Communication scientifique
Session of 23 janvier 2001

Nouveaux progrès et nouveaux outils d’étude de la génétique moléculaire des dyslipoprotéinémies

MOTS-CLÉS : génome humain. hyperlipidémies.. lipoprotéines. troubles héréditaires métabolisme lipidique
Recent advances and new tools in the study of molecular genetics of lipoprotein disorders
KEY-WORDS : genome, human. hyperlipidemia.. lipid metabolism, inborn errors. lipoproteins

P. Benlian

Résumé

Plus de trois siècles après Mendel, à l’ère où électronique et informatique se combinent pour reprendre le principe de la « transmission de l’information par paquets » sur le réseau « internet », la séquence du génome humain est sur le point d’être entièrement publiée sur ledit réseau. Le gène est passé après quelques décennies de progrès en biologie cellulaire et moléculaire, de concept virtuel à objet concret couramment analysé et manipulé. Plus de cinquante gènes directement impliqués dans le métabolisme des lipoprotéines sont maintenant caractérisés, bouleversant de ce fait la base physiopathologique des dyslipoprotéiné- mies, voire d’autres entités pathologiques dépendant de l’homéostasie lipidique. Les dyslipoprotéinémies encore couramment considérées comme « environnementales », donc liées aux conditions nutritionnelles et à l’âge, ont trouvé une véritable base moléculaire. De nouvelles entités nosologiques, dont la spécificité n’est plus d’être « essentielles » mais de reposer sur un mécanisme biologique précis, se détachent peu à peu. De nouveaux outils diagnostiques, pronostiques ou de traitement se font jour, qui ont d’ores et déjà modifié la prise en charge de ces affections aussi fréquentes que silencieuses. A ce titre les dyslipoprotéinémies se classent parmi ces entités pionnières dans la médecine du nouveau millénaire, qui passe progressivement d’une médecine de l’observation et du symptôme, à la prévention personnalisée des évènements morbides.

Summary

More than three centuries after Mendel, at the era of electronic and computed information taking over the principle of information transmitted in discrete « packets » on the « internet », the sequence of the human genome is about to be completely released on public databases accessible on that very same internet. The gene, classically a virtual object, has become after several decades of intensive progress in cellular and molecular biology, a real object commonly manipulated and analyzed. More than fifty genes have been identified in the regulation of lipoprotein metabolism, giving rise to novel molecular pathophysiological bases for dyslipoproteinemia and beyond to other disorders related with lipid homeostasis. Dyslipoproteinemia, or disorders of lipoprotein metabolism commonly considered as lifestyle and age-related diseases, have now a molecular basis. Novel clinical entities no longer defined as « essential », but as molecular-based are progressively individualized. Novel tools for the diagnosis, prognosis or treatment have already modified the way these silent and frequent diseases are managed in clinical practice. In that respect, dyslipoproteinemia are among pioneer diseases in the medicine of the new millennium, which progressively evolves from a fact-based medicine to the individualized prevention of morbid events.

INTRODUCTION

Le concept visionnaire de Mendel, d’une transmission de l’information héréditaire par entités discrètes, plus tard dénommées « gène » a trouvé récemment un écho inattendu mais tout aussi spectaculaire dans le développement des communications par « internet », lesquelles doivent leur vitesse et leur ubiquité au fait qu’elles sont aussi transmises par « paquets ». Heureuse rencontre de l’histoire, le génome humain maintenant presque entièrement séquencé est un patrimoine universel d’ores et déjà inscrit sur les bases de données publiques accessibles sur la « toile d’araignée mondiale ». Cette masse de connaissances nouvellement mises au jour ne sera pas sans conséquences sur notre compréhension des mécanismes des maladies et tout particulièrement des dyslipoprotéinémies, à l’instar des progrès importants réalisés ces dernières décennies avec l’identification des premiers gènes qui contrô- lent le métabolisme des lipoprotéines.

