Résumé
Connue depuis cinquante ans, l’entité aujourd’hui dénommée syndrome métabolique, a fait l’objet de multiples définitions qui ont amené une certaine confusion et même une remise en cause de son originalité. Le syndrome métabolique est étroitement lié à la présence d’une obésité androïde qui témoigne d’une insulinorésistance et se situe au confluent de tous les facteurs de risque et aux avant-postes du diabète de type 2. Son dépistage passe par la mesure systématique du tour de taille et par son interprétation en tenant compte de l’ethnie considérée. Cette attitude pragmatique de clinicien évite les incertitudes générées par les différentes définitions et apporte plus de nuances que la présence ou non d’un syndrome métabolique chez un sujet donné. Face à une obésité androïde, les mesures thérapeutiques non médicamenteuses sont peu coûteuses et efficaces mais sous cette simplicité apparente se cachent des difficultés de mises en œuvre qui constituent en fait un problème de société en raison de l’épidémie annoncée.
Summary
The disorder now known as the ‘‘ metabolic syndrome ’’ was first recognized 50 years ago, but the use of various definitions led to confusion over its real nature. The metabolic syndrome is directly linked to android obesity, which reflects insulin resistance ; it lies at the root of all associated risk factors and is a forerunner of type 2 diabetes. Screening is based on systematic waist measurement, taking ethnic origin into account. This pragmatic approach avoids the uncertainties generated by different definitions and is less restrictive than a simple diagnosis of the metabolic syndrome. Non drug treatment of android obesity is inexpensive and effective but may be difficult to apply, owing to a number of social issues.
Depuis plusieurs décennies, de nombreux travaux ont permis d’isoler les facteurs de risque responsables de la survenue des accidents cardiovasculaires qui constituent la cause majeure de morbidité et de mortalité dans notre pays. Reprenant les travaux de Jean Vague portant sur l’obésité androïde, Reaven proposa en 1988 d’individualiser sous l’appellation de ‘‘ syndrome X ’’ l’association d’une hypertension arté- rielle, d’une intolérance aux hydrates de carbone, d’une dyslipidémie et d’une hyperinsulinémie traduisant un état d’insulinorésistance [1, 2]. Cette entité, désormais dénommée syndrome métabolique, a bénéficié de multiples définitions qui ont amené une certaine confusion et même à une remise en cause de son originalité. Bien que ce syndrome soit aujourd’hui considéré comme une maladie aux Etats-Unis, sa responsabilité propre, pour certains auteurs, ne serait pas supérieure à celle des facteurs de risque qui le composent [3]. Ce syndrome est étroitement lié au développement de l’obésité qui, en France comme dans le monde, constitue une véritable épidémie d’autant plus redoutable qu’elle est silencieuse. Plusieurs questions essentielles demeurent ainsi posées au clinicien et à l’épidémiologiste : — Comment définir le syndrome métabolique ? — Quelles sont les conséquences cliniques du syndrome métabolique ? — Comment dépister en pratique le syndrome métabolique ? — Que faire devant un sujet présentant un syndrome métabolique ? Les réponses à ces différentes interrogations permettront d’éclairer la conduite médicale dont l’aboutissement est naturellement d’ordre thérapeutique qu’elle soit médicamenteuse ou centrée sur les modifications du mode de vie.
DÉFINITIONS DU SYNDROME MÉTABOLIQUE
Appelé aussi syndrome dysmétabolique, syndrome plurimétabolique ou syndrome d’insulinorésistance, la dénomination de syndrome métabolique est aujourd’hui la plus communément admise. Cependant, sous ce nom générique, la réalité se révèle multiple, conséquence des différentes définitions du syndrome.
Les différentes définitions (Figure 1) — Définition de l’OMS [4] L’OMS a retenu en 1998 une définition nécessitant une évaluation de l’insulinoré- sistance, applicable à l’ensemble de la population, diabétique ou non. Ainsi, selon cette vision, le syndrome métabolique est axé sur l’existence d’une intolérance au glucose, d’une hyperinsulinémie ou d’un diabète, associé au moins à deux autres anomalies cliniques ou biochimiques.
