Communication scientifique
Session of 12 octobre 2010

Où en sommes-nous sur la physiopathologie de la maladie de Parkinson ?

MOTS-CLÉS : affections des ganglions de la base. dopamine. intoxication au mptp. maladie de parkinson physiopathologie. modèles animaux de maladie humaine
Pathophysiology of Parkinson’s disease : an update
KEY-WORDS : basal ganglia diseases. disease models, animal. dopamine. mptp poisoning. parkinson disease/physiopathology

Léon Tremblay

Résumé

Au cours des vingt-cinq dernières années, la physiopathologie de la maladie de Parkinson a beaucoup évolué. Elle a bénéficié d’avancées faites par des physiologistes œuvrant dans trois grands domaines de recherches. Ainsi pour bien comprendre la nature et la diversité des symptômes exprimés dans cette maladie, il faut intégrer les connaissances cliniques sur ces symptômes aux connaissances sur : le rôle de la dopamine, l’organisation anatomique et fonctionnelle des ganglions de la base ainsi que sur les dysfonctionnements observés sur le modèle de singe intoxiqué au MPTP. Cet article passe en revue les principales découvertes dans ces domaines qui contribuent maintenant à mieux comprendre la physiopathologie de la Maladie de Parkinson.

Summary

Considerable progress has been made in the pathophysiology of Parkinson’s disease in the last 25 years. To better understand the nature and diversity of the symptoms of Parkinson’s disease it is necessary to integrate clinical knowledge on 1) the role of dopamine, 2) the anatomical and functional organization of the basal ganglia, and 3) the dysfunctions observed in MPTP-treated monkeys. This article reviews the principal discoveries in these three research fields and their contribution to our understanding of the pathophysiology of Parkinson’s disease. * Centre de Neurosciences Cognitives, UMR-5229 CNRS-Université Lyon 1, Bron, F69675, France.

E-mail : tremblay-leon@yahoo.fr Tirés à part : Professeur Léon Tremblay, même adresse

Article reçu le 8 septembre 2010, accepté le 4 octobre 2010

INTRODUCTION

Il y a vingt-cinq ans la maladie de Parkinson était considérée comme une maladie neurologique résultante d’un processus dégénératif touchant les neurones dopaminergiques de la substance noire et produisant essentiellement des symptômes moteurs, dont la triade la plus connus est, l’akinésie, la rigidité et le tremblement.

L’apparition de ces symptômes moteurs dans une pathologie qui touche essentiellement l’innervation dopaminergique des Ganglions de la Base (GB) a, pendant longtemps, fait dire que les GB et la dopamine (DA) sont essentiellement impliqués dans le contrôle de la motricité. À cette époque, il y avait cependant quelques chercheurs et cliniciens dont Marsden, un grand spécialiste de la maladie, qui commençait à se questionner sur ce rôle purement moteur des GB. Ce sont ces observations sur les patients et sur la complexité de l’expression de l’akinésie (le principal symptôme de la maladie) qui l’ont amené à ce questionnement. Le titre de sa revue de 1982 [1] « The mysterious motor function of Basal Ganglia » exprimait bien son interrogation et laissait entrevoir ce qui sera découvert plus tard sur les modèles animaux. A savoir, que les GB sont impliqués dans de nombreux domaines fonctionnels autres que purement moteur et que l’akinésie résulte en grande partie de dysfonctionnements au sein de domaines fonctionnels en amont du contrôle moteur. À la même époque que celle de Marsden, connaître le rôle et le mode d’action de la DA était un sujet qui soulevait beaucoup d’intérêt de la part des chercheurs. La maladie de Parkinson étant surtout associée à un problème de niveau de DA intracérébrale, connaître le rôle et le mode d’action de la DA était donc perçu comme une clé importante pour comprendre la physiopathologie du Parkinson. Les travaux furent nombreux et le parcours long et sinueux avant d’arriver à comprendre l’implication de la DA dans les GB et ainsi intégrer ces connaissances dans la physiopathologie de la Maladie. Le champ de recherche qui fut le plus manquant dans la physiopathologie de la maladie de Parkinson ces vingt dernières années fut sans aucun doute celui qui a été créé avec le modèle primate de la maladie. Avec le singe intoxiqué au MPTP, il devenait ainsi possible d’étudier chez l’animal les anomalies fonctionnelles aux siens des GB associés aux symptômes de la maladie.

