Communication scientifique
Session of 13 novembre 2001

Onchocercoses humaines et « sowda » en République du Yémen

MOTS-CLÉS : ectoparasitoses. filaricides, usage thérapeutique. ivermectine,usage thérapeutique. onchocercose. yémen.
Human onchocerciasis and « sowda » in Republic of Yemen
KEY-WORDS : ectoparasitic infestations. filaricides, therapeutic use. ivermectin, therapeutic use. onchocerciasis. yemen.

D. Richard-Lenoble, Y. Al Qubati, L. Toe, P-J. Pisella, Ph. Gaxotte, A. Al kohlani

Résumé

La place du sowda, dermatite onchocerquienne, hyperréactive et asymétrique, parmi les onchocercoses humaines du Yémen est précisée afin d’affiner les programmes de lutte contre les filarioses dans ce pays. Dans tous les villages des 11 régions du Yémen suspectes d’assurer une transmission de l’onchocercose (le long des rivières propices au développement de foyers de simulies vectrices), sont décrits des tableaux classiques d’onchocercose généralisée avec ou sans gale filarienne et celui asymétrique de lésions cutanées prurigineuses, hyperpigmentées et hypertrophiques associées à un ganglion lymphatique hypertrophié collatéral. Des éléments nouveaux apportés par la biologie moléculaire nous ont permis de reconnaître dans le cas de sujets atteints de sowda, une microfilaire qui n’appartiendrait pas au groupe des Onchocerca volvulus ou O. ochengi et qui pourrait être d’origine animale. Par ailleurs, les microfilaires prélevées chez les sujets onchocerquiens avec atteintes bilaté- rales, sont de l’espèce Onchocerca volvulus mais de sous-espèces différentes de celles identifiées en Afrique, que ce soit celles de type forêt ou celles de type savane. L’ivermectine ou Mectizan® qui fait l’objet d’une donation dans le cadre des programmes nationaux de lutte contre l’onchocercose, est un microfilaricide puissant testé dans le sowda avec des résultats cliniques et parasitologiques moins spectaculaires et durables que ceux obtenus dans l’onchocercose humaine africaine. La prescription en campagne de masse d’ivermectine en cure unique de 150-200 µ g/kg pour le contrôle du sowda devrait passer du rythme * Professeur de Parasitologie-Médecine Tropicale à la Faculté de Médecine de Tours. ** Médecin dermatologue responsable régional du Plan National de lutte contre les filarioses (Taiz, Yémen). *** Laboratoire de biologie moléculaire, Programme OCP (Ouagadougou, Burkina Faso). **** Praticien Hospitalier, Service d’Ophtalmologie, Faculté de Médecine de Tours. ***** Département Médecine, Laboratoire Merck Sharp and Dohme (France). ****** Directeur des Grandes Endémies, Ministère de le Santé du Yémen (Sana’a. Yémen). Tirés-à-part : Professeur Dominique RICHARD-LENOBLE, Faculté de Médecine, 2 bis Bd Tonnellé — 37000 Tours. Article reçu le 28 février 2001, accepté le 13 novembre 2001. annuel à celui de bi ou trisannuel. Une lutte efficace contre la transmission des onchocercoses au Yémen nécessite d’approfondir nos connaissances sur un réservoir animal susceptible d’intervenir dans l’épidémiologie et le contrôle du sowda.

Summary

The geophysics of the north Yemen, associating a north-south directed mountainous fish bone (rising in more of 2 000 meters), to numerous rivers or « wadis » is convenient to the development of simulium shelters, main vectors for cutaneous filariasis to Onchocerca sp. Following several missions of bio-clinical and epidemiological evaluations in neighbouring villages of wadis, it has been possible to study different clinical aspects : one reminding the classical african onchocerciasis with generalized and diffused dermatitis, and, on an other hand, a hyperreactive dermatitis on one side of the body and associated with a collateral lymphatic ganglion. This disease is well known for local populations as « aswad » meaning « black » or « sowda ». Clinically whatever the studied focus, coexists the two types of onchodermatitis (uni or bilateral). Yhe sowda patients are proportionally less numerous than those touched by the generalized type. Frequent eye lesions of the West African onchocerciasis are not found in sowda cases. In classical optical microscopy, microfilaria is morphologically indifferenciable between sowda and onchocerciasis clinical aspects. Skin snips were carried out on patients of both groups. Identification of microfilaria by molecular biology through the study of the DNA genome was done out of 5 skin snips. Microfilaria was kept dry between laminas and the DNA extracted from rehydrated microfilaria. DNA was intensified with specific primers of Onchocerca type (O150PCR). This phase was followed by hybridisation of amplification products by PCR to specific stains : OVS-2 for Onchocerca volvulus species, OCH for Onchocerca ochengi , PFS1 and PSS1-BT respectively for the forest strain and the savannah strain of Onchocerca volvulus as described previously. We can distinguish 2 kinds of answers based on the clinical origin of the snip-tests : the first one concern 3 patients with numerous dermal microfilariae but without any clinical sowda and corresponding to microfilaria O. volvulus type but different from the forest or savannah strains found in sub-Saharan Africa. The second one corresponds to 2 patients with less than 5 microfilaria in their snip-test. They show the typical clinical picture of sowda. They are identified as microfilaria type Onchocerca but they do not belong to species volvulu s, or to species ochengi. It seems quite probable that the clinical picture of sowda be the result of developing onchocerciasis of animal origin and not identified as to day. The ivermectin, therapeutic of choice for African onchocerciasis in annual unique cure seems less effective in the coverage of sowda. In that case rehearsal of cures every 3 months would be necessary for mass campaigns to limit the transmission of this filariasis.

