Résumé
En réponse à une demande formulée par Madame le Ministre Nicole Fontaine
Summary
Asked by Mme Nicole Fontaine, Delegate Minister of Industry, to help the government with its ongoing reflections on pharmaceutical industrial strategy, and the necessary autonomy of our country in the face of major commercial threats, a working group of the French National Academy of Medicine consulted representatives of five French and two foreign major drug companies. Their statements can be classified in four categories : — the first concerns new medications, which must be approved successively by three commissions, whose opinions are often delayed and influenced by economic considerations ; — second , public and private research are both insufficient and are sometimes hindered by procedural restrictions,
— third , the pharmaceutical industry is unable to deal with frequent and unforseeable political upheavals, — France does not adequately recognize the strategic importance of the pharmaceutical industry in the national economy. The Academy makes several recommendations : the French pharmaceutical industry should be considered as a national priority, the strategic importance of national pharmaceutical companies should be recognized, a multi-annual contract should be signed with manufacturers, clinical trials should be facilitated in France, relationships between the national pharmaceutical industry and public research structures should be reinforced, and an inter-ministerial Council on Pharmaceuticals should be created.
This study was supplemented by a survey of veterinary medications, the results and conclusions of which are very similar to those outlined above for human medicines.
LE MÉDICAMENT A USAGE HUMAIN
Rappel historique
Dans un premier temps, un bref rappel historique s’impose.
Les aspects réglementaires des temps jadis, avaient pour seul but de rétablir l’équilibre des comptes de l’assurance maladie, en imposant des prix bas aux médicaments, tout en ignorant les contraintes qui à l’époque déjà pesaient sur l’industrie française du médicament exposée à une vive compétition étrangère protectionniste.
— En 1967, l’inscription sur la liste des médicaments remboursables nécessitait une amélioration thérapeutique ou une économie dans le coût du traitement et ne devait pas entraîner des dépenses indues pour l’assurance maladie. Ces dispositions ne prenaient pas en compte ni le prix mondial des médicaments, ni l’augmentation des coûts de production, ni l’inflation annuelle à deux chiffres.
— En 1976, la Commission Guinard toujours avec le même objectif distinguait les médicaments dits de grande innovation et les médicaments dits d’innovation limitée.
— En 1977, les instructions des Ministres de la Santé, de l’industrie et de la recherche reprenaient les mêmes dispositions en essayant de concilier des objectifs aussi contradictoires que l’intérêt des malades, l’équilibre financier de l’assurance maladie, et le développement industriel des laboratoires pharmaceutiques dynamiques. En réalité, la recherche de l’équilibre financier de l’assurance maladie continuera à prévaloir.
— En 1993, Edouard Balladur, Premier Ministre, tente d’améliorer la situation en créant un Comité économique du médicament, pour fixer le prix des médicaments à partir des évaluations de la commission de la transparence et en tenant compte des impératifs industriels. Jean Marmot président de ce comité de 1993 à 1996 s’évertuera à rétablir des relations confiantes et durables avec l’industrie du médicament, sous forme de contrats.
— En 1996, la mission de Jean Marmot est interrompue et l’on revient à la logique purement comptable, qui fixe le prix le plus bas possible et qui surtaxe brutalement l’industrie du médicament.
Ces différentes étapes ont abouti à l’imposition des prix le plus bas pour le médicament français, avec ses conséquences désastreuses, sur la découverte de nouveaux médicaments et leur développement national et international.
Faut-il aussi rappeler que le médicament n’est pas uniquement source de dépenses ? Il permet des économies (baisse de la durée d’hospitalisation), une balance d’exportation très excédentaire, il constitue une des richesses de la médecine dans notre pays, assure la présence de la France sur la scène internationale, mais sous réserve que notre niveau d’innovation reste maintenu.
LA SITUATION ACTUELLE
Le Médicament découvert en France ayant été pendant longtemps un élément important de notre rayonnement à l’étranger, nous ne pouvons que souscrire aux préoccupations de Madame le Ministre. En effet, tant en ce qui concerne les médicaments, que la recherche publique et/ou privée, réalisée par l’industrie du médicament, ainsi que la place stratégique du médicament, la situation ne cesse, de se dégrader. Les remarques formulées unanimement par les représentants de l’Industrie française du Médicament en font preuve. Nous les regrouperons en 4 chapitres :
Les médicaments
La France est un des pays où la lenteur administrative est particulièrement marquée.
