Résumé
L’inflammation de la polyarthrite rhumatoïde possède comme particularité d’aboutir à la production de médiateurs chimiques qui détruisent le cartilage articulaire et l’os souschondral. Si l’origine du processus (facteur(s) étiologique(s)) reste inconnue, ses mécanismes intermédiaires sont de mieux en mieux compris avec l’intervention de cytokines pro-inflammatoires appartenant à la fois à l’immunité innée et à l’immunité spécifique. Ainsi TNF α et IL1 β constituent des piliers essentiels dans le processus inflammatoire : le TNF α intervient dans la stimulation des cellules produisant les médiateurs chimiques de l’inflammation (cytokines, métalloprotéases, NO, PGE2, …) et l’IL1 β dans la destruction cartilagineuse et osseuse (augmentation des métalloprotéases, diminution de la production des glycosaminoglycanes …). Il existe des inhibiteurs naturels de ces cytokines, tels que l’ILA-Ra pour l’IL1 ou les récepteurs solubles, sIL1-RI, sIL1-RII, sTNF-RI et sTNF-RII. Leurs taux sont augmentés mais insuffisamment pour s’opposer efficacement au processus inflammatoire. L’avancée des connaissances tant en pathologie expérimentale qu’en clinique humaine a abouti à la mise sur le marché de drogues ciblées s’opposant à l’activité du TNF α et plus récemment de l’IL1 β . D’autres cytokines interviennent en amont de la production du TNF α ou d’IL1 β qui pourraient constituer des cibles thérapeutiques potentielles tel que l’IL18. De même certaines cytokines ayant des propriétés anti-inflammatoires (IL4, IL10, IL13, …) pourraient utilement compléter l’effet thérapeutique des anti-TNF α ou des anti-IL1 β .
Summary
Rheumatoid arthritis inflammation process is characterised by the production of soluble mediators with final alteration of cartilage and bone erosions. Etiological factors of RA remain obscure, however intermediate mechanisms are better understood : proinflammatory cytokines belonging to innate as well as adeptive immunity are principal effectors. TNF α and IL1 β are major components of the inflammatory process : TNF α is an important stimulus of cells producing inflammatory mediators (cytokines, metalloproteinases, NO, PGE2, …) and IL1 β mediates cartilage and bone destruction (via secretion of metalloproteinases, decrease synthesis of glycosaminoglycans…). Natural inhibitors of proinflammatory cytokines are also present such as IL1-Ra for IL1 or secreted soluble receptors, sIL1-RI, sIL1-RII, sTNF-RI, sTNF-RII. The level of these inhibitors are increased but not enough to sustain an anti-inflammatory effect. Progress in animal models and in clinical practice has driven to market biological drugs targeted to inhibit TNF α and recently IL1 β . Other cytokines taking place in the inflammatory cascade before TNF α and IL1 β are potential future therapeutic targets such as IL18. Cytokines with antiinflammatory effect (IL4, IL10, IL13…) can also be used for treatment of RA in association with anti-TNF α or anti-IL1 β .
INTRODUCTION
La polyarthrite rhumatoïde est le plus fréquent des rhumatismes inflammatoires chroniques de l’adulte. La prévalence exacte en France n’est pas connue, mais des enquêtes régionales l’évaluent à 0,6 % de la population. On estime ainsi à 300 000 le nombre de malades. Il s’agit d’une affection invalidante par le handicap fonctionnel qu’elle entraîne et les destructions articulaires cartilagineuses et osseuses qui résultent de l’inflammation synoviale chronique. On dispose actuellement d’outils performants pour évaluer séparément le degré d’inflammation (paramètres biologiques, nombre d’articulations gonflées et douloureuses …), le degré de handicap (questionnaires de qualité de vie) et le degré de détérioration anatomique (index radiographiques de Sharp modifié ou de Genant).
Des progrès considérables ont été faits dans la compréhension et le rôle des mécanismes biochimiques de l’inflammation synoviale : les cytokines jouent un rôle majeur dans les processus de communication entre les types cellulaires intervenant dans l’inflammation rhumatoïde : cellules présentatrices d’antigène, cellules dendritiques, monocytes macrophages, lymphocytes T et B, fibroblastes, mais aussi chondrocytes et cellules osseuses ostéoclastes et ostéoblastes. La Figure 1 illustre les différents protagonistes de la synovite rhumatoïde.
On ne connaît pas encore le ou les agents responsables de la réaction immunologique et divers candidats ont été incriminés. Il n’est pas certain que la réponse immunologique adaptative, spécifique d’un antigène, médiée par les lymphocytes T,
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soit à l’origine de la PR [1]. Il peut s’agir d’un phénomène secondaire qui vient amplifier une réaction inflammatoire initiale qui ferait appel à l’immunité innée non spécifique déclenchée par un certain nombre de stimulus non spécifiques. Certaines cytokines intervenant à la fois dans l’immunité innée et l’immunité adaptative ont un rôle prédominant dans la synovite rhumatoïde avec au premier rang le TNFα ( tumor necrosis factor ) et l’IL1 (interleukine-1).