GÈNE, OBJET VIRTUEL — GÈNE, OBJET RÉEL

Au début du XXe siècle, le gène était défini comme le support biologique de la transmission héréditaire de certains caractères physiques ou biologiques tels la couleur brune des urines des porphyries ou plus tard, avec Pauling, la présence d’une forme anormale de l’hémoglobine dans le sang des sujets drépanocytaires. Les dyslipoprotéinémies familiales furent identifiées au milieu du XXe siècle parmi les premières maladies métaboliques reconnues comme des erreurs innées du métabolisme pour lesquelles l’anomalie d’un gène unique était à l’origine d’un ensemble de caractères morbides pouvant conduire au décès prématuré. Dans le dernier quart de siècle s’est opéré un changement spectaculaire avec l’avènement des techniques de biologie moléculaire donnant un accès direct à l’étude des gènes humains. Le début
des années 1980 a été marqué par l’identification des premiers gènes codant pour les apolipoprotéines (A-I, B, C-II, E etc.) constituant la structure et la partie « intelligente » des lipoprotéines, mais aussi de ceux codant pour le récepteur des LDL ou pour la lipoprotéine lipase, éléments cruciaux du métabolisme du cholestérol et des triglycérides respectivement. Ces premières découvertes ont enrichi et précisé les connaissances des mécanismes moléculaires régissant le métabolisme lipidique et ont donné lieu à l’identification de nouvelles molécules ciblées sur le métabolisme du cholestérol, comme les statines dont l’onde de choc en matière de prévention cardiovasculaire n’est pas encore amortie. Au tournant de l’an 2000, la quasi-totalité de la séquence du génome humain a été annoncée comme déterminée [1]. Le génome humain représente environ 3 milliards de paires de nucléotides, dédoublés sur chacun des deux jeux de 23 chromosomes humains. Accompagnant le séquençage, la constitution de banques de fragments d’ADN génomique, ordonnés par la cartographie du génome, permet de disposer d’un formidable système d’archive du patrimoine génétique de l’homme. Cela permet une accélération exponentielle du rythme des découvertes de nouveaux gènes responsables de maladies (Fig. 1). De quelques dizaines au début des années 1970, le nombre de gènes localisés sur le génome humain dépasse 30 000 et celui des maladies mendéliennes 10 000 actuellement [2]. Ainsi en est-il de la progression du nombre de gènes du métabolisme des lipoprotéines identifiés chaque année depuis l’identification du gène de l’apolipoprotéine A-I en 1982. Selon les estimations actuelles, le nombre total de gènes humains serait compris entre 35 000 et 100 000. Cette rapide expansion de la masse d’information ouvre un vaste champ de recherches visant à l’identification de nouveaux gènes et d’autres éléments fonctionnels du génome. En effet, les gènes eux-mêmes représenteraient moins de 10 % de l’information génétique contenue FIG. 1. — Nombre de gènes localisés sur le génome humain depuis 1972
dans les chromosomes. Quels que soient les défis scientifiques à venir, la découverte des premiers gènes du métabolisme des lipoprotéines a démontré que l’analyse de la structure et de la fonction des gènes chez l’homme et leur manipulation sur des modèles expérimentaux (animaux transgéniques, cultures cellulaires) pouvaient grandement enrichir les connaissances du métabolisme des lipoprotéines et l’aptitude médicale à reconnaître et traiter les dyslipoprotéinémies.