• Les délais de démarrage des essais sont très longs et peuvent atteindre un an ! alors que dans les autres pays d’Europe ils vont de 15 à 60 jours. Ceci ne peut que décourager les expérimentations sur notre sol.
• Avant de mettre un médicament à la disposition des médecins et des malades, il doit passer devant trois commissions — la Commission d’autorisation de mise sur le marché, dont les procédures d’enregistrement sont bien lentes — la Commission de transparence qui évalue avant tout le service médical rendu pour limiter les prix de remboursement — le Comité Economique des produits de santé lequel possède certes le pouvoir de signer des contrats avec les laboratoires pharmaceutiques, mais, semble avoir pour seul but de fixer des prix de remboursement aussi bas que possible. Une référence au prix européen assortie de ristournes n’atténue pas ce jugement. Ce comité ne comporte pas de membre(s) représentant le Ministère de la Recherche, ce que l’on ne peut que regretter. En outre, le représentant du Ministère de l’Industrie n’est pas cosignataire de l’arrêté fixant les prix. En termes généraux, le Comité économique ne tient pas compte des impératifs industriels et adopte une logique d’acheteur, méconnaissant entre autre qu’une diminution des prix en France, peut également en entraîner une autre, dans les pays importateurs.
• Le nombre de mesures (pression permanente sur les prix, tarif forfaitaire de remboursement, déremboursements, taxations supplémentaires), décidées par le Ministre de la Santé et de la Sécurité Sociale, intervient en fonction des nécessités budgétaires de l’instant, sans tenir compte des retombées sur le plan des prescriptions, ni des conséquences sociales, et encore moins des politiques industrielles. Il faut surtout déplorer l’absence de véritable procé- dure de recours et d’appel des avis émis par les différentes Commissions et Comité sus-nommés.
• Les médicaments innovants et originaux ne sont pas reconnus à leur juste valeur et mérites.
• De nombreux besoins médicaux restent à satisfaire.
La recherche publique et /ou privée
En France, l’industrie du médicament est fille de la Pharmacie et de la Médecine. Elle bénéficie d’une longue tradition de chimie thérapeutique, d’universités reconnues, de facultés de pharmacie éminentes et d’un corps médical particulièrement compétent et bien formé. Malheureusement cette tradition d’excellence est menacée par la désaffection des candidats pour les filières universitaires scientifiques.
Alors que la France a longtemps été le deuxième découvreur de médicaments au niveau mondial, elle est actuellement tombée au 6èmerang. En l’absence de politique du médicament et de recherche à moyen terme, le risque est grand de n’avoir à disposition, d’ici peu de temps, dans notre pays, que des médicaments conçus et produits hors de nos frontières, que le centre de
décision soit en France ou à l’étranger, ce qui limite nos capacités de négocier leurs conditions.
— Il y a des domaines très importants où la France est en retard, voire peu compétitive à l’échelon mondial : par exemple les biotechnologies pour la création de protéines recombinantes et l’insertion de nouvelles formes galéniques. Or, les médicaments à base de protéines recombinantes représentent aujourd’hui près du quart du marché en oncologie, et devraient comporter la moitié du marché total du médicament en 2011. Mais, il n’y a pas d’entreprise française suffisamment importante dans le secteur des biotechnologies dont les cinq premiers acteurs sont tous américains. Si la France ne comble pas ce retard, elle risque sous peu de se retrouver marginalisée dans le paysage pharmaceutique mondial.
— Malgré les quelques 150 contrats signés entre le Centre National de la Recherche Scientifique et les entreprises du médicament, et les 350 contrats de recherches conclus avec l’Institut National de la Santé et de la Recherche en Médecine, cette collaboration reste insuffisante et s’avère parfois limitée par des procédures lourdes et des freinages culturels. Et pourtant la contribution financière des entreprises est précieuse pour la recherche publique, quelle que soit la nature et l’origine des entreprises, il convient de les encourager en portant une attention particulière à celles, dont le centre de décision se situe sur notre sol.
