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Session of 30 juin 2009

L’Institut Pasteur de Montevideo : un modèle de coopération française

MOTS-CLÉS : académie et instiut.. recherche biomédicale. technologie médicale
The Montevideo Pasteur Institute : an exemplary model of French overseas
KEY-WORDS : biomedical research. technology, medical.

Guillaume Dighiero *

Résumé

Créé par Louis Pasteur, le réseau International des Instituts Pasteur compte aujourd’hui trente instituts repartis parmi les cinq continents. L’Institut Pasteur de Montevideo, est le plus récent. Inauguré en décembre 2006 par le Président de la République d’Uruguay, M. Tabaré Vázquez et la Ministre de la Coopération Mme Brigitte Girardin, cet Institut est né d’un accord entre les Présidents francais et uruguayen par lequel la France a accepté de reconvertir la dette uruguayenne envers la France par un financement pour la création de cet institut. Celui-ci cherche à devenir une institution scientifique d’excellence dans le domaine de la bio-médecine à travers : la création de plate formes de haute technicité dans les domaines de la génomique, protéomique, bioinformatique, biologie cellulaire et transgé- nèse ; la création de laboratoires ouverts à des projets de jeunes scientifiques désirant rentrer dans la région ; la création d’un centre d’enseignement de haut niveau ainsi que la création d’entreprises de biotechnologie spécialisées dans le développement de médicaments et de réactifs diagnostiques produits par les nouvelles technologies moléculaires.

Summary

Initially created by Louis Pasteur, the network of Pasteur Institutes now includes 30 centers on the five continents. Created in December 2006, the Montevideo Pasteur Institute is the most recent. It was jointly inaugurated by the Uruguayan President Dr. Tabaré Vázquez and the French Minister of Cooperation Mme Brigitte Girardin. The Institute was the fruit of an agreement between the French and Uruguayan presidents, whereby Uruguayan financial debt to France was converted into funding for the Institute. The aim of the Montevideo Pasteur Institute is to become a center of excellence in biomedicine, through: the installation of cutting-edge core facilities in genomics, proteomics, cellular biology, bioinformatics and transgenesis ; the creation of 5-year research positions open to outstanding young scientists aiming to return to first world countries? ; and the creation of biotech start-ups specializing in the development of recombinant drugs and diagnostic reagents based on new molecular techniques.

C’est Louis Pasteur lui-même qui est à l’origine du premier institut du Réseau International des Instituts Pasteurs, créé au Vietnam en 1891 : « La science n’a pas de patrie, ou plutôt la patrie de la science embrasse l’humanité toute entière », écrivait-il. A ce jour, le Réseau International des Instituts Pasteur associe trente instituts indépendants repartis dans les cinq continents, unis par les mêmes missions, la même culture et les mêmes valeurs. Dans l’esprit de la Déclaration de Coopération scientifique de 1993, les éléments fondamentaux sur lesquels repose la vie du Réseau International sont : la solidarité scientifique : le Réseau International a en effet une vocation de solidarité scientifique, ce qui n’exclut pas de viser à l’excellence ; la solidarité entre les Instituts du Réseau International devant bénéficier à tous ; et la réponse aux besoins nationaux : l’insertion dans le pays d’implantation est un élément sine qua non de l’intégration et du développement harmonieux de chaque Institut. Il est également important que les Instituts s’insèrent dans le dispositif régional. Ceci suppose que chaque Institut soit en mesure de répondre aux besoins de santé publique, de fournir des activités de service et de formation.

L’Institut Pasteur de Montevideo, est le plus récent. Inauguré en décembre 2006, cet Institut est né d’un accord emblématique entre les Présidents français et uruguayen par lequel la France a accepté de reconvertir la dette uruguayenne envers la France en financement pour la création de cet institut.

L’Institut Pasteur de Montevideo (Institut Pasteur MONTEVIDEO) a été conçu pour s’intégrer dans une stratégie globale de l’Uruguay, de développement scientifique et technologique. Ce projet nécessite la formulation d’une stratégie permettant l’incorporation de la connaissance et la technologie aux différents processus de production. Pour cela, il faut disposer de ressources humaines hautement qualifiées ainsi que de la technologie adéquate. Il est nécessaire de compter sur une infrastructure en sciences fondamentales. Celle-ci sera le support permettant le développement d’une bonne science appliquée. La vocation première de cet Institut est le développement d’une science fondamentale de qualité associé à un souci d’application des connaissances ainsi générées. Il prend pour modèle l’Institut Pasteur de Paris, une des institutions académiques les plus prestigieuses du monde et en même temps la deuxième société académique mondiale en biotechnologie.