Fig. 1. — Les différentes définitions du syndrome métabolique — Définition de l’EGIR L’année suivante, en 1999, le Groupe Européen pour l’Étude de l’InsulinoRésistance (EGIR) a proposé une définition uniquement applicable aux sujets non diabétiques. Cette définition, centrée sur la notion d’insulinorésistance, impose par conséquent la mesure systématique de l’insulinémie à jeun. Le syndrome est attesté par une insulinémie située dans le quartile supérieur de la population, associée à deux critères cliniques ou biologiques qui diffèrent de la précédente définition [5].
— Définition du NCEP ATP III C’est aux États-Unis en 2001 que le groupe d’experts du programme national « cholestérol » s’est attaché à modifier, en la simplifiant, la définition de l’OMS.
Ainsi, le paramètre « insulinorésistance » disparaît au profit de la caractérisation du syndrome par l’existence d’au moins trois de cinq critères d’égale valeur [6]. Cette définition offre l’avantage d’être facilement utilisable en pratique clinique, puisque les différents critères considérés sont aisément disponibles. Cependant, la définition originelle du NCEP n’incluait pas dans ses critères la notion de traitement, créant ainsi une certaine confusion chez les sujets parfaitement contrôlés par une thérapeutique antihypertensive ou hypolipémiante.
— Définition de l’IDF La dernière définition, proposée en 2005 par l’International Diabetes Foundation, utilise les critères du NCEP mais place la mesure du tour de taille comme un paramètre prédominant et incontournable. La normalité de ce tour de taille est revue à la baisse et est adaptée à l’ethnie considérée. La présence de deux autres critères cliniques et/ou biochimiques est nécessaire à la définition du syndrome selon l’IDF [7].
Les divergences et les limites des définitions
Ces différentes définitions conduisent à une certaine confusion qui complique l’application pratique du concept « syndrome métabolique » dans l’exercice quotidien du clinicien. Ainsi, pour un malade donné, la présence ou non d’un syndrome métabolique varie en fonction de l’application de l’une ou de l’autre formule [8]. De ce fait, la valeur pronostique du syndrome métabolique diffère de façon importante ce qui lui ôte beaucoup de sa pertinence.
Dans la mesure où l’OMS tient pour élément essentiel la présence d’une anomalie de la régulation du glucose, les malades ainsi définis présentent un risque accru d’évolution vers un diabète de type 2 quand ils ne sont pas déjà diabétiques.
L’inclusion dans le cadre du syndrome métabolique de sujets diabétiques, comme cela peut se produire avec la définition de l’IDF, brouille le message puisque ces malades méritent d’être classés d’emblée dans le groupe des patients à haut risque cardiovasculaire.
À l’inverse, dans la définition du NCEP, l’anomalie de régulation du glucose n’est qu’un des éléments servant à déterminer le syndrome métabolique. De ce fait, tout stigmate d’insulinorésistance peut être absent chez un sujet présentant un syndrome métabolique. Cette définition rend sans doute mieux compte du niveau du risque cardiovasculaire bien qu’elle n’intègre pas le taux du LDL cholestérol qui en constitue portant un élément majeur.
En dehors de ces différences fondamentales, un certain nombre de points divergent entre ces définitions. Ainsi, les critères définissant l’obésité et les normes de la pression artérielle, du taux des lipides ou du tour de taille ne sont pas identiques.
L’obésité abdominale qui est un critère obligatoire du syndrome métabolique pour l’IDF, a le mérite d’être modulée en fonction des ethnies. En effet, les études épidémiologiques menées sur les Chinois de Hong Kong montrent bien que le risque d’HTA, d’anomalie glycémique, ou d’élévation des triglycérides intervient pour un tour de taille inférieur à celui des Européens [9].
Toutes ces remarques expliquent les incertitudes qui persistent pour identifier sans ambiguïté le syndrome métabolique avec des critères facilement utilisables en pratique quotidienne. En raison de la multiplicité de ces définitions, les études épidé- miologiques sont difficilement comparables si bien que ces considérations ont ainsi conduit à remettre en cause l’utilité pratique et la réalité même du syndrome métabolique alors que ses conséquences en matière de risque cardiovasculaire et de diabète semblent solidement établies.