— L’activité des essais cliniques se dégrade dans de nombreuses disciplines.
40 % des essais cliniques sont réalisés aux Etats-Unis. Parmi les 30 % qui reviennent à l’Europe, 10 % seulement concernent encore la France ! De 1995 à 2001 le nombre d’essais conduits en France a diminué d’environ 5 % par an.
Les études de la phase 1, dont une partie représente les premiers essais chez l’homme dans le développement d’une molécule, ont reculé dans les mêmes proportions. Plus de 20 % des dossiers d’enregistrement de nouveaux médicaments ne contiennent plus une seule donnée française ! Cette défection est due au manque de formation des jeunes chercheurs, insuffisamment orientés vers le médicament, à leur démotivation, à la difficulté de recrutement des investigateurs et aux dysfonctionnements croissants des Centres Hospitaliers Universitaires. Passer contrat entre le laboratoire promoteur et la structure effectuant l’investigation clinique, pose d’importants problèmes, même si après des années de concertation, un accord a pu être finalisé entre « les entreprises du médicament » et la « Fédération hospitalière de France ».
— Notons enfin qu’il ne se crée pratiquement plus de centre de recherche de l’industrie étrangère du médicament, sur le territoire national. Bien au contraire, on perçoit nettement un début significatif de délocalisation. Par exemple Pfizer, numéro 1 mondial, ferme son centre de recherches de Fresnes au profit de celui de Sandwich situé en Grande-Bretagne, Eli Lilly, 10ème laboratoire mondial double certes sa production d’anticancéreux et d’insuline à Fegersheim, mais n’a aucun centre de recherche en France, Abbott, 13ème laboratoire
mondial ouvre un centre de recherche en Irlande et y crée 600 emplois, Roche 8ème laboratoire mondial ouvre un centre de recherche en Allemagne, Schering à Kobé au Japon, alors que ces trois laboratoires, de même que Novartis et Astra-Zeneca, n’ont aucun centre de recherches en France.
L’industrie du médicament
Le principal handicap de l’industrie du médicament en France est l’impossibilité de faire face à des plans à 5 ans ou moins, en raison des changements fréquents et imprévisibles dans la politique pharmaceutique de la nation Si cette carence est certes dommageable pour l’industrie française du médicament, elle est totalement incompréhensible pour les entreprises, dont les centres de décision se situent à l’étranger. Nous courons dès lors le risque de les décourager d’investir à moyen et a fortiori à long terme, sur notre sol.
Rappelons qu’il faut de 10 à 12 ans, de l’isolement ou de la synthèse d’une molécule, à sa mise sur le marché. Les risques pris par les firmes sont donc très lourds et nécessitent une visibilité des règles de jeu que ne peuvent garantir des responsables politiques, dont la durée aux affaires est forcément limitée dans le temps.
— Si comme les autres industries en France, l’industrie du médicament affronte des situations peu attractives, il s’y surajoute par contre une fiscalité excessive. L’industrie du médicament est une industrie dont les prix sont administrés, une industrie surtaxée qui supporte des taxes spécifiques, divers prélèvements sur ses activités (dont parfois la non— déductibilité les assimilent à de véritables amendes) ainsi que des ristournes sur le chiffre d’affaires. En outre, la publicité des médicaments, voire la simple information médicale, sont lourdement taxés. Cette situation et ces prélèvements successifs ainsi que la remise en question fréquente des critères de remboursement ont des effets pervers sur toute forme d’initiative et sur la compétitivité. Le cadre économique français n’est actuellement guère propice au développement de l’industrie du médicament. Or, si l’importance du marché français est faible comparativement au marché mondial (5,5 %), il n’en reste pas moins essentiel pour nos entreprises, car il correspond à leur marché domestique. Elle est plus relative pour les firmes dont les centres de décision sont hors de France et qui peuvent (comme la menace en a été parfois brandie) renoncer à leur présence sur notre sol, alors que nous avons tout intérêt à ce qu’elles investissent en France.
