Communication scientifique
Session of 6 février 2007

Mieux prescrire chez le sujet âgé en diminuant l’« underuse », la iatrogénie et en améliorant l’observance

MOTS-CLÉS : affection iatrogenique. observance de la prescription.. ordonnance medicale medicaments. sujet agé
Prescription to elderly patients : reducing underuse and adverse drug reactions and improving adherence
KEY-WORDS : aged. iatrogenic disease. patient compliance.. prescription dru

Sylvie Legrain

Résumé

La polymédication est, chez le sujet âgé, habituelle et souvent légitime, car liée à la polypathologie. Mais elle augmente le risque iatrogénique, diminue probablement l’observance des traitements, et a un coût élevé. Mieux prescrire chez le sujet âgé est ainsi un enjeu de santé publique. Le généraliste est le principal prescripteur chez les sujets âgés, car ceux-ci ont moins souvent recours aux spécialistes que les sujets plus jeunes. Les sujets polypathologiques et polymédicamentés sont le plus souvent exclus des essais cliniques. La thérapeutique gériatrique n’est pas une priorité de la formation médicale initiale et continue. Ceci ne permet pas aux médecins de prescrire de façon optimale. Plusieurs modalités de prescription sub-optimale chez le sujet âgé ont été décrites : l’excès de traitements « overuse », la prescription inappropriée « misuse » et l’insuffisance de traitement « underuse ». La iatrogénie médicamenteuse a un coût humain et économique très élevé chez le sujet âgé. Elle serait responsable de plus de 10 % des hospitalisations chez les sujets âgés, et de près de 20 % chez les octogénaires. Plusieurs études récentes montrent qu’une partie non négligeable de cette iatrogénie grave est évitable. Enfin les sujets âgés cumulent plusieurs facteurs de risque de mauvaise observance. Ce défaut d’adhésion thérapeutique, dont l’impact clinique est mal connu, nécessite la mise en place de stratégies complexes, centrées sur le patient.

Summary

Many elderly people take multiple medications, usually for multiple health disorders. This ‘‘ polymedication ’’ increases the risk of iatrogenic disorders, may affect adherence to treatment, and represents an economic burden for society. It is therefore essential to optimize drug prescription to the elderly. The general practitioner is most involved in treating the elderly, who tend not to consult specialists as frequently as younger adults do. Most elderly subjects with comorbidities and polymedication are excluded from clinical trials, and geriatrics is not considered a priority during medical training. Three suboptimal prescription modalities have been described in the elderly population : ‘‘ overuse ’’, ‘‘ misuse ’’, and ‘‘ underuse ’’. Adverse drug reactions are frequent in the elderly and have a major economic cost. They are behind about 10 % of hospital admissions over the age of 65, and 20 % over 80. Yet most advers drug reactions are preventable. The public health consequences of non adherence to drug therapy are poorly documented. Elderly people may have several risk factors for non adherence, and a combination of measures may be necessary to improve the situation.

La polymédication est, chez le sujet âgé, habituelle et souvent légitime. Mais elle augmente le risque iatrogénique, diminue probablement l’observance des traitements, et son coût est élevé. Mieux prescrire chez le sujet âgé est devenu ainsi un enjeu de santé publique.

L’USAGE DES MEDICAMENTS PAR LES SUJETS ÂGÉS, LES ENQUÊTES FAITES EN FRANCE

En 2001, les personnes âgées de plus de 65 ans représentaient 16 % de la population française, et 39 % de la consommation de médicaments en ville [1]. En 2003, selon les Comptes Nationaux de la Santé, le médicament représente 21 % de la consommation de soins et de biens médicaux pour une valeur de 30 milliards d’euros. Entre 2002 et 2003, l’augmentation en valeur des dépenses de médicament a été de 6,5 %.

