Communication scientifique
Séance du 16 mai 2006

Les maladies infectieuses. De l’importance d’une activité coordonnée à l’échelle européenne

Volker ter Meulen *

Résumé

Les maladies infectieuses représentent un problème de santé majeur, tant pour les pays développés, que pour les pays émergents. Envisagées à l’échelon mondial, les maladies infectieuses sont, en effet, à l’origine d’environ un tiers de tous les décès (46 % des causes de morts dans les pays en voie de développement). D’importants appels ont été lancés travers le monde dans le but d’améliorer les systèmes de santé publique, compte tenu des dangers croissants que présentent les maladies infectieuses, du fait d’un ensemble de microbes d’apparition récente ou résurgents, tels le SRAS, la tuberculose, le sida, la légionellose, le microbe Ebola, l’encéphalite du Nil, les infections nosocomiales opportunistes, les nouvelles variétés de grippe. Ces facteurs sont également associés à des problèmes de sécurité microbiologiques des aliments et au rôle joué par le développement des voyages internationaux, par la croissance du commerce mondial de l’agriculture, tous éléments qui s’intègrent dans les mailles du bioterrorisme. Les maladies infectieuses animales (aux conséquences vitales) tels la grippe aviaire, le virus du singe, les maladies dues aux aliments, transmissibles ou non à l’homme, les maladies végétales, posent, elles aussi, des problèmes, et représentent autant de cibles potentielles pour le bioterrorisme. Et, même si nous disposons d’antibiotiques et de vaccins, les défis persistent dans la lutte contre les micro-organismes, car l’on assiste à une augmentation des résistances antibactériennes et antivirales. Les stratégies vaccinales, quant à elles, peuvent échouer du fait de leur coût trop élevé pour les pays en voie de développement, voire de l’opposition rencontrée dans certains pays de l’Union Européenne, sans sous-estimer les variations antigéniques de certains microorganismes, et de certains virus. L’Académie Allemande des Sciences Leopoldina, en collaboration avec le Comité Consultatif de l’Académie Européenne des Sciences, a précisé quelles devaient être les actions à entreprendre pour lutter contre les maladies infectieuses, et identifié les zones les plus exposées, autant de réalités auxquelles les responsables politiques de l’union Européenne devront faire face. Ces priorités seront exposées et discutées.

Le syndrome respiratoire aiguë sévère et la grippe aviaire, apparus ces dernières années, nous ont appris que la menace d’infections susceptibles de contaminer tant l’homme que l’animal, est loin d’avoir disparue. Et encore, il ne s’agit que de la partie immergée de l’iceberg. En effet, chaque année environ 30 % de l’ensemble des décès enregistrés de par le monde sont dus à des maladies infectieuses, dont la majeure
partie revient soit à des infections aiguës intestinales ou respiratoires, comme c’est le cas chez l’enfant, ou encore au sida, à la tuberculose, au paludisme, à la variole.

Dans les pays industrialisés, les maladies infectieuses posent un problème majeur à cause notamment du développement de résistances aux antibiotiques et aux thérapeutiques anti-virales. Ainsi un grand nombre d’infections bactériennes ne répondent plus aux mesures thérapeutiques. Rappelons qu’à tout moment, apparaissent de nouveaux agents infectieux face auxquels aucun pays n’est à l’abri. Même s’il s’agit de foyers localisés, leurs conséquences se révèlent dramatiques du point de vue économique et leurs répercussions peuvent s’étendre à l’échelon mondial. Le syndrome respiratoire aigu sévère et la grippe aviaire l’ont démontré d’une manière impressionnante. Par ailleurs, les risques du bio-terrorisme, sujet d’actualité dans le contexte politique mondial, ne devraient pas être sous-évalués. A toutes ces menaces permanentes, des mesures actives et durables doivent être opposées.

État actuel de la recherche en infectiologie. Les bases scientifiques

La compréhension de la pathogénicité d’un agent infectieux exige une connaissance précise des interactions avec son hôte tant à l’échelle de la cellule que des organes.