— L’industrie du médicament souffre aussi de la courte protection qu’offrent les brevets (20 ans) comparé au temps nécessaire (10 à 12 ans) à la découverte et au développement d’un médicament avant sa commercialisation, même si ce temps a été aménagé grâce au certificat complémentaire de protection prolongeant de cinq ans la validité des brevets et accordant une période supplémentaire de confidentialité des données, de 5 ans aux EtatsUnis et de 10 ans dans la Communauté Européenne. L’industrie n’a que 8 à
10 ans pour rentabiliser son travail et financer sa recherche ultérieure. Le temps d’exclusivité est trop court lorsqu’il est suivi de la commercialisation de formes génériques dont les fabricants s’ils offrent des prix plus bas, ne supportent, ni les frais de recherche, ni ceux de développement.
— Contrairement à nombre d’autres pays, l’industrie du médicament ne figure pas dans les priorités de la nation qui ne s’est jamais donnée les moyens d’en faire un objectif sanitaire, social et économique.
— Notons encore que lorsqu’il s’agit de promouvoir un médicament étranger en France, les représentations diplomatiques de ces pays n’hésitent pas à monter au créneau, alors que l’inverse est rarement le cas, pour le médicament français désireux de s’implanter hors de l’hexagone.
PLACE STRATÉGIQUE DU MÉDICAMENT — A propos des risques sanitaires : qu’ils soient d’origine conflictuelle, dûs au terrorisme ou plus classiquement épidémiques, nous avons besoin sur notre territoire de structures scientifiques et de production locale de médicaments afin de faire face, la France étant actuellement le premier producteur de médicaments en Europe. Même si la production de médicaments français n’est pas encore délocalisée, un net danger se profile, ce qui crée un risque d’autant plus regrettable que la balance commerciale du médicament reste toujours une des plus performantes du pays.
Nous rappelons à ce propos qu’en 2002, la France a exporté pour 14,5 milliards d’Euros de médicaments, en, progression de 12 % par rapport à 2001.
L’excédent des échanges commerciaux s’est élevé à 6,22 milliards d’Euros (y compris les vaccins et sérums). Le médicament français occupe ainsi la 6ème place en matière d’excédent commercial.
— Quant à l’emploi : l’industrie du médicament est une industrie créatrice d’emplois, un fait qui mérite d’être pris en compte.
— L’Union Européenne avec l’espace européen de recherche est un facteur d’avenir très important aussi bien pour la recherche publique, que pour l’industrie du médicament et pour la recherche privée. A cet effet, l’adoption par la France des recommandations du groupe européen de haut niveau du G10, ne pourrait qu’augmenter son attractivité.
En conclusion, sans mettre en cause la responsabilité ou la compétence des acteurs publics et privés, dont on doit reconnaître le dévouement et l’absence de découragement, il faut admettre que notre système et nos structures n’ont pas su évoluer avec le temps. Ils continuent à limiter le médicament comme tout acte de santé, à son seul coût en occultant les bénéfices sanitaires, sociaux et économiques qu’il génère. L’assurance maladie se comporte comme un simple acheteur, ce qui pourrait se concevoir dans un marché
saturé, alors que dans le cas du médicament, il s’agit de satisfaire des besoins vitaux encore nombreux et d’encourager une recherche qui reste très aléatoire.
Mais il n’est pas trop tard pour agir sous réserve qu’aux différents niveaux on veuille bien accepter de reconnaître les erreurs et les insuffisances du passé, que la puissance publique prenne la mesure du déclin et soit décidée d’y remédier.
RECOMMANDATIONS
Dans un premier temps, l’Académie nationale de médecine tient à dire combien elle déplore la disparition annoncée de l’Industrie nationale du Médicament, qui fait partie du patrimoine médical, scientifique et culturel de la France, qui assure notre indépendance nationale dans ce domaine, et qui contribue au rayonnement de la médecine française dans le monde.
L’Académie nationale de Médecine tient aussi à exprimer sa préoccupation de voir toutes ces délocalisations des activités de recherche de l’industrie pharmaceutique étrangère implantée en France, ainsi que la diminution constante et accélérée des études cliniques réalisées en France concernant les médicaments, que cette même industrie développe.
Les propositions de l’Académie nationale de médecine s’inscrivent tout naturellement dans le prolongement du constat qui vient d’être fourni par les représentants de l’Industrie française du Médicament.