Les dernières données de consommation médicamenteuse sont issues de l’enquête ESPS 2002, réalisée, un jour donné, chez les sujets âgés vivant à domicile, par l’Institut de Recherche en Economie de la Santé (IRDES) [2]. En 2002, le taux de consommateurs de produits pharmaceutiques (prescrits et non prescrits) sur une journée est de 85,6 % chez les sujets âgés de 65 ans et plus. 82,2 % ont consommé au moins un médicament prescrit, et 3,4 % au moins un médicament non prescrit. Le taux de consommateurs de pharmacie prescrite augmente avec l’âge (57,1 % de 50 à 59 ans, 74,9 % de 60 à 69 ans, 82,4 % de 70 à 79 ans et 87 % à partir de 80 ans). A l’inverse, le taux de consommateurs de pharmacie non prescrite diminue avec l’âge (5,9 % de 50 à 59 ans, 4,4 % de 60 à 69 ans, 4,1 % de 70 à 79 ans et 1,4 % à partir de 80 ans). Les sujets de 65 ans et plus consomment en moyenne 3,9 médicaments

Diagramme no 1 :

Source : CREDES, Enquête ESPS 2000 http : //www.irdes.fr différents en une journée. Ce chiffre s’élève à 4,4 pour les sujets âgés de 80 ans et plus.

Cette augmentation de la consommation médicamenteuse avec l’âge est relativement récente, comme en témoigne les enquêtes décennales INSEE — CREDES [3].

La consommation pharmaceutique est dominée par les médicaments à visée cardiovasculaire. D’après l’enquête ESPS 2000, 51 % des personnes de 65 ans et plus avaient acheté en un mois au moins un médicament cardiovasculaire [4].

Dans cette classe, viennent en tête les inhibiteurs de l’enzyme de conversion et les sartans, puis les hypolipémiants et anti-athéromateux, puis les digitaliques et les anti-arythmiques, et enfin les vaso-dilatateurs nitrés. La deuxième classe la plus prescrite était les médicaments du système nerveux central (incluant les antalgiques), 21 % des sujets âgés en avaient acquis dans le mois. On relevait ensuite les médicaments concernant l’appareil digestif (17 %), l’appareil locomoteur (16 %), et les psychotropes (16 %). Le premier poste médicamenteux, en terme de volume, était le Diantalvic® suivi du Kardegic®, du Doliprane®, puis du Vastarel®. Parmi les trente médicaments les plus achetés, il y avait six antalgiques, trois vaso-dilatateurs, et trois veinotoniques. Si les médicaments étaient classés en terme de dépenses, le Mopral® venait en tête, suivi du Zocor®, du Vastarel®, et du Tanakan®.

Une augmentation dans tous les domaines de la pharmacopée est notée entre 2000 et 2002 [4]. Ainsi, une polymédication apparaît dans les années 1990, dont le premier déterminant est la polypathologie, elle-même fortement liée à l’âge. Les
autres déterminants de la polymédication chez le sujet âgé sont liés à des facteurs culturels et au système de santé. La France est le pays ayant la plus forte consommation de benzodiazépines, alors que les Français ne semblent pas avoir plus de syndromes anxieux que les autres sujets occidentaux.

La littérature indique la polymédication, comme un facteur de risque indépendant de fréquence et de gravité des accidents iatrogènes chez le sujet âgé. 20 % des hospitalisations seraient liées, en tout ou partie, à un accident iatrogène médicamenteux chez l’octogénaire. Il est ainsi légitime, qu’en France, diminuer la iatrogénie médicamenteuse chez le sujet âgé soit devenu une priorité de santé publique. En témoigne le nombre important de rapports récemment publiés et la multiplicité d’actions en cours à l’initiative des principales instances concernées : les objectifs quantifiés 26 et 28 de la loi de santé publique promulguée le 9 Août 2004 ; le rapport de l’Afsapps sur la prévention de la iatrogénie [5] et celui de l’Office Parlementaire d’Evaluation des Politiques de Santé (OPEPS) sur le bon usage des médicaments psychotropes [6] ; les actions récentes menées auprès des prescripteurs et/ou des malades par la Caisse Nationale d’Assurance Maladie (Cnamts) [7], la Mutualité Sociale Agricole (MSA) [8, 9] mais aussi par les laboratoires pharmaceutiques via le Leem [10]. La Haute Autorité de Santé (HAS) en a également fait l’une de ses priorités, en établissant son premier référentiel sur le thème de la prescription médicamenteuse chez le sujet âgé de plus de 65 ans et polypathologique ou âgé de plus de 75 ans [11]. Il était temps, car cette thématique est ancienne, les premiers accidents iatrogènes médicamenteux chez le sujet âgé ayant été publiés dès les années 1960.

