Communication scientifique
Session of 12 décembre 2006

Quarante ans d’expérience dans le traitement du diabète de type 1 de l’enfant à Alger

MOTS-CLÉS : algerie. diabete de type i. enfant. hypoglycemie. nutrition
Fourty years of experience in the treatment of children with type 1 diabetes mellitus in Algers
KEY-WORDS : algeria. child. diabetes mellitus, type i. hypoglycemia. nutrition

Mostefa Keddari

Résumé

Le diabète de type 1 de l’enfant mal équilibré conduit à des complications métaboliques pouvant aboutir au décès ou induire des lésions microangiopathiques qui hypothèquent le développement et l’insertion sociale, particulièrement dans un pays en voie de développement. L’auteur évalue les résultats à long terme d’une consultation de diabétologie infantile créée en 1968 avec des moyens matériels et humains très limités. Cette étude concerne une cohorte de 722 enfants suivis régulièrement. Au cours des années, les complications dégé- nérative sont de moins en moins fréquentes et d’apparition plus tardive ; les complications métaboliques graves, en particulier les comas diabétiques itératifs, ont pratiquement disparu. L’autosurveillance et la compliance thérapeutique se sont considérablement améliorées. Le taux d’hémoglobine glycosylée moyen est actuellement à 7,4 % comparable à celui des pays du Nord. 40 % des enfants diabétiques sont bien équilibrés après cinq ans d’évolution de la maladie. Mais les conditions socio-économiques encore défavorables pour de nombreux malades, ne permettent pas une alimentation équilibrée et variée, seule en mesure de réduire le nombre croissant des hypoglycémies .

Summary

Unbalanced type I diabetes mellitus in childhood can lead to metabolic and microangiopathic complications, including growth retardation, poor social integration and even death, particularly in developing countries. The author reviews the files of an infantile diabetic clinic created in 1968 with very limited human and material resources. A total of 722 children with type 1 diabetes mellitus were regularly monitored. Microangiopathic complications became less frequent and occurred later in the disease course. Severe metabolic complications, and particularly recurrent coma, almost disappeared. Self-monitoring and adherence to treatment improved considerably. The average HbAIc level is now 7.4 %, a value similar to that obtained in rich countries. After five years of follow-up, 40 % of children now have good glycemic control. However, many are too poor to eat a varied and balanced diet, which is the only way of reducing the growing frequency of hypoglycemia.

Le diabète est un domaine où les avancées scientifiques doivent être intégrées dans la pratique quotidienne et partagées avec l’enfant et sa famille, car elles suscitent l’espoir d’une vie meilleure, et concourent pour faciliter une bonne compliance thérapeutique.

Le but de ce travail est de présenter les progrès accomplis dans la prise en charge du diabète de type 1 de l’enfant, et de nous interroger sur les prochaines étapes nécessaires pour offrir une meilleure qualité de vie aux enfants diabétiques en Algérie.

MATÉRIEL ET MÉTHODE

Le diagnostic de diabète de type 1 a été établi chez 1 268 enfants parmi lesquels une cohorte de 722 est suivie avec régularité. Il y a, dans cette série, autant de garçons que de filles. L’âge moyen à l’admission est proche de dix ans avec des extrêmes allant de deux mois à dix-huit ans.

Organisation des soins et éducation

La consultation de diabétologie a été structurée par mes soins à la clinique médicale infantile (CMI) du CHU Mustapha d’Alger à partir de 1968 avec l’unique collaboration d’une aide-soignante, et elle a été la seule consultation spécialisée de diabé- tologie de l’enfant dans le pays pendant plusieurs années.

Actuellement nous disposons d’un personnel plus important avec un assistant, deux résidents, et deux infirmières diplômées d’Etat. Elle a encore lieu dans les mêmes locaux, une fois par semaine, et les rendez-vous sont proposés en fonction de l’équilibre de chacun des enfants.

L’enfant et sa famille apprennent à connaître le rôle de l’insuline, à maîtriser la technique des injections et le calcul des doses et prendre conscience de l’importance de l’hygiène. Ils apprennent aussi à identifier les aliments, leur composition,la nature des sucres et leur effet sur la glycémie,la répartition de l’alimentation dans le nycthémère et leurs besoins caloriques. L’importance de la collation est particuliè- rement soulignée pour la prévention de l’hypoglycémie.