PRÉVALENCE DE L’OBÉSITÉ ET DU SYNDROME MÉTABOLIQUE
L’importance du syndrome métabolique en matière de santé publique tient à deux éléments essentiels représentés par sa fréquence croissante et par ses conséquences cliniques.
Prévalence de l’obésité
La prévalence de l’obésité en France était relativement stable jusqu’au début des années quatre vingt-dix (6,1 % en 1980 et 6,5 % en 1991) et inférieure à celle des autres pays européens. Malheureusement, les études ObEpi, réalisées tous les trois ans depuis 1997 ont mis en évidence une rapide augmentation de la prévalence de l’obésité au cours de ces dix dernières années [10]. Ces études ont été réalisées auprès d’un échantillon représentatif de vingt-mille ménages français par l’intermédiaire de questionnaires postaux. Ce mode d’enquête comporte des biais puisqu’il repose sur des valeurs rapportées et non mesurées ce qui induit probablement une sousestimation des valeurs. Enfin, les réponses les plus nombreuses concernaient des retraités vivant dans des villes moyennes. Néanmoins, après pondération des résultats, ces études ont montré que chez les plus de 18 ans, la prévalence de l’obésité avait augmenté de 8,5 % en 1997 à 10,1 % en 2000, à 11,9 % en 2003 et à 13,1 % en 2006.
Il existe toutefois un ralentissement dans l’augmentation de ces chiffres. Cette majoration touche toutes les tranches d’âge et les deux sexes, mais a été plus marquée chez les femmes entre 2003 et 2006. Toutes les régions françaises sont concernées mais avec des disparités régionales et une prépondérance dans le Nord et l’Est de la France. Si la prévalence de l’obésité a augmenté entre 1997 et 2006 quel que soit le revenu du foyer, elle semble ralentir entre 2003 et 2006 dans les foyers les plus aisés. Ce phénomène est apparu dans notre pays avec un certain décalage par rapport aux Etats-Unis puisque la prévalence de l’obésité en France en 2003 est égale celle des Etats-Unis en 1991. Dans l’étude nationale nutrition santé réalisée en 2006 par l’Institut de Veille Sanitaire, 3 115 adultes de 18 à 74 ans ont été examinés et 46 % d’entre eux ont été pesés et mesurés. La prévalence de l’obésité est encore plus importante puisqu’elle touche 16,1 % des hommes et 17,6 % des femmes. A la même date et dans la même tranche d’âge, les valeurs dans l’étude Obépi étaient respectivement de 12,3 et 13,6 % [11].
Prévalence du syndrome métabolique
La prévalence du syndrome métabolique diffère selon les pays, les ethnies et la définition utilisée. Cette prévalence est étroitement liée à celle de l’obésité en particulier lorsqu’elle adopte une topographie abdominale. Dans l’étude épidémiologique NHANES III (Third National Health And Nutrition Examination Survey) conduite de 1988 à 1994 auprès de 8 608 individus âgés de plus de 20 ans, la prévalence globale du syndrome métabolique aux États-Unis était de 23,9 % en utilisant les critères du NCEP et de 25,1 % selon ceux de l’OMS [12]. L’apparente homogénéité représentée par le fait que 86,2 % des participants avaient ou n’avaient pas de syndrome métabolique selon les deux définitions, masquait en fait des différences parfois importantes dans certains sous-groupes. Ainsi la prévalence chez les hommes d’origine afro-américaine était de 24,9 % avec les critères de l’OMS et de seulement 16,5 % avec ceux du NCEP. Certaines ethnies comme les sujets d’origine mexicaine et notamment les femmes étaient particulièrement touchées. L’importance du syndrome métabolique est attestée par sa très nette majoration chez les adultes américains qui est passée de 24,1 % en 1988-1994 à 27 % en 1999-2000.
Ainsi, environ cinquante-cinq millions de sujets présentaient un syndrome métabolique aux Etats-Unis en 2000 [12].
En Europe, le groupe EGIR a également mis en évidence une grande variabilité de la fréquence de ce syndrome en fonction des populations étudiées et du type de définition utilisée [13]. Ainsi, pour la tranche d’âge de 40 à 55 ans, la prévalence du syndrome métabolique selon l’OMS varie de 7 à 36 % chez les hommes et de 5 à 22 % chez les femmes. L’étude DECODE a regroupé onze cohortes d’études prospectives européennes, représentant 6 156 hommes et 3 356 femmes, non diabétiques, âgés de 30 à 89 ans, avec un suivi médian de 8,8 ans [14]. En retenant la définition du groupe EGIR, après ajustement sur l’âge, la prévalence du syndrome métabolique était de 15,7 % chez les hommes et de 14,2 % chez les femmes.
