Séance thématique « La chirurgie ambulatoire »
Présentation
Denys PELLERIN*
En ouvrant cette séance consacrée à la chirurgie ambulatoire, je voudrais remercier le Conseil d’administration d’avoir bien voulu retenir ce sujet parmi ceux dont l’importance justifie que note Compagnie consacre à son étude, l’une de ses séances thématiques.
Je tiens d’emblée à rassurer les non-chirurgiens de cet auditoire : il ne sera pas ici abordé de questions de techniques chirurgicales, bien que pourtant, certains qui furent parmi les pionniers — je pense aux chirurgiens de la main — ou qui sont aujourd’hui les utilisateurs presque privilégiés, convaincus de son utilité — je pense à nos collègues ophtalmologistes ou ORL — auraient pu, par le rapport de leur expérience, tenter de nous convaincre des avantages que représente pour les patients la possibilité de bénéficier d’un geste chirurgical — qui peut être de haute technicité — sans la nécessité de recourir à une hospitalisation.
Qu’on la désigne sous le nom de chirurgie ambulatoire (qui est le terme habituellement retenu bien qu’il ne soit peut être pas le meilleur) ou à l’anglo-saxonne de chirurgie d’un jour, il s’agit bien là d’une alternative possible au mode traditionnel de soins donnés au cours d’une hospitalisation.
La quasi-totalité des patients qui en ont bénéficié s’en déclarent satisfaits et répondent aux enquêteurs qu’ils sont prêts à y recourir à nouveau s’ils devaient subir une autre intervention chirurgicale (pour peu qu’elle soit compatible avec ce type d’organisation de soins).
Alors, une question vient aussitôt à l’esprit. Comment se fait-il que l’on parle si peu de cette possibilité de « chirurgie sans hospitalisation » ? La plupart d’entre nous, sans doute, seraient en peine pour apporter une réponse immédiate à quiconque les interrogerait pour savoir où s’adresser pour pouvoir en bénéficier. C’est bien là, ici encore, une exception française !
Alors qu’aux États-Unis les actes effectués en « Day surgery » représentent 94,2 % des actes chirurgicaux, que plus près de chez nous, en Belgique, où Claude de
Lathouwer fut un pionnier, elle représente 45 % des actes ; qu’en quelques années, en Espagne, la chirurgie ambulatoire représente 33 % de l’activité chirurgicale ; en France, elle demeure limitée à quelques établissements, en majorité établissements privés, où des pionniers convaincus ont accompli avec obstination un vrai parcours du combattant pour vaincre les obstacles administratifs qui leur ont été opposés.
Que dire alors du retard de la chirurgie ambulatoire dans les hôpitaux publics ? Je n’ose parler de néant, car quelques-uns de nos collègues ont refusé de baisser les bras. Les uns et les autres militent au sein de la jeune AFCA (Association Française de Chirurgie Ambulatoire) ; ce sont les actuels responsables de cette courageuse association qui, dans un instant, vont faire devant vous le point de la réalité de la chirurgie ambulatoire en France.
Mais auparavant, il nous sera rappelé ce qu’est la chirurgie ambulatoire, concept réellement innovant, dans ce qu’il est convenu d’appeler la « dispensation des soins » principe tout entier centré autour du patient, aux exigences duquel s’ordonne l’organisation hospitalière spécifique.
Conception, vous en conviendrez, à l’opposé de l’organisation traditionnelle auquel le patient est prié de s’intégrer, ce qu’il fait le plus souvent au prix d’attentes interminables et répétées, et le plus souvent d’une hospitalisation — fut-elle limitée à quelques jours — dont on aurait pu faire l’économie.
Or, ne parle-t-on pas depuis des années de la nécessité de rechercher des sources d’économies en matière de dépenses de santé, notamment en matière d’hospitalisation ? La recherche d’alternatives à l’hospitalisation n’est-elle pas un leitmotiv de nos responsables politiques depuis des décennies ?