INTRODUCTION

D’un axe montagneux orienté du nord au sud dans la partie septentrionale de la République du Yémen, naissent à plus de 2 000 mètres de nombreux « wadis » ou rivières, s’épuisant dans les zones sableuses et sèches de la région du Tihâma à l’ouest et celles de l’Hadramaout à l’est. Entre 500 et 1 500 mètres d’altitude se développent le long de ces wadis des foyers simulidiens assurant la transmission des onchocercoses.

L’une d’entre elles, le « sowda » ou « maladie noire » est bien connue des populations yéménites vivant le long des cours d’eau, en milieu rural. Il s’agit d’un syndrome d’onchodermatite asymétrique hyperréactive très prurigineuse pachydermique et hyperpigmentée associée à un ganglion lymphatique collatéral. Ce tableau clinique est rapproché de celui des onchocercoses africaines par Fawdry en 1957 [4] et Buttner en 1982 [3].

À la suite de 4 missions, menées sur le terrain de 1995 à 1999, la place du « sowda » parmi les onchocercoses du Yemen a pu être étudiée sur le plan épidémiologique (transmission simulidienne), clinique, thérapeutique, parasitologique et biologique.

Cette démarche, à la demande du Ministère de la santé publique du Yémen et en collaboration avec le Ministère français des Affaires étrangères, devait contribuer à la mise en place d’un Plan National de Lutte contre les Filarioses au Yémen. Ce programme de lutte devrait s’appuyer sur une distribution communautaire et concomitante d’ivermectine ou Mectizan® selon des schémas déjà suivis en Afrique noire dans la prise en charge des onchocercoses.

PATIENTS ET MÉTHODES

De 1995 à 1999, au cours des 4 enquêtes épidémiologiques et bio-cliniques conduites en milieu rural, le long des wadis, 997 patients sont examinés. Ils vivent tous à proximité des foyers de transmission d’onchocercose et dans des villages où la présence de cas de sowda est signalée par la population. Ils sont identifiés par leur « wadi » d’origine, leur nom, prénom, âge et sexe. Un examen clinique systématique est pratiqué comprenant l’examen de la peau en indiquant, sur une fiche, les caractéristiques et topographies des différentes lésions cutanées observées. Dans le même temps foie, rate et ganglions sont palpés. Des prélèvements calibrés de peau exsangue (Biopsie Cutanée Exsangue [BCE] ou « snip test ») sont obtenus par ponction à la pince (pince de Walzer pour sclérotomie), conservés dans du liquide de Hanks ou du sérum physiologique dans les puits de plaques de microtitration. Trois heures plus tard, l’examen au microscope optique à faible grossissement permet le décompte des embryons ou microfilaires échappés des morceaux de peau. Au cours des mêmes enquêtes sont effectués des prélèvements de selles, d’urines, des frottis sanguins et des ponctions de sang au pli du coude chez un tiers des sujets examinés

afin d’évaluer l’importance des grandes endémies parasitaires, bactériennes ou virales éventuellement associées à l’onchocercose. Une sérothèque conservée à -80° C permet des études différées sur les réactions immunologiques antifilariennes et des dosages d’anticorps et d’antigènes circulants d’origine diverse dont les hépatites. Les 997 patients ont été examinés sur place, dans leurs villages (carte), le long des vallées des wadis Surdud et Sari proches des villages de Khamis Bani Sa’d et Al Gouhma à l’ouest de la capitale, les wadis Al Ddor et Ghayl près de Taiz et Ibb, plus au sud les wadis Rysian, Rima, Lahma et Rishale, à l’ouest le wadi Zabid, et plus au nord les wadis Mahr, Huar à proximité d’Al Mahwit, soit 11 biotopes correspondant à des vallées réparties sur l’ensemble du versant ouest de l’axe montagneux du nord du Yémen.