Il faut faire du médicament une priorité nationale
L’avenir de l’industrie nationale du Médicament et partant celui de la Médecine française, dépend de l’existence de médicaments innovants, conçus et développés en France. Pour y parvenir, il est impérieux de conserver les outils indispensables au progrès médical dans notre pays, en sauvegardant la recherche chimique, pharmacologique et clinique française, garantes de notre tradition, de notre spécificité et de l’indépendance nationale. Toutes conditions indispensables au maintien de la France dans la compétition internationale.
La vitalité des entreprises du médicament ayant leurs centres de décision en France et dans l’Union Européenne est indispensable pour valoriser l’effort scientifique supporté par les financements publics. Il faut aussi attirer les entreprises dont les centres de décision sont hors de l’Europe et les inciter à s’implanter sur notre sol aussi bien au plan des recherches, que du développement et de la production.
La part des médicaments issus des biotechnologies étant vouée à augmenter considérablement, les entreprises du médicament sont d’autant plus essentielles, que les expériences étrangères montrent que les jeunes entreprises (les
« start-up »), issues de la recherche académique ou s’appuyant sur elle, ne peuvent déboucher sur des médicaments qu’avec le relais des industriels du médicament.
— Il convient d’intégrer une dimension industrielle à la politique du médicament Cette intégration concerne d’abord nos instances d’évaluation. Leurs travaux doivent être concertés et associés à une évaluation de santé publique ainsi qu’à une analyse industrielle. L’ensemble de ces travaux pourrait alors donner lieu à une estimation globale synthétique. Des questions récurrentes semblent nécessaires à poser : lorsqu’une classe pharmacologique est déremboursée, n’est-il pas indispensable d’évaluer au préalable, s’il existe de réelles solutions alternatives, et aussi de procéder à une étude de ses conséquences médicales, sociales et économiques, avant la prise de toute mesure concernant le médicament ?
— Il est nécessaire de définir des règles claires et stables de fixation des prix et de ses conditions de remboursement qui seules avec une garantie à moyen terme permettraient la mise en place d’une stratégie de recherche efficace.
— Il s’impose d’associer la recherche publique à l’effort industriel Une véritable collaboration entre service public et recherche industrielle sur des projets structurés est indispensable. C’est le choix qu’ont fait les grands pays découvreurs de médicament. Cette collaboration serait précédée d’un inventaire des besoins thérapeutiques non satisfaits, nationaux et mondiaux, à partir duquel seraient définis des axes prioritaires de recherche. Ceux-ci feraient l’objet d’appel d’offres correspondants avec dotations financières spécifiques et possibilité pour les chercheurs de passer rapidement d’un secteur, public ou privé, à l’autre, sans perte de salaire, de façon transitoire, et sans pénalisation d’avancement.
— Il est de même indispensable de définir les règles claires de partenariat entre les hôpitaux et les industries pharmaceutiques pour la réalisation de protocoles cliniques. Il importe de préciser les financements, les rétributions des praticiens impliqués, la possibilité de publier les résultats. Il est aussi souhaitable que ces travaux soient comptabilisés dans la promotion de leurs auteurs.
— Il faut investir dans la formation L’industrie du médicament, fondée sur le partage et la diffusion des connaissances, repose sur une économie du savoir. La formation de chimistes, de biologistes, de médecins, de pharmaciens, de spécialistes en propriété intellectuelle, doit donc être considérée comme un investissement prioritaire. La qualité des universités et leur capacité à attirer les meilleurs chercheurs contribuera à restaurer la puissance française en matière de médicament.
— Il faut créer une politique interministérielle de la Recherche Pharmaceutique et du Médicament.
La mise en place d’une politique de développement de la recherche et de l’Industrie dans le secteur pharmaceutique, implique la création d’une institution au sein de laquelle s’opèreront les arbitrages politiques, entre les administrations et les ministères intéressés : les Finances, l’Industrie, la Santé, les Affaires Sociales, la Recherche, le Commerce Extérieur. Seul un tel Conseil interministériel, présidé par le Premier Ministre en personne, et dans lequel siègeraient les ministres concernés, permettrait un arbitrage, prononcé dans l’intérêt national, sous réserve que les administrations concernées exécutent les décisions prises.