DÉFINITION DES CYTOKINES
Les cytokines sont des molécules protéiques de petit poids moléculaire assurant les communications intercellulaires. Certaines sont présentes dans le cytoplasme et sur les membranes, la plupart sont secrétées. Les cytokines fonctionnent rarement isolément mais plus souvent en réseau. Elles agissent, soit directement sur la cellule dont elles proviennent (effet autocrine), plus fréquemment sur les cellules adjacentes au sein d’un même tissu (effet paracrine), et moins fréquemment à distance sur les cellules d’un autre organe après avoir circulé par voie sanguine (effet endocrine).
Enfin, une cytokine peut rester dans la cellule qui l’a produite et y exercer son effet biologique sans être secrétée (effet intracrine).
CLASSIFICATION
Les cytokines membranaires et secrétées exercent leur activité biologique en se fixant sur un récepteur membranaire spécifique [2].
Les cytokines sont classées selon leur type de récepteur membranaire, mais il est plus simple de les classer selon leur fonction principale sachant qu’une même cytokine a souvent de multiples fonctions, parfois antagonistes (fonction pléiomorphe), et que plusieurs cytokines ont parfois la même fonction (fonction pléiotrope). Ainsi, on distinguera les cytokines pro-inflammatoires, les cytokines anti-inflammatoires, les cytokines immunorégulatrices, les cytokines chémotactiques (chémokines), les cytokines hématopoïétiques, les cytokines de différenciation et de croissance (facteurs de croissance) [3].
On rapproche des cytokines proprement dites les facteurs solubles capables de se fixer sur les cytokines. Il s’agit le plus souvent de récepteurs solubles détachés de la membrane des cellules. Ils sont présents souvent à des concentrations très élevées dans le milieu synovial inflammatoire. Certains de ces récepteurs solubles vont inhiber l’activité de la cytokine (c’est le cas du sTNF-RI, du sTNF-RII, et du sIL-1RII), d’autres n’ont aucune action inhibitrice, tels les récepteurs solubles de l’IFNγ ou de l’IL2.
D’autres molécules sont produites physiologiquement et vont s’opposer à l’activité des cytokines pro-inflammatoires : l’IL1Ra est un inhibiteur compétitif de l’IL1.
Véritable cytokine à part entière, elle est produite par les mêmes cellules que celles produisant l’IL1β.
Elle se fixe préférentiellement sur l’IL1RI et bloque ainsi le récepteur. Mais l’activité de l’IL1 est encore perceptible si 3 % des récepteurs restent libres. Ainsi faut-il cent fois plus d’IL1Ra que d’IL1 pour réussir à bloquer les actions de l’IL1.
La plupart des cytokines sont présentes dans le tissu synovial de PR (Tableau 1).
FACTEURS INDUISANT LA PRODUCTION DE CYTOKINES
La production des cytokines inflammatoires résulte de l’interaction entre la cellule productrice et divers stimulants. Elle nécessite, soit un contact cellulaire direct ( via des cytokines de membrane ou d’autres composants membranaires) soit une interaction avec diverses molécules du milieu, telles que les protéines ou lipopolysaccharides bactériens (LPS), des cytokines elles-mêmes, des fragments de composants du complément, des complexes immuns, des IgG fixées sur des récepteurs FcγR de membrane, des protéines du tissu conjonctif, diverses protéines de la phase aiguë de l’inflammation. Plusieurs de ces stimuli interviennent dans la synovite rhumatoïde et nombre de cytokines ont été mises en évidence dans le tissu synovial rhumatoïde sous forme de protéines et d’ARN messager. Les principales sont rassemblées dans le Tableau 1.
CELLULES SYNOVIALES PRODUCTRICES DE CYTOKINES
D’une manière générale, les cytokines, en particulier pro-inflammatoires, peuvent être produites par des cellules de différentes origines. Ainsi, dans le milieu synovial, les sources principales de cytokines sont les monocytes macrophages, les cellules dendritiques, les fibroblastes, mais aussi les cellules lymphoïdes, T surtout, B et NK, les cellules endothéliales, les chondrocytes et accessoirement les ostéoclastes et leurs précurseurs, les polynucléaires et les mastocytes. Le Tableau 2 résume les principales cytokines produites par les monocytes-macrophages / synoviocytes de type A, les fibroblastes / synoviocytes de type B, les lymphocytes T, les mastocytes, les cellules endothéliales. Les lymphocytes T peuvent être fonctionnellement divisés en T auxiliaires (ou helper ) et T cytotoxiques. Les T helpers exercent leur activité, soit en aidant à la réponse humorale (Th2), soit en aidant à la réponse cellulaire (Th1).