RÉSULTATS

Épidémiologiques (Entomologiques)

À partir de prélèvements de larves, d’adultes, de nymphes, et de quelques pontes dans les courants d’eaux des wadis Rasyan, Surdud, Zabid de la région Nord-Ouest, il a été possible, en collaboration avec des chercheurs de l’Institut de Recherche et de Développement (IRD) [6], d’identifier des simulies d’espèces différentes, potentiellement vectrices. Elles comprennent Simulium hargreavesi sous-genre Metomphalus et Simulium damnosum s.l. qui pourrait être S. damnosum, S.s. Theobald , S. sirbanum . A été retrouvée une espèce décrite uniquement au Yémen par Garms en 1990 [5] :

Simulium (Edwardsellum) rasyani n.sp . Cette espèce anthropophile, chez laquelle des larves indifférenciables d’Onchocerca volvulus peuvent se développer, est un vecteur potentiel des onchocercoses du Yémen [6].

Par ailleurs, en altitude (800 à 2 500 mètres) entre Al Khamis et Sana’a, ont été isolées des larves de simulies du sous-genre Anasolen qui ne seraient pas de l’espèce la plus commune

Simulium (Anasolen) dentulosum, mais du seul sous-genre de simulies africaines présent au Yémen :

Simulium (A.) schoae , découverte en

Ethiopie. Dans cette même région ont été identifiées des larves et nymphes de Simulium cf. nigritarse n’intervenant pas dans la transmission de l’onchocercose humaine [8].

CLINIQUES

Dermatologiques

Après examen clinique systématique, 997 yéménites adultes et enfants de différentes zones d’endémies onchocerquiennes ont été répartis en 5 tableaux cliniques, selon les signes cutanés classiques rapportés dans l’onchocercose et ceux définissant plus spécifiquement le sowda. Il s’agissait de préciser la place de ce dernier parmi les onchocercoses classiques de type africain. Le portage de microfilaires dermiques quantifié chez chacun des patients est précisé pour chaque groupe clinique.

Cinq groupes sont ainsi différenciés :

• Prurit : cette catégorie comporte des patients atteints de prurit bilatéral pouvant être généralisé mais sans signes cutanés d’accompagnement ni d’atteinte sarcoptique évidente.

• Onchocercose classique : dans ce groupe sont classés les patients porteurs de lésions cutanées de grattage surinfectées ou cicatricielles, bilatérales, dépigmentées ou non sur une peau éventuellement hypertrophique (ou atrophique chez les sujets les plus âgés), siégeant sur les jambes, les fesses, le thorax ou les bras et semblables à ce que l’on décrit sous le terme de gale filarienne dans les régions d’endémies onchocerquiennes africaines. Ces lésions peuvent être associées à des nodules onchocerquiens typiques (onchocercomes ou kystes onchocerquiens), durs, indolores, roulant sous le doigt, ou à des ganglions lymphatiques hypertrophiés uni ou bilatéraux.

• Sowda typique classique : malade présentant de façon asymétrique sur un membre supérieur ou inférieur, des lésions prurigineuses avec des signes de gale filarienne, une hyperpigmentation « peau léopard », une infiltration œdémateuse ou une pachydermie, associées à l’hypertrophie d’un ganglion lymphatique collatéral.

• Sowda probable : patients atteints sur un hémicorps, présentant un prurit localisé à un membre sans association systématique à un ganglion lymphatique hypertrophié collatéral, avec ou sans lésions cutanées (lésions de grattage, peau atrophique ou hypertrophique, troubles de la pigmentation).

• Autres : patients ne présentant pas de signes uni ou bilatéraux cutanés en rapport avec une éventuelle onchocercose ou un sowda.

Au total parmi les 997 villageois examinés, 953 ont bénéficié à la fois d’un examen clinique, d’un prélèvement cutané exsangue, et d’un traitement par l’ivermectine en cure unique de 150 à 200 µg/kg. Ils provenaient des 11 biotopes ou villages différents visités lors des 4 missions organisées de 1995 à 1999 (Tableau 1).