Les premières années il était souvent difficile de trouver dans l’environnement familial une personne apte à comprendre la maladie et à la prendre en charge.

Modalités de prise en charge thérapeutique

La prise en charge comportait un examen clinique complet et des examens complé- mentaires, hémoglobine glycosylée, bilan rénal, fond d’œil, dosages hormonaux et immunologiques quand ils étaient possibles.

Les premiers enfants diabétiques ont d’abord été traités avec de l’insuline bovine, puis avec de l’insuline monocomposée, moins allergisante et provoquant moins de lipodystrophies. Très souvent des ruptures de stock d’insuline survenaient au niveau des hôpitaux.

À partir de 1995, nous avons pu obtenir de l’insuline humaine avec le concours de l’Association de malades diabétiques, laquelle allait d’ailleurs devenir un interlocuteur autorisé et efficace des pouvoirs publics.

Les doses d’insuline au départ sont toujours proches de une unité /kg /24h. Les schémas ont beaucoup évolué : de 1968-1969, une seule injection d’insuline ultra lente par jour, puis de 1970-1980 une injection d’insuline ultra lente associée à une injection d’insuline ordinaire, et enfin depuis 1996 une injection matin et soir d’insuline à action intermédiaire (NPH) associée à l’insuline ordinaire avant les repas. Seuls neuf enfants utilisent un schéma intensif avec une ou deux injections complémentaires d’insuline rapide avant le repas de midi et avant la collation de l’après-midi. Les doses d’insuline sont ajustées progressivement en fonction de l’âge, de l’alimentation et de l’activité physique. Nous ne disposons pas, à ce jour, des analogues de l’insuline en milieu hospitalier.

Contrôle de l’équilibre glycémique

Le dosage de la glycémie capillaire est effectué matin et soir, avant le repas, au début avec de simples bandelettes puis progressivement avec des lecteurs de glycémie. Les résultats ainsi que tous les incidents (faim, soif, douleurs abdominales, transpiration, etc.) sont inscrits sur un cahier de surveillance. Lorsque la glycémie capillaire est supérieure à 2,50g/l, il est pratiqué une recherche d’acétone dans les urines et en présence d’un incident clinique, un dosage de la glycémie veineuse.

En janvier 1984, l’hémoglobine glycosylée (HbA1c) a été dosée pour la première fois par méthode colorimétrique tous les trois mois, puis à partir de l’année 2000, par une technique immunoturbidimétrique (HPLC).

Recherche des complications et des affections associées

L’examen du fond d’œil n’a pu être fait de façon systématique au cours des premières années, par manque de médecins ophtalmologistes, mais le dépistage de l’atteinte rénale a été réalisé dés 1968 par le dosage de l’albumine dans les urines, puis à partir de 1988, par la recherche de la microalbuminurie ; quant aux lésions neurologiques, elles sont révélées par l’examen clinique.

 

En 1984 également, le dépistage de la maladie coeliaque a été régulièrement pratiqué, par la recherche des anticorps, anti-réticuline puis anti-gliadine, anti-endomysium et anti-transglutaminase.

Le dépistage de l’hypothyroïdie auto-immune a été quelque fois réalisé à partir des années 1990, par le dosage des anticorps anti-thyroïdiens et de la thyréostimuline.

Depuis 1995, la maladie d’Addison est recherchée par le dosage de la corticothrophine sérique et/ou du cortisol sérique chez les enfants présentant des hypoglycémies graves et récidivantes.

Enquête familiale

La transmission génétique est expliquée à la famille, mais le dépistage du diabète dans la fratrie est récent. La caractérisation du système HLA, indispensable pour indiquer une susceptibilité génétique chez le malade et sa famille n’est faite que de façon sporadique. La recherche d’anticorps dirigés contre les îlots de Langerhans (ICA), contre l’insuline (IAA) ou contre la glutamate-décarboxylase (GADA) et la tyrosine phosphatase (IA2A) n’est possible et de façon intermittente qu’en milieu hospitalier, de même que le dosage de l’insulinémie et du C Peptide.