Enfin certains T helpers sont plus indifférenciés (Th0). Les cytokines produites par les 2 catégories de T helper sont caractéristiques des fonctions exercées et sont résumées dans le Tableau 3. On remarquera que l’inflammation rhumatoïde est caractérisée par la très faible présence des cytokines lymphocytaires dites Th1 comme l’IL2, l’IL4 et l’IFNγ qui contraste avec la présence de quantités très abondantes de cytokines monomacrophagiques et fibroblastiques telles que le TNFα et l’IL1 [4].
TABLEAU 1. — Expression des cytokines dans la synoviale rhumatoïde.
TABLEAU 2. — Sources cellulaires des cytokines dans la PR.
TABLEAU 3. — Cytokines produites par les T helpers Th1 et Th2.
CINÉTIQUE DE PRODUCTION DES CYTOKINES
La réponse inflammatoire fait appel à une immunité innée, immédiate et non spécifique au cours de laquelle interviendront certaines cytokines produites par les cellules monomacrophagiques, puis, si la réaction inflammatoire se pérennise ou récidive, à une immunité adaptative spécifique avec mémoire de l’agression anté- rieure. Certaines cytokines appartiennent à cette immunité adaptative. Il s’agit essentiellement de cytokines régulatrices produites par les lymphocytes T. D’autres cytokines appartiennent aux deux types de réactions immunologiques. C’est le cas de l’IL1 et du TNFα. Cette cinétique de production de cytokines est essentielle à connaître et permet de classer les différentes cytokines inflammatoires selon une hiérarchie chronologique (Fig. 2).
L’INFLAMMATION RHUMATOÏDE
Phase aiguë
On peut résumer la réaction inflammatoire synoviale rhumatoïde selon le schéma suivant.
Dans un premier temps, et sous l’influence de divers stimulants non spécifiques (traumatisme, infection, réactions allergiques, vaccination, dépôts de complexes immuns), les macrophages ou synoviocytes de type A [5] et les fibroblastes ou synoviocytes de type B [6] vont produire des cytokines de type TNFα et GM-CSF.
FIG. 2. — Chronologie de sécrétion des cytokines au cours d’un processus inflammatoire.
La faible quantité produite est tamponnée et neutralisée par les inhibiteurs naturels, les récepteurs solubles du TNFα : sTNF-Rp55 et sTNF-Rp75. Les cytokines vont cependant augmenter la différenciation des cellules dendritiques résidentes en puissantes cellules présentatrices d’antigènes qui vont induire une réponse spécifique T [7]. Avec le temps, diverses molécules protéiques du milieu synovial vont être dégradées et, sur un terrain (immuno)génétique prédisposé (HLADRB1*0401…), les épitopes modifiés ou démasqués sont présentés sur leur molécule HLADRB1 par les cellules dendritiques et vont déclencher une réaction immunologiques médiée par les cellules T et B [8]. D’un contact direct membranaire entre lymphocytes T et cellules mono-macrophagiques va résulter une activation réciproque et la production de cytokines telles que l’IL15 et l’IL18 [9, 10] par les monocytes macrophages.
Une de leurs cibles principales sont les lymphocytes T qui, à leur tour, vont induire la production d’IL1 et de TNFα par les monocytes macrophages. TNFα et GM-CSF augmentent l’expression des molécules de la famille B7 (CD80/CD86) par les cellules présentatrices d’antigène (macrophages et cellules dendritiques) intervenant ainsi dans les cosignaux d’activation T.
Le TNFα et le GM-CSF ont été trouvés à des taux élevés dans le liquide synovial et les surnageants de culture d’explants synoviaux de PR [11]. Dans les cultures cellulaires (majorité de fibroblastes) de synoviale rhumatoïde, la production élevée d’IL1 peut être inhibée par un anticorps anti-TNFα suggérant un contrôle par le TNFα de la production d’IL1.
À ce stage aigu de la réaction inflammatoire, TNFα et IL1 vont favoriser l’expression des molécules d’adhésion (sélectines, intégrines et superfamille des Ig) sur les cellules endothéliales et les leucocytes en association avec l’IL8 et le GM-CSF. L’IL8 est le chef de file de la famille des chémokines (plus de 40 composants) dont le rôle principal est la chimiotaxie. Nombre de ces chémokines sont produites par les
macrophages et les fibroblastes synoviaux. Cytokines, facteurs de croissance et chémokines vont favoriser l’angiogenèse synoviale, à l’origine de la progression de la synovite [12] (Fig. 1).