 

Ce projet est axé sur :

— La création de plate-formes technologiques de haute technicité dans les domaines de la génomique, protéomique, bioinformatique et biologie moléculaire et cellulaire, ainsi que la création d’une animalerie pour souris transgéniques. Ces plate-formes devraient fournir à la communauté scientifique et industrielle uruguayenne un outil d’une grande valeur pour la réalisation de leurs projets.

— La création de laboratoires résidents et de laboratoires ouverts à des projets de jeunes scientifiques désirant rentrer dans la région. Ces projets sont sélectionnés par un comité scientifique international en fonction de leur qualité et des applications possibles dans les domaines de recherche de l’Institut.

— La création d’un centre d’enseignement de haut niveau où seront dictés des cours de haute technicité qui permettront aux étudiants de la Région de se familiariser avec les plus récentes connaissances de la biologie et avec les techniques de pointe.

— La création d’entreprises de biotechnologie spécialisées dans le développement de médicaments et de réactifs diagnostiques produits avec les nouvelles technologies moléculaires. Également, l’Institut mettra ses plates-formes technologiques à la disposition de l’industrie nationale de façon à lui permettre le développement des projets nécessitant des technologies de pointe et devenir ainsi un aimant pour des investissements industriels de l’étranger.

En conclusion, cet Institut doit devenir un centre de haute technologie qui aide le développement de la science uruguayenne et un pôle de développement des biotechnologies et d’attraction pour l’industrie pharmaceutique.

LE BATIMENT ET LES PLATE-FORMES TECHNOLOGIQUES

Le bâtiment qui héberge l’Institut a été construit pendant la période juillet 2005- novembre 2006. Il comprend 3 500m2 dont environ 2 500 consacrés à des laboratoires. Il a été conçu par un cabinet d’architectes français, spécialisé dans la construction de laboratoire biologiques de haute technologie. Les coûts totaux de la construction ont atteint les 4 300 000 U$D.

À compter de février 2007, les huit plate-formes technologiques que contient l’Institut ont commencé à fonctionner : biochimie analytique et protéomique ;

cristallographie ; biophysique des protéines ; production de protéines recombinantes ; biologie cellulaire ; biologie moléculaire ; animaux transgéniques et bioinformatique.

Des équipements très modernes et sophistiqués ont été installés dans ces plate formes, pour une valeur totale de 4 600 000 U$D. Aujourd’hui tous ces équipements fonctionnent et sont à la disposition de l’ensemble de la communauté scientifique aussi bien nationale que régionale et de l’industrie.

 

Dans cette courte période, l’Institut a mis à la disposition de l’Académie et de l’Industrie les technologies suivantes : microcalorimétrie, spectroscopie de résonance plasmonique (BIACORE), spectrofluorométrie, spectrométrie de masse Maldi-TOF & Maldi TOF-TOF, HPLC & FPLC, production de protéines recombinantes, cristallogenèse et diffraction de Rx, citométrie de flux et séparation cellulaire, PCR analytique et quantitative, séquençage d’acides nucléiques, une animalerie libre de pathogènes (SPF) et la technologie pour produire des animaux transgéniques.

La plupart de ces techniques n’étaient pas disponibles en Uruguay auparavant, et certaines, comme la spectrométrie de masse en employant la technologie Maldi TOF-TOF, le BIACORE et la diffraction de Rx, sont uniques dans la région. Ceci a fait que les plates-formes technologiques de l’Institut soient devenues des centres de référence dans la région.

L’Institut cherche à inscrire sa recherche dans le domaine de la Biomédecine, à travers une conception systémique des phénomènes biologiques. Le développement très important qu’a connu la génomique et le programme Génome Humain ont permis le décodage d’environ 30 000 gènes qui constituent le génome humain. Ceci a conduit à une avancée considérable dans l’analyse d’un grand nombre de pathologies humaines d’origine génétique et multifactorielles en permettant une meilleure étude des interactions entre différents gènes. Cette étape devrait modifier notre façon de concevoir la biologie, en ouvrant la voie à l’ère post-génomique. Cette discipline s’intéresse aux modifications des produits des gènes intervenant au niveau transcriptionnel, post-transcriptionnel, traductionnel et post-traductionnel.

Celles-ci induisent une complexité beaucoup plus importante que celle de l’ensemble des gènes eux-mêmes, surtout si l’on ajoute à ceci les interactions entre les différentes protéines. Cette complexité croissante oblige à adopter une approche systémique, seule démarche à même de pouvoir aborder la fonction des gènes d’une manière intégrative.