En France, nous manquons de données sur la population générale.
— L’enquête MONICA, étude multicentrique réalisée entre 1995 et 1998 comprenant trois centres (Lille, Strasbourg et Toulouse) portait sur un peu plus de 1700 hommes et 1700 femmes tirés au sort sur les listes électorales [15]. Les résultats montrent que la prévalence du syndrome métabolique dans la tranche d’âge de 35 à 65 ans s’élève à 22,5 % chez l’homme et à 18,5 % chez les femmes. Ces chiffres cachent une grande hétérogénéité géographique avec des valeurs presque deux fois plus élevées dans le Nord que dans le Sud de la France.
— Dans l’étude DESIR (Données Epidémiologiques sur le Syndrome d’Insulino Résistance) 10 % des hommes et 7 % des femmes avaient un syndrome métabolique dans un échantillon de 4 293 individus âgés de 30 à 64 ans selon les critères du NCEP [16]. Lorsque les traitements médicamenteux sont inclus dans la définition des anomalies correspondantes, la fréquence du syndrome atteint 16 % et 11 %. Cependant, seuls 12 % des hommes et 8 % des femmes ont eu un syndrome à la fois à l’inclusion et à trois ans, ce qui correspond à un taux 2,5 fois plus faible qu’aux États-Unis.
— L’étude EPIMIL (Etude Epidémiologique des Facteurs de Risque et du Syndrome Métabolique en Milieu Militaire) porte sur une population ciblée de militaires de sexe masculin de la région parisienne d’âge moyen 38,6 fi 8,8 ans.
Parmi ces 2 045 sujets, 185 (9 %) présentent au moins trois des cinq critères du NCEP ATP III et répondent à la définition du syndrome métabolique [17].
CONSÉQUENCES CLINIQUES DU SYNDROME MÉTABOLIQUE
L’objectif principal du concept « syndrome métabolique » est d’aider à l’identification des sujets présentant un risque élevé de développer un évènement cardiovasculaire ou un diabète de type 2.
Le risque cardiovasculaire
Toutes les études de cohorte ont montré un risque relatif important de voir survenir un évènement cardiovasculaire chez les sujets présentant un syndrome métabolique.
Ainsi la Botnia study, regroupant en Finlande 4 483 sujets âgés de 35 à 70 ans, observés pendant 6,9 ans, a montré que le risque relatif de maladie cardiovasculaire en rapport avec le syndrome métabolique défini selon les critères OMS était particulièrement élevé chez les patients diabétiques. La présence du syndrome métabolique triple le risque d’évènement coronarien et majore celui de la mortalité cardiovasculaire par un facteur 1,8 [18].
Dans la population américaine représentative de la NHANES III, le risque relatif d’avoir une atteinte coronarienne était de 2,07 pour les sujets avec un syndrome métabolique selon la définition du NCEP [19].
L’étude ARIC concernant une cohorte de 12 000 adultes américains, représentatifs de la population blanche et afro-américaine, a montré après un suivi moyen de onze ans, que le syndrome métabolique était associé chez les hommes à un risque 1,5 fois plus élevé de développer une maladie coronarienne et encore plus élevé puisque doublé chez les femmes [20].
En définitive, toutes ces études s’accordent pour conférer au syndrome métabolique, généralement défini dans les études disponibles par les critères du NCEP ATP III, la responsabilité de doubler le risque cardiovasculaire du sujet qui en est atteint. Ainsi, le risque absolu conféré par le syndrome métabolique, compris entre 10 et 25 % à dix ans selon l’âge du sujet, est élevé mais moindre que celui en rapport avec le diabète de type 2.
