Communiqué
Session of 19 novembre 2002

Les violences familiales

MOTS-CLÉS : abus sexuel enfant.. homicide. inceste. infanticide. violence familiale
Domestic violence
KEY-WORDS : child abuse, sexual.. domestic violence. homicide. incest. infanticide

Roger HENRION

Communiquéabus sexuel enfant., homicide, inceste, infanticide, violence familialeDomestic violencechild abuse, sexual., domestic violence, homicide, incest, infanticideR. Henrion

COMMUNIQUÉ

Les violences familiales

Domestic violence

Roger HENRION Recommandations

La famille, loin d’être toujours cet espace protégé, privilégié et heureux qu’elle devrait être, est aussi paradoxalement le lieu où s’observent les violences les plus fréquentes, sinon les plus graves, envers les femmes et les enfants. En ce qui concerne les femmes, l’Enquête Nationale sur les Violences Envers les Femmes en France (ENVEFF) portant, en l’an 2000, sur 6 970 d’entre elles âgées de 20 à 59 ans, a montré qu’une sur dix avait été victime de violences au cours des douze derniers mois.

Qu’elle qu’en soit la victime, ces violences offrent de grandes similitudes et possèdent en commun certains traits caractéristiques. Souvent insidieuses, elles s’installent progressivement et se développent selon une inexorable escalade. Leurs conséquences sont très graves tant au plan physique qu’au plan psychologique, laissant subsister de dramatiques séquelles. Elles sont fréquemment dissimulées. La victime, sous l’emprise de la honte, de l’humiliation, de la culpabilité mais aussi de la peur, est paralysée et subit les pires avanies, cherchant parfois même des excuses à son bourreau. Le rôle des médecins, souvent les premiers interlocuteurs, est alors aussi difficile que primordial. Ils doivent savoir détecter l’existence de telles violences, apprécier la gravité de la situation et orienter au mieux les victimes.

Récemment s’est développée une nouvelle forme de violence : celle d’enfants ou d’adolescents vis-à-vis d’un membre de leur famille, le plus souvent la mère.

Manque de respect, arrogance, insultes, menaces puis agressions, le mineur devient peu à peu un véritable tyran.

Les violences familiales sont donc devenues, au fil des ans, un problème majeur mettant en cause autant la santé publique que les droits et les devoirs de la personne humaine. Elles ont un coût élevé. Elles sont à l’origine de maladies, de consultations et d’hospitalisations fréquentes, de consommation élevée de médicaments et de drogues licites ou non, d’arrêts de travail répétés qui grèvent les comptes de la sécurité sociale et, en définitive, de vies irrémédiablement gâchées. Elles contribuent également à surcharger l’activité des services de secours de la police et à encombrer les tribunaux.

Ces constatations conduisent l’Académie nationale de médecine à émettre les recommandations suivantes :

— assurer une meilleure connaissance des violences familiales en recensant, chaque année, d’une part le nombre des homicides dus aux violences conjugales, statistique qui aurait une importante portée symbolique, d’autre part le nombre d’ incestes qui ne peut être distingué actuellement de celui des enfants victimes de sévices sexuels, enfin le nombre des infanticides inclus dans celui des homicides des mineurs âgés de quinze ans. Identifier les facteurs de risque serait capital pour faire une meilleure prévention ;

— organiser une prévention dès l’école primaire et le collège comme cela a été fait au Canada. Il convient d’insister sur l’intérêt d’une collaboration entre les parents et les enseignants trop souvent remplacée actuellement par une indifférence voire une hostilité réciproque ;

— renforcer la formation initiale et continue du médecin sur l’enfance maltrai- tée et intégrer l’étude des violences conjugales dans cette formation. Dans le programme du deuxième cycle concernant l’internat, paru le 10 octobre 2000, figure dans le module no 3, au no 37 : « maltraitance et enfant en danger : protection maternelle et infantile » alors que n’existe aucun module sur les violences conjugales ;

— inciter les médecins à dépister les violences conjugales au moindre soupçon (Annexe 1), en diffusant les fiches techniques synthétiques établies avec la collaboration de la Direction Générale de la Santé, rappelant l’importance du dépistage, de l’évaluation de la gravité de la situation, d’une rédaction correcte des certificats, d’une bonne orientation des patientes ;

— saisir l’occasion des consultations au cours de la grossesse pour faire un véritable « diagnostic psychologique prénatal » (Annexe 2), en posant quelques questions simples permettant de mettre en évidence l’existence de violences et de prévoir le risque ultérieur de maltraitance de l’enfant.