Dans le but de mieux affiner sa stratégie scientifique, une rencontre a eu lieu à Montevideo entre le 10 et le 12 juin 2005 avec la participation de scientifiques éminents d’Argentine, du Brésil, du Chili, d’Europe et d’Uruguay.

Quant à la thématique scientifique, un consensus est apparu dans le sens de centrer la recherche de l’Institut autour de la biomédecine, et plus particulièrement de la médecine moléculaire en focalisant la recherche de l’Institut dans la postgénomique, la protéomique et la pathologie post-transcriptionnelle. Etant donné la taille limitée de l’Institut par rapport aux grandes institutions internationales, l’Institut se doit de choisir des thématiques scientifiques dans lesquelles il pourra être compétitif. En ce sens, le cancer et les maladies neuro-dégénératives, qui constituent des problèmes très important de santé publique pour l’Uruguay, ont été choisies comme thématiques scientifiques de l’Institut.

 

LA COMMUNAUTÉ SCIENTIFIQUE DE L’INSTITUT

La communauté scientifique de l’Institut est formée par le personnel permanent, les groupes résidents de recherche et les groupes de scientifiques avec des projets à durée déterminée.

Le personnel permanent

Le personnel permanent est formé par le personnel administratif et de service et le personnel des plates-formes technologiques. Tout le personnel a été sélectionné à travers des concours ouverts. Dans le cas des responsables des plates-formes technologiques, un concours international avec un jury international a été la procédure utilisée. Ensuite, des jurys locaux ont sélectionné le reste du personnel. Ce personnel est autorisé à développer leur recherche personnelle pourvu que l’attention des plates-formes soit assurée. En ce moment, travaillent dans les plate-formes douze scientifiques et quarante et un techniciens et étudiants.

Quant au personnel administratif, il a été sélectionné par une procédure de concours ouvert. Au total, quatorze personnes participent à cette activité.

Groupes Résidents

Trois groupes résidents dirigés par trois scientifiques ont été sélectionnés au travers d’un concours ouvert. Deux travaillent dans le domaine du cancer et un sur les maladies neuro-dégénératives. Dans ces groupes travaillent trois scientifiques « seniors » et dix-sept jeunes scientifiques.

Groupes scientifiques avec des projets à durée déterminée

Ces laboratoires sont consacrés à de jeunes et talentueux scientifiques de la région, dans leur majorité des post-doctorants, dont les projets scientifiques sont sélectionnés par un comité d’évaluation international, sur la base de l’originalité et la qualité scientifique. Chaque groupe ayant reçu l’aval du Conseil Scientifique International reçoit pendant cinq ans un financement annuel de 110 000 U$D. Avec ce financement il doit payer les salaires du chercheur principal et des étudiants qui travaillent dans le projet et assurer partiellement le financement de son activité de recherche. Ce financement doit être complété par l’obtention de projets de recherche.

En principe, l’ Institut aura la capacité à accueillir simultanément jusqu’à huit groupes dont les projets auront une durée de cinq ans, sujets exceptionnellement à renouvellement si le candidat parvient à une évaluation scientifique très favorable et a été capable d’obtenir un financement extérieur qui lui permette un autofinancement raisonnable. Sauf exception, à la fin de cette période, les groupes doivent retourner au système académique de leurs pays d’origine. Ce mode de fonctionnement doit assurer le renouvellement qui est indispensable à l’Institut.

 

Plusieurs raisons justifient amplement cette organisation : elle assure le flux constant d’idées nouvelles ; elle donne à l’Institut la flexibilité nécessaire pour s’adapter à un monde scientifique en évolution constante ; elle crée un nombre significatif de nouveaux postes de travail dans la région pour contrecarrer l’émigration permanente des scientifiques vers les pays développés et elle permet la création d’un pool de biologistes avec la meilleure formation qui pourra s’implanter dans la région.

Deux appels d’offres internationaux ont été faits à travers Nature, le Réseau International des Instituts Pasteur et internet. Trente huit candidats de huit nationalités différentes se sont présentés et cinq projets ont été sélectionnés par le Conseil Scientifique International intégré par quatre chercheurs Européens, un Argentin, un Chilien, un Brésilien et un Uruguayen. Ces cinq groupes sont installés à présent dans l’Institut. Dans ces cinq projets travaillent cinq chercheurs principaux et quatorze étudiants.

