mots désignant des professions de santé, notamment fallait-il écrire consœur e , docteur e ? Dans sa séance du 15 juin 1988 le Groupe de travail a fait remarquer que les noms féminins en eur ne prennent en général pas d’ e : ex.
fleur, peur, sœur, erreur, grandeur, humeur, lourdeur, pudeur, douleur , etc. En conséquence, la proposition a été rejetée.
1 Neuf dictionnaires sont déjà parus (Oto-rhino-laryngologie, Biologie, Dermatologie, Psychiatrie, Gynécologie-Obstétrique, Imagerie médicale et rayonnements, Anesthésie-Réanimation-Urgences, Appareil moteur, Urologie), quatre sont sous presse ou devraient l’être incessamment (Neurologie, Appareil digestif, Ophtalmologie, Santé Publique), il reste encore quelques tomes de spécialité en chantier.
2 Rapport d’activité pour 1991 et 1992 du Groupe de terminologie (Commission XIV- Langue française). — Bull. Acad. Natle Méd., 1993, 177 , no 3, 453-458. Rapport d’activité pour 1993 du Groupe de terminologie (Commission XIV-Langue française). —
Bull. Acad. Natle Méd ., 1994, 178 , no 5, 909-914. Rapport d’activité pour 1994 du Groupe de terminologie (Commission XIV-Langue française). —
Bull. Acad. Natle Méd., 1995, 179 , no 6, 1135-1144.
En 1999, ne se sentant plus la force d’assurer toutes ses tâches, Jean-Charles Sournia déclina la présidence de notre Commission et, sur sa proposition, ses membres m’ont honoré en m’élisant pour lui succéder. Je les remercie de la confiance qu’ils m’ont témoignée. Je remercie plus particulièrement Gabriel Blancher et Philippe Guran pour l’aide efficace qu’ils m’ont apportée en assurant le secrétariat de la Commission.
Comme plusieurs tomes du dictionnaire étaient déjà parus, nous avons décidé en 1999 de ne plus limiter l’activité de notre Commission à la seule terminologie. L’usage des termes médicaux ne peut être restreint au milieu médical : le médecin s’adresse à toutes les couches de la population, dont le français est la langue maternelle ou au moins véhiculaire. Il faut aussi remarquer que la forme écrite (ordonnances, notices de médicaments, textes réglementaires, affiches, etc.) tient une place essentielle en santé publique : il importe donc que nos malades, leur entourage, le personnel soignant et le public puissent lire et comprendre les instructions données tant afin de prendre les précautions nécessaires pour l’emploi des médicaments et des dispositifs médicaux, que pour éviter des dangers méconnus. Dans ce domaine, la forme verbale est moins efficace : les paroles volent, les écrits restent. C’est pourquoi, le 27 juin 2000, après un échange de vue sur l’orthographe phonétique ou traditionnelle, notre Commission a décidé qu’il convenait de conserver l’orthographe usuelle.
Comme l’a dit autrefois notre confrère Édouard Rist : « la confusion du langage conduit par une pente naturelle au dérèglement de l’esprit », une rédaction imprécise retentit sur nos décisions et sur celles que prennent nos concitoyens, notamment ceux qui nous dirigent. En tout cas, en matière de danger, l’écrit doit être impérativement compris de tous, sans risquer l’erreur d’interprétation, qui peut être fatale dans les cas extrêmes.