RÉSULTATS

Le diabète est habituellement révélé par un coma acido-cétosique ou un syndrome polyuro-polydypsique (S.P.P) dans des proportions différentes selon l’année où l’affection a été découverte (tab.1). On remarque que les comas diabétiques inauguraux ont diminué, les parents consultant maintenant avant la décompensation acido-cétosique.

TABLEAU I. — État clinique à l’admission.

Années

S.P.P*

 

Cétose

Coma 1968-1980 23 % 1,5 % 33 % 1981-1990 21 % 1,6 % 29 % 1991-2000 31 % 15 % 28 % 2001-2005 36 % 31,25 % 13,5 % • SPP : syndrome — polyuro — polydypsique La diététique est la partie du traitement la plus difficile à contrôler. Presque tous les enfants diabétiques partagent les habitudes alimentaires de la famille. Le déséquilibre alimentaire est important, le régime est très riche en glucides rapidement hyperglycémiants, avec des repas qui ne fournissent pas tous les jours la même quantité calorique, et des collations très rares. La ration calorique est apportée presque totalement par des féculents.

Depuis que l’insuline est distribuée gratuitement, la compliance est très bonne. Les injections se font encore à la seringue, strictement par voie sous-cutanée. Les lipodystrophies et les allergies à l’insuline sont très rares avec l’insuline humaine. A l’âge de sept à huit ans l’enfant comprend parfaitement sa maladie et effectue lui-même ses injections.

FIG. 1 — Évolution du taux de l’hémoglobine glycosylée.

FIG. 2. — Évolution comparée de la taille des familles et de l’auto surveillance glycémique.

 

La surveillance de l’équilibre repose sur la mesure des glycémies capillaires et sur le dosage de l’HbA1c dont le taux est passé de 11,14 % à 7,4 % au cours des années (fig.2).

Les antécédents de diabète dans la famille (fig. 3) sont nombreux ; ils sont présents chez 19 % des enfants particulièrement chez les collatéraux. Le cahier du diabétique pratiquement inconnu dans les premières années, est maintenant parfaitement tenu par 60 % de nos enfants diabétiques. Il existe une corrélation inverse entre la taille des familles et la qualité de l’auto surveillance qui s’améliore avec la diminution du nombre d’enfants (fig.1) au cours des années : 8 enfants en moyenne en 1968, 2,9 enfants en 2005.

FIG. 3. — Antécédents diabétiques dans la famille.

Le retard statural présent chez les premiers malades a pratiquement disparu. L’obé- sité et le surpoids commencent à apparaître dans cette série. Le niveau scolaire s’est amélioré et depuis dix ans, il est tout a fait comparable à celui de la population générale pour plus de la moitié des malades.

Les complications métaboliques étaient très fréquentes, particulièrement dans les premières années, avec comas acido-cétosiques , cétoses urinaires et hypoglycémies sévères dont onze avec convulsions. Actuellement le nombre des hypoglycémies augmente contrairement aux comas qui diminuent (fig.4).

Les rétinopathies sont plus rares et d’apparition plus tardive.

L’examen ophtalmologique fondamental, dans le contrôle du diabète, a débuté seulement en 1970. Entre 1970-1980 seuls 39,7 % des enfants ont bénéficié de cet examen, ils sont 52,5 % entre 1981-1990, 80,4 % entre 1991-2000, et 97,9 % entre 2000-2005. Le pourcentage des lésions constaté tout au long des années de suivi est voisin de 7,2 %. À partir de 2001, une amélioration nette est notée, avec une apparition retardée des complications (tab.2).Ces lésions se développeront inéluctablement après dix ans d’évolution et seront diagnostiquées dans les consultations de diabétologie adulte.

 

TABLEAU 2. — Pourcentage des lésions ophtalmologiques Alger *

7,4 % Norvège 6,62 % Suède 6,7 % FIG. 4. — Évolution des comas et des hypoglycémies L’atteinte rénale s’est progressivement réduite de 4,16 % à 3,35 %.

 

Les complications neurologiques sont plus tardives, et le suivi en pédiatrie n’est pas assez long pour qu’elles apparaissent ; nous retrouvons seulement trois altérations du nerf sciatique poplité externe.

La maladie cœliaque existe chez 12 % des enfants [1]. Elle est asymptomatique dans 70 % des cas. Trente-deux familles ont plus d’un enfant diabétique.