Des recherches dans ce domaine ont ainsi permis de mieux connaître les mécanismes d’action des toxines bactériennes (tétanos — botulisme — charbon — shigella) pénétrant la cellule et neutralisant ses fonctions vitales. Les facteurs responsables du parasitisme intracellulaire des bactéries et des levures, constituent également des déterminants importants de leur pathogénicité.

Les propriétés pathogènes du virus de la variole sont aussi liées à l’expression de gènes qui favorisent la transmission des particules virales des cellules infectées aux cellules voisines.

Les pouvoirs pathogènes de nombreux microorganismes sont déterminés par leur variabilité génétique. La plupart des facteurs responsables du pouvoir pathogène des bactéries sont associés à ce que l’on appelle des « îlots de pathogénicité ». En l’occurrence, il s’agit de gènes, facilement échangeables, qui codent pour des protéines participant à la virulence. Les « intégrons », responsables de la résistance aux antibiotiques font partie de ce pool génétique éminemment flexible.

La variabilité génétique est particulièrement dangereuse lorsque les agents appartiennent à ce que l’on appelle un « réservoir animal ». Ainsi, les épidémies de grippe qui se développent quand les virus grippaux ou des gènes de ces mêmes virus, sont transférés des oiseaux aquatiques, leur hôte naturel, à l’homme en sont un exemple.

Les agents responsables d’une maladie, ne peuvent survivre qu’à condition de se multiplier massivement chez l’hôte infecté, ce qui les rend facilement transmissibles à d’autres sujets.

Mais, compte tenu des multiples mécanismes de défense de l’hôte, une telle transmission ne s’avère pas simple, car au stade initial de l’infection intervient le système
immunitaire inné qui joue un rôle important. On se rend de plus en plus compte que les agents pathogènes développent de véritables stratégies pour échapper aux défenses de l’organisme. Ceci a pu être mis en évidence pour de nombreux virus, tels le papillomavirus, les virus de l’herpès, de la variole, de la grippe, les paramyxovirus, mais aussi pour des bactéries comme les Shigellas et les Francisellas.

Dans la lutte contre les maladies infectieuses, nous sommes redevables aux recherches de biologie moléculaire de tout un ensemble de techniques nouvelles et révolutionnaires. Grâce à l’aide de la réaction polymérase en chaîne (PCR), et l’exemple du syndrome respiratoire aigu sévère l’a démontré, de nouveaux pathogènes ont pu être rapidement identifiés. La technique des ARN interférants (RNAi) est une approche prometteuse pour la compréhension des fonctions des gènes à la fois de l’agent pathogène et de l’hôte, et aussi pour faciliter les développements de nouvelles stratégies thérapeutiques.

Ce que l’on appelle la technique des « Micro-array » permet de reconnaître dans toute leur complexité, les systèmes d’induction et de répression des gènes de l’agent et de l’hôte responsables d’une maladie. Elle permettra de mieux connaître l’ensemble des mécanismes pathogènes et de développer ainsi de nouvelles techniques de diagnostiques.

Nouveaux vaccins — nouvelles perspectives

De nouvelles perspectives se dessinent également dans le développement des vaccins. La vaccination contre les papillomavirus type 16 et 18, responsables du cancer du col de l’utérus, sera très bientôt disponible. Des approches pleines d’espoir reposent sur l’utilisation de bactéries et de virus dont les gènes auront été techniquement modifiés, ainsi que sur des « ADN nus » simples. De même que l’on attache beaucoup d’importance à la stimulation spécifique du système immunitaire innée.

En principe, il est actuellement possible de produire des vaccins contre la majorité des maladies infectieuses. Si ce n’est le cas que pour un nombre limité d’affections, c’est parce que la préparation et le développement de tels vaccins s’avèrent peu attractifs pour l’industrie. Une situation d’autant plus regrettable que la vaccination contre la variole, et peut-être bientôt contre la poliomyélite a prouvé d’une manière patente leur efficacité. Certes, l’éradication d’un agent pathogène pose de nouveaux problèmes quant à la poursuite de mesures de vaccination et de surveillance. Une population non vaccinée peut, en effet, être particulièrement menacée par la réapparition d’un agent pathogène considéré comme éliminé. Ainsi, en cas de reprise de la variole, 75 % de la population risquent d’être atteints. Raison pour laquelle il s’impose de toujours garder en réserve vaccins et plans d’urgence.