Établir où nous en sommes sur nos connaissances de la physiopathologie de la Maladie de Parkinson demande de faire état des avancées de la recherche sur trois principaux sujets qui seront décrie dans les sections suivante : — les modifications d’activités neuronales associés aux symptômes mises en évidences sur le modèle singe intoxiqué au MPTP, — le rôle des GB dans des fonctions non motrices et l’impulsion conceptuelle qu’a provoqué le modèle d’organisation fonctionnelle des GB et — les nouveaux concepts sur le rôle de la DA dans l’apprentissage et la formation d’automatismes.

 

LA RECHERCHE DE MODIFICATIONS D’ACTIVITÉS NEURONALES ASSOCIÉES AUX SYMPTO

Ù

MES SUR LES SINGES TRAITÉS AU MPTP

L’une des révolutions importantes dans le domaine de la recherche sur la physiopathologie de la maladie de Parkinson fût d’obtenir sur l’animal un modèle de cette pathologie en induisant à la fois la dégénérescence des neurones DA ainsi que l’expression des principaux symptômes la maladie. Parmi les modèles qui ont été créés, le singe intoxiqué au 1-méthyl-4-phényl-1, 2, 3, 6-tétrahydropyridine ou MPTP est celui qui a le plus apporté à nos connaissances sur les dysfonctionnements associés aux symptômes de la maladie. Grâce à cette neurotoxine qui détruit spécifiquement les neurones DA de la substance noire (SN), il a été possible d’étudier les modifications d’activités neuronales au sein des GB sur des singes étudiés d’abord à l’état normal puis après intoxication, lorsqu’ils expriment les symptômes de la maladie. Les premières études d’enregistrements d’activités neuronales ont été réalisées principalement dans les deux segments du Globus Pallidus (l’externe, GPe et l’interne, GPi) ainsi qu’au niveau du noyau subthalamique (NST).

De l’ensemble de ces premières études quatre types de modifications ont été observés : modifications des niveaux d’activité (fréquence moyen de décharge des neurones), des patrons d’activités, de la sélectivité des réponses des neurones et de la synchronisation des activités entre neurones d’une même structure. La plupart de ces études dont les résultats figurent dans la revue de Boraud et coll. [2], sont des études corrélatives, c’est-à-dire, qu’elles font le lien entre des changements d’activité et l’apparition d’un symptôme. D’autres études ont aussi recherché des corrélations inverses en rétablissant la kinésie par un traitement DA qui inverse l’état akinétique afin de déterminer si les modifications d’activité se normalisant ou s’inversant avec le traitement. Sur les quatre types de modifications d’activités mesurées sur ces singes rendus parkinsoniens, c’est sur les changements de niveaux d’activité que l’accent a surtout été mis au cours des quinze dernières années.

Ces mesures de changements de niveaux d’activités ont amené MR. DeLong à proposer en 1990 [3] une première explication physiopathologique de l’akinésie parkinsonienne et de l’état dyskinétique induit par les traitements DA. Le modèle de DeLong avait trois principaux mérites qui ont fait sa longévité : il s’intégrait bien au nouveau modèle précédemment amené par Albin, Young et Penny [4] sur l’organisation des GB en voie directe et indirecte en l’appliquant à ces premières données de physiopathologie du Parkinson obtenues sur ces singes intoxiqués au MPTP, il s’intégrait bien aussi avec les connaissances de la physiologie des GB et finalement ce modèle avait l’avantage d’être simple. À cette époque, les travaux d’Hikosaka et Wurtz [5] ainsi que ceux de Chevalier et Deniau [6] sur le mécanisme de disinhibition au sein des GB, montraient bien que les neurones de sortie des GB (GPi et SNr) ont un rôle suppresseur sur la production de mouvements. L’état akinétique des parkinsoniens pouvait être expliqué par une augmentation de l’activité de ces neurones qui ont une action suppressive sur le mouvement. Inversement, une diminution de l’activité suppressive (par diminution de l’activité des neurones du GPi ou de la SNr) peut amener la production de mouvements dyskinétiques. Cependant, bien que cette explication soit toujours celle qui est la plus fréquemment retenue pour expliquer l’akinésie, il faut souligner qu’elle ne nous permet pas de comprendre les autres symptômes qui sont fréquemment associés à l’akinésie, comme la rigidité et même le tremblement.Deplus,etcelafaitpartiedessimplificationsexcessivesdumodèle,ilestadmis que les changements d’activité observés dans une structure sont suivis passivement par les structures en aval alors que chacune d’entre elles apportent un nouveau traitement de l’information par le jeu des caractéristiques intrinsèques de ses neurones et par celui de ses multiples afférences. Ainsi, avec le modèle de DeLong, il est présumé que l’état akinétique doit s’accompagner d’une diminution d’activité au niveau des cibles thalamiques des ganglions de la base. Qu’en est-il vraiment ?