Mais, cet objectif louable de diminution de la iatrogénie a conduit parfois à un message simplificateur, à savoir la nécessité de diminuer le nombre de médicaments prescrits, sans prendre en compte l’ensemble des pathologies du sujet et l’efficacité ou non des médicaments prescrits.

LA PRESCRIPTION

Ainsi, trois modalités de prescription inappropriées chez le sujet âgé ont été décrites : l’excès de traitement « overuse », la prescription inappropriée « misuse » et l’insuffisance de traitement « underuse » [12]. Les indicateurs de qualité définis dans les pays anglo-saxons pour évaluer et optimiser la prescription chez le sujet âgé reprennent ces trois modalités.

Nous reviendrons surtout sur l’« underuse », thème trop méconnu en France. Il est défini comme l’absence d’instauration d’un traitement efficace chez les sujets ayant une pathologie, pour laquelle une ou plusieurs classes médicamenteuses ont démontré leur efficacité. De nombreuses pathologies sont sous traitées actuellement chez les sujets âgés et très âgés et ceci est souligné par de nombreux articles ou rapports anglo-saxons depuis cinq ans [13-23]. Les principales pathologies concernées sont les suivantes : l’hypertension artérielle systolique, au delà des 160 mmHg avec une
insuffisance de prescription de bi- voire trithérapies ; l’insuffisance coronaire, avec un déficit de prescription des anti-aggrégants plaquettaires et des bêta-bloquants ;

l’insuffisance cardiaque à dysfonction systolique, avec une sous prescription des inhibiteurs de l’enzyme de conversion ; l’arythmie complète par fibrillation auriculaire non valvulaire, avec une sous prescription des anti-vitamine K ; la dépression du sujet âgé, avec une insuffisance de traitement par antidépresseur ; l’ostéoporose fracturaire, avec la sous utilisation du calcium, de la vitamine D, et des bi-phosphonates ; les douleurs cancéreuses, avec la sous utilisation de la morphine.

Des études réalisées auprès des bénéficiaires du système Medicare de l’ensemble des états américains, se sont intéressées à la qualité des soins reçus par ces patients [15].

Parmi les vingt-deux indicateurs de qualité de soin retenus au niveau national, neuf concernent l’« underuse ». Il a été démontré, à deux ans d’intervalle, que la prescription de médicaments essentiels pouvait être améliorée, comme celle des β-bloquants et des antiagrégants plaquettaires en post-infarctus du myocarde [24].

Optimiser le traitement médicamenteux chez un sujet âgé, sans que ceci ne se traduise par une perte de chance, suppose donc une réévaluation concomitante de ses pathologies et de ses traitements, avec souvent la nécessité d’une réévaluation diagnostique.

Le réel impact de la iatrogénie médicamenteuse chez le sujet âgé reste mal évalué, en raison des limites des deux sources d’information disponibles : les centres de pharmacovigilance et les études épidémiologiques.

Il n’est pas possible d’estimer l’ampleur du problème à partir des notifications des prescripteurs aux centres régionaux de pharmacovigilance, ni sur un plan quantitatif, ni sur un plan qualitatif, et ce pour plusieurs raisons : les médicaments incriminés sont anciens et bien connus ce qui n’incite pas le prescripteur à déclarer l’effet indésirable ; l’imputabilité est souvent difficile à percevoir pour les cliniciens en raison de l’atypie des symptômes, ou des co-morbidités et des co-médications ; à l’inverse, les accidents idiosyncrasiques sont mieux notifiés, alors qu’il sont moins fréquents et surtout beaucoup moins évitables [25, 26]. L’importance de la iatrogé- nie médicamenteuse chez le sujet âgé ne peut donc être appréhendée que par la revue d’études épidémiologiques. La majorité des études de la littérature s’intéresse aux accidents iatrogènes graves, c’est-à-dire responsables, en tout ou partie, d’une hospitalisation, la prolongeant, ou ayant entraîné une invalidité permanente ou le décès [27] Peu de données concernent le recensement des accidents iatrogènes survenant en ambulatoire.