La synovite rhumatoïde chronique
Les techniques d’hybridation in situ , et plus récemment de RT-PCR quantitative, ont permis de mesurer le degré d’activation des gènes des cytokines pro et antiinflammatoires. Il varie aux différents stades de la maladie et selon l’aspect histologique de la synoviale : ainsi les ARNm codant pour l’IL1β, le TNFα, le GM-CSF, mais aussi l’IL10, l’IL15 et l’IFNγ sont présents au stade précoce de la maladie. Les ARNm de l’IL6 et de l’IL12 sont moins abondants. Dans les PR plus anciennes on ne retrouve plus d’ARNm d’IL2 et d’IFNγ, probablement du fait de l’inhibition des lymphocytes Th1 par l’excès de TNFα [2-13].
À ce stade chronique de la synovite rhumatoïde, vont apparaître des destructions ostéocartilagineuses, conséquence de l’action des cytokines sur les protagonistes cellulaires.
Les chondrocytes produisent des métalloprotéases ou MMPs et diminuent leur synthèse de protéoglycanes. Les ostéoclastes se différencient à partir de précurseurs ostéoclastiques mononucléés sous l’influence de RANK-L et de diverses cytokines agissant soit directement sur les pré-ostéoclastes, soit via les ostéoblastes [14].
PROPRIÉTÉS INFLAMMATOIRES DU TNF α , DE L’IL1 ET DES AUTRES
CYTOKINES
TNF alpha
Le TNFα est doué de multiples fonctions biologiques : par exemple il module la croissance, la différenciation et le métabolisme d’une grande variété de cellules. Il peut induire la cachexie, initier l’apoptose de cellules malignes ou transformer des cellules infectées par un virus, des lymphocytes T, des cellules épithéliales. Enfin et surtout, le TNFα est à l’origine de l’inflammation. Avec l’IL1 c’est un puissant inducteur de la réponse inflammatoire ; il joue un rôle régulateur clé dans l’immunité innée. Les médiateurs induits par l’action du TNFα sont très nombreux. Citons les cytokines IL1, IL1Ra, IL2, IL4, IL6, IL10, IL12, IL18, IFNγ, TGFβ, LIF, MIF, RANK-L, diverses hormones, les protéines de la phase aiguë de l’inflammation, les leucotriènes, les radicaux libres, le PAF, le NO et les PG. Les principaux effets biologiques inflammatoires du TNFα sont résumés dans le Tableau 4 [2].
Les preuves du rôle important du TNFα dans la PR sont tirées des données expérimentales et humaines. Elles ont abouti à l’utilisation des anti-TNFα en clinique humaine, qu’il s’agisse des anticorps monoclonaux humanisés (Infliximab Rémicade®), humains (Adalimumab D2E7 Abbott) ou des récepteurs solubles du
TABLEAU 4. — Principaux effets biologiques inflammatoires du TNFα.
TNF-RII p75 (Etanercept Enbrel®) et TNF-RI p55 en tant que drogue ciblée pour lesquelles 2/3 environ des patients atteints de PR sont répondeurs [15-16].
Arguments expérimentaux
Souris transgéniques pour le TNF α humain [17]
Le modèle de la souris transgénique pour le gène humain modifié codant pour le TNFα développe spontanément une polyarthrite destructrice. Plusieurs souches de souris vont faire une polyarthrite lorsqu’on leur introduit le transgène humain.
Cette polyarthrite érosive peut être prévenue en traitant préventivement les souris avec un anticorps monoclonal anti-TNFα. Les arthrites ne dépendraient pas de la présence des lymphocytes car elles surviennent également chez des croisements avec des souris ayant un KO génique aboutissant à l’absence de lymphocytes fonctionnels.
Le TNFα humain est trouvé en abondance dans le tissu synovial de la souris contrastant avec des taux très faibles de TNFα murin.
On trouve également dans ces tissus synoviaux de l’IL6, de l’IL10, mais très peu d’IL1. Le TNFα humain produit se fixe sur le seul TNF R p55 murin, ce qui suggère que la fixation sur ce récepteur suffit à induire la production de cytokines autocrines et paracrines à l’origine des synovites.
Le TNFα n’est cependant pas la seule cytokine à l’origine de la réaction inflammatoire synoviale. Ainsi les souris déficientes en TNFα (après KO génique) développent normalement une arthrite expérimentale au collagène [18].
Autres modèles expérimentaux
Dans le modèle de l’arthrite expérimentale au collagène de la souris DBA/1 [19] ou du rat DA (dark agouti), l’injection de TNFα accélère le début et augmente la sévérité des arthrites. Le traitement préventif des souris par un anticorps monoclonal anti-TNFα diminue la sévérité de la maladie induite par l’injection du collagène [20].