Pour répondre à cette question, nous avons étudié les changements d’activités des neurones du thalamus chez des singes à l’état normal, puis rendus parkinsoniens sans expression de symptômes moteurs et dans un état avec pleine expression des principaux symptômes moteurs ; akinésie, rigidité et tremblement [7]. Cette expé- rience nous a permis d’aboutir à deux principales conclusions. Premièrement, ni les changements de niveaux d’activité, ni les patrons d’activités, incluant les activités rythmiques, qui auraient pu être présumées dans le thalamus à partir des observations au sein des GB, n’ont été retrouvées en association avec l’akinésie [7] ou le tremblement [8]. Il est donc erroné de penser que le thalamus est une structure dont le rôle serait limité à une simple transmission au cortex cérébral des changements d’activités, normales ou anormales, issues des sorties de GB. Deuxièmement, parmi toutes les déterminations réalisées (niveau et patron d’activité, corrélation d’activité pour mesurer des synchronisations et réponse aux manipulations passives pour déterminer la sélectivité des informations), il apparaît que seule la perte de sélectivité des informations soit fortement associée à l’état parkinsonien et à l’évolution de l’akinésie. Cette diminution de la sélectivité des informations dans le thalamus qui avait précédemment été observée dans les GB au niveau du GPe et du GPi [9] a aussi été observée au niveau cortical par Escola et coll. [10]. De plus, dans nos premiers travaux sur les singes intoxiqués au MPTP, nous avions montré que cette perte de sélectivité peut aussi s’observer pour la stimulation électrique des entrées striatales, effet qui peut être corrigé par traitement dopaminergique [11]. Cette perte de la sélectivité des informations est réversible par traitement dopaminergique, est fortement corrélée à l’akinésie et est présente à tous les niveaux de la chaîne de traitement de l’information qui va de l’entrée des GB jusqu’au cortex en passant pas le thalamus. Chez les parkinsoniens, les neurones des GB reçoivent et transmettent davantage d’informations mais elles sont moins spécifiques. Ceci peut entraîner un état de confusion dans la détermination des priorités parmi toutes ces informations qui arrivent au cortex. Cette perte de sélectivité pourrait expliquer la difficulté de sélectionner, initier et exécuter des mouvements (akinésie) ainsi que la rigidité qui, elle, serait le résultat de programmes moteurs mal sélectionnés dont les expressions s’antagonisent.

 

Cette perte de sélectivité peut aussi expliquer d’autres résultats précédemment obtenus, en particulier, le grand nombre de ceux rapportés au cours des années 80 et 90 sur le rôle de la libération tonique de la dopamine: augmenter le rapport entre signal/bruit (de l’anglais signal to noise ) des informations passant par le striatum.

Avec un niveau de DA fortement réduit chez les parkinsoniens, on comprend pourquoi chaque neurone répond à plus d’informations (donc à plus de bruit) en entraînant une perte de sélectivité de ces neurones. De plus, s’il y a plus de neurones qui répondent à une même information, il y aura inévitablement plus de neurones qui auront des activités synchronisées, ce qui peut ainsi expliquer l’augmentation des synchronisations d’activité entre neurones du GPi observés par le groupe de Bergman [12].

En résumé, les expérimentations sur le modèle singe intoxiqué au MPTP, ne nous amène pas de certitudes pour trancher sur le ou les dysfonctionnements précis à la base de l’état parkinsonien. Il faut cependant souligner qu’il existe maintenant des résultats et arguments plus solides en faveur de l’hypothèse d’une perte de spécificité de l’information traités par les neurones des GB plutôt que pour celle qui prend en considération une modification de leurs niveaux d’activité.