COMMENTAIRES

Le suivi évolutif de nos jeunes diabétiques atteste d’une nette amélioration de l’autosurveillance, d’une meilleure compliance thérapeutique et d’un équilibre glycémique correct pour nombre d’entre eux avec un taux moyen d’HbA1c tout-a-fait comparable à celui rapporté chez des enfants traités dans les pays industrialisés. A présent, 40 % de nos enfants diabétiques (fig.5) ne présentent aucun signe clinique ou biologique d’hypoglycémie ou de cétose et ont un taux moyen d’HbA1c de 5 à 7 %, un développement staturo-pondéral satisfaisant et une scolarité normale, malgré une alimentation encore inappropriée.

FIG. 5. — Évolution du pourcentage d’enfants en bon équilibre.

Cependant de nombreux progrès restent à faire dans la compliance diététique, les modalités de l’insulinothérapie, le dépistage plus précoce des complications et la prévention de la maladie.

Une alimentation équilibrée judicieusement répartie dans le nycthémère est effectivement essentielle pour assurer un équilibre satisfaisant du diabète [2].

La ration calorique est calculée en fonction de l’âge (1000 Kcal + (A × 100) (A= âge en année), comprenant 50-55 % de glucides, 15-20 % de protides, 30-35 % de lipides.

Malgré son apparente simplicité, la diététique reste l’élément du traitement le plus difficile à maîtriser, surtout chez les adolescents, à l’âge de la croissance, du caprice et de la rébellion.

 

Le niveau économique et social et le pouvoir d’achat n’autorisent pas une alimentation diversifiée et fractionnée dans la journée. L’enfant diabétique partage deux à trois fois par jour, avec toute sa famille, un repas composé à 90 % de féculents. Nous consacrons beaucoup d’efforts pour convaincre les parents qu’il n’est pas nécessaire de disposer d’un pouvoir d’achat important pour consommer une alimentation adaptée à son traitement et que leurs habitudes alimentaires sont néfastes, aussi bien pour l’enfant diabétique que pour eux-mêmes. Une diététicienne ayant une bonne expérience des enfants diabétiques serait très utile pour nous soulager. Nous espé- rons toujours sa venue au sein de notre consultation.

Puisqu’il n’est pas possible pour un grand nombre d’enfants d’équilibrer leur ration alimentaire et d’observer une discipline dans l’administration des repas, il nous faut réfléchir à un nouveau concept enseigné dans certains centres qui est celui de l ’insulinothérapie fonctionnelle . Il s’agit non plus d’adapter la diététique au schéma d’insulinothérapie de l’enfant, mais d’adapter la dose d’insuline censée couvrir le repas aux apports glucidiques. Les malades sont hospitalisés pendant cinq jours, ils apprennent à ajuster les doses d’insuline à leur choix alimentaire pour maintenir leur glycémie la plus proche possible de la normale. Une contrainte de quatre injections par jour est largement compensée par une bonne qualité de vie et un meilleur équilibre du diabète.

Notre schéma d’administration de l’insuline, imposé par des contraintes socioéconomiques, a ses limites. L’insuline rapide n’agit qu’au bout d’une heure, et reste active six heures, ce qui impose de réaliser l’injection une demi-heure avant la prise alimentaire et de prendre une collation équilibrée entre les repas difficile à obtenir pour des raisons économiques. L’insuline NPH présente une diffusion variable d’un malade à l’autre et d’un jour à l’autre, et une action fluctuante durant ses douze heures d’activité. Les analogues de l’insuline reproduisent mieux l’action de l’insuline humaine ; disponibles en officines privées, ils ne sont utilisés que par une faible partie de notre population d’enfants diabétiques en raison de leurs prix. Pourtant, les nouveaux schémas d’insulinothérapie [3] intégrant les analogues de l’insuline offrent beaucoup d’avantages. Un schéma utilisé en Afrique du Sud compare deux protocoles :

— deux injections (NPH + IO) — une injection d’insuline analogue lente (Glargine) + trois injections préprandiales d’insuline analogue rapide.