Administré après le début des arthrites, on observe également une diminution de l’inflammation articulaire clinique et histologique. Des résultats analogues sont obtenus avec l’injection de la protéine de fusion IgG TNF-R, inhibiteur de TNFα.
Des études d’immuno-histochimie synoviale dans le modèle murin montrent une expression précoce de TNFα dans les couches bordantes des franges synoviales dès le début des arthrites. L’IL1 n’est détectée que 1 à 2 jours après.
Arguments dans la polyarthrite rhumatoïde
Les études ont porté sur le milieu synovial et le sérum des patients. Des taux élevés de la protéine TNFα sont présents dans environ 50 % des liquide synoviaux de PR, principalement au cours des formes les plus sévères. Les types cellulaires contenant du TNFα sont les cellules du pannus, les macrophages, les cellules bordantes, les cellules profondes avec une distribution périvasculaire et plus particulièrement les jonctions synoviale-cartilage, à proximité même des destructions cartilagineuses [11-21].
Les deux types de récepteurs du TNFα, TNF-RI p55 et TNF-RII p75, sont présents en immunomarquage sur les macrophages, les fibroblastes de la couche bordante ainsi que sur les lymphocytes et les cellules endothéliales de la partie profonde des franges synoviales. Les récepteurs solubles du TNFα, résultat du clivage membranaire ont été trouvés augmentés dans le sérum des malades atteints de PR, augmentation portant surtout sur le sTNF-R p75, mais aussi dans le liquide synovial où les taux sont 3 à 4 fois plus élevés que dans le sérum correspondant.
Les taux sériques de sTNF-R sont corrélés à l’activité de la PR, suggèrant une tentative de régulation spontanée insuffisante pour maîtriser les phénomènes inflammatoires synoviaux.
IL1
L’IL1 et le TNFα partagent de nombreuses propriétés. Leur présence dans les cellules synoviales du pannus est établie depuis longtemps [22]. Les propriétés pro-inflammatoires de l’IL1 sont résumées dans la Figure 3. Son rôle local prépondérant dans l’inflammation articulaire et la détérioration structurale est suggéré par certains modèles animaux tel que celui des souris trangéniques pour le gène du TNFα humain : la polyarthrite peut être prévenue par immunisation passive des animaux avec un anticorps monoclonal dirigé contre le récepteur de type I de l’IL1.
Dans le modèle d’arthrite induite par l’injection de paroi de streptocoque il apparaît que le blocage du TNFα réduit le gonflement articulaire, ce qui ne fait pas le blocage de l’IL1. En revanche, la neutralisation de l’IL1, mais pas celle du TNFα entraîne l’inhibition de la synthèse des protéoglycanes par les chondrocytes. Des constatations analogues ont été faites avec le modèle de l’arthrite au collagène où les érosions sont étudiées à l’aide de la radiographie. L’idée générale issue de ces constatations expérimentales serait que le TNFα induirait une réaction inflammatoire directement et par l’intermédiaire de l’IL1, alors que l’IL1 serait principalement responsable de la résorption osseuse et des destructions cartilagineuses [23].
FIG. 3. — Rôle de l’IL1 dans les processus destructeurs de la PR.
Autres cytokines pro-inflammatoires
Nous nous limiterons aux cytokines principales de l’inflammation, l’IL6, l’IL12, l’IL15, l’IL17 et l’IL18 IL6
L’IL6 est une cytokine pléiotrope produite par une grande variété de cellules sous l’effet du TNFα et de l’IL1. Elle est à l’origine de la production des protéines de la phase aiguë de l’inflammation par le parenchyme hépatique et possède des proprié- tés de pyrogène endogène. Il s’agit donc d’une cytokine agissant surtout de façon endocrine. D’autres cytokines appartiennent à la famille de l’IL6 : l’IL11 et le LIF ( leukemia inhibitory factor ) notamment.
L’IL6 ne stimule pas la production de cox-2, de NO et de phospholipase A2. L’IL6 a la propriété de freiner la production d’IL1 et de TNFα ainsi que l’expression des chémokines. Il s’agit donc d’une cytokine pro et anti-inflammatoire. Les taux sériques d’IL6 sont élevés dans la PR, d’autant plus que la maladie est sévère [24].
Les souris déficientes en IL6 font une arthrite expérimentale moins destructrice que chez les témoins. Cependant les arthrites induites par la sur-expression de TNFα ne sont pas atténuées chez les souris KO pour le gène de l’IL6. Des essais encourageants sont en cours avec un anticorps monoclonal anti-récepteur de l’IL6 dans la PR [25].
IL12
L’IL12, produite par les monocytes macrophages est une cytokine stimulant l’induction de TNFα par les macrophages en conjonction avec l’IL15 et d’IFNγ par les lymphocytes T en conjonction avec l’IL18. L’IL12 circulante est élevée chez 40 % des PR non traitées [26].