Identifier dans les services de maternité un « référent » qui assurerait un suivi personnalisé de toutes les femmes en situation de vulnérabilité ;

— assurer la mise à l’abri de la femme victime de violences, en mettant en place une hospitalisation anonyme afin de prévenir les agressions de la victime hospitalisée et du personnel hospitalier, et développer les solutions d’hébergement d’urgence ;

— installer des lieux d’écoute et de prise en charge des hommes violents, très rares actuellement , tout en sachant la difficulté de traiter et d’amender de tels hommes. Prendre en compte le risque accru de violences conjugales dans le suivi des alcooliques , de certains usagers de drogues , de personnes en situation de précarité ;

— réaffirmer la place des pôles de référence régionaux d’accueil et de prise en charge des personnes victimes de sévices sexuels et des enfants maltraités, coordonnant les dispositifs hospitaliers régionaux et apportant un soutien aux autres équipes hospitalières. D’une façon plus générale , réaffirmer l’intérêt des structures offrant aux victimes un accueil pluridisciplinaire, évitant les démarches successives en des lieux différents ;

— créer pour l’enfance en danger des unités mobiles calquées sur celles des soins palliatifs, pouvant intervenir dans tous les services et auprès des professionnels de santé car l’abord de la maltraitance est difficile et nécessite l’aide de spécialistes ;

— s’assurer que les organismes officiels chargés de lutter contre les violen- ces : commissions départementales de lutte contre les violences faites aux femmes, groupes de coordination départementaux sur la protection de l’enfance, fonctionnent effectivement. Il serait souhaitable que ces deux instances puissent collaborer, voire fusionner. Rien ne pouvant remplacer le contact humain, il est indispensable de faciliter, à l’échelon local, toute rencontre informelle entre les différents acteurs intervenant dans les violences familiales ;

— rappeler aux parents que la véritable prévention de la violence des adolescents envers eux et la société commence dès la prime enfance, en particulier au cours de la phase d’opposition qui se situe vers trois ou quatre ans. Renoncer et ne pas apprendre au jeune enfant, à cette période, à contenir son agressivité peut être l’amorce de violences ultérieures beaucoup plus graves.

*

* *

L’Académie, saisie dans sa séance du 19 novembre 2002, a adopté le texte de ce communiqué à l’unanimité, moins une abstention.

 

ANNEXE 1

LE DÉPISTAGE

Au moindre soupçon, ne pas hésiter à poser des questions simples :

— avez-vous été l’objet de violences ? De la part de qui ?

— avez-vous été menacée ? Par qui ?

— vous entendez-vous bien avec votre mari ou compagnon ?

Rassurer la femme sur la confidentialité de la consultation.

Dans le doute, certains éléments sont évocateurs :

jeune âge de la femme (risque × 2) — maltraitance de la femme dans son enfance (risque × 4) — certaines situations :

• séparation récente, instance de divorce, droit de visite, conflits à propos de l’éducation des enfants • instabilité du couple, infidélité • grossesse, naissance • alcoolisme du conjoint ou conjoint connu pour être violent (autoritaire, jaloux compulsif, immature impulsif, pervers narcissique) • conjoint sans emploi, mise au chômage récente, précarité économique — comportement de la femme :

• craintive, apathique • irritable, agressive • sursautant au moindre bruit • retard aux rendez-vous, oubli, attitude pressée — comportement de l’homme :

• trop prévenant • répondant à la place de sa femme • suggérant les réponses • contrôlant sa femme par des expressions ou des attitudes.

LES SIGNES

Physiques

Souvent évidents :

les lésions • très variées : ecchymoses, hématomes, plaies, brûlures, morsures, traces de strangulation…

• visibles ou dissimulées par les vêtements • siégeant principalement au visage, au crâne, au cou, aux points de préhension, multiples, • d’âges différents — les séquelles : asthénie, myalgies, algies variées, impotence fonctionnelle — les complications :

• fracture des os propres du nez, du massif maxillo-facial, des membres, décollement de la rétine, perforation du tympan • aggravation de maladies chroniques : asthme, hypertension artérielle, diabète en raison d’un état dépressif de la femme ou d’une entrave au traitement par le partenaire.

