Résumé
A l’aube de ses 120 ans, l’Institut Pasteur renforce ses compétences pour faire face aux défis d’aujourd’hui, notamment l’émergence ou la réémergence de nouvelles maladies (chikungunya, grippe aviaire…) et la lutte contre des maladies infectieuses majeures, comme le sida, le paludisme.
Summary
The Pasteur Institute, founded nearly 120 year ago, is again mobilizing to control emerging and re-emerging infectious diseases (chikungunhya, avia ‘flu, etc.) and also to fight major ‘‘classical’’ infections like AIDS and malaria.
La lutte contre les maladies infectieuses a fait l’objet de progrès considérables au cours du XXe siècle (amélioration des conditions d’hygiène, vaccins et antibiotiques).
Dans ces avancées spectaculaires, l’Institut Pasteur a eu un rôle déterminant, avec notamment la découverte de nombreux agents infectieux bactériens et viraux et le développement de la vaccination.
Aujourd’hui, plus de la moitié des quelques cent-trente laboratoires de recherche se consacrent à la recherche sur ces maladies, des plus répandues (sida, tuberculose, paludisme) aux maladies émergentes ou réemergentes (chikungunya, grippe aviaire, fièvre du Nil occidental…), en passant par les cancers d’origine infectieuse (cancers du foie, de l’estomac ou cancers du col de l’utérus, par exemple) et les maladies dites « négligées » (ulcère de Buruli, maladie de Chagas, leishmanioses…).
Les recherches, associées aux préoccupations de santé publique, ont pour objectif de décrypter le fonctionnement intime des micro-organismes et des infections qu’ils provoquent, de comprendre comment ils interagissent avec leur hôte et de développer de nouveaux diagnostics, des traitements et des vaccins.
La lutte contre les maladies infectieuses passe aussi par la veille épidémiologique, le développement des réseaux d’information et d’alerte. C’est la mission de plusieurs laboratoires experts. L’Institut Pasteur en France abrite en effet vingt centres nationaux de Référence désignés par le Ministère de la Santé, et huit centres collaborateurs de l’Organisation Mondiale de la Santé. A l’étranger, de nombreux laboratoires du Réseau international des Instituts Pasteur jouent également ce rôle et ce Réseau, implanté sur les cinq continents, joue un rôle majeur dans la veille à l’échelle globale.
L’émergence ou la réémergence n’est pas une nouveauté pour l’humanité. On peut citer l’exemple de la variole ou de la rougeole qui ont décimé les indiens d’Amérique après l’arrivée des européens au XVIe siècle. Plus récemment, le sida qui était une maladie émergente dans les années 1980 est devenu un fléau mondial qui affecte tout particulièrement les populations et les pays les plus démunis et sur lequel l’Institut Pasteur est toujours très mobilisé.
Aujourd’hui, des maladies que l’on croyait disparues réapparaissent, de nouvelles émergent. Des bactéries résistent aux antibiotiques, des parasites à certains médicaments. Ces dernières années ont connu une recrudescence de ces phénomènes, et toutes les conditions existent aujourd’hui pour que nous ayons à faire face très régulièrement à ces émergences.
Des avancées récentes illustrent la mobilisation de l’Institut Pasteur contre ces maladies. Dans cette courte présentation, j’illustrerai mon propos par deux exemples.
Des équipes pluridisciplinaires contre le virus chikungunya
Dès le début de l’épidémie de chikungunya dans l’océan Indien, en 2005, le centre national de Référence des Arbovirus de l’Institut Pasteur a été mobilisé : il a notamment confirmé l’implication du virus dans l’épidémie à La Réunion, aux Seychelles et à Madagascar, en collaboration avec l’Institut de Médecine Tropicale du Service de Santé des Armées. Il a aussi réalisé un diagnostic sérologique de première ligne sur plus de deux mille prélèvements. Ses techniques de diagnostic ont été transférées aux laboratoires privés et hospitaliers, tandis qu’il était chargé de l’investigation des cas graves et des femmes enceintes.