IL15
L’IL15 est produite par les monocytes macrophages, les cellules dendritiques, les fibroblastes et les cellules endothéliales. Elle est chémotactique pour les lymphocytes T et les polynucléaires neutrophiles. Elle induit la prolifération et la production de cytokines par les lymphocytes T, la maturation des lymphocytes B et la production de l’activité cytotoxique des NK. L’IL15 agit en synergie avec l’IL2 pour induire la production d’IFNγ. Dans la synoviale rhumatoïde l’IL15 serait le messager monocytaire principal pour l’activation des lymphocytes T. Par ailleurs l’IL15 active la voie de différenciation des progéniteurs ostéoclastiques en proostéoclastes. Enfin, l’IL15 agissant sur les lymphocytes T induit la synthèse de MMP-3 et de MMP-1 par les synoviocytes de type B de PR [10, 26-27].
IL17
L’IL17 est une cytokine proinflammatoire produite par les lymphocytes CD4+ Th1 etTh0. Elle stimule la synthèse de PGE1, iNOs et de chémokines et favorise la
maturation des ostéoclastes via l’induction de RANK-L. L’IL17 induit la production d’IL6, IL8 et G-CSF par les cellules endothéliales et les fibroblastes. L’IL17 stimule la production d’IL1β et de TNFα ainsi que celle del’IL6, IL10, IL12, IL1Ra par les macrophages. Cette activité de l’IL17 sur l’induction d’IL1β et de TNFα est inhibée par l’IL4 et l’IL10. L’IL17 agit en synergie avec l’IL1 pour activer NF-KB et en synergie avec le TNFα pour induire la production de composés du complément par les fibroblastes. Il existe une corrélation entre les taux d’IL15 et d’IL17 dans le liquide synovial, l’IL15 stimulant la production d’IL17. Enfin l’IL17 augmente la production de MMP-9 (gélatinase B). C’est un stimulant majeur du récepteur RANK-L sur les lymphocytes T et les ostéoblastes [28]. Ainsi l’IL17 contribue à la fois à la dégradation du cartilage et aux destructions articulaires [29-30]. Une protéine de fusion IL17-R-Fcγ a été produite. Elle est capable de diminuer les arthrites induites dans un modèle animal.
IL18
L’IL18 est une cytokine régulatrice de la réponse innée et acquise. Produite essentiellement par les macrophages, les cellules dendritiques de façon constitutionnelle, parfois les chondrocytes, elle induit la prolifération, la cytotoxicité et la production des cytokines Th1(IFNγ) et NK en synergie avec l’IL12. L’IL18 serait un facteur précoce de maturation des lymphocytes T, indépendamment de l’IL4 et de l’IL12.
Cytokine proinflammatoire, l’IL18 induit la production de TNFα et d’IL1 en synergie avec l’IL15 et l’IL12. En retour, le TNFα et l’IL1 stimulent la production d’IL18. L’IL18 stimule l’angiogenèse et l’activation des polynucléaires neutrophiles.
Elle agit sur les chondrocytes en réduisant leur prolifération, stimulant la production de l’iNOs, de stromelysine et l’expression de cox-2. Elle augmente le relargage de glycosaminoglycanes. Enfin l’IL18 freine la maturation des ostéoclastes via le
GM-CSF produit par les lymphocytes T. De même l’IL18 inhibe la production de cox-2 via la production d’IFNγ. La régulation de l’IL18 passe, entre autre, par sa neutralisation via une protéine qui se fixe spécifiquement sur l’IL18, appelée IL18
BP. On fonde certains espoirs dans l’utilisation de l’IL18BP pour traiter dans le futur la polyarthrite rhumatoïde [10, 31].
PRINCIPALES CYTOKINES ANTI-INFLAMMATOIRES
Nous nous limiterons à quelques exemples.
IL1Ra
Produit par les mêmes cellules que celles produisant l’IL1β, l’IL1Ra a la propriété de se fixer sur le récepteur de l’IL1, l’IL1RII et d’agir ainsi comme un inhibiteur compétitif de l’IL1 [22]. L’IL1Ra n’a aucune activité agoniste même à des concentrations 106 fois supérieures à celle de l’IL1. Il est nécessaire de saturer >90 % des
récepteurs de l’IL1 par l’IL1Ra pour inhiber les activités biologiques de l’IL1. Les souris déficientes en IL1Ra par KO génique développent une arthrite spontanée [32].
IL4
Prototype des cytokines Th2, l’IL4 supprime l’activation de la transcription des cytokines pro-inflammatoires, IL1, TNFα et IFNγ, et augmente l’expression de l’IL1Ra. L’IL4 pourrait freiner la production de VEGF induite par le TGFβ.