En résumé, l’Académie nationale de médecine constate que la France possède les capacités nécessaires pour redevenir un pôle d’excellence dans la découverte de médicaments innovants, et pour s’affirmer en tant que « terre d’accueil favorable à l’investissement, à l’innovation, au lancement d’activités nouvelles et à la création d’emplois ». Dans ce but, elle formule les recommandations suivantes, concernant le médicament à usage humain :
— Reconnaître l’importance stratégique des industries nationales du médicament.
— Conclure sur plusieurs années les contrats entre le Comité économique des produits de santé et les Industriels du médicament.
— Faciliter les essais cliniques du médicament en France.
— Favoriser les relations entre les Laboratoires de l’industrie nationale du Médicament, les Centres de Recherches des Universités, l’INSERM, le C.N.R.S. et l’administration.
— Encourager le développement des sociétés de biotechnologies qui repré- sentent l’une des voies d’avenir les plus prometteuses de la recherche thérapeutique.
— Envisager la création d’un Conseil Interministériel du médicament présidé par le Premier Ministre, afin de décider et de mettre en œuvre une stratégie nationale commune.
LE MÉDICAMENT A USAGE VÉTÉRINAIRE
En complément de son rapport sur l’industrie du médicament à usage humain, le groupe de travail réuni sous la Présidence du Professeur Louis Hollender a étendu sa réflexion au médicament à usage vétérinaire.
CONSTAT — Au sein d’un marché européen du médicament vétérinaire qui représente 3,3 milliards d’Euros (2002, International Federation of Animal Health), la France occupe la première place (23 %), suivie de l’Allemagne (18 %), du Royaume-Uni (15 %), de l’Espagne (13 %), de l’Italie (11 %) et des PaysBas (10 %).
— Notre pays doit cette heureuse prééminence à :
l’importance de son cheptel (1er marché pour le cheptel bovin avec 19,7 millions de têtes), ainsi qu’aux populations d’animaux dits « de compagnie » (8 millions de chiens et 9 millions de chats). Le chiffre d’affaires des médicaments vétérinaires se répartit entre 2/3 pour les espèces de rente et 1/3 pour des espèces de compagnie.
la compétence des acteurs de la distribution des médicaments (vétérinaires, pharmaciens, éleveurs).
la qualité du réseau de santé animale regroupant professionnels de la santé animale et éleveurs (les Groupements de défense sanitaire).
la qualité des soins une solide tradition de sérieux et de dynamisme de l’industrie pharmaceutique vétérinaire française l’omniprésence de l’administration (Ministères de la Santé et de l’Agriculture) garante d’un haut niveau de sécurité tant pour le consommateur que pour l’animal, voire pour l’environnement, fondé sur l’autorisation de mise sur le marché du médicament (par indication et par espèce) sur la prescription et sur une procédure d’engagement mutuel vétérinaire/ éleveur sur le terrain.
— L’industrie du médicament vétérinaire connaît des handicaps liés à :
• des difficultés de relation confiante avec l’administration (Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments) • des coûts de recherche et développement de plus en plus élevés (le ratio R et D/Chiffre d’affaires varie de 10 à 20 % selon les Laboratoires), compte tenu notamment * de l’accroissement des exigences en santé publique (LMR = limites maximales des résidus médicamenteux dans les denrées alimentaires), * des mises à jour de dossiers de médicaments anciens, rendues nécessaires par de nouvelles exigences (Recherche et Développement « défensifs »).
* d’une dispersion de la gamme (environ 4000 produits sur le marché français).
• A la construction européenne :
* lacunes du mécanisme de reconnaissance mutuelle du fait des exigences souvent plus élevées des autorités françaises (Ex : opposition à la délivrance d’Autorisation de mise sur le marché national pour des produits fabriqués par des laboratoires français et ayant obtenu l’Autorisation de mise sur le marché dans certains pays de l’Union Européenne).
* retard dans la procédure de transposition, dans la législation française, des dispositions réglementaires communautaires nécessaires (Ex :
absence d’internalisation des règlements qui permettrait de s’opposer — au titre de la protection de la santé publique — à des trafics de médicaments à bas prix, en provenance de certains pays de l’Union Européenne, récemment jugés licites par décision judiciaire au titre de la libre circulation des biens.