RELATIONS ENTRE CIRCUITS FONCTIONNELS DISTINCTS, HÉTÉROGÉNÉITÉ DE LA DÉNERVATION DOPAMINERGIQUE ET PERTURBATION DE FONCTIONS EN AMONT DE L’EXÉCUTION DE L’ACTION

L’une des modifications conceptuelles les plus importantes de ces vingt cinq dernières années sur les GB est venue du modèle d’organisation en circuits parallèles distincts proposé par Alexander, DeLong et Strick [13]. Auparavant, les GB était perçu comme des structures pouvant intégrer différents types d’informations grâce à son organisation anatomique convergente et traiter ces informations pour uniquement contrôler l’acte moteur ; l’exécution du mouvement. Avec le modèle d’organisation des GB en circuits parallèles distincts les GB apparaissent impliqués dans de nombreux domaines fonctionnels qui vont de la motivation à l’exécution de l’action en passant par les processus attentionnels, la mémoire de travail, la sélection, la planification et la préparation de l’action. Chacune de ces fonctions serait sous le contrôle de territoires différents au sein de chacune des structures des GB. Ce modèle d’organisation a eu un impact considérable sur l’étendue des pathologies dont l’origine peut être attribuée à des dysfonctionnements de territoires spécifiques des GB. En mentionnant des troubles tels que l’apathie, les troubles obsessionnels compulsifs, l’hyperactivité avec troubles de l’attention, la schizophrénie et les processus de prise et dépendance au drogue, on se rend rapidement compte que nous sommes loin de structures qui seraient uniquement impliquées dans le contrôle du mouvement. Dans le cadre des symptômes parkinsoniens et plus particulièrement de l’akinésie, ce modèle nous permet de mieux comprendre la complexité de ce symptôme car il est fort possible qu’il implique des dysfonctionnements au niveau de différents processus fonctionnels et donc de territoires différents des GB. Ces processus que Marsden qualifiait de « mysterious motor function » [1], impliqueraient en fait un ensemble de fonctions en amont de l’exécution de l’action. Cet ensemble inclut des fonctions telles ; la sélection et la formation de plan d’action, l’initiation, l’exécution, le maintient ainsi que l’anticipation des différentes étapes d’une action. Les régions corticales ayant ces capacités fonctionnelles sont les régions pré-motrices et motrices supplémentaires ainsi que le cortex préfrontal dorsolatéral en relation avec le striatum antérieur, c’est-à-dire, les parties antérieures du Putamen et du noyau Caudé. C’est à ces niveaux du striatum antérieur que des études d’enregistrement d’activités neuronales ont été réalisées sur des singes entraî- nés à réaliser des tâches abordant différents domaines fonctionnels [14]. Ils ont bien montré qu’il existe des différences d’activités entre les neurones situés dans les territoires antérieurs dorsaux (Caudé et Putamen) dit associatifs et ceux enregistrés dans les territoires ventraux (aussi appelé noyau Accumbens) dit limbiques. Les neurones du premier territoire ont des activités d’attentes ou de réponses à des stimuli de la scène visuel qui code l’information de l’action associée au stimulus tandis que les neurones des parties ventrales code plus spécifiquement le but de l’action, ce pourquoi l’action est réalisée? Obtenir la récompense pour laquelle l’action est réalisée. Ainsi c’est dans cette région ventrale que nous avons principalement enregistré les activités d’attente et de réponse à la récompense qui caractérisent les processus motivationnels [14].

