Professeur émérite d’hématologie à la faculté catholique de Louvain, M. Jean-Louis Michaux est Membre associé étranger de l’Académie de Médecine. Sa carrière de clinicien se double de celle d’un musicologue, auteur de Solitude Bartock, l’énigme Schubert, et surtout « le cas Beethoven, le génie et le malade » paru à Bruxelles 1999, couronné par l’Académie française, maintenant épuisé sans jamais avoir été présenté ici.
L’ouvrage dont nous parlons est une réédition enrichie de nouveautés concernant la partie médicolégale, la correspondance, la bibliographie. Des chapitres nouveaux ont été ajoutés. C’est un livre excellent qui témoigne d’un véritable talent d’historien de son auteur. Son objectif est de « Préciser le rôle joué par la maladie dans la créativité de Beethoven ». Il se divise en quatre parties : deux pour sa biographie, deux consacrées à ses maladies.
Jean-Louis Michaux ouvre la première partie par quatre informations concernant l’origine et la jeunesse du musicien. Bien que né à Bonn en 1770, il était de souche flamande, Son grand père, organiste, chef de chœur et aussi marchand de vin dans un village entre Bruxelles et Louvain émigra à Bonn
La seconde information concerne la pénible enfance du compositeur: Son père, un chanteur et organiste violent et alcoolique, lui faisait travailler son piano de nuit comme de jour voulant en faire un second Mozart, mais il sombra dans l’ivrognerie et disparut. A 17 ans le jeune homme perdit sa mère adorée qui lui demanda sur son lit de mort de devenir chef de famille, en charge de ses deux frères et de sa petite sœur. Il n’a alors que les maigres ressources d’organiste adjoint de la cour.
Aidé par plusieurs bienfaiteurs qui admirent ses talents et son vieux professeur d’orgue, il peut se produire en concert et composer dès sa douzième année. Rencontré par hasard, Joseph Haydn (1732- 1809) le fit venir à Vienne en 92 et lui donna des leçons gratuitement. Si Beethoven n’a écrit a première symphonie qu’à trente ans il avait déjà composé à Bonn un trentaine d’œuvres remarquables.
J.L. Michaux nous décrit un adolescent renfermé, méfiant, en proie à des sautes d’humeur injustifiées et grossières avec ses amis et même avec ses propres bienfaiteurs. Comment ne pas y voir le résultat d’une jeunesse éprouvante ? Et des efforts qu’il déploya pour progresser, notamment en s’inscrivant tardivement à l’Université ?
La seconde partie de l’ouvrage concerne la maturité du compositeur de sa 27è année(1797) à sa mort en 1827.Il est très apprécié à Vienne soutenu par Haydn. La prise de conscience vers 26 ans d’une surdité progressive va bouleverser sa vie. En témoigne le Testament d’Héligenstat, retrouvé après sa mort, reproduit intégralement en annexe. Sur les conseils de son médecin, il est allé se reposer dans ce charmant village de la banlieue de Vienne. Ce texte signé du 6 octobre 1802 laisse apparaitre les conséquences d’un mal inexorable ! Désastreux pour un compositeur : le découragement, le désespoir, les idées de suicide. La grande Sonate pathétique date de cette période(1799). Puis brusquement le ton du testament change : il s’engage à lutter, à se révolter, repoussant l’idée de ne jamais retrouver la joie. Ce diptyque ne devint –il pas le programme de sa maturité ? Comme si il avait eu un effet cathartique. Après une interruption, il s’ensuivit une période créatrice féconde avec les premières symphonies jusqu’à la célèbre cinquième en 1807 et la Pastorale un an plus tard.
En bon biographe, J.L. Michaux donne des détails dur la vie du compositeur : un grand travailleur levé dès l’aube souvent désordonné voire même négligé simple dans sa façon de vivre , mais qui a toujours trop aimé le bon vin, Michel Germain dans son livre « musiciens célèbres malades » détaille d’après des sources dignes de foi sa consommation journalière excessive de bière et de vin. Républicain et patriote, il déchira la dédicace à Bonaparte de sa troisième symphonie quand celui-ci s’est proclamé empereur, et la dénomma « héroïque ». Invité, il refusa toujours de jouer devant des officiers français. En revanche il accepta les marques d’honneurs du congrès de Vienne qui le reçut en grande pompe. Bien qu’il brisât souvent ses liens d’amitié, le compositeur resta fidèle à un de ses élèves : l’Archiduc Rodolphe, 16è enfant de l’empereur, futur cardinal, à qui il dédiera le célèbre trio et la Missa solemnis. Quant à ses amours elles restèrent plus à l’état de liens de projets que de liaisons vraies. Un fait d’importance est à souligné : Beethoven fut un pianiste virtuose et un grand improvisateur Il a accompli des tournées de concerts à Prague, Berlin. Ses mains, jusqu’à sa mort furent indemnes de troubles neurologiques : ce qui élimine le diagnostic de saturnisme.