Le risque de développer un diabète de type 2
L’augmentation du risque de diabète n’est pas pour surprendre chez un sujet présentant un syndrome métabolique et une obésité abdominale témoignant d’une insulinorésistance. La définition de l’OMS qui inclut une anomalie glycémique majore indiscutablement le risque de développer un diabète de type 2. Ainsi, les données de l’Etude Prospective Parisienne, basée sur une cohorte de 5 042 hommes, montrent que l’hyperglycémie modérée à jeun est associée de manière significative à une augmentation de la prévalence du diabète de type 2 après un suivi médian de trois ans [21].
Dans l’étude EPIMIL, l’insulinémie et l’index HOMA qui définissent le degré d’insulinorésistance augmentent régulièrement et significativement avec le nombre de critères du syndrome métabolique. En revanche, si le niveau de l’insulinosécrétion s’élève un peu dans le même temps, cette augmentation n’est pas significative, montrant bien l’évolution prévisible vers un diabète de type 2.
Enfin, différentes enquêtes nationales menées aux États-Unis démontrent que les sujets présentant un syndrome métabolique sont sept à neuf fois plus susceptibles de développer un diabète de type 2 que les sujets indemnes [22].
EN PRATIQUE COMMENT DÉPISTER LE SYNDROME MÉTABOLIQUE ?
Pour sortir du paradoxe qui existe entre l’importance en termes de santé publique du syndrome métabolique et des difficultés de son diagnostic pratique, force est d’adopter une attitude pragmatique.
L’obésité abdominale paraît associée à une majoration du risque cardiovasculaire comme le montrait déjà l’Étude Prospective Parisienne [23]. Plus récemment, J-P Desprès définissait le concept de « tour de taille hypertriglycéridémique » qui permet de dépister 80 % des sujets à risque [24]. La graisse viscérale et l’infiltration graisseuse du foie sont à l’origine de ce phénomène puisque l’exérèse par liposuccion de la graisse sous-cutanée abdominale n’améliore pas le risque cardio-vasculaire [25].
Cependant certaines critiques récentes mettent en cause l’apport de l’entité « syndrome métabolique » au regard du poids des différents facteurs de risque qui le composent. Ainsi les définitions actuelles ne semblent pas identifier tous les sujets à risque et ne se révèlent pas supérieures à la prédiction du risque cardiovasculaire évalué à partir de l’équation de Framingham par exemple.
En pratique médicale habituelle, les équations de risque ne sont que rarement utilisées et les praticiens sont plus habitués à envisager plus ou moins séparément les problèmes de poids, de pression artérielle, de glycémie ou de lipides. Ainsi, la coexistence de symptômes mineurs comme un surpoids modéré, une pression arté- rielle limite ou une hyperglycémie modérée à jeun, peut être sous-estimée et faire méconnaître l’existence d’un syndrome métabolique.
Ce concept permet de reconnaître aisément les malades à risque et d’établir en pratique courante un lien entre la notion, un peu théorique, d’insulinorésistance et le risque vasculaire grâce à la simple mesure du tour de taille. D’ailleurs, l’étude InterHeart attribue au tour de taille une place qui n’est pas négligeable puisqu’il représente 20 % de la fraction du risque attribuable dans la survenue d’un infarctus du myocarde [26] (Figure 2).
De nombreuses observations démontrent l’absence de frontière clairement identifiée entre la normalité et la pathologie. En dépit de leurs imperfections, ces mêmes constatations s’appliquent également au risque vasculaire quelle que soit la formule utilisée. Ainsi, le lien entre les critères du syndrome métabolique et les complications cardiovasculaires est illustré par l’augmentation croissante des marqueurs de risque comme la CRP ultrasensible ou la microalbuminurie [27,28].
Fig. 2. — Le poids des différents paramètres dans la survenue d’un infarctus du myocarde D’après YUSUF S et al : the InterHeart study Fig. 3. — Corrélation entre le tour de taille et l’insulinémie dans l’étude EPIMIL
Il apparaît donc nécessaire de dépister ces malades et de quantifier de façon pratique leur degré d’insulinorésistance. Le dosage de l’insulinémie et le calcul de l’index HOMA pourraient apparaître séduisants mais se heurtent au coût et à la difficulté du dosage. En pratique, EPIMIL comme beaucoup d’autres études montre qu’il existe une excellente corrélation entre la valeur du tour de taille et l’insulinémie et les différentes composantes du syndrome métabolique (Figure 3) [17]. Cette mesure, simple, non coûteuse et bien reproductible doit s’intégrer dans les habitudes cliniques, ce qui est déjà fait dans beaucoup de services, au même titre que le calcul de l’IMC ou la prise de la pression artérielle. Son interprétation devrait se faire sur sa valeur absolue sans autre artifice permettant d’évaluer grossièrement, mais simplement et rapidement le degré d’insulinorésistance du malade considéré [29].