Il est difficile d’estimer avec précision, l’incidence, la gravité et a fortiori l’évitabilité de la iatrogénie dans cette tranche d’âge, en raison des limites méthodologiques des études.

L’OMS estime à 10 à 20 % le pourcentage d’hospitalisations liées à un accident iatrogène médicamenteux chez le sujet de plus de 65 ans. Une méta-analyse publiée en 2002 par Beijer et coll . [28] souligne l’hétérogénéité des résultats des 68 études observationnelles revues, tous âges confondus et publiées entre 1973 et 2000. Plus la
taille de l’échantillon de sujets est grande, plus le taux d’hospitalisation lié à un accident iatrogène est faible. Seules dix sept études, de petite taille (100 à 1988 sujets inclus) concernent les sujets âgés. Cette méta-analyse estime à 16,6 % (fi 0,8 %) le taux moyen d’hospitalisation lié à un problème médicamenteux chez le sujet âgé, versus 10,0 % (fi 2,4 %) chez l’adulte de moins de 65 ans. Mais, pour les auteurs, les études ne permettent pas de réelle estimation du risque chez le sujet âgé. Depuis 2000, la littérature s’est enrichie d’études prospectives de plus grande taille et de méthodologie plus fiable, mais très peu ont concerné le sujet âgé.

Pirmohamed et coll. [29] ont étudié de façon prospective 18 820 admissions consé- cutives de l’adulte, survenues dans deux hôpitaux anglais, l’un universitaire, l’autre général, de novembre 2001 et avril 2002. Le recueil de données a été très complet, et l’imputabilité des « Adverse Drug Reactions » (ADRs) a été validée par au moins deux médecins. 6,5 % des admissions (95 % CI, 6,2 %-6,9 %) étaient liées à un accident iatrogène, en tout (5,2 %) ou partie ; l’âge moyen des sujets admis pour iatrogénie était significativement plus élevé (66-76 ans) que celui des sujets admis pour une autre raison ; 95 % des ADRs étaient de type A ; 2,3 % des sujets ayant une ADR sont décédés, dont 54 % d’hémorragie digestive. L’acide acétyl-salicylique, seul ou associé était impliqué dans 61 % des décès. Les médicaments les plus impliqués étaient les anti-inflammatoires non stéroïdiens (au premier chef l’acide acétyl-salicylique, même à faible dose), les diurétiques et la coumadine. Des interactions médicamenteuses dangereuses étaient retrouvées dans 16,6 % des cas. L’évitabilité a été classée en trois niveaux : inévitable, possiblement évitable et certainement évitable. 72 % des accidents (70-75 ans) étaient potentiellement ou certainement évitables.

L’étude française prospective de Doucet et coll . [30] a été réalisée à partir de 2 814 admissions consécutives de sujets âgés de 70 ans et plus (âge moyen de 82,4 an fi |7,8 %). Elle a étudié 500 « Adverse Drug Events » (ADES) probables présents à l’admission. Les médicaments les plus souvent impliqués étaient ceux du système cardiovasculaire (43,7 %) et les psychotropes (31,1 %). Une interaction médicamenteuse était impliquée dans 60,6 % des accidents, une posologie excessive dans 14,8 %. Fait moins connu, car souvent non recensé dans les enquêtes, la survenue d’un événement intercurrent aigu, le plus souvent une déshydratation, était retrouvée dans 44,2 % des cas. 40,2 % des accidents ont été considérés comme évitables, comme certaines interactions médicamenteuses, un surdosage et l’interaction pré- visible avec une co-morbidité.

Une revue de littérature récente [31] consacrée à l’évitabilité des accidents iatrogènes survenant en milieu hospitalier recense dix études publiées entre 1994 et 2001, non ciblées sur le sujet âgé. Le taux d’évitabilité des accidents est de 35,2 % (écart type 18,7 %-73,2 %). Cette dispersion des valeurs traduit l’hétérogénéité des populations étudiées et des méthodes utilisées. Les médicaments cardio-vasculaires sont le plus souvent impliqués (17,9 % des ADE évitables). Les deux étapes les plus concernées au cours du séjour hospitalier sont la prescription et l’administration.