1815 marque selon J.L. Michaux le début d’une nouvelle période dans la vie du compositeur .A 45 ans sa surdité est totale, même en se plaçant au centre de l’orchestre ; il ne perçoit rien et compose mentalement ; il communique par ses cahiers de conversation. Beethoven entre alors dans un période difficile. Son frère Gaspar est mort en 1815, laissant un garçon de huit ans Karl dont il revendique le tutoriat, arguant de l’immoralité de sa mère. S’ouvre alors, comme dit l’auteur « un interminable feuilleton judiciaire ». Sa santé s’altère, il s’isole et se mure dans le silence. Cette fin de vie voit naître de très grandes œuvres : la neuvième symphonie accueillie triomphalement, les derniers quatuors écrits sur commande, la Missa solemnis dédiée à l’archiduc Rodolphe, la dernière sonate opus 111 qui se termine dans une grande sérénité, la béatitude la joie enfin retrouvée !
Les deux autres parties du livre traitent des maladies du compositeur, elles ont fait l’objet de centaines d’articles ! J.L. Michaux en a scrupuleusement dressé l’inventaire -critique faisant apparaitre souvent des théories indéfendables et contradictoires. Nous aborderons les étiologies possibles selon trois circonstances ; la mort, la surdité, une hypothétique maladie chronique. Beethoven est mort il y a presque 180 ans, le 26 mars 1827, très amaigri subictérique, atteint d’une volumineuse ascite ponctionnée déjà à plusieurs reprises depuis décembre. Il sombra progressivement dans un coma de type « Encéphalopathie hépatique » compliqué d’une possible surinfection.
J.L. Michaux reproduit le compte –redu de l’autopsie faite le lendemain à la maison selon la volonté du défunt. Elle mit en évidence une cirrhose très atrophique du type Laënnec dont l’alcoolisme est pour l’auteur la cause la plus probable L’autopsie révéla encore de calculs vésiculaires et rénaux, une splénomégalie, une pancréatite. Bien sûr, on ne peut éliminer formellement une cirrhose posthépatitique ou par auto-anticorps, le Dr. Pierre Brissot, un spécialiste de cette question, que j’ai consulté, et que je remercie, affirme qu’il ne peut s’agir d’une hémochromatose. La cirrhose alcoolique reste donc la cause la plus vraisemblable.
La surdité bilatérale développée insidieusement vers 25 ans évoque l’otospongiose, c’est également l’avis « mesuré » de notre collègue Claude –Henri Chouard que je remercie d’avoir répondu a mon interrogation sous forme d’un remarquable texte. Une surdité d’origine auto immune aurait comporté selon lui, sans doute des signes vestibulaires. Les rochers ont été prélevés mais ils ne furent jamais retrouvés.
Reste la question d’une maladie générale traduite par des diarrhées, des douleurs abdominales. S’agit- il de coliques hépatiques, d’une pancréatite chronique ?
La dernière partie du livre, propre a cette réédition, relate l’extraordinaire épopée tragi-comique des quelques cheveux du monstre sacré, recueillis par un admirateur idolâtre, dont le précieux médaillon de cristal et de bois précieux passa de mains en mains dans toutes les générations d’une famille. La grande presse américaine s’empara de cette aubaine « Beethoven, c’est le plomb ! » Des experts américains renommés cités par J.. Michaux réduisirent cette légende à zéro.
Voici un livre très documenté que les admirateurs de Beethoven se devront de posséder. Chacun aura son avis sur les rapports de sa surdité et l’expression de son génie difficiles à affirmer. Je ne manquerai pas de mentionner l’intérêt des extraits de textes de Beethoven et les biographies de ses médecins fournis en annexe et de souligner la qualité de l’iconographie dont une belle illustration en couverture, due à la petite fille de l’auteur. Rappelons que la composition musicale repose essentiellement sur le chant interne ou représentation mentale de la musique dont on a mis en évidence récemment le centre dans l’hémisphère cérébral droit beaucoup plus que sur les perceptions sensorielles. Il est permis d’élever le débat : l’auteur pense que, la surdité de Beethoven, fut le ferment d’une lutte désespérée et véhémente pour exprimer son exceptionnel génie créateur. On peut faire remarquer néanmoins que dès son adolescence le compositeur fit la preuve d’une fermeté de caractère, d’un dynamisme hors du commun et d’une intarissable puissance créatrice.
Télécharger la présentation d’ouvrage (PDF)
Version pre-print