Le second protocole induit un gain de 0,2 mmol sur la glycémie à jeun, de 0,3 % sur l’HbA1c et 5 % sur l’incidence des hypoglycémies. L’utilisation des analogues de l’insuline lente et rapide permet de dissocier totalement les besoins insuliniques de base, des ceux nécessaires pour couvrir les repas, et de reproduire au mieux ce qui se passe chez l’enfant non diabétique. Mais leur coût reste très élevé, et elles ne sont prescrites qu’à la demande des familles.

Dans notre série les résultats paraissent satisfaisants si on les compare avec ceux de la littérature (tab.3), puisque l’hémoglobine glycosylée, dosée de manière fiable, est pas-
sée de 11,14 % en moyenne en 1984 à 7,4 % en moyenne depuis 2002, résultat important puisqu’ une baisse de 1 % de l’HbA1c diminue de 20 % les complications dégéné- ratives [4].

Toutefois, cette amélioration n’est pas homogène sur l’ensemble de l’échantillon :

40 % seulement des enfants ont un équilibre convenable. Les complications métaboliques et les complications dégénératives sont encore présentes chez le plus grand nombre.

Notre principale préoccupation, dans les années 1968-1990, a été la fréquence des comas diabétiques itératifs au cours de l’évolution, chez 25 % des enfants suivis.

TABLEAU 3. — Moyennes des taux d’HbA1c*.

Nombre d’enfants % des lésions

Période examinés pathologiques 1968-1980 83 7,2 % 1981-1990 215 7,9 % 1991-2000 353 7,5 % 2001-2005 449 6,23 % * Notre groupe Les comas diabétiques survenaient par manque d’insuline ou de matériel d’injection.

Nous avions contrairement à la réglementation, décidé de les fournir à l’enfant. Le dialogue avec sa famille en fût facilité et la surveillance meilleure. Assurés de notre disponibilité totale en dehors des consultations, une relation personnalisée et souvent affectueuse s’est établie entre le médecin, l’enfant et ses parents. Les accidents métaboliques et le nombre de comas diabétiques ont depuis diminué, les familles consultant plus précocement et plus régulièrement.

L’hypoglycémie est à présent la complication métabolique la plus fréquente dans le diabète de type 1 des enfants suivis en ambulatoire et elle ne cesse d’augmenter. Il s’agit le plus souvent de simples malaises hypoglycémiques plus ou moins bien identifiés par l’enfant ou sa famille survenant en fin de matinée ou en milieu de nuit.

L’hypoglycémie sévère n’est cependant pas rare, puisque nous avons dénombré onze convulsions, une comitialité et un coma hypoglycémique pendant ces cinq dernières années. L’incidence accrue des hypoglycémies est liée à la recherche de plus en plus active de la normoglycémie pour éviter les complications vasculaires et le vieillissement prématuré des enfants diabétiques qui doivent faire face à une durée d’évolution de leur maladie de plus en plus longue.

Le danger potentiel des hypoglycémies répétées souvent non percues sur les performances cognitives a été maintes fois évoqué, avec des résultats souvent contradictoires. Une exposition précoce aux accidents hypoglycémiques affecterait davantage les fonctions cognitives qu’une exposition plus tardive [5]. Les antécédents d’hypo-
glycémie sévère (plus de trois) et précoces avant l’âge de cinq ans sont associés à une altération de la réponse aux tests évaluant a long terme les capacités de mémorisation.

Les complications ophtalmologiques, particulièrement, la cataracte et les lésions rétiniennes sont à présent recherchées chez tous les enfants. Leur incidence a commencé à diminuer dans la période 2001-2005. Parmi les quatre vingt seize malades reçus à notre consultation à partir de 2001 une seule lésion a été observée ce qui traduit la disparition des atteintes précoces que l’on observait autrefois dès la première année d’évolution du diabète.

Le mauvais équilibre du diabète et les complications dégénératives surviennent plus fréquemment dans les familles à faible revenu, quatre fois plus que chez les enfants dont les parents ont un revenu régulier et convenable.

Dans ces familles un certain nombre de malades, au moment de l’adolescence, refusaient un traitement qu’ils jugeaient inutile ou inefficace, ce qui était à l‘origine d’un grand nombre de comas itératifs. Après de nombreuses entrevues, nous avons réussi à obtenir d’eux un traitement régulier en contre partie d’un séjour en colonie de vacances, en France, au sein de l’Association des Jeunes Diabétiques (A.J.D), avec le concours de nos services sociaux et du Professeur H. Lestradet. D’autres séjours ont, à plusieurs reprises, été organisés par notre service sur le littoral algérien, à la charge de la sécurité sociale, pour convaincre les enfants diabétiques qu’une vie active, passionnante et heureuse est possible.