BASES MOLÉCULAIRES DU MÉTABOLISME DES LIPOPROTÉINES

Les lipoprotéines ont pour fonction de transporter les lipides dans les espaces extracellulaires, afin d’en assurer la distribution et leur échange avec les cellules en harmonie avec les conditions physiologiques ou de l’environnement. Cette fonction, complexe, implique un remodelage permanent des transporteurs et une grande diversité des facteurs circulants ou cellulaires (Tableau 1). Les gènes du métabolisme des lipoprotéines sont impliqués dans la synthèse de protéines constitutives des lipoprotéines (ex : apolipoprotéine A-II ou APOA2), de récepteurs membranaires susceptibles de capter (ex : récepteur aux LDL ou LDLR) ou de délivrer les lipides aux lipoprotéines (ex : ABC1), d’enzymes susceptibles de les transformer (ex : lipoprotéine lipase ou LPL) ou de les synthétiser (ex : HMGCoA réductase), de protéines de transfert susceptibles de remodeler le contenu en lipide des lipoprotéines circulantes (ex : Cholesteryl Ester Transfer Protein ou CETP), de facteurs nucléaires qui en coordonnent la circulation y compris leur synthèse ou leur catabolisme (ex : Sterol Responsive Element Binding Proteins ou SREBP). Leurs fonctions se sont avérées répondre globalement aux impératifs de l’homéostasie lipidique : le maintien des grands équilibres énergétiques, de l’intégrité et de la fonctionnalité des membranes cellulaires (intra et extracellulaires), la production ou l’élimination de molécules actives. Il peut s’agir de molécules régulatrices, telles les hormones stéroïdes ou leurs dérivés, comme de molécules potentiellement toxiques, telles le cholestérol ou ses dérivés oxydés qui empruntent la voie inverse de transport vers le foie pour être éliminés dans les voies biliaires. Les lipoprotéines ont aussi des fonctions protectrices. Certaines apolipoprotéines comme l’apo A-I, l’apo A-IV ou l’apo E sont anti-oxydantes. Cette propriété a été notamment mise en évidence, chez des animaux transgéniques qui s’avèrent résistants à l’athérosclérose comparativement aux animaux témoins ne surexprimant pas ces protéines. Les lipoprotéines ont des fonctions anti-infectieuses. Les lipoprotéines riches en triglycérides piègent les endotoxines bactériennes, alors même que l’apo A-I peut bloquer la fusion cellulaire induite par certains virus, dont le virus VIH.

Outre la grande diversité des fonctions, il est apparu que les gènes du métabolisme n’intervenaient pas à des degrés identiques sur les grandes voies de régulation du métabolisme des lipoprotéines. Certains gènes ont des fonctions clés de sorte que leur absence est létale aux phases précoces de l’embryogenèse. Ainsi en est-il de l’HMGCoA réductase, enzyme clé d’une voie de biosynthèse fondamentale, la voie

TABLEAU 1. — Principaux gènes du métabolisme des lipoprotéines localisés sur les chromosomes humains [3]. Les dénominations abrégées correspondent à la nomenclature génétique internationale.

Apolipoprotéines Chromosome Enzymes Chromosome
APOA1 11 q 23 ACAT 1 1 q 15
APOA2 1 p 21 CEL 9 q 34
APO A 4 11 q 23 CYP 7 8 q 11
APO (a) 6 q 26 CYP 27 2 q 33
APO B 2 p 23 FASN 17 q 25
APO C 1 19 q 13 HL 15 q 21
APO C2 19 q 13 HMGCoA Reductase 5 q 13
APO C3 11 q 23 HMGCoA Synthase 5 p 14
APO C 4 19 q 13 HSL 19 q 13
APO D 3 p 14 LCAT 16 q 22
APO E 19 q 13 LIPA 10 q 24
APO H 17 q 23 LPL 8 p 22
APO J 8 p 21 PNLIP 10 q 26
APO L nr SCD 10
Récepteurs Membranaires Autres
ABC1 9 q 31 Apo BEC 1 12 p 13
Apo ER2 1 p 34 ASP (C3a desarg) 19 p 13
CD 36 7 q 11 CETP 16 q 21
Cubiline 10 p 12 FABP1 2 p 11
LDLR 19 p 13 FABP2 4 q 28
LRP 12 q 13 LMN A/C 1 q 21
Megaline 2 q 24 MTP 4 q 24
Scavenger SR-A 8 p 22 NPC1 18 q 11
Scavenger SR-B1 12 q 24 OCTN 2 5 q 31
VLDLR 9 p 24 PLTP 20 q 12
PON 7 q 21
Facteurs de Transcription RAP 4 p 16
PPARα 22 q 12 SAA 1 q 12
PPARßδ 6 p 21 SCAP 3
PPARγ 3 p 25 SCP 2 1 p 32
RXRα 9 q 34
SREBP 1 (a,c) 17 p 11
SREBP 2 22 q 13

du mévalonate, dont le produit final est le cholestérol. Toutefois, comme dans d’autres systèmes, la redondance génétique peut protéger certaines de ces fonctions vitales. Par exemple, l’invalidation de la DGAT (Diacyl-Glycerol Acyl Transferase), enzyme clé de la biosynthèse des triglycérides, ne donne lieu à aucune anomalie chez les souris dont le gène est invalidé par recombinaison homologue (knock-out), laissant penser qu’il existe des mécanismes alternés de biosynthèse des triglycérides.