IL10
Cytokine Th2, l’IL10 est en fait produite par bien d’autres types cellulaires que les lymphocytes Th2 (monocytes, cellules dendritiques, cellules épithéliales, …). L’IL10 inhibe la production de cytokines pro-inflammatoires, IL1, TNFα et reste sans effet sur la production d’IL1Ra [33]. Produite de façon constitutionnelle dans la synoviale rhumatoïde, l’IL10 agit comme un suppresseur naturel de la production d’IL1 et de TNFα. Dans divers modèles animaux de polyarthrite, l’administration simultanée d’IL4 et d’IL10 diminue les taux de TNFα et d’IL1β dans le milieu synovial [34].
IL11
In vitro , l’IL11 inhibe la production d’IL2 par les lymphocytes T ainsi que la production d’IFNγ induite par l’IL12. Elle stimule la production d’IL4 et d’IL10.
Dans le liquide synovial, l’IL11 diminue la production de TNFα et d’IL1β. Inversement, les fibroblastes synoviaux produisent de l’IL11 en réponse à l’addition de TNFα et d’IL1 via l’augmentation de synthèse de PGE2 [27].
IL13
Produite par les lymphocytes T, l’IL13 supprime la synthèse des cytokines proinflammatoires IL1β, TNFα comme l’IL4, mais contrairement à l’IL4 et l’IL10, elle n’a pas d’effet immunosuppresseur sur les lymphocytes T. Les taux d’IL13 sont très faibles dans la synoviale rhumatoïde et l’expression d’ARNm inconstante dans les principales études [26].
AUTRES MOLÉCULES APPARENTÉES AUX CYTOKINES AYANT DES PROPRIÉTÉS ANTI-INFLAMMATOIRES
Les récepteurs solubles des cytokines sont retrouvés à des taux élevés dans le plasma et le liquide synovial de sujets de PR. Leur taux est souvent corrélé au degré d’inflammation articulaire. Certains de ces récepteurs vont lier la cytokine libre et
FIG. 4. — Déséquilibre des cytokines pro et anti-inflammatoires.
TABLEAU 5. — Principaux essais thérapeutiques anti-cytokines avec des drogues ciblées dans la PR.
neutraliser son effet biologique (sTNF-RII, sTNF-RI, sIL1-RI, sIL17-R [35], entrant ainsi en compétition avec le récepteur membranaire qui, seul, pourra transduire le signal déclenché par la fixation de la cytokine correspondante.
D’autres récepteurs sont des leurres qui ne transduisent aucun signal, tel que le récepteur de type II de l’IL1, (l’IL1-RII). Sa forme circulante est capable cependant de neutraliser une molécule d’IL1 et, à ce titre, appartient aux molécules antiinflammatoires.
D’autres molécules, sans être un récepteur soluble, neutralisent spécifiquement une cytokine. C’est le cas de l’IL18 BP [10].
Enfin, les auto-anticorps naturels anti-cytokines sont capables de s’opposer à l’action biologique de la cytokine correspondante (anti-IL1α, anti-IL6, anti-IL10, anti-IFNγ, anti-IFNβ, anti-GM-CSF). Leur rôle physiologique reste encore incertain. Des essais thérapeutiques sont en cours pour tester l’efficacité des anticorps monoclonaux anti-IL6 [36] et anti-IFNγ [37].
LA BALANCE CYTOKINIQUE — PERSPECTIVES THÉRAPEUTIQUES
De l’équilibre entre cytokines pro-inflammatoires et cytokines plus récepteurs solubles anti-inflammatoires, et peut-être auto-anticorps anti-cytokines, va dépendre la résultante qui, dans le cas de la PR, penche fortement du côté des cytokines pro-inflammatoires avec, au premier rang, l’excès de TNFα et d’IL1β (Fig. 4).
Les essais thérapeutiques actuels avec des drogues ciblées tentent de rétablir l’équilibre de la balance cytokinique en diminuant les phénomènes inflammatoires et destructeurs vis-à-vis du cartilage et de l’os sous-chondral (Tableau 5) [27]. Les progrès de la pharmacogénomique individuelle autoriseront bientôt le choix de la meilleure cible pour un malade donné selon le profil de gènes activés et réprimés par le processus inflammatoire de cet individu [38-40].
Après une première phase de monothérapie avec une drogue biologique ciblée, on s’oriente, compte tenu de la complexité du réseau cytokinique, vers des polythérapies associant deux drogues ciblées associées ou non à un traitement de fond chimique classique [41].