Les résultats résumés dans les Tableaux 1 et 2 permettent de dire que :

— compte tenu de la topographie des villages et wadis étudiés, on peut confirmer que le sowda, comme l’onchocercose, sont présents le long des wadis entre 500 et 1 500 mètres d’altitude. Il existe un important réservoir d’agents pathogènes susceptibles d’assurer la transmission. En effet, hors des cas cliniques évocateurs d’onchocercoses, il existe de nombreux patients porteurs de microfilaires dermiques. Cet important réservoir d’agent pathogène est à prendre en compte dans l’élaboration de tout plan national de lutte contre l’onchocercose au Yémen. Le contrôle des onchocercoses, dont le sowda, devrait s’appuyer sur un traitement communautaire et concomitant par un microfilaricide comme l’ivermectine ou Mectizan®, éventuellement associé à des actions ponctuelles antivectorielles sur les foyers accessibles ;

TABLEAU 1. — Répartitions (en %) par régions du Yémen, des patients selon le tableau clinique d’onchodermatite et le portage de microfilaires (mf+) après biopsie cutanée exsangue (BCE) (WL : Wadi Lhama, W.G : W. Ghayl, WD : W. Al Ddor, WRY : W. Rysian, WRI : W. Rima, WSA : W. Sari, WSU : W. Surdud, WM : W. Mahr, KBS : Khamis Bani Saad, WH : W. Hairan, WZ : W. Zabid.) BCE

RÉGIONS

PRURIT

ONCHO

SOWDA

SOWDA ? AUTRES mf +

WL 33 30 12 0 9 49 12,1

WG 36 39 22 0 6 33 13,9

WD 48 6 15 13 8 58 16,7

WRY 45 9 24 0 0 67 0

WRI 32 12 41 3 0 44 0

WSA 94 19 28 11 18 24 37,2

WSU 72 7 14 11 22 46 26,4

WM 196 16 11 17 13 43 18

KBS 285 14 23 11 11 41 14

WH 73 7 12 19 11 51 23,3

WZ 39 0 5 5 8 82 36

TOTAL 953 14 18,5 11 11,5 45 18,5

TABLEAU 2. — Répartitions des pourcentages de porteurs de microfilaires selon la quantité de microfilaires par BCE, et selon les tableaux cliniques. (mf + = porteurs de microfilaires, mf<10/BCE = porteurs de microfilaires ayant moins de 10 embryons par BCE).

Pourcentages de porteurs de microfilaires selon le tableau clinique TAB. CLINIQUE mf + mf <10 /BCE mf =10-99/BCE mf >100 /BCE PRURIT 11 68 16 16 ONCHO. Géné 34 51 37 12 SOWDA + 13 78 13 8 SOWDA ?

16 59 28 14 Autres 27 62 34 4 — quelle que soit la région étudiée la présence de cas de sowda est toujours associée à celle d’onchocerquiens classiques. Il n’est pas identifié de zone géographique ou les cas de sowda soient isolés des autres formes d’onchocercose, et inversement il est rare d’identifier des foyers ou, parmi les onchocerquiens, il n’y ait pas de cas de sowda ;

— l’étude du portage de microfilaires dermiques selon le tableau clinique (Tableau 2) permet de constater le faible nombre de sujets atteints de sowda et porteurs de microfilaires (10 %), comparé aux onchocerquiens classiques (57 %) ;

— quantitativement en répartissant les malades microfilariens en fort porteurs de microfilaires (plus de 100 microfilaires [mf]/snip), moyen porteurs (de 10 à 100 mf/snip) et faible porteurs (moins de 10 mf/snip), les sujets microfilariens atteints de sowda sont faibles porteurs à l’inverse de ceux dont le tableau clinique est de type onchocercose africaine classique.

Ophtalmologiques

Dans son évolution, l’onchocercose africaine est caractérisée par des lésions oculaires pouvant à la longue entraîner une cécité irréversible par atteinte de la chorioré- tine et de la cornée . Une enquête ophtalmologique a été menée dans 3 régions du

Yémen afin de reconnaître d’éventuelles lésions de même type. Une première évaluation a porté sur des patients vivant à proximité des wadis, parmi lesquels 25 % étaient porteurs de microfilaires. Parmi les 120 patients examinés à l’aide d’une lampe à fente portable, permettant l’examen de la cornée, du segment antérieur et du cristallin, aucune lésion évocatrice d’onchocercose ni la présence de microfilaires dans la chambre antérieure (après massage systématique des globes oculaires) n’a pu être identifiée. Les kératites observées sont en rapport avec des traumatismes fréquents dans la population jeune. Les examens du fond d’œil, non systématiques, n’ont pas révélé de lésions de choriorétinite pigmentée et atrophique décrites fréquemment dans l’onchocercose ouest africaine.