Une étude Australienne a étudié l’évolution des ADRs entre 1981 et 2002 chez les sujets âgés de plus de 60 ans [32]. Cette étude ne concerne que les ADRs responsables de l’admission ou ayant entraîné une augmentation de la durée de séjour. Elle a recensé 43 380 séjours hospitaliers associés avec une ADR. Le taux des séjours liés aux ADR augmentait fortement avec l’âge. Entre 1981 et 2002, les taux standardisés sur l’âge ont augmenté de plus de cinq fois, l’augmentation la plus nette survenant chez les octogénaires. En 2002, le taux était de 7,7/1 000 personne/année pour les sujets âgés de 60 à 69 ans et de 34,3 /1 000 personne/année pour ceux de 80 ans et plus. Les médicaments les plus fréquemment incriminés étaient les médicaments cardio-vasculaires (17,5 %), les antalgiques et antirhumatismaux dont les AINS (16,5 %), les agents touchant l’hémostase dont les anticoagulants (9 %), à part égale avec les antibiotiques. Enfin, les médicaments cardio-vasculaires étaient très fortement impliqués dans les accidents après 80 ans (21,7 % des séjours, et 12,5 % entre 60 et 69 ans). Le plus intéressant est l’évolution de l’implication des différentes classes médicamenteuses dans la survenue de ces accidents sur les vingt années étudiées. On peut noter le constant accroissement des accidents liés aux anticoagulants, arrivés en tête en 2002.

Il est difficile de se faire une idée des réels facteurs de risque d’accidents iatrogènes chez les sujets âgés vivant à domicile. Hajjar et coll . [33] ont défini un panel d’experts qui, à partir d’une revue de littérature et de leur expérience, ont pu définir vingt et un facteurs de risques avec la méthode de consensus Delphi. Ce panel d’expert comprenait cinq médecins et cinq pharmaciens. L’idée était d’identifier des facteurs indépendants liés aux risques d’accidents iatrogènes. Vingt et un facteurs ont été retenus, incluant douze facteurs liés aux médicaments et neuf caractéristiques du patient. Les auteurs soulignent l’importance d’établir la validité pronostique de ces facteurs de risque dans une population ambulatoire par des études à venir.

La iatrogénèse médicamenteuse chez le sujet âgé est un problème d’importance croissante comme en témoigne cette revue de littérature. La polymédication est un facteur de risque indépendant de fréquence et de gravité des accidents iatrogènes.

Les accidents impliquent de nombreuses classes médicamenteuses. Ils sont dans leur grande majorité des cas, de type A, dose-dépendants, donc très souvent évitables. Ils engagent le plus souvent le prescripteur, soit lors de la prescription initiale, soit dans la mise en œuvre des modalités de suivi des traitements.

L’OBSERVANCE

L’observance des traitements chez le sujet âgé, dans un contexte de polymédication croissante, doit être mieux évaluée, pour être améliorée.

L’observance des traitements est, en effet, un comportement complexe, difficile à mesurer et pour lequel il n’existe pas de « gold standard » [34-36]. Le terme observance est actuellement controversé, car il traduit une certaine asymétrie dans la relation médecin malade. Il lui est préféré le terme d’« adhésion au traitement »,
qui reconnaît l’autonomie du patient et requiert son accord aux recommandations données par les professionnels de santé. Une bonne observance d’un traitement n’est pas une fin en soi, mais le moyen d’atteindre un résultat thérapeutique satisfaisant.

L’observance des traitements est devenue un sujet de recherche, au milieu des années 1990, dans le domaine cardiovasculaire et chez les sujets porteur du virus VIH en raison de la lourdeur des tri-thérapies. Chez le sujet âgé, les études sont plus récentes.

Elles ont fait l’objet d’une revue récente [35], qui a mis en évidence leur hétérogénéité en terme de méthodologie, de populations et de maladies étudiées. Ainsi, le taux d’observance des traitements varie, selon la définition retenue et la méthodologie utilisée, de 26 à 59 % [34].

A notre connaissance, seules deux études se sont intéressées à la responsabilité d’un défaut d’observance dans l’hospitalisation des sujets âgés [28, 37]. Près de 10 % des hospitalisations chez le sujet de plus de 70 ans seraient en rapport avec un défaut d’observance, taux proche de celui de la iatrogénie. Il s’agit donc d’un enjeu de santé publique considérable. En milieu ambulatoire, une étude prospective a analysé 1 523 accidents médicamenteux survenus chez des sujets âgés sur un an. Ils ont été imputés à un défaut d’observance dans 21,1 % des cas [39].