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DISCUSSION
M. Jean-Baptiste PAOLAGGI
Les anti-TNF sont utilisés avec succès dans de nombreuses autres maladies qui tantôt ont une parenté avec la pathologie rhumatismale (rhumatisme psoriasique, spondylarthrite ankylosante, voire maladie de Still), et tantôt sont digestives (Crohn) ou cutanée (psoriasis, etc..). Qu’observe t-on dans les lésions osseuses de la spondylarthrite et les lésions extra-articulaires ?
Il est exact que les anti-TNF ont été utilisés avec succès dans le traitement de la maladie de Crohn et dans celui des spondylarthropathies (SPA et rhumatisme psoriasique). Ils ont obtenu l’AMM dans ces indications. Le TNF ayant une activité pro-inflammatoire aussi bien dans l’immunité innée (non spécifique) que dans l’immunité adaptative immunologique, il est probable que l’action positive enregistrée par les anti-TNF dans ces diverses affections est liée au blocage de cette immunité innée expliquant leur succès dans des affections aussi diverses que celles que nous venons de citer.
M. Pierre GODEAU
Quelle est la sensibilité des anticorps anti-protéines citrullinées et apportent-ils une aide au diagnostic précoce de la PR ?
Les anticorps anti-peptides cycliques citrullinés (CCP) sont détectés chez 70 % des PR avérées. Leur spécificité est de 98 %, soit bien meilleure que dans celle des facteurs rhumatoïdes. Dans les PR débutantes, la sensibilité est de 55 % à 60 % ce qui est déjà très bien et fait de ce marqueur le meilleur signe biologique de la PR.
M. Michel BOUREL
Quels sont les modèles animaux spontanés (en dehors des animaux invalidés) ? Quelles ethnies sont atteintes de complications type tuberculose ?
Il existe des modèles animaux spontanés de polyarthrite rhumatoïde, mais ils sont peu nombreux : la souris MRL lpr/lpr fait un lupus, mais développe également une polyarthrite avec présence de facteur rhumatoïde dans 30 % des cas. Chez la chèvre, il existe une infection virale encéphalitogène qui comporte une polyarthrite, mais sans facteur rhumatoïde. Plus récemment, le modèle de la souris KBN a été décrit par l’équipe de Christophe BENOIT et Diane MATHIS, mais il est assez éloigné de la PR car très aigu et ici aussi sans facteur rhumatoïde. Expérimentalement, il y a de nombreux modèles de
polyarthrite induite, mais aucun ne comporte la production de facteur rhumatoïde : les plus connues chez l’animal, très utilisées pour tester les nouvelles thérapeutiques, sont l’arthrite à adjuvant du rat et la polyarthrite induite par le collagène II chez la souris (ou chez le rat). Les tuberculoses observées l’ont été dans toutes les ethnies et pas de façon élective chez les populations transplantées d’Afrique Noire ou d’Extrême Orient.
Mme Monique ADOLPHE
Existe-t-il une chronologie différentielle dans l’effet inflammatoire au niveau des chondrocytes et/ou des ostéoblastes ?
Les lésions destructrices cartilagineuses et osseuses surviennent anatomiquement sur la zone de contact du panus synovial avec le cartilage et l’os. Ces dispositions anatomiques plaident en faveur d’une action directe via les cytokines agissant de manière paracrine sur leurs cibles effectrices voisines, les chondrocytes, qui vont secréter des métalloprotéases et diminuer leur synthèse du collagène et des protéoglycanes et les précurseurs ostéoclastiques qui vont se transformer en ostéoclastes matures qui détruisent le tissu osseux. Il est possible que le déterminisme des lésions cartilagineuses ne relève pas exactement des mêmes cytokines (rôle prépondérant de l’IL1) que celui des lésions osseuses (rôle prépondérant du TNFα et du RANK-ligand).
M. Roger BOULU
Le complexe TNF α récepteur soluble est-il un complexe stable ? Et quel est son devenir ?
La constante affinité du récepteur du TNFα pour le TNFα est modérément forte. Il est possible que la molécule d’Etanecerpt chimérique faite de 2 récepteurs solubles fixés sur un fragment Fc d’IgG, ait, non seulement une demi-vie plus longue que le récepteur naturel, mais également une affinité plus forte. Initialement, la crainte était que ce complexe n’inactive pas le TNF soluble, mais au contraire, prolonge sa demi-vie et qu’il puisse être encore actif, soit sous forme de complexe, soit à l’occasion de la libération différée de son récepteur. L’expérience clinique a montré qu’il n’en était rien.
* Service de Rhumatologie, Hôpital Bichat, 46 rue Henri Huchard — 75018 Paris. Tirès-à-part : Professeur Olivier MEYER, à l’adresse ci-dessus. Article reçu le 10 février 2003, accepté le 24 février 2003.
Bull. Acad. Natle Méd., 2003, 187, n° 5, 935-955, séance du 27 mai 2003