De fait, la plupart des gènes du métabolisme des lipoprotéines appartiennent à des familles de gènes qui comportent des domaines de forte homologie de séquence et de structure par duplication et diversification de motifs ancestraux. Ainsi, les apolipoprotéines comportent toutes un motif élémentaire de 11 acides aminés formant une hélice alpha dite amphiphile, dont une face est hydrophile en regard du plasma et une face hydrophobe en regard du cœur lipidique de la lipoprotéine. Ce motif est retrouvé dans une protéine végétale, l’oléosine, dont la fonction est de former des vésicules de stockage des lipides dans la graine. Une autre caractéristique est la multifonctionnalité, c’est-à-dire la réunion au sein d’une même molécule de fonctions très distinctes. Par exemple, les SREBPs sont des protéines de la membrane du réticulum endoplasmique, dont la fonction est de détecter les niveaux intracellulaires de cholestérol. Lorsque ceux-ci diminuent, l’activation de protéases libère un fragment ayant les propriétés d’un facteur transcriptionnel qui se dirige vers le noyau, où il activera de nombreux gènes impliqués dans la régulation du métabolisme lipidique et notamment du cholestérol. C’est ce mécanisme qui est la cible des statines qui induisent une baisse temporaire des niveaux intracellulaires de cholestérol et par le biais des SREBPs activent, entre autres, la biosynthèse des récepteurs LDL qui se traduit par une baisse dose-dépendante des niveaux de LDL circulantes.

DES MALADIES ESSENTIELLES AUX MALADIES MOLÉCULAIRES

Les gènes responsables de maladies ont d’abord été identifiés par l’approche dite « candidat » qui consiste à tester si un gène et son produit (la protéine) connus pour jouer un rôle dans le métabolisme lipidique pouvaient être porteurs de mutations perturbant gravement leur fonction au point de causer une maladie monogénique [4]. Le paradigme en a été l’hypercholestérolémie familiale causée par les défauts du récepteur des LDLs. Dans ce cas, une protéine impliquée dans l’endocytose des LDL avait été reconnue comme inactive chez les enfants homozygotes porteurs d’une double copie défectueuse du gène du récepteur LDL. Le clonage ultérieur du gène a authentifié ce locus comme porteur de mutations délétères. Actuellement, un vaste effort mondial est entrepris sur le dépistage de cette maladie mendélienne qui touche plusieurs millions d’individus hétérozygotes dans le monde, et probablement 120 000 en France. Une base de données répertoriant les mutations connues en dénombre plus de 700 sur une protéine qui compte 839 acides aminés. Cette grande hétérogénéité génétique souligne l’ampleur de l’analyse à réaliser pour ce seul gène et l’intérêt de cibler les recherches génétiques aux familles à risque.

Dans le prolongement de cet exemple classique, la récente identification par la stratégie dite du « clonage positionnel » d’un gène clé du métabolisme du transport inverse du cholestérol : ABC1, laisse espérer que la liste des gènes encore inconnus du métabolisme des lipoprotéines sera rapidement complétée. L’aventure remonte à la description, par Donald Fredrickson et ses collaborateurs dans les années 1960, d’une dyslipoprotéinémie très rare : la maladie de Tangier du nom d’une île isolée au large de la Virginie aux États-Unis. Cette affection se manifeste par des amygdales hypertrophiées caractéristiques par leur couleur jaune orangée, des dépôts lipidiques par accumulation de macrophages spumeux dans le système réticuloendothélial, une neuropathie périphérique et une athérosclérose inconstante. Fait remarquable, la cholestérolémie totale est peu modifiée, les enfants présentant une baisse très sévère des taux sériques de HDL à moins de 10 % de la normale. Il avait été longtemps suspecté qu’une protéine exprimée dans les macrophages pouvait jouer un rôle dans le transport inverse du cholestérol, en médiant l’efflux du cholestérol intracellulaire vers des accepteurs extracellulaires spécifiques : les HDLs.