Or il a été montré que les innervations DA de ces territoires, qualifiés d’associatifs et de limbiques, sont différemment atteintes aussi bien chez les patients parkinsoniens que chez les singes rendus parkinsoniens par intoxication au MPTP [15, 16]. Les territoires associatifs sont plus fortement atteints que les territoires limbiques qui apparaissent relativement préservés. On peut donc imaginer que l’atteinte de l’innervation DA des régions associatives puisse entraîner des dysfonctionnements des fonctions exécutives qui participent à l’expression de l’akinésie et qu’au contraire la relative préservation du territoire limbique laisse intacte les processus motivationnels. C’est ce que nous avons pu vérifier sur le modèle de singe progressivement intoxiqué au MPTP en mettant en évidence de nombreux troubles exécutifs qui ne sont pas sans rappeler ce qui est observé chez les patients parkinsoniens : hésitation, difficulté à maintenir et relancer une action, difficulté à réaliser deux actions en même temps, dépendance des ressources attentionnelles et du contrôle du regard pour exécuter une action en cours, sans oublier l’apparition d’enrayage cinétique ou freezing en cours d’exécution [17, 18]. Fait important, ces troubles exécutifs ont pu être observés avant l’apparition de la rigidité, du tremblement ou des troubles posturaux. Cette dissociation nous a permis d’exclure toute contribution de ces autres symptômes (fréquemment associés à l’akinésie chez les patients) dans l’expression de ces troubles exécutifs précoces. Finalement, ces troubles exécutifs sont accompagnés d’une diminution de la quantité d’actions initiées (hypokinésie) sans perte de la motivation à agir [18]. Ce dernier point sur la préservation de l’aspect motivation est en complète adéquation avec la relative préservation de l’innervation

DA des territoires ventraux du striatum et souligne ainsi un fait fréquemment recensé par les cliniciens au près de leurs patients, que la motivation peut aider à lutter contre certaines difficultés même motrices.

Dans une série d’expériences que nous avons menée au sein de ces différents territoires fonctionnels du striatum et du GPe chez des animaux sains, nous avons pu montrer que des perturbations d’activités produites par des injections intracérébrales d’un antagoniste du GABA (la bicuculline) dans des régions non sensorimotrices permettent effectivement de produire des désordres comportementaux marquant des dysfonctionnements des processus cognitifs ou motivationnels. Certains de ces désordres ont de nombreuses similarités avec des symptômes non moteurs de la maladie de Parkinson à savoir l’apathie ou encore les troubles anxieux ou des comportements de natures compulsifs [19]. Nous sommes maintenant à reprendre cette même approche d’injections locales réalisées dans ces différents territoires en agissant cette fois-ci avec des agents DA (agoniste et antagoniste) sur des animaux ayant une atteinte de leur système DA mais sans expression de symptôme parkinsonien. L’objectif est de déterminer la nature des symptômes qui peuvent résulter d’une dégénérescence ou d’une re-médiation DA spécifique de ces territoires associatifs et limbiques. Les premiers résultats de ces expériences confirment entre autre l’importance de l’innervation DA d’une partie des territoires limbiques dans l’expression de l’apathie, un symptôme non moteur de la maladie de Parkinson. Ces travaux qui appuient les conclusions de deux études récentes en imagerie TEP chez des patients parkinsoniens avec ou sans expression de l’apathie [20, 21], montre à nouveau la force interprétative des travaux réalisés sur le singe. Nous avons ainsi pu reproduire sur l’animal un symptôme spécifique, l’apathie, en ciblant sélectivement et préférentiellement une voie de transmission neuronale (DA dans ce cas précis) au sein d’une partie spécifique d’une structure cérébrale que l’on suspectait d’être impliquée dans ce symptôme à partir d’analyse corrélative d’étude réalisés chez les patients.

En conclusion de cette seconde partie, la maladie de Parkinson n’apparaît donc plus comme une pathologie de la motricité mais une pathologie qui touche un plus large ensemble de processus qui inclus les processus cognitifs jusqu’au processus motivationnels pour certains patients. Dans ce domaines, une fois encore les travaux sur le modèle singe intoxiqué au MPTP ou encore ceux sur des animaux seins en utilisant l’approche d’enregistrement neuronale ou celle d’injection intracérébrale locale ont été déterminantes pour mettre en évidences des dysfonctionnements de processus en amont de l’exécution du mouvement. Ces dysfonctionnements seraient la consé- quence de l’atteinte de l’innervation DA des parties antérieures du striatum. En se basant sur les résultats présentés dans la première section, ce serait une perte de la sélectivité des informations traitées dans ces circuits associatifs ou limbiques reliant le striatum antérieur à différentes sous-régions du cortex frontal qui seraient la cause du mauvais fonctionnement de ces circuits. Le concept d’organisation en circuits parallèles d’Alexander, DeLong et Strick appuyé par les travaux sur le singe rend donc moins mystérieuses les observations de Marsden sur les fonctions non purement motrices des GB !