QUE FAIRE DEVANT UN MALADE PRÉSENTANT UN SYNDROME MÉTABOLIQUE ?
Ce dépistage doit aboutir à une prise en charge efficace destinée à briser l’enchaînement néfaste : obésité abdominale-syndrome métabolique-majoration du risque cardiovasculaire-diabète de type 2. Ainsi, de nombreuses études d’intervention ont montré l’efficacité d’une modification du mode de vie basée sur une meilleure hygiène alimentaire et une majoration de l’exercice physique [30]. Différentes classes médicamenteuses ont fait la preuve de leur efficacité lorsque l’un des paramètres du syndrome métabolique franchit les seuils d’intervention. Ainsi, la metformine, les glitazones, les statines, les IEC ou l’aspirine peuvent être utilisés chez des malades bien ciblés tandis que d’autres classes médicamenteuses comme les inhibiteurs des récepteurs endocannabinoïdes après avoir suscité de grands espoirs ont dû être retirés du marché en raison de leurs effets secondaires.
CONCLUSION
Déclenché par l’installation d’une obésité androïde qui témoigne d’une insulinoré- sistance, le syndrome métabolique se situe au confluent de tous les facteurs de risque et aux avant-postes du diabète de type 2 [31, 32]. Une intervention précoce sur ce type d’obésité apparaît donc licite même en l’absence d’autres anomalies cliniques et biologiques. Les mesures portant sur l’exercice physique et la diététique ont d’ailleurs bien montré leur efficacité dans de nombreuses études. Ainsi, ce syndrome métabolique qui est potentiellement redoutable, peut être efficacement pris en charge grâce à un dépistage mieux conduit. Celui-ci passe par la mesure systématique du tour de taille et par son interprétation en tenant compte de l’ethnie considé- rée. Face à ce tableau clinique, les mesures thérapeutiques non médicamenteuses sont peu coûteuses et efficaces. Malheureusement, sous cette simplicité apparente, se cachent des difficultés considérables dont beaucoup dépassent le caractère purement médical et constituent en fait un problème de société [33].
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DISCUSSION
M. Raymond ARDAILLOU
Le rapport tour de taille sur tour de hanches est-il préférable au simple tour de taille ?
Dans l’étude EPIMIL, la mesure du tour de taille est parfaitement corrélée à tous les paramètres du syndrome métabolique et en particulier à l’insulinémie et à l’Index Homa qui permettent d’évaluer le degré d’insulinorésistance. La mesure du tour de hanche et le calcul du rapport tour de taille sur tour de hanche n’apportent pas d’information supplémentaire. Enfin, dans la pratique clinique quotidienne, la simple mesure du tour de taille est aisément et rapidement réalisable ce qui justifie d’en prôner la pratique.
M. Roger HENRION
Les journées d’appel de préparation à la Défense vous ont-elles apporté des renseignements intéressants ? On peut regretter que la mesure du tour de taille ne puisse être effectuée ?
Pendant des décennies, la visite de sélection précédant le service national a permis de recueillir une somme considérable d’informations dans la population masculine de vingt ans. Ainsi, de nombreuses affections pouvaient être dépistées à cette occasion. Depuis la fin du service national, cet examen systématique a été supprimé. Ce fait prive, par conséquent, les sujets d’un dépistage utile à leur état de santé et la collectivité de données épidémiologiques très intéressantes.
* Endocrinologie, Hôpital d’Instruction des Armées Bégin, 69 avenue de Paris, 94160 Saint-Mandé. E-mail : bernard.bauduceau@wanadoo.fr Tirés à part : Professeur Bernard Bauduceau même adresse. Article reçu le 13 mai 2009, accepté le 8 juin 2009
Bull. Acad. Natle Méd., 2009, 193, no 6, 1289-1301, séance du 9 juin 2009