L’âge en soi ne serait pas un facteur de mauvaise observance [34, 35]. La polymédication est le plus souvent retrouvée dans les études comme un facteur de risque indépendant, ainsi que certaines comorbidités : la dépression, les troubles cognitifs, mais aussi l’hypertension artérielle du fait de son caractère asymptomatique. A l’inverse, la sévérité de la maladie améliorerait l’observance des traitements.

Le défaut d’observance est souvent intentionnel chez le sujet âgé, mais sans doute moins que chez l’adulte jeune, en raison du rôle plus important des oublis [34]. Il n’y a pas d’étude réalisée chez l’octogénaire permettant de mieux évaluer l’impact des troubles cognitifs. De plus, les sujets ayant une démence sont souvent aidés dans leur prise par un aidant familial ou professionnel.

Les liens entre la connaissance des traitements et l’observance ont fait l’objet de nombreuses publications. Ils sont complexes [34, 40]. Une meilleure connaissance du schéma thérapeutique améliorerait l’observance, alors qu’une meilleure connaissance des effets indésirables pourrait la diminuer. Cependant, de nombreuses recommandations insistent sur l’importance de l’information à délivrer au malade pour améliorer sa connaissance des traitements, et sur la formalisation de celle-ci [34, 40, 41].

La complexité du traitement est un facteur de risque indépendant de mauvaise observance. Une prescription par un spécialiste conduirait à une meilleure observance que celle d’un généraliste. Mais, il reste beaucoup d’inconnues sur les facteurs qui gouvernent l’observance des traitements chez le sujet âgé [34, 35].

Les données actuelles de la littérature soulignent qu’il faut combiner plusieurs stratégies pour améliorer l’observance du traitement médicamenteux chez le sujet
âgé [34-36]. Ces stratégies ne doivent pas être standardisées, mais doivent prendre en compte les croyances du patient, ses préférences et ses habitudes de vie. Les traitements doivent être revus dans leur globalité afin de diminuer le nombre de médicaments inutiles. Les schémas thérapeutiques doivent être simplifiés, le packaging adapté. Le rôle du prescripteur dans son rôle de conseil doit être renforcé. Le rôle du pharmacien est sans doute positif et mérite d’être précisé [36] Dans la prise en charge de l’insuffisance cardiaque, des interventions multidisciplinaires se sont traduites par des résultats encourageants [42].

En conclusion, le médicament est avant tout une chance pour les sujets âgés. Mais la complexité de l’acte de prescription chez le sujet âgé polypathologique, couplée à une insuffisance de formation des médecins dans ce domaine, expliquent l’importance de la iatrogénie, pourtant en majorité évitable.

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DISCUSSION

M. Jacques-Louis BINET

Des essais thérapeutiques sont-ils actuellement menés dans votre service ?

Oui, nous avons obtenu le financement par le biais du PHRC 2006 d’un projet appelé OMAGE. Ce projet est un essai multicentrique d’intervention randomisé de huit-cents malades. L’intervention multifacette envisagée prévoit d’optimiser la prescription des malades hospitalisés avant leur sortie de l’hôpital, d’éduquer les patients et/ou leur aidant et enfin de mieux coordonner leur sortie de l’hôpital avec la ville, les soins de suite ou les maisons de retraite. Le critère de jugement est la diminution de réhospitalisations à six mois en urgence. Nous pensons en effet qu’il manque actuellement du personnel dans les unités gériatriques aiguës pour permettre une sortie dans de bonnes conditions des sujets très âgés hospitalisés en urgence. Il paraît judicieux d’augmenter la densité sur ces lits d’hospitalisation plutôt que d’augmenter le nombre de lits sans avoir la densité suffisante pour éviter une réhospitalisation. Ce projet est centré autour du médicament et donc de la prévention de la iatrogénie, de l’amélioration de l’observance mais aussi de l’underuse.