 

LE RO

Ù

LE DE LA DOPAMINE COMME RENFORÇATEUR DANS L’AP-

PRENTISSAGE ET LA PERTE DES AUTOMATISMES CHEZ LES PARKINSONIENS

Il y a vingt-cinq ans, l’on cherchait à savoir si la DA est un neurotransmetteur inhibiteur ou excitateur impliqué dans le contrôle du mouvement ! Et maintenant, elle apparaît comme un neuromodulateur agissant comme renforçateur dans les processus d’apprentissages procéduraux pour former des automatismes ! L’évolution conceptuelle est énorme. Le tout a débuté par les travaux du groupe de Wolfram Schultz qui a pu montrer que tous les neurones dopaminergiques de la substance noire compacta (SNc) ont une activité phasique liée à l’obtention d’une récompense alimentaire et non à la production de mouvement [22]. Par la suite, ce groupe a aussi montré point par point que cette activité phasique des neurones de la SNc répond en fait à tous les critères pour remplir le rôle de renforçateur positif (récompense) dans l’apprentissage procédurale [23]. Ces résultats, couplés au fait que la libération synaptique de DA se fait au niveau des boutons épineux des neurones striataux qui reçoivent les afférences corticales [24], amènent à comprendre comment on peut arriver à la formation d’automatismes par apprentissage. En effet, il y aura renforcement des liens synaptiques entre les afférences corticales et les neurones striataux qui auront produit l’action appropriée puisqu’il se produit une libération phasique de DA, de façon répétée, chaque fois qu’une action appropriée aboutit à l’obtention d’une récompense. Ainsi des associations, de type stimulus-réponse ou contextehabitude, seraient formées au niveau du striatum par l’action phasique de la DA.

Cette action phasique serait aussi nécessaire pour maintenir ces associations au cours du temps. Combien d’associations contextes dépendantes formées par apprentissage utilisons-nous chaque jour de façon automatique ? Une quantité énorme ! Et que se passe t-il lorsqu’il y a une atteinte du système DA et que cette libération phasique est diminuée ? Il devrait y avoir une perte de ces automatismes formés par apprentissage.

C’est ce que nous avons étudié sur des singes entraînés à réaliser une tâche de réaction simple avec apprentissage de mouvements différents associés à différents contextes [25]. Dans cette tâche, les singes devaient aller chercher un morceau de pomme qui était présenté dans une boîte devant eux mais en réalisant soit un mouvement direct ou soit un mouvement indirect pour contourner l’un des deux obstacles possibles. Avec l’apprentissage, les singes finissent par réaliser cette tâche très aisément. Ils sélectionnent des trajectoires de mouvement du bras qui sont adaptées au contexte, c’est-à-dire à la présence ou non de l’un ou l’autre des obstacles. Ces trajectoires de mouvements se différencient dès que la main de l’animal part de sa position initiale. Cela implique dont que ces animaux ont formé, durant l’apprentissage, trois programmes moteurs différents adaptés à chaque contexte et dont la sélection est dépendante de la simple vision de la présence ou non de l’obstacle. À l’état normal, après apprentissage, les temps de réaction sont significativement les mêmes pour ces trois mouvements, devenus automatiques.

 

Le premier résultat important qui a été obtenu est que tous les singes étudiés ont présenté une atteinte de la capacité de sélectionner et produire des mouvements automatiques adaptés aux différentes situations et ceci avant même de perdre la capacité d’agir. Notre analyse tend de plus à montrer que les singes intoxiqués au MPTP initient quand même un mouvement, généralement le plus simple. Ensuite et pour éviter l’obstacle, ils corrigent les trajectoires de leur main en cours d’exécution.