La réduction de la taille des familles a beaucoup contribué à l’amélioration de l’état de santé de nos enfants confirmant le succès de notre politique de santé publique visant à limiter les naissances dans un pays où l’environnement culturel n’y était pas très favorable.

L’élément réconfortant de notre action est la réduction du nombre de comas itératifs de 25 à 1 %, la progression constante du nombre d’enfants bien équilibrés, 40 % aujourd’hui avec HbA1c normale et sans aucun incident clinique (fig.5). Le niveau scolaire des enfants malades devenu équivalant à celui de la population globale, la disparition du retard staturo-pondéral, la pratique plus fréquente du sport, le tout contribuant à une meilleure insertion sociale de nos enfants.

Nous sommes cependant bien loin des résultats obtenus dans les pays développés, avec 70 à 80 % d’enfants en bon équilibre [6].

PERSPECTIVES

Pendant de très nombreuses années le service de Pédiatrie du CHU Mustapha le plus important du pays, a été le mieux structuré et la seule référence. Notre consultation de diabétologie recevait des enfants originaires de tout le territoire national. Aujourd’hui, de nombreux élèves de la clinique médicale infantile dirigent des services de pédiatrie et ont organisé leur propre consultation de diabétologie
infantile. Notre recrutement a diminué, mais les malades proviennent encore de tout le territoire national.

Notre encadrement médical qui s’est progressivement étoffé permet maintenant d’améliorer l’éducation des familles, de développer des mesures préventives, d’introduire de nouvelles thérapeutiques que ne cessent de réclamer les familles, et d’envisager un meilleur développement de la Recherche.

La prévention du diabète insulinoprive a suscité de nombreuses recherches sans conclusion pratique. De multiples voies ont été explorées. Nous en rappelons certaines car un pédiatre spécialisé en diabétologie ne peut rester indifférent à l’intérêt suscité par la prévention d’un affection aussi grave et aussi invalidante L’allaitement précoce au lait de vache qui se développe dans notre pays doit être stigmatisé davantage. Il pourrait être à l’origine d’un conflit immunologique aboutissant à la destruction des cellules β et au diabète de type 1. Les parents doivent savoir qu’il existe aussi une relation forte entre l’âge maternel à l’accouchement et le risque de développer un diabète de type 1 chez leur enfant. Un accouchement à quarante-cinq ans est associé à un risque relatif multiplié par 3,11 par rapport à vingt ans. Au Royaume Uni, l’élévation de l’âge maternel à l’accouchement depuis vingt ans peut expliquer, en partie, l’augmentation du diabète juvénile [7].

L’introduction tardive du gluten chez le nourrisson diminuerait le nombre de maladies coeliaques au cours du diabète de type 1 de l’enfant. Il existe des gènes polymorphes codant à la fois pour la maladie coeliaque et le diabète de type 1. La maladie coeliaque peut être présente au moment du diagnostic du diabète ou s’installer plus tard, habituellement dans les quatre années qui suivent. 20 % des enfants avec un diabète de type 1 ont une réactivité à l’instillation rectale de gliadine et vont développer une maladie coeliaque [8].

La consanguinité et la présence d’un enfant diabétique imposent un conseil génétique pour la prévention du diabète dans la fratrie. Le risque chez les jumeaux monozygotes est de 33 % quand le père et la mère sont diabétiques, il est de 30 % si deux membres de la famille proche sont atteints. Quand le typage HLA de l’enfant sain est identique à celui du proche parent malade, le risque est de 15 à 20 %. Dans le cas où le type HLA de l’enfant sain est différent de celui du parent malade, le risque est nul.

Le nombre important [32] de familles avec plusieurs enfants diabétiques permet des protocoles de recherche clinique très pertinents, comme l’identification du type HLA, ou le dépistage et le traitement du pré-diabète dans la fratrie [9]. Il devient ainsi nécessaire, de disposer d’un dosage régulier d’anticorps anti-insuline, d’anticorps anti-îlots de Langerhans ou d’anti-phosphatase membranaire des cellules β pour dépister un état de prédiabète et éviter la destruction totale des îlots et le déclenchement du diabète définitif.