La conjonction d’efforts de biologie cellulaire, notamment sur les macrophages par une équipe de Regensburg, et de cartographie du locus par un autre groupe allemand de Munster en 1998 a pointé vers un gène localisé sur le bras long du chromosome 9 humain. D’intenses recherches dans cette région du génome ont abouti à l’implication par plusieurs équipes européennes et nord américaines simultanément, en août 1999, du gène « orphelin » appelé ABC1, qui avait été précédemment cloné par une équipe française et localisé dans cette région en 1994. En effet, ABC1 doit son nom à son appartenance à la famille de transporteurs membranaires ayant une fonction ATPasique (Fig. 2). Cette très vaste famille comporte notamment le gène CFTR responsable de la mucoviscidose ou ABCR impliqué dans la rétinopathie de Stargardt [5]. De manière intéressante, les hétérozygotes dont le phénotype était mal précisé, étaient en fait porteurs d’une hypoalphalipoprotéiné- mie (HDL <0,35 g/L) à transmission dominante et d’une athérosclérose s’aggravant avec l’âge, ce qui pourrait représenter une proportion non négligeable de sujets coronariens à « cholestérolémie normale ». Conséquence pratique, cela remet en question la validité du dépistage des dyslipoprotéinémies à risque cardiovasculaire sur le seul dosage de la cholestérolémie totale.

LES DYSLIPOPROTÉINÉMIES À L’ÈRE DU POST-GÉNOME

Bien que les mécanismes et les gènes en cause soient très diversifiés, une grande ligne de partage détermine l’utilisation des données de la génétique moléculaire dans l’abord médical des dyslipoprotéinémies. Soit l’anomalie est clairement monogénique, soit elle ne l’est pas. Cela suppose une analyse préalable et affinée des différentes composantes personnelles et familiales qui déterminent une dyslipidémie chez un individu donné. Dans le cas des dyslipidémies monogéniques, il s’agit de reconnaître une maladie moléculaire particulière au même titre que différentes hémoglobinopathies par mutations des gènes codant pour les sous-unités de la globine. Ainsi, les

FIG. 2. — Structure de la protéine ABC1, déduite de la structure commune des transporteurs de type ABC. ABC1 comprend deux parties symétriques composées de six domaines transmembranaires suivis d’un domaine intracytoplasmique de liaison (Walker domains) et d’hydrolyse de l’ATP. ABC1 comporte en outre un très large domaine intermédiaire qui jouerait un rôle important dans l’efflux du cholestérol vers le cœur lipidique des HDLs.

hypercholestérolémies pures relèvent-elles d’au moins deux causes distinctes : des mutations du gène du récepteur LDL médiant l’endocytose des LDL ou de l’apo B-100, son ligand naturel. Bien qu’apparemment semblables dans leur présentation, la première (hypercholestérolémie familiale) est responsable d’une hypercholestérolémie permanente et sévère, alors que la seconde (déficience familiale en apo B-100) est plus variable dans le temps et s’accompagne d’une athérosclérose plus retardée.

De plus si la première nécessite une recherche longue et exhaustive de mutations sur toute la longueur de la séquence génique codant pour le récepteur LDL, la seconde est aisément dépistée sur quelques gouttes de sang capillaire déposées sur du papier buvard. Ainsi nous avons pu établir que la déficience en apo B-100 touchait environ 1 enfant hypercholestérolémique sur 31, ce qui représenterait environ 1/1 200 naissances en France. Quoi qu’il en soit, l’identification d’une anomalie monogénique permet de dater et de quantifier l’intensité de l’exposition au risque. En effet, une mutation du récepteur des LDL détectée chez un sujet de 35 ans indique une exposition permanente à un taux de LDL dépassant 1,5 à 2 fois la normale depuis la naissance soit 35 ans, ce qui distingue singulièrement ce patient de la population générale. Si les données des grandes enquêtes épidémiologiques ont authentifié un taux de LDL cholestérol supérieur au 95° percentile de la population comme

FIG. 3. — Risque relatif comparé de morbi-mortalité cardiovasculaire, chez les sujets de la population générale ayant un taux de LDL cholestérol élevé, dans la déficience familiale en apo B-100 (DFB) et dans l’hypercholestérolémie familiale (HF) avant l’âge de 40 ans [6].

pourvoyeur d’un risque relatif environ triplé de morbidité cardiovasculaire, le risque de mort subite associé à l’hypercholestérolémie familiale s’élève à 125 chez la femme et à 48 chez l’homme de moins de 40 ans, d’après les données du registre anglais de « Simon Broome » (Fig. 3).