RECOMMANDATIONS
Le développement d’une industrie française du médicament vétérinaire « leader » en Europe dépendra :
Au plan national — d’une autorité d’évaluation dotée de moyens suffisants pour lui permettre d’améliorer la qualité de ses missions (enregistrement) — de l’installation d’un vrai dialogue avec l’industrie — de l’ouverture de la recherche publique aux collaborations avec l’industrie — d’une administration plus réactive, notamment dans la rapidité de transposition des textes européens dans la réglementation nationale relative au commerce transnational des médicaments vétérinaires.
Au plan de l’Union Européenne — de l’harmonisation des niveaux d’exigences en matière d’enregistrement et de contrôle des médicaments vétérinaires.
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L’Académie, saisie dans sa séance du mardi 6 avril 2004, a adopté le texte de ce rapport à l’unanimité.
COMPOSITION D’UN GROUPE DE TRAVAIL • M.M. Pierre AMBROISE-THOMAS, Ancien Directeur de la Pharmacie et du Médicament, Expert à l’Organisation Mondiale de la Santé, Professeur de Parasitologie-Mycologie à la Faculté de médecine de Grenoble.
• Roger BOULU, Membre des Commissions nationales de pharmacovigilance des stupéfiants et des psychotropes • Jean-Paul GIROUD, Représentant l’Académie Nationale de Médecine aux Commissions de la pharmacovigilance et d’Autorisation de mise sur le marché.
• Maurice GUÉNIOT, Ancien Président de l’Académie Nationale de Médecine. Représentant l’Académie Nationale de Médecine à la Commission d’autorisation de mise sur le marché.
• Louis HOLLENDER, Président 2003 de l’Académie Nationale de Médecine Ancien Président de l’Académie Nationale de Chirurgie.
• Pierre Joly, Président de la Fondation pour la Recherche Médicale, Président de l’Académie de Pharmacie.
• Gérard MILHAUD, ex Membre de la Commission des remboursements des médicaments aux assurés sociaux.
• André-Laurent PARODI, Professeur Emérite à l’Ecole Nationale Vétérinaire d’Alfort, Ex Président de la Commission d’Autorisation de mise sur le marché des médicaments vétérinaires.
• Jean-Paul TILLEMENT, Professeur de Pharmacologie à la Faculté de Médecine de Paris.
Ce groupe a auditionné et réuni les témoignages des représentants des quatre laboratoires français parmi les plus importants, d’un laboratoire franco-allemand et de deux laboratoires étrangers ayant ou ayant eu des centres de recherche en France, mais dont les centres de décision, sont respectivement aux Etats-Unis (Pfizer) et en Suisse (Novartis), a savoir :
• Pierre FABRE, représenté par M. Jean-Pierre KUSMIEREK.
• Ipsen PHARMA, représenté par M. Jean-Luc BÉLINGARD.
• SANOFI-SYNTHÉLABO, représenté par M. Alain PUECH.
• Servier, représenté par Jacques SERVIER et Christian BAZANTAY.
• Aventis, représenté par M. Gilles BRISSON.
• Novartis, représenté par M.M. Eric CORNUT et Patrick TRUNET.
• Pfizer, représenté par M.M. Sorin CÉLINDER et Yannick PLETAN.
ainsi que M. le député Yves BUR, Président de la Commission du Médicament, à l’Assemblée Nationale.
• L’Académie Nationale de Médecine a également estimé qu’il était souhaitable d’entendre des représentants de l’industrie du Médicament Vétérinaire. A cet effet, le groupe de travail a encore auditionné Monsieur Jean Louis HUNAULT, Secrétaire Général du Syndicat des Industries du Médicament Vétérinaire accompagné de Monsieur Jean Frédéric HITIER, Directeur de la branche « ruminants et animaux de compagnie et de sport » des Laboratoires Boehringer Ingelheim France Sur la foi de leurs vécus et avec des mots clairs et précis, ces responsables ont fait part de leurs réflexions sur la situation que connaît l’industrie du médicament en France.
Le texte et la composition du groupe de travail peuvent être consultés, dans leur intégralité, sur le site www.academie-medecine.fr
Bull. Acad. Natle Méd., 2004, 188, no 4, 701-713, séance du 6 avril 2004