Thérapeutiques

À partir de 1991-1992, la diéthylcarbamazine, seul traitement disponible dans l’onchocercose humaine mais en cures de plusieurs semaines, est remplacée par une cure unique annuelle d’ivermectine ou Mectizan®. Cette molécule ayant montré son efficacité et son innocuité à la suite d’une étude menée pour la première fois au Yémen en 1994 [2], 27 patients atteints de syndrome d’onchodermatite asymétrique hyperréactive (sowda) ont été suivis cliniquement, parasitologiquement et histologiquement pendant 3 mois à la suite de la prise unique de 150 à 200 µg/kg d’ivermectine [1]. L’étude de la répartition des différentes lésions observées permettait de reconnaître 52 % de porteurs de papules eczémateuses avec hyperpigmentation et lésions de grattage, 48 % d’hypertrophies cutanées, 26 % de zones dépigmentées, 33 % de surinfections avec des lésions croûteuses et ulcérées. L’examen histologique des lésions avant thérapeutique mettait en évidence une hyperacanthose et kératose avec des dilatations capillaires et infiltrats comprenant de nombreux éosinophiles.

Des histiocytes chargés de mélanine expliquent l’hyperpigmentation. Des microfilaires morphologiquement indifférenciables d’ Onchocerca volvulus sont observées chez quelques malades dans les espaces intercellulaires sous la papille et pour certaines dans les canalicules lymphatiques. Dans les deux jours suivant la prise de médicament, un quart des malades rapporte une augmentation du prurit et de l’œdème cutané (infiltration) dans les 10 heures suivant la prise d’ivermectine, puis une régression des signes dans les 24-48 heures. Dans 1/3 des cas une fièvre
modérée était associée à des céphalées, nausées et rashs cutanés (3 cas). Les résultats portant sur les 23 patients réexaminés au 90e jour post-thérapeutique, permettent de noter que pour 26 % d’entre eux, l’ensemble du tableau clinique s’est amendé, pour 17 % une régression incomplète des signes cliniques a été obtenue et pour 26 % une augmentation notable des papules, de l’œdème et de l’hypertrophie est à signaler malgré une première phase de régression pendant deux à trois semaines (Tableau 3).

Pour 4 de ces derniers patients, des ganglions lymphatiques collatéraux sont réapparus en 2 à 3 semaines. Ces résultats thérapeutiques sont insuffisants en cure unique annuelle dans le cadre de la prise en charge du sowda et amènent à discuter de nouveaux rythmes de distribution.

TABLEAU 3. Évolution des lésions cutanées du sowda 3 mois après la prise unique de 150 à 200 µg/kg d’ivermectine (Mectizan®).

Ivermectine 150 à 200 µ g/kg/cure

Nb. de patients (%)

Guérison complète 6/23 (26 %) Guérison incomplète 4/23 (17 %) Décroissance et réapparition (3 semaines) 5/23 (22 %) Décroissance + nvx ganglions lymphatiques 4/23 (17 %) Baisse et réapparition du prurit (2 semaines) 6/23 (26 %) BIOLOGIQUES

Parasitologiques

Selon les régions de 12 à 36 % des sujets examinés sont porteurs de microfilaires dermiques morphologiquement semblables à celles d’ Onchocerca volvulus , l’espèce habituellement identifiée dans l’onchocercose humaine africaine. L’évidente diffé- rence entre le tableau clinique de sowda, et son hyperréactivité, comparé à celui des onchocercoses classiques, pouvait laisser supposer une différence d’agent pathogène. Morphologiquement, après les examens microscopiques classiques, il a été impossible de différencier les microfilaires reconnues dans le cas d’un sowda localisé unilatéral, de celles d’une onchocercose généralisée.

Une identification des microfilaires en biologie moléculaire, par l’étude de l’ADN génomique, a été pratiquée chez 5 malades, à partir de prélèvements de microfilaires préservées à sec entre lame et lamelle selon la méthode décrite par Toé et coll. [9].

L’ADN extrait des microfilaires réhydratées, est amplifié avec des amorces spécifiques du genre Onchocerca (O150 PCR). Cette étape a été suivie par une hybridation des produits d’amplification par PCR (Polymerase Chain Reaction) aux sondes spécifiques : OVS-2 pour l’espèce Onchocerca volvulus, OCH pour O. ochengi , PFS1 et PSS1-BT respectivement pour la souche de forêt et de savane africaines d’

O.

volvulus , comme décrit par Meredith et Zimmermann [7].

Le Tableau 4 résume les résultats obtenus en fonction de l’origine clinique des prélèvements. Deux catégories de réponses sont obtenues :

— la première concerne 3 malades porteurs de nombreuses microfilaires dermiques mais sans signe de sowda clinique observé. On reconnaît dans ce cas des microfilaires de l’espèce Onchocerca volvulus, mais différentes des souches de forêt ou de savane classiquement identifiées en Afrique subsaharienne de l’Ouest ;

— la seconde regroupe deux malades porteurs de moins de 5 microfilaires par biopsie cutanée exsangue calibrée (snip-test) et présentant un tableau clinique typique de sowda. Les microfilaires de ce groupe sont reconnues comme appartenant au genre Onchocerca , mais pas aux espèces O. volvulus ni O. ochengi. Il apparaît alors comme fort probable que le tableau clinique de sowda soit le fruit du développement d’une onchocercose peut être d’origine animale non identifiée actuellement mais vivant à proximité des activités humaines, le long des wadis.