Ces données incitent à la définition de stratégies ciblées sur ces patients à très haut risque, notamment pour le diagnostic moléculaire, car ils sont trop souvent confondus avec d’autres formes de dyslipidémies. De plus, à l’image de l’antibiothérapie qui nécessite une adaptation à la résistance du germe en cause, des données préliminaires ont montré que la cholestérolémie doit être abaissée dans les hypercholestérolé- mies monogéniques, à un niveau très inférieur aux niveaux recommandés dans la population générale. Enfin une maladie monogénique étant reconnue, l’affection peut être dépistée chez les apparentés asymptomatiques, qui relèvent d’un risque et donc d’une prise en charge médicale identique. Une enquête systématique aux Pays Bas a ainsi détecté en moyenne 5 apparentés atteints par sujet index atteint d’hypercholestérolémie familiale, dont 90 % s’ignoraient porteurs, et dont seuls 20 % étaient correctement traités parmi ceux qui se savaient hyperlipidémiques [7].

Dans le cas de dyslipoprotéinémies dites complexes ou polygéniques, ici encore la génétique moléculaire s’est avérée pourvoyeuse de nouveaux éléments spécifiques de prédiction d’athérosclérose. Les variants fréquents de l’apo E ou de la lipoprotéine lipase ont été les premiers exemples de facteurs génétiques de risque cardiovasculaire (risque relatif =2), à un niveau comparable à des facteurs de risque classiques

TABLEAU 2. — Effets des variants fréquents de la lipoprotéine lipase (LPL) sur les paramètres lipidiques et l’athérosclérose.

tels que l’hypertension artérielle ou le diabète, malgré de faibles effets lipidiques intra-individuels (Tableau 2). Ces variants sont aisément détectables par simple génotypage en routine et peuvent intégrer la panoplie des facteurs de risque contribuant au risque cardiovasculaire global. Dans le cas de l’apo E et de la LPL, à l’opposé de la Lp(a), ces facteurs sont modifiables par les traitements hypolipé- miants, notamment des conseils diététiques adaptés.

Récemment, le cas des variants fréquents de la CETP s’est avéré particulièrement intéressant. La CETP réoriente le transport du cholestérol vers les lipoprotéines riches en apo B et accélère le transport inverse du cholestérol par les HDL. Ainsi, le déficit partiel en CETP s’accompagne-t-il d’une augmentation des taux circulants de HDL (réputée protectrice) paradoxalement associée à un risque accru d’athérosclérose par défaut de transport inverse du cholestérol. Certains variants génétiques, fréquents au Japon ou la mutation Ile405Val fréquente chez les caucasiens, ont été identifiés comme d’authentiques facteurs de risque d’athérosclérose chez les sujets dont le rapport cholestérol total/ HDL est normal, et les taux de HDL cholestérol modérément augmentés [8]. Seule la détection de ce variant par génotypage permettrait d’identifier les sujets faussement interprétés comme protégés par des taux de HDL modérément augmentés. De plus, les mécanismes moléculaires peuvent être à la base de certaines formes secondaires d’hyperlipidémies. Chez les sujets recevant des antirétroviraux de type antiprotéases, l’inhibition de la dégradation de l’apo B dans le protéosome accélèrerait considérablement la sécrétion des lipoprotéines VLDL, ce qui contribuerait aux hypertriglycéridémies massives fréquemment rapportées chez ces sujets.

Enfin le domaine thérapeutique a grandement bénéficié de l’identification de nouvelles cibles moléculaires telles les SREBPs orchestrateurs de l’effet des statines, les récepteurs PPARs (Peroxisome Proliferator Activated Receptors) cibles des fibrates.