Ce deuxième résultat montre que les singes gardent la capacité de corriger la trajectoire de leur main bien qu’ils aient une difficulté à sélectionner les mouvements appropriés aux conditions. En conséquence, ils touchent et percutent rarement les obstacles. L’analyse couplée des mouvements des bras et des yeux, nous a révélé que ces corrections de la trajectoire des bras se font grâce à un rétrocontrôle visuel direct en cours d’exécution. Ceci n’est pas sans rappeler que les parkinsoniens doivent souvent utiliser leur ressource attentionnelle pour mener à bien une action, qu’ils sont aidés par un guidage visuel et qu’ils ont, de ce fait, de grandes difficultés à réaliser deux actions en même temps. Il est tentant de penser qu’ils procèdent en fait comme si ils étaient en tout début d’apprentissage, dans un état naïf par rapport à des automatismes qui sont acquis par apprentissage. La perte de ces automatismes chez les parkinsoniens avait été très richement discutée par Marsden il y a plus de vingt-cinq ans. Elle s’expliquerait donc par cette découverte du rôle de la DA comme renforçateur permettant la formation au sein du striatum de ces nombreux automatismes acquis par apprentissage.

En résumé de ces trois sections, il apparaît que la physiopathologie de la maladie de Parkinson demande des connaissances qui vont au-delà de celle de l’expression des symptômes. Il faut intégrer les connaissances cliniques sur ces symptômes aux connaissances sur le ou les rôles de la DA, sur l’organisation anatomique et fonctionnelle des GB ainsi que celles sur les dysfonctionnements observés sur le modèle de singe intoxiqué au MPTP. Ce modèle a permis de reproduire les symptômes pour déterminer la nature des dysfonctionnements associés. Bien entendu, il faut faire attention aux limites de ces modèles qui ont beaucoup évolué en vingt ans.

Il n’en reste pas moins que nous connaissons maintenant beaucoup mieux les dysfonctionnements sous-jacents aux symptômes de la maladie de Parkinson par ces travaux sur ce modèle. Il reste encore beaucoup à découvrir et ce socle de connaissance qui a été acquis ne peut que nous aider à mieux intégrer ce que nous allons encore découvrir sur cette pathologie complexe qui n’a pas encore livré tous ces mystères.

REMERCIEMENTS

Les travaux présentés dans ce document font état d’un long parcours de recherche qui s’est écoulé sur de nombreuses années en collaborations avec de nombreuses personnes.

Je tiens à remercier toutes ces personnes qui ont contribué de près ou de loin à ces travaux. Je remercie aussi plus particulièrement le Pr. Jean Féger pour m’avoir incité à réaliser cette candidature à l’Académie nationale de médecine, ce qui me permet de lui transmettre toute ma gratitude pour ces merveilleuses années de découvertes faites à ces côtes. Finalement, merci aux membres de l’Académie nationale de médecine pour la marque de reconnaissance qu’ils m’ont donnée par l’obtention du prix Aimé et Raymond MANDE 2009.

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DISCUSSION

M. Alim-Louis BENABID

Les recherches sur la dégénérescence du système 5-HT suggèrent-elles des pistes pour la stimulation ?

Dans nos travaux actuels sur l’animal ainsi que chez les patients parkinsoniens, nous sommes à la recherche des atteintes du système sérotoninergique (5-HT) essayons de déterminer quel est le symptôme qui pourrait être associé à ces atteintes éventuelles.

À partir de ces travaux, il sera possible de déterminer des sites, ainsi que des applications potentielles de la stimulation cérébrale contre ces symptômes parkinsoniens. Nous ne pouvons pas encore donner de réponse précise à cette question mais compte tenu du rôle majeur de la sérotonine dans la dépression et puisque les territoires limbiques des ganglions de la base sont des territoires de projection préférentiellement du système 5-HT, ces derniers pourraient être des cibles pour le traitement de ces troubles qui s’observent fréquemment chez les patients parkinsoniens.

 

M. Jean-Jacques HAUW

Vous êtes-vous intéressé à la vigilance, aux troubles de la veille et du sommeil de vos animaux ?

Nous avons observé, suite à l’intoxication au MPTP, des troubles de la veille associés à l’état parkinsonien induits chez la plupart des animaux que nous avons étudiés. Ces troubles se manifestent par une augmentation des épisodes de somnolence durant la période d’éveil. Ce type de troubles ainsi qu’une diminution des épisodes de sommeil paradoxal (REM sleep) ont aussi été décrits dans une étude récente de Barraud et coll .

publiée dans la revue

Experimental Neurology en 2009.

 

Bull. Acad. Natle Méd., 2010, 194, no 7, 1321-1332, séance du 12 octobre 2010