TABLEAU 4. — Résultats de l’étude de l’ADN génomique de microfilaires extraites de 2 patients présentant un sowda (lésions unilatérales) comparée à celle de 3 malades atteints d’onchocercose généralisée. O150PCR : amorce spécifique du genre Onchocerca ; OVS-2 : sonde spécifique pour

Onchocerca volvulus ; OCH : sonde spécifique pour O. ochengi ; PFS-1 : sonde spécifique pour

O. volvulus de forêt africaine ; PSS1-BT : sonde spécifique de O. volvulus de savane africaine.

Patients (code) O150PCR OVS-2 OCH PFS-1 PSS1-BT Sowda 12 712 +

Sowda IIIH1 +

Oncho IIIC12 + +

Oncho IIIE4 + +

Oncho IIIG7 + +

Sérologiques

Des sérologies filariennes qualitatives par immunoprécipitation (immunoélectrophorèse mono et bidimensionnelle, co-électrosynérèse, immunoempreinte) et quantitatives par immunofluorescence ont été comparativement étudiées entre les diffé- rents types d’onchocercoses du Yémen et celle d’Afrique (Gabon). À partir des sérums de patients yéménites cliniquement onchocerquiens, les anticorps filariens sont mis en évidence dans 70 % des cas. L’étude comparative menée à partir des résultats obtenus au Gabon, région endémique d’onchocercose de type « forêt » et ceux de patients en provenance des wadis infestés du Yémen, n’a pas montré de différences significatives dans la forme et la position des arcs de précipitation obtenus après immunoélectrophorèse contre des antigènes ascaridiens ( A. lumbricoïdes ou suum). Quelques arcs particuliers sont actuellement à l’étude par immu-
noélectrophorèse bidimensionnelle, leur spécificité en regard de l’origine géographique restant possible. Les réactions quantitatives d’immunofluorescence indirecte sont également positives, quelle que soit l’origine des patients et en particulier le taux moyen des anticorps par groupe de malades est le même. Dans l’état actuel de nos connaissances, il n’apparaît pas de différences par immunoempreinte entre la réactivité des sérums du Yémen et ceux du Gabon opposés à des antigènes hétérologues d’ Ascaris lumbricoïdes ou suum (liquide pseudo-cœlomique ou extraits d’organes génitaux).

DISCUSSION

Le sowda est l’un des aspects cliniques les plus spectaculaires et invalidant de l’onchocercose au Yémen. Outre la nuisance provoquée par le vecteur et l’incoercible prurit, cette affection entraîne, par l’importance des lésions cutanées, un handicap important dans la vie sociale des adolescents. Une meilleure approche clinique parasitologique et épidémiologique de cette onchocercose humaine, peut être d’origine animale, devrait permettre une efficacité plus complète du Programme de lutte contre les onchocercoses du Yémen et plus spécifiquement le sowda. Le choix des méthodes de lutte (action antivectorielle et/ou distribution communautaire d’un microfilaricide comme l’ivermectine) dépend d’une connaissance plus complète des différentes onchocercoses du Yémen. Les études biocliniques thérapeutiques et épidémiologique devraient se développer afin de couvrir l’ensemble du territoire yéménite et prendre davantage en compte des évaluations sur les femmes qui sont peu représentées pour des raisons culturelles. Elles permettent cependant d’envisager la création d’un Plan National de Lutte en présentant certains paramètres d’évaluation d’action thérapeutique et de contrôle.

Le programme actuel est surtout fondé sur la distribution annuelle d’ivermectine ou Mectizan®. Ce médicament est gratuitement attribué aux campagnes internationales de lutte contre l’onchocercose par les laboratoires Merck Sharp and Dohme. La logistique de distribution, communautaire, est progressivement prise en mains par les populations villageoises concernées. Cette distribution d’ivermectine, son dosage et son rythme doivent être codifiés en fonction de son efficacité variable selon les différents tableaux cliniques d’onchocercose et cela avant le lancement à grande échelle des programmes. En fait, dans le cas du sowda, la réapparition de signes cliniques, en particulier du prurit, dans les deux mois suivant la première cure par 150-200 µg/kg d’ivermectine, amène à conseiller de rapprocher les cures. La distribution de ce microfilaricide pourrait, dans la lutte contre les filarioses au Yémen, être assurée par des passages bi, voire tri-annuels et non pas seulement par un passage annuel comme c’est l’usage dans la lutte contre l’onchocercose africaine.