M. Louis HOLLENDER

Vous m’avez dit que chez le sujet âgé, il était souhaitable que le médecin ne prescrive pas de générique et que le pharmacien ne fasse pas usage de son droit de substitution. Cette notion étant originale et nouvelle, pourriez-vous nous donner davantage de précisions et expliciter votre propos ?

Je pense que chez le sujet polypathologique polymédicamenté, l’observance est très directement liée à la simplification dans la prise de l’ensemble des traitements médicamenteux. Il est clair qu’actuellement le passage aux génériques est une source réelle de confusion. Ceci est d’autant plus évident que souvent la galénique des génériques change
d’un mois sur l’autre, dans une même pharmacie de ville, pour des raisons de marché.

Dans ce contexte, il peut arriver que le patient âgé se retrouve certains mois avec deux ou trois gélules blanches. Il a déjà été décrit des cas de iatrogénie sévère avec par exemple le cumul d’un IEC type Renitec et la prescription à la sortie de l’hôpital du générique. Je pense donc que chez les sujets qui ont le plus de médicaments et qui sont les plus fragiles il faudrait écrire sur l’ordonnance « médicaments non substituables » pour protéger le patient d’une iatrogénie probable. Ceci est cependant une position personnelle.

M. Charles-Joël MENKÈS

Les travaux de Madame Chapuy, dans l’équipe du professeur Pierre Meunier ont montré l’importance de la prescription de vitamine D et calcium pour prévenir la fracture du col du fémur. Avez-vous noté si les sujets âgés étaient régulièrement supplémentés en vitamine D et calcium ?

Il existe une grande variation d’un service à l’autre sur les supplémentations vitaminocalciques des sujets très âgés. Ce qui est déjà préconisé est actuellement une diffusion assez large des dosages de vitamines D pour permettre déjà une supplémentation par des doses de charge en vitamine D. On considère ainsi que pratiquement tous les patients vivant en institution ont une carence vraie en vitamine D. Il n’existe pas, je crois, de consensus sur la dose annuelle à apporter de vitamine D dans un but préventif entre deux et quatre ampoules d’Uvedose (100 000 ui/an). Concernant le calcium, sous forme médicamenteuse, le problème est souvent sa mauvaise tolérance digestive.

M. Claude JAFFIOL

L’aliment est un élément essentiel de la thérapeutique. Quelle est la place des mesures hygiénodiététiques et des erreurs concernant les apports hydrosodés dans la iatrogénie ?

Quel est le risque des régimes abusifs chez les sujets âgés ?

Je considère, et ceci sera l’un des points majeurs dans l’action que nous allons mener dans le cadre du PHRC OMAGE, que le problème des apports alimentaires en eau, en sel, en aliments protidiques et en apports caloriques est un enjeu essentiel de la prévention des réhospitalisations et de la diminution de la morbi-mortalité des sujets très âgés. En effet, il existe dans ce domaine à la fois une insuffisance de formation médicale et beaucoup d’idées reçues chez les sujets âgés : « comme je suis âgé, j’ai moins de besoins caloriques et donc je peux moins manger » et il arrive très souvent que nous voyons des sujets très dénutris dont l’amaigrissement est survenu insidieusement. A l’inverse, nous voyons aussi des sujets âgés obsessionnels suivant à la lettre des régimes restrictifs sources de fonte musculaire mais aussi d’hypoglycémie chez les patients diabétiques traités. Il y a donc lieu d’améliorer là aussi l’éducation des patients et de leurs aidants avant la sortie de l’hôpital. Ceci doit aller de pair avec une meilleure formation des médecins dans le domaine de l’alimentation, trop peu de sujets très âgés sont régulièrement pesés. 60 % des réhospitalisations des insuffisants cardiaques âgés sont liées à des erreurs hygiénodiététiques ou à une mauvaise observance de leur traitement médicamenteux.


* Gériatrie — Groupe Hospitalier Bichat, Claude Bernard, 46, rue Henri Huchard, 75018 Paris. 1. La définition proposée pour ‘‘sujet âgé’’ comprend les personnes de plus de 75 ans, ou de plus de 65 ans et polypathologiques. Tirés à part : Professeur Sylvie LEGRAIN, même adresse Article reçu et accepté le 29 janvier 2007

Bull. Acad. Natle Méd., 2007, 191, n 2, 259-270, séance du 6 février 2007