Certes le langage médical évolue rapidement, des découvertes amènent de nouveaux concepts qui appellent des mots nouveaux. Comme bon nombre de ces mots nous viennent d’auteurs s’exprimant ou croyant le faire en anglais, de nombreux rédacteurs, ont, par facilité, tendance à emprunter le néologisme anglais. Encore faudrait-il que le mot soit bien formé, non polysémique et non ambigu. Par exemple, on utilise l’adjectif invasif , tiré du néologisme médical anglais invasive , mais les cancérologues nous ont fait remarquer qu’une tumeur invasive envahit les tissus voisins et nous parlons tous de la phase d’invasion des maladies infectieuses. De toute évidence, l’adjectif « invasif » dérive d’invasion. Or, métonymie fautive, invasive qualifie en anglais des actes médicaux n’ayant rien à voir avec une invasion mais correspondant à une pénétration par les voies naturelles ou par effraction de la peau ou d’une muqueuse. C’est ainsi que l’expression « acte invasif », utilisée imprudemment dans un texte réglementaire français, a risqué de susciter une grève des infirmières parce que le ministère de la Santé voulait leur interdire le droit de retirer un cathéter en fin de perfusion, sous prétexte que la pose d’un cathéter « était un geste invasif » donc non autorisé pour les infirmières (Tableau 1).
TABLEAU 1.
Emplois incorrects de certains mots
Mots employés incorrectement
Signification Dire (en italique : mot anglais)
Anthrax *
Charbon bactéridien Charbon ( anthrax)
Compliance *
Manière dont un patient Observance (en médecine) suit les prescriptions médicales ( compliance )
Dédié consacré Consacré, ( dedicated ) spécialisé (appareil) Spécialisé (appareil)
Équivoque (résultat)
Terme impropre Douteux ( equivocal ) (résultat) Expertise *
Savoir faire Savoir-faire ( expertise, know-how )
Expérience Expérience
Invasif * (acte)
Qualifie une pénétration Pénétrant (acte) ( invasive ) avec effraction de la peau Effractif (acte) ou d’une muqueuse Naïf *
Animal qui n’a pas été en Neuf (animal de laboratoire) contact avec l’agent étudié ( naïve )
Poly-insaturé
La formulation chimique est Polyéthylénique *Utilisation correcte des mots cités
Anthrax
Agglomération de Anthrax plusieurs furoncles Compliance
Augmentation de volume Compliance (en physiologie) Variation de pression (compliance )
Expertise
Acte effectué par un Expertise (procédure, rapport) expert dûment mandaté ( expertise )
Invasif,-ve (tumeur, etc.)
Qualifie une invasion Invasif,-ve ( invasive ) (processus) Naïf (terme de chasse)
Oiseau qui sort du nid Naïf (faucon)
Notre commission a demandé que l’on traduise invasive par « pénétrant » ou « effractif » et qu’on réserve « invasif » aux processus envahissants, ce qui a été transmis à la Commission de Terminologie et de Néologie du ministère de la Santé. Rappelons que les juristes caractérisent le viol lorsqu’il y a pénétration.
Nous désirons donc que le sens correct des mots soit respecté dans le Bulletin de l’Académie nationale de médecine . Sur proposition de Jean-Claude Gautier, nous avons dressé une liste de mots que nous souhaitons voir correctement utilisés (Tableau 1) et qui sera transmise à la Rédaction du Bulletin, si vous l’approuvez. Il nous semble en effet que l’Académie doit donner l’exemple et non avaliser et diffuser les confusions du langage médical.
Autre exemple : le 18 avril 2000, notre assemblée a bien voulu adopter le vœu proposé par la Commission proposant un amendement à la Loi du 4 août 1984 sur l’emploi de la langue française 3 pour préciser qu’en matière de danger pour la santé, toutes « les indications indispensables soient obligatoirement rédigées en français ». La plupart des ministres ont répondu aimablement à notre Secrétaire Perpétuel et lui ont dit partager nos préoccupations. Mais d’inévitables retards de procédure n’ont pas permis qu’un tel amendement, considéré comme mineur, ait pu être soumis aux assemblées législatives. Dans un remarquable exposé, Madame Jacqueline de Romilly a récemment rappelé qu’il y a plus de deux mille ans, Platon avait analysé dans le Gorgias les difficultés que les médecins avaient à se faire entendre des gouvernants 4.