Dans le cas des statines, des molécules initialement ciblées sur un mécanisme identifié dans une forme rare de dyslipidémie, se sont avérées protectrices à une large
échelle (plusieurs centaines de milliers de patients inclus dans les études d’intervention) avec des effets qui dépassent non seulement le cadre des dyslipoprotéinémies mais aussi celui des maladies cardiovasculaires (effets immunomodulateurs, effets sur l’ostéoporose, voire dans la maladie d’Alzheimer). Elles ont permis d’identifier le rôle des facteurs d’environnement, notamment hormonaux ou nutritionnels, dans la prévention du risque athérogène. Ainsi, l’expression hépatique de l’apo E est très dépendante des estrogènes, ce qui contribue au profil lipidique protecteur de l’hormonothérapie substitutive de la ménopause. Enfin, l’utilisation du gènemédicament laisse envisager de futures stratégies de thérapie génique corrective des formes sévères de dyslipoprotéinémies.

CONCLUSION

Les dyslipoprotéinémies ont ouvert la voie à une nouvelle forme de pratique de la médecine dans la deuxième moitié du XXe siècle, celle de la prédiction et de la prévention de complications cardiovasculaires encore trop souvent mortelles.

Avec les données de la génétique moléculaire, un saut qualitatif décisif a été franchi donnant accès à la reconnaissance de ces affections comme d’authentiques entités nosologiques relevant de l’ajustement de thérapeutiques individualisées et ciblées.

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[7] Familial hypercholesterolemia. Report of a WHO consultation — WHO/Human Genetics Program. WHO, Geneva, 1998, 55 p.

[8] BRUCE C., CHOUINARD R.A. Jr, TALL A.R. — Plasma lipid transfer proteins, high-density lipoproteins and reverse cholesterol transport. Annual Review of Nutrition, 1998, 18 , 297-330.

DISCUSSION

M. Claude JAFFIOL

Traditionnellement, les facteurs génétiques responsables d’une maladie, ici une dyslipidémie, sont irrévocables alors que les facteurs d’environnement sont accessibles à des mesures thérapeutiques. En fait, une modulation des facteurs nutritionnels est-elle susceptible de modifier l’action des gènes sur la synthèse protéique, dans les affections lipidiques ?

Dans cette question se trouvent les récents enseignements de la génétique des dyslipoprotéinémies. Les gènes du métabolisme des lipides se sont avérés ne pas avoir le déterminisme implacable que l’on pouvait attendre mais, bien au contraire, ils constituent un jeu de possibles permettant de répondre de manière plus ou moins adaptée aux conditions de l’environnement, à l’instar des gènes du système immunitaire ou du système nerveux central. Ils nous ont de plus enseigné que l’organisation générale du métabolisme énergétique est très orientée vers l’épargne en parfaite adaptation à un mode de vie ancestral de chasseur-cueilleur. Avec l’adoption d’un mode de vie « occidental », marqué par la sédentarité et l’excès alimentaire, des formes génétiques, qui ont dû contribuer dans le passé à la survie, s’avèrent à présent pourvoyeuses d’une vulnérabilité cardiovasculaire.

M. Jean-Luc de GENNES

Dans les 750 mutations du gène du LDL récepteur actuellement décrites, peut-on reconnaître certaines mutations plus dangereuses que d’autres vis-à-vis de l’aggravation de la menace athérogène ?

Oui, très certainement, les mutations génétiques qui abolissent totalement la synthèse et l’expression des récepteurs des LDL en surface cellulaire, dites « allèles nuls » sont responsables de formes généralement plus sévères de la maladie, comparativement aux mutations qui préservent partiellement l’expression de récepteurs inefficients (allèles défectifs). Ainsi, les allèles nuls sont associés à un taux de cholestérolémie spontanée plus élevé, à une atteinte cardiovasculaire plus précoce et plus sévère, ainsi qu’à une moindre réponse aux traitements hypolipémiants comparativement aux formes d’hypercholesté- rolémie familiale hétérozygote ou homozygote, dues à des allèles défectifs. En pratique, cela signifie que l’analyse moléculaire apporte un élément de pronostic en complément des informations diagnostiques de certitude conférées par l’identification d’une mutation.

