Communication scientifique
Session of 7 janvier 2020

Paradigme et paradoxe de la coopération en « santé mondiale » : de la pandémie de sida à l’épidémie d’Ebola en Afrique subsaharienne

MOTS-CLÉS : Sida, Ebola, Santé mondiale, Coopération sanitaire, Aide bilatérale, Fonds mondial, Systèmes de santé
Paradigm and paradox of “global health” cooperation: From the AIDS pandemic to the Ebola epidemic in sub-Saharan Africa
KEY-WORDS : AIDS, Ebola, Global Health, International Cooperation, Global Fund, Bilateral aid, Health Systems

D. Kerouedan (1)

L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.

Résumé

L’expression « santé mondiale » a des sources historiques précises, à l’origine du paradigme de la coopération sanitaire internationale en vigueur depuis plus de 20 ans. Le développement historique du concept est intrinsèquement lié à la pandémie du sida, notamment à son expansion en Afrique subsaharienne dans le milieu des années 1990, que les États-Unis érigent en question de sécurité internationale. Ceci permit au gouvernement américain de saisir le Conseil de sécurité des Nations unies en 2000, et au Secrétaire général de cette institution de convoquer une Assemblée générale extraordinaire en 2001, dont la Résolution appelle à la création d’un « fonds VIH/sida et santé », et à la mobilisation financière des pays riches du G8, et des grandes fondations privées, réunis à Okinawa (2000) et à Gênes (2001). En pratique, sera établi en 2002 le Fonds mondial de lutte contre trois maladies seulement : le sida, la tuberculose et le paludisme. Pendant plus de vingt ans, les acteurs de l’aide internationale, dont la France, privilégieront en Afrique de l’Ouest, le financement du contrôle de ces trois maladies, aux dépens du renforcement des systèmes de santé dans leur ensemble. Dans un contexte de pénurie de soignants et de faiblesse de la surveillance épidémiologique, nous ne sommes pas surpris de voir émerger en 2014 pour la première fois en Afrique de l’Ouest, et rapidement se propager, une épidémie à virus Ebola, en Guinée, puis en Sierra Leone et au Libéria. D’une pandémie (sida) à une épidémie (Ebola), c’est le paradoxe que nous relevons lorsque nous analysons dans le temps les effets sur le terrain du paradigme de la coopération en « santé mondiale », dont les partenariats public-privés mondiaux ne s’intéressent en réalité qu’aux maladies infectieuses, tout en ignorant les systèmes de santé, et par là, c’est ici le paradoxe, facilite les conditions d’émergence et de propagation de nouvelles ou anciennes pathologies infectieuses, qui s’avèrent échapper au contrôle en dépit des montants très importants des financements alloués. À partir de cette analyse, nous proposons un réajustement des priorités de l’aide internationale dans le champ de la santé et du développement.

Summary

The term “Global Health” has historical sources, founding the international health cooperation paradigm, which has been in effect for over 20 years. The historical development of the concept is intrinsically linked to the HIV/AIDS pandemic, particularly to its spread in Sub-Saharan Africa in the mid 1990s, which the United States construct as an international security issue. This allows the US government to seize the United Nations Security Council in 2000, and the UN Secretary General to convene a General Assembly Special Session (UNGASS), which will call for the establishment of an “HIV/AIDS and health Fund”. In reality, a fund to fight only 3 diseases, HIV/AIDS, TB and Malaria, is established in 2002. Over a period of 20 years, the international community, among which France, favors in West-Africa, the financing of the three diseases’ control, at the expense of the strengthening of the national health systems as a whole. In this context of health personnel shortage and weakness of the disease surveillance systems, we are not surprised to attend in 2014 the emergence and the rapid spread of another epidemic, for the first time in West-Africa, Ebola (Guinea, Sierra Leone and Liberia). From a pandemic (AIDS) to an epidemic (Ebola), this is the paradox of the effects of the “Global Health” paradigm that in reality embraces infectious diseases alone, ignoring all together the weaknesses of the health systems, and thereby, here is the paradox, facilitates the emergence or reemergence of infectious diseases in Sub-Saharan Africa, which were meant to be under control with huge financing. From this analysis, we recommend a review of aid priorities in the field of international cooperation for health and development.

Accès sur le site Science Direct : https://doi.org/10.1016/j.banm.2019.10.025 (Discussion)

Accès sur le site EM Consulte (Discussion)

(1) Académie nationale de médecine, 16, rue Bonaparte, 75006 Paris, France

Bull Acad Natl Med 2020;204:404—409. Doi : 10.1016/j.banm.2019.10.025