Des projets Nord-Sud intégrant notre groupe sont en cours, en coopération francoalgérienne ou au sein de l’Union Européenne. L’incidence globale du diabète de
type 1 de l’enfant en Algérie n’a pas été établie, et seules deux études régionales rapportent une incidence comprise entre 4,4 et 7,8/105 [10].

Faire bénéficier les enfants diabétiques des progrès thérapeutiques est une légitime ambition, d’autant que les parents sont actuellement bien informés des plus récentes acquisitions comme l’insuline inhalée, la pompe à insuline ou la greffe d’îlots. Il est temps pour les pouvoirs publics d’admettre que de nouveaux moyens sont disponibles pour un mieux être des jeunes malades. L’insuline inhalée par exemple est un rêve pour beaucoup d’enfants car elle constitue une alternative non invasive aux injections multiples [11]. La pompe à insuline peut remplacer les injections quotidiennes chez nos enfants avec diabète instable pour diminuer les hypoglycémies nocturnes, la fréquence des injections, et permettre une plus grande souplesse dans la répartition des repas.

La greffe des îlots est une autre alternative aux injections, à la manière d’une greffe de moelle qui guérit une aplasie médullaire. Toutefois, les obstacles restent nombreux ;

aux USA, 3 000 organes par an sont disponibles pour greffer 1 500 malades, alors qu’il y a un million de patients à traiter. L’utilisation des cellules souches et des cellules du sang de cordon, serait une source reproductible et non limitée des cellules β.

De nouvelles thérapeutiques préventives du diabète de type 1 de l’enfant se développent, comme le traitement par le peptide C, ou l’administration quotidienne de petites doses d’insuline. Une équipe du centre de recherche médicale de l’Institut North Shore-Long Island à Manhasset a identifié dans une communication au 229e congrès national de la Société Américaine de Chimie à San Diego, un gène qui joue un rôle critique dans le diabète de type 1. Ce gène promeut un système messager immunitaire appelé le facteur inhibiteur de la migration des macrophages (MIF), qui joue un rôle important dans la destruction des cellules β. Chez les personnes pré-diabétiques, bloquer ce facteur pourrait sauvegarder les cellules β restantes.

Des essais se poursuivent aussi pour notamment arrêter le conflit immunologique qui aboutit à la destruction des cellules sécrétant l’insuline. Une équipe américaine a réussi à neutraliser ou à rééduquer les lymphocytes T agresseurs des cellules β, un traitement précoce par les anticorps anti-CD-3 ou un traitement par antiinflammatoires conduit à Saint-Vincent de Paul pourraient arrêter la destruction des cellules sécrétantes d’insuline [12].

CONCLUSION

Notre action en faveur du diabète infantile a permis la disparition des comas itératifs autrefois très fréquents, amélioré considérablement la compliance thérapeutique, ramené l’hémoglobine glycosylée à un taux acceptable et retardé les complications dégénératives.

Toutefois ces succès ne sauraient occulter les difficultés qui perdurent : un régime alimentaire inapproprié, le nombre élevé d’hypoglycémies, le niveau intellectuel insuffisant des parents, et un pouvoir d’achat restreint expliquent les résultats encore
insuffisants pour de nombreux malades. Ces bénéfices constituent un grand progrès comparativement à ce que l’on observait il y a quelques années ; aujourd’hui 40 % des enfants suivis dans notre consultation ont un équilibre très satisfaisant, sans incidents métaboliques ni complications dégénératives.

Notre souhait est de voir s’améliorer encore l’équilibre glycémique et la qualité de vie de nos jeunes diabétiques. Le rôle des médecins est certes important mais doit être relayé et soutenu par d’autres partenaires, médias, industrie agro alimentaire, pouvoirs publics.

Ce multi partenariat est essentiel pour pouvoir répondre aux légitimes espoirs des enfants diabétiques et de leur famille.

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Revue Médico-Pharmaceutique , 2000, 13 , 21-23.