Début 2006, devant la flambée exceptionnelle de l’épidémie, une douzaine d’équipes de l’Institut Pasteur s’est mobilisée pour lancer des recherches sur les différents aspects de l’infection : mise au point d’outils de diagnostic, séquençage et caracté- risation de souches isolées dans l’Océan Indien, recherche des facteurs de leur virulence, étude de la pathogénie de l’infection chez l’homme, identification des cellules humaines cibles de l’infection, développement de vaccins et étude de la compétence vectorielle du moustique Aedes albopictus …
L’origine et l’évolution du virus chikungunya dans l’Océan Indien ont ainsi été retracées grâce au séquençage du génome de six souches virales isolées chez des malades de La Réunion et des Seychelles, ainsi qu’au séquençage partiel du gène codant une protéine du virus chez cent vingt-sept patients de La Réunion et des îles voisines (Madagascar, Seychelles, île Maurice, Mayotte).
L’ensemble des recherches s’est appuyée sur la collecte dans l’île de La Réunion de larves de moustiques pour les élever dans un laboratoire sécurisé, le renforcement des compétences en virologie de l’Institut Pasteur de Madagascar et le développement des collaborations avec les cliniciens de l’Hôpital Sud de La Réunion à Saint-Pierre. Depuis deux ans les résultats suivants ont été obtenus et de nombreuses pistes de recherche sont ouvertes.
Investigations dans l’Océan Indien et en France
Ainsi, concernant le virus, les équipes de l’Institut Pasteur ont montré qu’une mutation du virus chikungunya pourrait en partie expliquer l’explosion épidémique du début 2006 dans l’Océan Indien.
Concernant le moustique, les résultats suggèrent la possibilité d’une transmission verticale du virus de la femelle du moustique infectée à sa descendance. La capacité des moustiques présents dans le sud de la France à transmettre le virus a également été évaluée.
Des cellules cibles du virus
D’autre part, les cellules cibles du virus ont été identifiées pour la première fois. Ces travaux devraient permettre de tester des médicaments en culture cellulaire, en vue de sélectionner ceux qui inhibent l’infection des cellules cibles.
Le premier modèle animal
Le premier modèle murin de l’infection au virus chikungunya, capable de mimer les formes bénignes et les formes graves de la maladie a été développé. Ceci permet de déterminer quels tissus et cellules étaient touchés par le virus dans chacun de ces deux cas. Le développement d’un tel modèle animal constitue une avancée importante, non seulement au plan physiopathologique, mais aussi parce qu’il permettra de tester de futurs vaccins et traitements contre la maladie.
Une autre maladie émergente, la dengue
Les virus responsables de la dengue sont transmis à l’homme par le moustique Aedes . Au cours des trente dernières années, cette maladie s’est répandue à de très nombreuses régions du globe. Aujourd’hui, d’après l’Organisation Mondiale de la Santé, soixante à cent millions de personnes sont infectées chaque année dans le monde. La forme grave de la maladie, la dengue hémorragique, est en recrudescence dans plusieurs régions intertropicales. Elle est responsable de plus de vingt mille morts annuelles, particulièrement chez les enfants de moins de quinze ans.
La dengue est une maladie très étudiée à l’Institut Pasteur, plusieurs équipes y développant des thématiques complémentaires et pluridisciplinaires dans les domaines de la recherche fondamentale comme appliquée (diagnostic, thérapies, vaccinologie).
Ainsi, ces équipes viennent de mettre au point et de démontrer la validité d’un nouveau candidat-vaccin pédiatrique contre la dengue. Leurs travaux livrent des résultats prometteurs pour la lutte contre cette maladie et contre laquelle il n’existe toujours aucun traitement spécifique.
En complément, le centre national des Arbovirus, également centre collaborateur de l’OMS est notamment chargé de la surveillance des cas de dengue importés en France métropolitaine.
Des études sont également menées au sein des Instituts Pasteur du Réseau international qui présentent l’avantage majeur de constituer une structure solidement implantée et reconnue en proximité des zones et populations exposées au virus.