Compte tenu des identifications des microfilaires par biologie moléculaire, l’éventualité d’un réservoir de parasite animal modifie l’approche d’une lutte fondée sur la stérilisation parasitaire (microfilaires) de l’homme comme seul réservoir de parasi-
tes. Des études complémentaires sont en cours pour préciser, parmi les onchocercoses du Yémen, l’importance relative d’un tel réservoir animal de parasites dans la transmission du sowda.

CONCLUSION

L’étude de 11 foyers de transmission d’onchocercoses humaines au Yémen nous a permis de définir des tableaux cliniques différents. Des études en biologie moléculaire sur les microfilaires, laissent craindre, dans la transmission du sowda, l’existence d’un réservoir de parasites animal qui reste à identifier. Cette diversité parasitologique, clinique et épidémiologique demande à être complètement analysée avant d’entreprendre des programmes de lutte à grande échelle le long des wadis yéménites. Les sensibilités différentes des souches d’onchocerques à l’ivermectine, microfilaricide de choix dans les programmes de lutte, amènent à envisager des rythmes de distribution communautaire plus rapprochés.

REMERCIEMENTS

Les auteurs adressent leurs remerciements aux responsables de la recherche médicale au Ministère des Affaires étrangères et de la Coopération pour les subventions allouées dans le cadre de ce travail.

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[4] FAWDRY A.L. — Onchocerciasis in South Arabia.

Trans. Roy. Soc. Trop. Med. Hyg., 1957, 51, 253-256.

[5] GARMS R., KERNER M., MEREDITH S.O. — Simulium (Edwardsellum) rasyani n.sp. , the Yemen species of the

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[6] GOUTEUX J.P. — Description de

Simulium (Edwardsellum) kilibama sp. nov. et position de cette espèce dans le complexe

S. damnosum (Diptera : Simuliidae). Tropenmed. Parasit., 1977, 28, 456-460.

[7] MEREDITH S.E.O., LANDO G., GBAKIMA A.A., ZIMMERMANN P.A., UNNASCH T.H. —

Oncho- cerca volvulus : application of polymerase chain reaction to identification and strain differentiation of the parasite.

Exp. Parasitol., 1991 , 73, 335-344.

[8] PHILIPPON B. — Observations sur l’onchocercose humaine et

Simulium damnosum en République islamique du Yémen. OCCGE (Organisme de Coordination et de Coopération dans la lutte contre les Grandes Endémies) rapport., 1977, Doc. no 203/Oncho/tech/77.

[9] TOE L., BACK C., ADJAMI A.G., TANG J.M., UNNASCH T.H. — Onchocerca volvulus : comparison of field methods for the preservation of parasite and vector samples for PCR analysis.

Bull-World-Health-Organ., 1997 , 75, 5, 443-7.

DISCUSSION

M. Jacques EUZÉBY

Vous avez évoqué deux formes différentes du « sowda », avec deux parasites qui pourraient être, eux-mêmes, différents : avez-vous étudié l’activité phosphatasique acide des microfilaires ? Vous évoquez l’existence possible d’un réservoir animal pour une forme d’onchocercose humaine au Yémen. Malgré l’habituelle spécificité des onchocerques, cette hypothèse est parfaitement soutenable : on connaît chez le chien une onchocercose due à Onchocerca lienalis , des bovins. Existe-t-il, au Yémen, d’autres vecteurs que les simulies ? En médecine vétérinaire, on connaît le rôle vecteur de culicoides spp en matière d’onchocercose à Oncocherca cervicalis, parasite du cheval ?

Mesurer l’activité phosphatasique des microfilaires pour mieux les classer est une inté- ressante méthode nécessitant cependant un matériel plus important que celui dont nous disposions, et qui amplifié, nous a permis une première approche d’identification en biologie moléculaire. Avant de reconnaître une microfilaire apparemment différente de celle attendue dans le Sowda nous partions de l’idée que le vecteur de cette onchocercose particulière était a priori du même genre que celui de l’onchocercose classique. Si nous avons pu collecter quelques simulies, en revanche nous n’avions pas envisagé d’étudier les culicoïdes éventuellement vecteurs.

M. Charles LAVERDANT

Si la sensibilité des microfilaires du « swoda » à l’ivermectine est inférieure à celle d Onchocerca volvulus , faut-il préconiser des doses plus élevées et selon un rythme plus fréquent en dépit de très probables réactions secondaires ?