Publications

Pendant la période 2007-2008, l’Institut Pasteur de Montevideo a réalisé soixantesept publications dans des revues internationales avec une moyenne d’impact de 6,05, dont deux publications dans Nature Genetics, une dans le New England Journal of Medecine et une dans le Lancet.

Projets de recherche ayant obtenu un financement

Pendant l’année 2007, 2008 et 2009 des contrats de recherche pour une valeur respectivement de 198 000, 877 000 et 633 000 U$D ont été obtenus.

Au total, pendant la période 2007-2009 l’Institut a réussi à intégrer quatre-vingt douze scientifiques, dix-huit étudiants de maîtrise et onze de doctorat ; à réaliser soixante-sept publications dans des journaux internationaux ; à obtenir un somme financement considérable à travers des projets scientifiques et à mettre à disposition de la communauté scientifique et industrielle, nationale et régionale un ensemble de technologies de pointe.

ENSEIGNEMENT

Entre 2007 et 2009 dix-neuf cours ont eu lieu à l’Institut Pasteur Montevideo. Ces cours ont eu les caractéristiques habituelles de l’enseignement qui est dispensé par l’Institut Pasteur de Paris : un cadre théorique de haut niveau associé à un enseignement pratique avec manipulation par l’étudiant au laboratoire. Parmi les dixneuf cours huit ont été des cours internationaux avec la participation d’étudiants de toute l’Amérique du Sud et des professeurs étrangers.

 

Au vu du succès rencontré par ces cours internationaux, l’Institut planifie de devenir un centre d’enseignement régional, à travers la création d’écoles latino-américaines de biologie structurale, protéomique, oncologie moléculaire, génomique et biotechnologie.

DÉVELOPPEMENT DES BIOTECHNOLOGIES

Un des objectifs majeurs de l’Institut Pasteur de Montevideo est de participer au développement des biotechnologies en Uruguay. L’Institut Pasteur de Montevideo contribue à ce développement se fait à travers le bon usage par le secteur académique et industriel de ses plates-formes technologiques, sa capacité à former de jeunes chercheurs de haut niveau, sa capacité à attirer l’implantation en Uruguay d’entreprises biotechnologiques et l’exploitation industrielle des résultats de sa propre recherche.

A présent, l’Institut a souscrit trois accords de partenariat avec trois laboratoires pharmaceutiques nationaux et deux accords de coopération scientifique avec des entreprises internationales : Danone-France et Biopolis-Espagne. Ces accords devraient déboucher, dans un proche avenir, avec l’installation à l’Institut Pasteur de Montevideo, de laboratoires de recherche de ces entreprises.

Un accord pour le développement d’un brevet d’un des chercheurs de l’Institut, avec une entreprise chilienne et l’Institut Pasteur de Paris va être signé dans un proche avenir.

Le 18 avril 2007, Mme la Ministre de la Santé, le Dr. María Julia Muñoz, a sollicité à l’Institut Pasteur de Montevideo pour agir comme laboratoire de référence pour le contrôle des médicaments d’origine biotechnologique. L’Institut a ainsi décidé de créer ce laboratoire pour répondre à cette requête. Ce laboratoire est habilité et exerce à présent cette responsabilité.

CONCLUSION

Dans une période de deux ans l’Institut Pasteur de Montevideo a réussi à construire un nouveau bâtiment, à installer un nombre important de technologies, plusieurs parmi elles uniques à la région, qui l’ont mis à une place de leadership à niveau régional ; à produire une série importante de publications de niveau international et à obtenir un nombre significatif de contrats de recherche ; à mettre en place un programme d’enseignement de niveau international et à démarrer une activité bio-technologique très prometteuse.

Par son rayonnement régional et sa visibilité, il est vu en Uruguay et dans la Région comme un modèle de coopération réussie. L’accord à l’origine de la création de l’Institut, par lequel la France a accepté de transformer la dette Uruguayenne à concurrence de cinq millions d’euros, en financement pour la création de l’Institut est perçu comme un accord de partenariat emblématique entre les pays du premier et du tiers-monde.

En ce moment, où la France connaît de grandes difficultés à assurer son rayonnement au niveau international, la coopération scientifique et culturelle devrait, plus que la défense à outrance de la langue, devenir le fer de lance de la Coopération française.

 

* Directeur exécutif de l’Institut Pasteur de Montevidéo — Uruguay, e-mail : dighiero@pasteur. edu.uy Tirés à part : Professeur Guillaume Dighiero, même adresse

 

Bull. Acad. Natle Méd., 2009, 193, no 6, 1361-1368, séance du 30 juin 2009