Également à l’international, et pour mobiliser plus largement les équipes impliquées dans le monde, l’Institut Pasteur est aussi l’institution coordonnatrice du programme international DENFRAME qui est financé par l’Union Européenne depuis fin 2005. Ses objectifs sont de proposer de nouveaux outils de diagnostic précoce de la dengue, une meilleure compréhension des mécanismes de défense de l’hôte contre le virus et la recherche de molécules anti-virales en partenariat avec treize institutions, centres de recherche et universités en Asie du Sud Est, en Europe et en Amérique Latine.
Comprendre et traiter les maladies neurologiques du vieillissement
Le vieillissement considérable de notre population est lui aussi une source de déficits et de maladies que l’on peut considérer en émergence tant leur nombre est en forte croissance. Parmi eux, les atteintes neurodégénératives du système nerveux et celles des organes sensoriels occupent une place majeure. Ainsi, les projections indiquent qu’en 2020, en France, environ un million trois cent mille personnes âgées seront atteintes de maladie d’Alzheimer et six millions de surdité.
L’Institut Pasteur a engagé depuis plusieurs années des recherches pour comprendre et traiter ces atteintes du système nerveux. En s’appuyant sur l’expertise acquise des maladies neurologiques et psychiatriques, principalement héréditaires, du sujet jeune (maladie neurodégénérative de l’enfant — autisme — surdité — addiction au tabac et autres drogues) plusieurs équipes de l’Institut Pasteur ont établi une maîtrise technologique et conceptuelle qu’elles mettent aujourd’hui en œuvre pour la compréhension des maladies liées au vieillissement.
De surcroît, des approches thérapeutiques dédiées sont développées, qui couvrent :
— la thérapie génique (essai clinique pour la maladie neurodégénérative du sujet jeune) — la thérapie cellulaire avec reprogrammation des cellules neurales progénitrices présentes dans le cerveau, qui seront guidées vers les sites lésionnels.
Pour répondre encore mieux à ces défis, l’Institut Pasteur crée un nouveau centre de recherche sur son campus parisien qui développera des approches innovantes et pluridisciplinaires.
L’un des objectifs essentiel est d’appréhender la complexité des interactions entre les agents pathogènes, leurs vecteurs et l’homme. L’approche de cette complexité est de plus en plus accessible, grâce au développement de nouvelles technologies de pointe.
Il s’agit notamment de l’imagerie cellulaire et moléculaire, de la biologie structurale et de la biophysique, ou encore de la génomique et protéomique intégratives.
La maîtrise de ces technologies nécessite la constitution d’équipes pluridisciplinaires associant spécialistes de la biologie cellulaire, moléculaire et structurale pour mettre en œuvre des approches expérimentales et « in silico » (modélisation et bio-informatique) permettant d’acquérir et d’interpréter des volumes considérables de données.
L’objectif est d’accroître la compréhension des mécanismes fondamentaux pour aboutir à la mise au point de nouvelles méthodes de diagnostic et préventives ainsi que des approches thérapeutiques innovantes pour lutter efficacement contre les maladies infectieuses.
Les domaines d’application concernent en premier lieu les nouvelles émergences de maladies infectieuses mais également les résistances aux agents anti-infectieux ou des cancers d’origine infectieuse.
Ce nouveau centre sera constitué :
— d’équipes de recherche pluridisciplinaires associant science expérimentale et modélisation, bio-informatique et calcul scientifique.
— de plates-formes technologiques de soutien en interface avec les équipes, notamment en imagerie statique et dynamique, en biologie structurale et biophysique.
— un plateau technique de laboratoires spécialisés pour étudier et observer les interactions entre les agents pathogènes et leurs hôtes.
Ce nouveau centre de recherche qui devrait être ouvert en 2011 pourra accueillir environ quatre cents scientifiques, ingénieurs et techniciens. Il a été conçu pour favoriser l’interdisciplinarité et les découvertes à la frontière des différentes thématiques et faciliter la mobilisation et la réactivité vis-à-vis des maladies émergentes et réemergentes auxquelles nous aurons à faire face.