Parfois, plus difficiles à rattacher aux violences :

les troubles psychosomatiques :

• gastralgies, colite • lombalgies • tachycardie et palpitations • céphalées • douleurs pelviennes chroniques ou dyspareunie Psychiques

Troubles variés :

• État d’anxiété, de panique ou manifestations phobiques • Troubles du sommeil : insomnie, cauchemars • Troubles de l’alimentation : boulimie, anorexie • Troubles cognitifs : difficulté de concentration, perte de mémoire — Dépression (plus de 50 % des cas) avec idée et/ou tentative de suicide —

Abus de médicaments (automédication) et de substances psychoactives (tabac, alcool, drogues) — Syndrome post-traumatique • Rappel brutal et inopiné des évènements du traumatisme (« flash-back », cauchemars) • Réaction émotionnelle exagérée à la moindre stimulation ou provoquée par un événement « gâchette » • Évitement de tout ce qui peut rappeler le traumatisme Les épisodes de violence se répètent, s’aggravent et peuvent aboutir à un homicide ou un suicide.

 

L’ÉVALUATION DE LA GRAVITÉ

On doit tenir compte de plusieurs facteurs :

— l’augmentation de la fréquence et de l’importance des actes de violence (parfois minimisés par la femme), leur ancienneté — le retentissement sur les enfants au foyer — la présence de certains facteurs de vulnérabilité telle que la grossesse — les tentatives de suicide de la femme — le contexte d’alcoolisme chronique, de toxicomanie ou de maladie psychiatrique du partenaire — les menaces de mort — les antécédents d’agression grave à l’aide d’une arme — l’angoisse de la femme qui déclare avoir peur pour sa vie ou celle de ses proches (enfants) LE DOSSIER MÉDICAL ET LE CERTIFICAT MÉDICAL

Le dossier médical

Indispensable , qu’un certificat soit établi ou non (toujours garder une copie des certificats), recours éventuel pour la femme.

Éléments à recueillir :

• début des violences, fréquence, type • contexte déclenchant • alcoolisme, antécédents psychiatriques, origine ethnique du partenaire • violences à l’encontre d’autres membres de la famille (enfants) • lésions constatées : description exhaustive, schéma, photo conseillée • retentissement sur le psychisme • résultat des examens complémentaires • mention des soins et des mesures entreprises Le certificat médical avec ou sans Incapacité Totale de Travail (ITT)

Sur réquisition ou non.

C’est un élément médico-légal capital si une plainte est déposée car il conditionne :

— l’opportunité des poursuites — l’importance des peines • ITT égal ou inférieur à 8 jours : 3 ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende • ITT supérieur à 8 jours : 5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende Quelle que soit la durée de l’incapacité totale de travail, il s’agit d’un délit .

Si la femme ne porte pas plainte, c’est un élément de preuves utile ultérieurement en cas d’aggravation des violences Il doit comporter, outre l’identification du médecin et de la femme, la date et l’heure de l’examen, la signature du médecin sur chaque page :

1. la description exhaustive des lésions en respectant les termes médicaux appropriés (schéma utile, photo conseillée), 2. la liste des examens complémentaires prescrits, 3. les conséquences fonctionnelles des blessures et la détermination de l’ITT, considérée en fonction du travail personnel et non pas professionnel, 4. la mention « sous réserve de complications ultérieures », notamment psychologiques et psychiatriques difficiles à déterminer sur le moment.

en respectant la formulation :

1. la patiente déclare avoir été victime de …

2. le … (heure, jour, mois, année) 3. à … (lieu) 4. par … (inconnu ou connu) L’ORIENTATION DE LA FEMME

En fonction de son existence et de sa proximité, vous pouvez adresser la femme dans un service médico-judiciaire qui possède le savoir faire pour le constat des lésions, l’établissement du certificat, les conseils à donner.

Si la situation vous paraît grave, vous pouvez :

— décider une hospitalisation immédiate , si possible dans un hôpital situé à quelque distance du partenaire violent.

— conseiller à la femme de porter plainte le plus rapidement possible :

• auprès de la police, de la gendarmerie ou du procureur de la république (soit en se rendant directement au service du procureur, soir par écrit) • avec constitution de partie civile (ouverture d’une information judiciaire) en gardant un récépissé du dépôt de plainte • lui conseiller de signaler immédiatement aux enquêteurs les menaces dont elle peut être ultérieurement l’objet.

— informer la femme de son droit de quitter le domicile conjugal et de partir avec ses enfants, à la condition d’assurer sa sécurité en imaginant avec elle des scénarios de protection :

• savoir où se réfugier : parents, famille, amis, foyer, centre spécialisé, voire chambre d’hôtel • emporter les documents importants : documents officiels (carte d’identité ou de séjour, passeport, livret de famille, carnet de santé) chéquier, éléments de preuves (certificats médicaux, témoignages).

• signaler son départ au commissariat de police ou à la brigade de gendarmerie (conseillé sans être obligatoire).