[11] SKYLER JS., WEINSTOCK RS., RASKIN P., YALE JF., BARRETT E., GERICH JE. — Use of inhaled insulin in basal/bolus insulin regimen in type 1 diabetic subjects : a 6-month, randomized, comparative trial. Diabetes Care , 2005, 28 , 1630-1635.

[12] KEYMEULEN B. et coll. — Insulin needs after CD-3 antibody therapy in new-onset type 1 diabetes. N. Engl. J. Med. , 2005, 352 , 2598-2608.

DISCUSSION

M. Claude JAFFIOL

La situation économique actuelle de l’Algérie peut-elle laisser prévoir une amélioration rapide du système de santé ?

En 2007 les dépenses de santé vont représenter 5,89 % du PIB avec 260 $ par habitant. Ces chiffres sont nettement inférieurs à ceux des pays développés. Cependant, on note une nette progression dans les dépenses de santé (+ 20 % depuis 2003).

Cette augmentation qui correspond aux taux de croissance annuel du PIB (4,4 % en 2005) va engendrer progressivement une meilleure qualité des soins à la population.

M. Jean-Louis CHAUSSAIN

Quelle est la fréquence actuelle du diabète dans la population algérienne par rapport à la France ? Cette fréquence est-elle actuellement en augmentation comme dans la plupart des pays ? Quelle est la fréquence des maladies coeliaques dans la population diabétique algérienne ? L’angiographie rétinienne ne devrait-elle pas figurer dans les perspectives d’avenir ?

Concernant la fréquence du diabète dans la population Algérienne, les seuls chiffres disponibles sont fournis par l’Association des diabétiques en Algérie : pour trentedeux millions d’habitants, il y aurait deux millions de diabétiques dont 21 % d’insulinodépendants. L’augmentation de fréquence du diabète est très nette pour le diabète de type 2 chez l’adulte, dont la fréquence serait deux à trois fois plus importante qu’en France. Le diabète de type II chez l’enfant est maintenant plus fréquent entre un et cinq ans. La maladie coeliaque est présente chez 12,8 % de nos enfants diabétiques. L’angiographie rétinienne n’est actuellement réalisée que lorsque les lésions rétiniennes sont présentes, du fait de la disponibilité réduite du produit de contraste.

M. Jacques BATTIN

A-t-on des chiffres sur la consanguinité en Algérie, comme il a été établi qu’au Maroc, en zone rurale, elle est encore de 25 % ? Observe-t-on, en Algérie, une apparition du diabète de type II, comme c’est le cas en Europe, en relation avec l’obésité ?

Dans l’enquête santé et famille réalisée par l’Institut National de Santé Publique on 2002, le taux de consanguinité dans la population est de 33,3 %.Une femme sur trois
se marie dans sa famille, 22 % des couples sont cousins germains, et 10,5 % sont cousins germains au premier degré. L’obésité est plus souvent observée chez les enfants à notre consultation. Une enquête est en cours pour évaluer son incidence au milieu scolaire. Il n’a pas été observé dans mon service de diabète de type II.

M. Patrice QUENEAU

L’éducation des médecins, des pharmaciens, mais aussi des infirmiers et des autres paramédicaux est-elle de nature à améliorer cette prise en charge du diabète de type I chez l’enfant ? Qu’en est-il de l’éducation des citoyens dans ce domaine et du rôle joué par les associations de malades ?

Tous les centres hospitalo-universitaires du pays disposent d’une consultation de diabétologie infantile convenablement structurée. Dans le nord du pays, cette consultation est aussi assurée dans les hôpitaux régionaux. L’éducation diététique et médicale se fait avec des méthodes multimédia fournies par des laboratoires pharmaceutiques. Le taux de scolarisation de 70 %, autorise une meilleure participation des familles à la prise en charge du diabète de l’enfant. L’Association des diabétiques existe depuis près de vingt ans, elle est très efficace grâce à ces relations avec les médias nationaux. Elle nous aide à assurer la disponibilité de l’insuline et du matériel d’autosurveillance.

 

* Clinique médicale infantile, CHU Mustapha, Alger (Algérie) Tirés à part : Professeur Mostefa KEDDARI, même adresse Article reçu le 6 mars 2006, accepté le 7 novembre 2006

Bull. Acad. Natle Méd., 2006, 190, no 9, 1977-1992, séance du 12 décembre 2006