RECOMMANDATIONS Nous voudrions formuler quelques propositions concernant les mesures à prendre pour renforcer la surveillance, l’infrastructure, la recherche, ainsi que l’enseignement et la formation continue dans le domaine des maladies infectieuses. Ces recommandations reposent sur les connaissances acquises par notre groupe de travail qui les a présentées et discutées. Elles constituent l’élément de base des suggestions émises par le Conseil Scientifique des Académies Européennes.

Surveillance des infections

Afin d’améliorer la surveillance des infections, il s’impose de :

— créer des centres de référence nationaux et des laboratoires certifiés, ainsi que des structures similaires dans le domaine des épizooties, pour répertorier et contrô- ler l’ensemble du spectre des agents infectieux à la fois chez l’homme et chez l’animal, — élargir les recherches aux agents qui jusqu’à présent n’étaient que très rarement associés à des maladies, — développer des mesures diagnostiques, prophylactiques et thérapeutiques, pour les agents pathogènes dans le but de leur éradication, — créer des réseaux de surveillance tant en médecine humaine que vétérinaire, — créer des réseaux de surveillance à l’échelon national et international, — développer et introduire de nouvelles techniques (PCR, Micro-arrays) diagnostiques des maladies infectieuses.

Infrastructure

Il convient aussi de renforcer les infrastructures dans le domaine des infections en :

— réalisant rapidement un plan d’alerte pour les infections dangereuses importées et pour les attaques bioterroristes, et en créant des centres cliniques pour des traitements intensifs respectant les conditions d’isolement ainsi que des laboratoires de haute sécurité pour le diagnostic des agents pathogènes, — installant des laboratoires BSL-3, — obtenant un changement d’attitude de l’industrie et en incitant à la préparation de vaccins et de médicaments anti-infectieux, — accroissant les capacités de production de vaccins et d’anti-infectieux pour faire face aux pandémies, spécialement en cas de grippes, — créant sur le plan local et régional, des centres spécialisés en « infectiologie », en associant microbiologie, parasitologie, virologie, mycologie, hygiène, immunologie, recherche anti-cancéreuse, biologie cellulaire, épidémiologie et infectiologie clinique.

Recherche

La recherche dans le domaine des micro-organismes humains et vétérinaires (bactéries, parasites, champignons) qui posent des problèmes de santé publique, en raison de leur potentiel pathogénique élevé ou de leur résistance aux antibiotiques, doit être développée.

Ceci concerne les affections suivantes :

— les infections nosocomiales provoquées par les bactéries, plus spécialement par les staphylocoques, les entérocoques, le pseudomonas aeroginosa Escherichia coli et les champignons (plus particulièrement Candida et Aspergillus ), — les pneumonies et autres affections respiratoires provoquées avant tout par Mycobacterium tuberculosis, pneumocoques, Legionella pneumoniae , Chlamydophila pneumoniae , Mycoplasma pneumoniae, — les méningites provoquées surtout par méningocoques, pneumocoques, haemo- philus influenzae, Escherichia coli et Listeria monocytogenes, — les infections intestinales et les contaminations des aliments par salmonelles, Campylobacter, Escherichia coli, Listeria monocytogenes, Staphylococcus aureus, Bacillus cereus et Yersinia enterocolitica, entamoebes, — les pathologies secondaires telles par exemple cancers et maladies autoimmunes, qui peuvent être déclenchées chez l’hôte infecté par des microorganismes comme Helicobacter pylori et Chlamydiae, — les maladies tropicales (paludisme, maladie du sommeil, leishmaniose) provoquées par des parasites monocellulaires.