M. Pierre GODEAU

En l’absence d’une étude de génétique moléculaire systématique inutilisable en pratique de routine, peut-on considérer qu’un taux très élevé de HDL, par exemple égal ou supérieur à 1 g, est nécessairement suspect donc pathologique et indicateur d’un risque athéromateux accru ?

Les études moléculaires sont maintenant de pratique courante, dès lors que certains marqueurs ou variants sont validés dans la population générale sur de larges groupes humains représentatifs, telles les cohortes de Framingham ou de la ville de Copenhague.

Ainsi, dans le cas du HDL cholestérol, en est-il des variants de la lipoprotéine lipase qui sont associés à une baisse du HDL cholestérol et à une aggravation de la prédisposition à l’athérosclérose, notamment lorsque le régime alimentaire est enrichi en graisses saturées. De plus, comme nous l’avons vu dans l’exposé, le cas paradoxal de la CETP souligne que l’analyse moléculaire permet de repérer des anomalies qualitatives du métabolisme des lipoprotéines par-delà les anomalies quantitatives. Cet exemple souligne que l’accumulation dans le plasma de HDL incompétentes dans le transport inverse du cholestérol s’avère athérogène malgré une élévation modérée du taux de cholestérol HDL. Pour ce qui concerne les hyperalphalipoprotéinémies majeures, certaines causes indépendantes du déficit complet de la CETP, de la lipase hépatique ou de la Cubiline, restent à identifier afin de faire la part de celles qui sont pro — ou anti-athérogènes.

M. Jacques POLONOVSKI

Qu’y a t-il de nouveau sur les gènes et les mécanismes de rétro-contrôle de la synthèse endogène du cholestérol par le cholestérol exogène alimentaire ?

Le domaine du contrôle intracellulaire, et plus particulièrement intranucléaire du métabolisme lipidique, est un des plus prolifiques actuellement. Il a notamment permis d’identifier certaines cibles capitales dans le contrôle du trafic intracellulaire du cholestérol, tel que le transporteur endosomial déficient dans la maladie de Nieman-Pick de type C, ou les Sterols Responsive Element Binding Proteins (SREBPs) cibles des statines et contrôleurs de l’homéostasie énergétique intracellulaire, dont la surexpression pourrait, comme nous l’avons vu, favoriser l’insulino-résistance, le diabète et l’hypertriglycé- ridémie. Ces cibles intracellulaires, à l’image des récepteurs PPARs dont la description sera développée par le professeur Fruchart, sont une source féconde pour le développement des thérapeutiques efficaces et innovantes de demain.

M. Maurice TUBIANA

L’Académie avait demandé dans un rapport sur alimentation et cancer, publié dans le Bulletin, un meilleur étiquetage concernant les lipides dans les produits alimentaires. Vous venez de nous rappeler l’intérêt d’un régime pauvre en acides gras saturés dans la prévention de certaines maladies cardiovasculaires. Ne pensez-vous pas que le moment soit venu de rappeler au Ministère de la Santé et à la Commission Européenne, dont c’est maintenant la responsabilité, l’utilité d’un étiquetage semblable à celui pratiqué en Amérique du Nord, permettant à chaque consommateur de savoir ce qu’il mange et le cas échéant de réduire l’apport en graisse animale présente dans les produits alimentaires et les plats cuisinés vendus dans les circuits commerciaux et dont on ignore la richesse en graisse saturée et non saturée ?

Cette proposition va très certainement dans le sens d’une meilleure information du public et des patients sur les mesures hygièno-diététiques simples à adopter au quotidien pour combattre au long cours ces fléaux de santé publique que représentent les cancers et les maladies cardiovasculaires dans notre pays.

* Maître de Conférences des Universités — Praticien Hospitalier. Laboratoire de Biochimie et de Biologie Moléculaire. Hôpital Saint Antoine, 184 rue du faubourg Saint Antoine — 75012 Paris. Tirés-à-part : Docteur Pascale BENLIAN, à l’adresse ci-dessus. Article reçu le 11 décembre 2000.

Bull. Acad. Natle Méd., 2001, 185, no 1, 21-33, séance du 23 janvier 2001