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DISCUSSION
M. Pierre DELAVEAU
Quel est le fonctionnement financier de l’Institut Pasteur ?
L’Institut Pasteur est une fondation privée reconnue d’utilité publique. Le budget est constitué de subventions publiques (environ 27 % du budget), de mécénat et de revenus du patrimoine (30 %), de contrats de recherche (environ 16 %) et de redevances industrielles et autres ressources propres (27 %).
M. Gérard MILHAUD
Quelles sont actuellement les relations industrielles de l’Institut Pasteur ? Quelle est leur contribution à votre budget ?
Les relations industrielles sont nombreuses aussi bien avec les grandes entreprises internationales qu’au travers des « start up » créées avec une implication forte de chercheurs de l’Institut Pasteur. L’Institut Pasteur vient d’être labellisé Institut Carnot pour les thématiques concernant l’infectieux, ce qui devrait encore enrichir ces relations. Les relations industrielles contribuent pour environ 20 % du budget.
M. André-Laurent PARODI
Un laboratoire de microbiologie vétérinaire a existé à l’Institut Pasteur à Paris. Il a disparu.
Alors que 80 % des maladies infectieuses de l’homme, nouvellement apparues, sont d’origine animale, on peut s’interroger sur le bien-fondé de cette disparition. Peut-être faut-il y voir le caractère interspécifique de la recherche et de la lutte contre les maladies infectieuses ?
Clairement, l’animal constitue un réservoir de maladies infectieuses dans le domaine des maladies émergentes en particulier et nous collaborons avec les spécialistes des maladies infectieuses chez l’animal. Nous avons récemment mis en place des projets communs avec l’INRA sur ces thématiques et renforçons également nos relations avec l’école vétérinaire d’Alfort. Nous avons également plusieurs collaborations en cours avec les spécialistes des maladies infectieuses animales.
M. Jean-Luc de GENNES
Quelle est votre action sur la résistance aux antibiotiques ? Et quels sont les résultats ?
Nous conduisons à la fois des activités de recherche et de surveillance sur ce sujet très important, aussi bien à l’Institut Pasteur que dans les instituts du réseau international.
Plusieurs unités travaillent sur la résistance aux antibiotiques, comme celle dirigée par Patrice Courvalin.
M. Marc GENTILINI
La création d’un Institut Pasteur au Laos, à Vientiane, a été décidée par l’Institut Pasteur mais son financement n’est pas assuré et l’on dit que les Etats-Unis freineraient ce projet par le biais des bailleurs de fonds internationaux auprès desquels vous cherchez un complément.
Qu’en est-il ?
Une partie des financements a déjà été obtenue, nous permettant de démarrer ce projet.
Nous cherchons encore des moyens auprès des bailleurs de fonds internationaux pour consolider ce projet. Je n’ai pas d’information allant dans le sens d’un frein par l’un ou l’autre. Le Laos est un pays en plein développement dans une région dont l’environnement évolue vite et ce nouvel Institut devrait avoir un rôle important de surveillance et de recherche sur les infections émergentes dans cette région du monde.
M. Jean CIVATTE
Parmi les dons reçus par l’Institut Pasteur, y en a-t-il qui ne soient pas assortis de l’obligation de les consacrer à la recherche médicale, ce qui leur permet d’être utilisés dans un but de fonctionnement ou de travaux ?
Vous le savez, une institution comme la nôtre a besoin de se moderniser constamment.
Nous mettons par exemple beaucoup de moyens dans les plates-formes technologiques partagées sur le campus. Les dons sont une source précieuse nous permettant une grande réactivité face à des approches ou des thématiques qui évoluent très vite. La règle essentielle que nous suivons toujours est de respecter la volonté des donateurs. Lorsqu’un donateur émet un souhait sur l’utilisation des fonds, nous suivons précisément ses vœux.
* Directrice générale de l’Institut Pasteur, 28, rue du Docteur Roux, 75015 Paris
Bull. Acad. Natle Méd., 2008, 192, no 2, 281-287, séance du 26 février 2008