En 1980, le Conseil économique et Social avait confié à l’un de ses membres, notre collègue toulousain Serge Juskivienski, la charge d’un rapport sur « hospitalisation de jour, hospitalisation à domicile, alternatives à l’hospitalisation classique ». Il savait qu’après un séjour d’étude au Centre autonome de chirurgie ambulatoire de Kansas city (Missouri) j’avais mis en place, de façon que l’on peut qualifier de sauvage, une petite unité de chirurgie ambulatoire qui fonctionnait depuis 1971 à la clinique chirurgicale des enfants malades depuis que j’en étais devenu chef de service. Il demanda mon audition par le Conseil économique. C’était le 13 mai 1981, il y a quelques 20 ans ! J’y rapportai mon expérience et celle de madame le professeur Louise Délègue pour les anesthésies « ambulatoires » de nos petits malades. L’excellent rapport de Juskievienski n’eut aucune suite concrète.
En mars 1993, sur l’initiative de la Fondation de l’Avenir pour la Recherche Médicale Appliquée, se tint à Paris une conférence de consensus sur ce même thème.
J’eus l’honneur de faire partie du jury que présidait notre confrère Louis Hollender.
Huit ans plus tard les conclusions de cette conférence de consensus restent valables en ce qui concerne le concept, les exigences, l’organisation, pour l’efficacité, la sécurité, les résultats. Mais aussi, hélas, le constat du retard de notre pays à adhérer au concept nouveau de cette forme moderne d’organisation.
Beaucoup se satisfont de je ne sais quelle entorse à telle ou telle exigence administrative, qui acceptent l’entrée du patient dans le service hospitalier le matin. Un lit lui est attribué à l’étage d’hospitalisation où il attendra patiemment, le plus souvent la fin de la matinée, avant d’être appelé au bloc opératoire où il prendra son tour, à la fin d’une matinée programmée. Après son réveil, d’ailleurs souvent rapide, car nos collègues anesthésistes ont été les premiers convaincus, notre opéré devra encore attendre. La fin d’après-midi sera longue dans l’attente de la visite de l’anesthésiste, plus souvent que du chirurgien, dont l’avis est bien entendu nécessaire pour autoriser la sortie. Il peut être tard, souvent trop tard pour accomplir les formalités de sortie et régler les problèmes administratifs ; l’opéré en vient à regretter de ne pas avoir opté pour une hospitalisation traditionnelle moins dérangeante… pour l’hôpital ! Cela n’est pas de la chirurgie ambulatoire ! Après avoir entendu les orateurs qui vont se succéder à la Tribune, vous en serez convaincus.
Alors d’où vient notre retard ? Serait-ce du fait d’une moindre sécurité ? D’un doute ou même seulement d’une présomption d’insécurité ? Ou est-ce toujours du fait de notre système administratif et notamment de cette dotation globale qui ne trouve aucun bénéfice, aucun avantage à cette innovation ? Ou de notre tarification conventionnelle des actes de médecine libérale qui ne prévoit pas de remboursement pour la participation du médecin traitant ni de l’infirmière libérale au suivi immédiat de l’opéré après son retour au domicile ?
C’est ce que nous tenterons de comprendre en entendant les orateurs qui vont se succéder à la Tribune et qu’à l’avance je remercie chaleureusement de leur contribution à l’organisation et au déroulement de cette séance.
Ils vous convaincront que ces obstacles devraient pouvoir trouver des solutions au moment où nous parlons de la modernisation de notre système de santé et où l’on innove en matière de réseaux de soins.
Mais il se pourrait que les raisons profondes de la persistance de cette exception française soient aussi en partie culturelles, parce qu’elle bouscule les habitudes des patients mais aussi des chirurgiens. Cet aspect du problème sera franchement abordé.
Après l’audition des intervenants s’engagera, je le souhaite, une large discussion.
Je laisserai à Louis Hollender le soin d’apporter la conclusion de cette séance thématique.
HOSPITALS, legislation and jurisprudence.
Bull. Acad. Natle Méd., 2001, 185, no 6, 1023-1025, séance du 12 juin 2001