Si la femme ne veut pas porter plainte immédiatement, — elle peut faire consigner les faits :

• au commissariat de police (registre de main-courante) ou à la gendarmerie (procès verbal de renseignement judiciaire).

• en conservant la date et le numéro d’enregistrement du signalement.

• cette formalité n’entraîne pas de poursuite judiciaire mais sera un élément utile si la femme décide plus tard d’engager une procédure civile ou pénale (plainte, séparation, divorce …).

Une excellente solution est de conseiller à la femme de s’adresser aux associations d’aide aux victimes (Fédération Nationale Solidarité Femmes,

Service Téléphonique Violence Conjugale Femmes Infos Service : 01 40 33 80 60) qui peuvent parfois se porter partie civile avec l’accord de la victime ou bien à la délégation départementale ou régionale aux droits des femmes (Préfectures de départements ou de régions).

Si vous estimez que la femme est en danger de mort et refuse toute solution vous pouvez faire un signalement au procureur de la république en vertu des articles 223-6 et 226-14 du nouveau code pénal.

Evitez de rester isolé, renseignez-vous sur l’existence d’un réseau local Prenez contact avec votre Conseil Départemental de l’Ordre.

LA LOI

Les peines pour le partenaire violent

Atteintes volontaires à l’intégrité de la personne : délit, tribunal correctionnel La qualité de conjoint ou de concubin de la victime constitue une circonstance aggravante :

— article 222-12 du code pénal : violences ayant entraîné une ITT pendant plus de 8 jours (5ans d’emprisonnement et 75000 euros d’amende) — article 222-13 : violences n’ayant pas entraîné une ITT pendant plus de 8 jours (3 ans d’emprisonnement et 45000 euros d’amende) Si homicide, viol, mutilation ou torture : crime, cour d’assises La situation du praticien

Si la femme est en danger de mort et refuse de porter plainte, vous pouvez faire un signalement au procureur :

— en vertu de l’article 223-6 (article 9 et 44 du code de déontologie) :

« Quiconque pouvant empêcher par son action immédiate, sans risque pour lui ou les tiers, soit un crime, soit un délit contre l’intégrité corporelle de la personne, s’abstient volontairement de le faire, est puni de 5 ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. Sera puni des mêmes peines quiconque s’abstient volontairement de porter à une personne en péril l’assistance que, sans risque pour lui ou pour les tiers, il pouvait lui prêter par son action personnelle, soit en provoquant un secours. » ;

— en vertu de l’article 226-14 : le secret n’est pas applicable « à celui qui informe les autorités judiciaires, médicales ou administratives, de sévices ou privations dont il a eu connaissance et qui ont été infligées à un mineur de quinze ans ou à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son état physique ou psychique » ;

— cependant, ne pas mentionner directement le nom de l’agresseur et utiliser la formule « aux dires de la femme » (attention à la violation du secret professionnel : article 226-13 du code pénal et articles 4 et 51 du code de déontologie médicale).

L’article 226-14 laissant dans l’imprécision la notion « d’état physique ou psychique », il est important de tenir compte de certains facteurs de fragilité de la femme :

• état de santé délabré • grossesse • présence d’enfants au foyer • dépression • tendance suicidaire ou tentative de suicide.

 

ANNEXE 2

DÉPISTAGE ET PRÉVENTION DE LA MALTRAITANCE

Femmes-Enfants

Recherche des facteurs de risque

Environnement défavorable — âge inférieur à 20 ans — mauvais traitement de la femme au cours de son enfance — violence conjugale constatée par la femme chez ses parents — violence conjugale subie par la femme avant ou au cours de la grossesse — passé pénal — prostitution — milieu défavorisé, promiscuité — déracinement, isolement familial et social — séjour en institution Personnalité des parents — immatures — pervers ou violents — atteints de maladie psychiatrique : psychose ou névrose, état dépressif — alcoolisme (source de violence), toxicomanie (source de négligence) Pathologie obstétricale ou néonatale — grossesses multiples — malformations congénitales, surtout externes Circonstance de la grossesse et de l’accouchement — enfants adultérins, non désirés ou de sexe non souhaité — abandon de la mère — coïncidence de la grossesse avec le deuil d’un proche, chômage récent — consultations prénatales absentes, rares ou tardives — déni de grossesse, absence d’intérêt ou de préparation à la venue de l’enfant — attitude équivoque lors de l’accouchement — attitude équivoque dans les suites de couches : indifférence, hostilité vis à vis de l’enfant, intolérance à ses cris

Bull. Acad. Natle Méd., 2002, 186, n° 8, 1565-1574, séance du 19 novembre 2002