Jean-Charles Sournia ayant demandé à quelques-uns d’entre nous de l’aider à vérifier les six mille termes qualifiant les actes médicaux dans la nomenclature de la Sécurité Sociale, une fois cette tâche accomplie, nous nous sommes aperçus que le législateur n’avait jamais défini ce qu’était un acte médical. À notre connaissance, cela n’a jamais été fait non plus dans un autre pays.
Comme cette définition a d’importantes implications juridiques, tant chez nous que lors des relations internationales (pour la validité des certificats ou expertises, par exemple), la Commission de la langue française s’est saisie de la question et, après concertation avec l’Ordre national des Médecins, a retenu à l’unanimité la définition suivante que nous soumettons à votre approbation.
3 Bull. Acad. Natle Méd. , 2000, 184 , no 4, 829-824. Ce vœu a été formulé pour compléter une proposition d’amendement déposée à l’Assemblée par un parlementaire.
4 J. de Romilly : Le médecin et l’art de la parole. — J. des maladies vasculaires . Paris : Masson
Éd, 2001, 26 , 3, 157-159.
Acte médical
Acte dont la réalisation par des moyens verbaux (consultation), écrits (rédaction d’ordonnances, de certificats ou d’observations), physiques (notamment manuels) et instrumentaux est effectuée par un membre d’une profession médicale dans le cadre de son exercice et dans la limite de sa compétence.
En France, seuls les médecins, chirurgiens-dentistes et les sages-femmes font partie des professions médicales. Certains actes médicaux peuvent toutefois être pratiqués par des directeurs de laboratoires d’analyse de biologie médicale, non médecins, et par des auxiliaires médicaux. Dans le Code de la Santé Publique figurent des listes limitatives de ces actes qui ne doivent être effectués qu’en présence ou sur prescription d’un médecin engageant sa responsabilité.
Il serait fastidieux de passer en revue tous les mots qui ont été examinés par notre Commission au cours de ces dix ans, une bonne partie a été reprise dans les tomes du Dictionnaire de l’Académie. Cependant, d’inévitables erreurs ont pu se produire qui devront être corrigées. Je n’en citerai qu’une qui nous a été signalée parce qu’elle a des implications juridiques : depuis quelques décennies, une définition donnée de l’aspect médical du mot stérilisation est « suppression définitive de la fertilité ». Cette définition n’apparaît que dans les dictionnaires français récents, dont le dictionnaire de l’Académie. Mais, devant les progrès de la microchirurgie, il ne paraît pas justifié de maintenir l’adjectif définitive , car, bien souvent, la stérilisation peut ne pas être définitive. C’est pourquoi la Commission XVII propose de prendre comme définition :
Stérilisation
En médecine, suppression de la capacité de procréation Un erratum devrait donc être inséré dans le Dictionnaire de l’Académie. En effet, en droit, une mutilation définitive peut être passible de sanction pénale tandis qu’elle relève seulement de la correctionnelle, si l’atteinte n’est pas définitive. De toute façon, d’autres errata seront nécessaires pour établir l’édition complète du Dictionnaire, mais, sans tarder, la correction de la définition de stérilisation devrait éviter une sanction pénale en cas d’un éventuel procès fait à un médecin.
En conclusion, nous sollicitons l’accord de l’assemblée sur les principales propositions que nous avons adoptées en commission :
— la féminisation des mots en -eur est inopportune ;
— la liste d’expressions impropres que nous avons dressée doit permettre d’améliorer la qualité de la langue dans les textes publiés par l’Académie, et l’orthographe usuelle doit être maintenue ;
— la définition de l’acte médical que nous avons établie peut être communiquée au nom de l’Académie ;
— des errata doivent être envisagés dans l’édition complète du Dictionnaire de l’Académie, notamment la définition de la stérilisation génitale en médecine doit être : « stérilisation : en médecine, suppression de la capacité de procréation ».
*
* *
L’Académie, saisie dans sa séance du mardi 20 novembre 2001, a adopté ce rapport à l’unanimité.
Bull. Acad. Natle Méd., 2001, 185, no 8, 1581-1586, séance du 20 novembre 2001