Dans le dosage et le rythme de prescription de l’ivermectine ou Mectizan® pour contrôler les filarioses cutanées comme l’onchocercose, le facteur limitant reste l’éventuel inconfort supporté par le malade porteur de microfilaires dans le derme qui vont s’agiter sous l’effet de la thérapeutique. Nous savons que cliniquement nous n’obtenons pas de résultats satisfaisants dans les cas de sowda, à la dose unique annuelle de 150 à 200 µg /kg efficace et remarquablement bien supportée dans l’onchocercose africaine. Il n’est pas évident que l’apparente solution de 3 cures annuelles, en supposant la logistique de distribution possible, soit acceptable par les malades atteints de sowda.

M. Pierre PÈNE

Les foyers de « sowda », au Yémen, sont-ils limités ou sont-ils en extension ? Y a-t-il une explication à la localisation unilatérale des lésions cutanées aux membres inférieurs ?

Dans tous les lieux suspects de transmission des onchocercoses et plus précisément de sowda que nous avons explorés, le sowda était quasi constamment mis en évidence. Il reste encore des zones non explorées le long des wadis entre 500 et 1 500 mètres d’altitude.

Pour l’instant il n’y a pas d’explication précise à l’unilatéralité des lésions, si ce n’est qu’en cas de transmission de filariose animale mal adaptée à l’homme, on puisse s’attendre à une réaction cutanée hyperréactive localisée.

M. Marc GENTILINI

Je voudrais souligner les travaux remarquables effectués pendant plus de 11 ans par Dominique Richard-Lenoble au Gabon, dans des conditions parfois difficiles. Dominique Richard-Lenoble est l’un des derniers représentants de la coopération sanitaire française, en voie de disparition, en dépit de l’aide qu’à pu lui apporter le ministère des Affaires étrangères.

Je ne peux que remercier mon maître le professeur Gentilini de m’avoir guidé sur la voie de la médecine Tropicale et du travail sur le terrain en faveur des pays en développement.

La coopération sanitaire française change d’orientations, et il est vrai qu’actuellement les médecins civils ou militaires français du « bout de la piste » sont beaucoup plus rares qu’il y a 10 ans.

M. Roland ROSSET

La microfilaire du « sowda », qui est différente des Onchocerca « classiques », a t-elle été désignée par un nom particulier ? Comment expliquez-vous l’absence d’atteinte oculaire ?

Nous essayons actuellement de rechercher chez l’animal une microfilaire dermique semblable à celle que nous avons caractérisée grâce aux techniques de biologie moléculaire chez les sujets atteints de sowda typique. Il est fort possible que nous isolions une microfilaire connue, chez un animal non identifié pour l’instant. Toutes les filarioses ne donnent pas les images de lésions ophtalmologiques typiques de l’onchocercose africaine de savane. Nous sommes, dans le domaine de l’atteinte oculaire, dans un contexte immunotoxique et circulatoire sensiblement différent de celui d’Onchocerca volvulus.

M. Alain RÉRAT

Existe-t-il des systèmes efficaces de lutte contre les simulies ?

Les premiers programmes de lutte contre l’onchocercose en Afrique de l’Ouest étaient uniquement fondés sur une lutte antivectorielle par largages aériens de larvicides sur les foyers de simulies. Cette méthode, qui donnait quelques bons résultats, a dû être renforcée par une action thérapeutique microfilaricide sur les populations exposées. Au Yémen l’accès aux populations à risque est souvent difficile, mais la lutte antivectorielle, souvent
onéreuse, est compliquée par la multiplicité des foyers de simulies, en supposant par ailleurs que ce semblant de mouche soit le seul vecteur.

M. Jean-Claude PETITHORY

Il est intéressant de souligner le rôle joué par les animaux sauvages comme réservoir de parasites alors que les animaux domestiques sont de plus en plus souvent traités par nos collègues vétérinaires. Avez-vous pu entreprendre des études sérologiques dans le cas du « sowda » ?

Des études sérologiques comparatives entre les différents types d’onchocercose, dont le sowda, ne montrent pas de différences importantes si nous utilisons les antigènes hétérologues habituels comme les liquides pseudocoélomiques d’ Ascaris lumbricoïdes ou d’

A. suum . En revanche les études en cours, à l’aide d’antigènes plus spécifiques, tendraient à démontrer l’existence d’une diversité plus marquée selon les onchocercoses.

M. Gabriel BLANCHER

Y a t-il d’autres aires géographiques en dehors du Yémen, où le « swoda » a été observé ?

Le sowda, en tant que tableau clinique unilatéral d’onchodermatite, est décrit surtout dans les régions nord du Yémen. Quelques publications font état de cas semblables au Soudan et en Éthiopie. Certaines régions d’Arabie ou d’Afrique de l’Est n’ont pas été systématiquement explorées.

Bull. Acad. Natle Méd., 2001, 185, no 8, 1447-1461, séance du 13 novembre 2001