Concernant la recherche de virus et de prions humains ou animaux, qui posent des problèmes particuliers de santé, il faudrait s’intéresser aux :

— hépatites provoquées par les virus A-B-C-D-E, — Sida provoqué par le VIH, et les maladies opportunistes, — infections dues aux transfusions et aux transplantations provoquées par les virus de l’hépatite B et C ou le cytomégalovirus humain, — pneumonies et autres maladies respiratoires provoquées par les virus de la grippe ou le virus respiratoire syncytial, — tumeurs dues aux papillomavirus, herpèsvirus, virus des hépatites, rétrovirus, — maladies nouvelles ou transmises périodiquement de l’animal à l’homme et provoquées par les virus de la grippe, le coronavirus, les virus responsables des fièvres hémorragiques, — encéphalopathies provoquées par des prions.

Les sujets suivants devraient être plus particulièrement étudiés dans le contexte de l’analyse de la biologie des micro-organismes pathogènes et des mécanismes de défense de l’hôte contre ces agents pathogènes :

— l’écologie et la composition des micro-organismes pathogènes, — le métabolisme des micro-organismes pathogènes et des cellules infectées, — l’évolution de la virulence microbienne et de la résistance aux antibiotiques, — la plasticité du génome et le rôle des pool de gènes dans la virulence, — la diversité antigénique des agents pathogènes, — la sensibilité génétique des hôtes face aux agents pathogènes.

La recherche devrait aussi s’impliquer davantage dans l’étude des interactions entre les agents pathogènes et leur hôte sensible, en se penchant plus particulièrement sur :

— la pathogénie in vivo des infections avec l’apport de modèles animaux appropriés, des méthodes d’imagerie et les techniques de RNAi, — les mécanismes qui facilitent le passage des barrières epithéliales et endothéliales (hémato-méningée, épithélium intestinal et pulmonaire, placenta). Les analyses devraient se focaliser sur les récepteurs et autres molécules de surface des cellules sensibles et sur les structures correspondantes de la surface microbienne, ainsi que sur les voies de communication de cellule à cellule, — les phénomènes métaboliques conduisant à la compartimentalisation des microorganismes chez l’hôte, — l’explication des mécanismes déterminant le tropisme, l’adaptation à l’hôte et le franchissement des barrières d’espèces, — les mécanismes de l’abolition des défenses immunitaires de l’hôte par l’agent pathogène, — l’étude du rapport entre commensalisme et infections nosocomiales, — les pathologies secondaires, telles maladies cancéreuses et autoimmunes déclenchées par l’agent pathogène.

Afin de pouvoir conduire ces différentes investigations, il faut mettre au point de nouvelles techniques et favoriser :

— le développement de nouvelles technologies dans le but d’identifier les cibles thérapeutiques et vaccinales, — la recherche de nouvelles stratégies diagnostiques, — l’établissement de métagénomes reproductibles de communautés microbiennes comme par exemple la flore intestinale, — le développement de nouvelles techniques de criblage in vivo pour l’identification des cibles des gènes impliqués dans l’infection, — la poursuite du développement de la bioluminescence ainsi que d’autres techniques d’imagerie permettant de suivre in vivo l’évolution des infections, — la poursuite du développement des techniques nécessaires à l’étude des infections, tels les transcriptomes, protéomes, métabolomes et interactomes, — le développement de nouveaux modèles animaux grâce aux techniques transgéniques,
— la mise en place de banques généalogiques et tissulaires, — la poursuite de techniques et de méthodes bioinformatiques.

Enseignement et formation continue .

Nous ne pourrons faire face avec succès aux risques des maladies infectieuses qu’en formant davantage de spécialistes dans ce domaine. Cette formation devrait débuter dès les études de médecine. Il s’impose aussi de former davantage de chercheurs et de post-doctorants, afin d’être à même de répondre aux besoins de médecins dans les domaines du diagnostic, du traitement, et de la prévention des maladies infectieuses.

Afin d’arriver à réaliser ces objectifs, il faut :

— un enseignement plus poussé des médecins praticiens et les inciter à l’infectiologie ainsi qu’à la médecine tropicale, — créer des enseignements complémentaires pour former les étudiants en médecine à la recherche en infectiologie, — développer l’internationalisation des programmes post-gradués et des écoles doctorales pour les biologistes, — mettre en place un programme de formation pour les épidémiologistes, — développer l’infectiologie clinique et inciter les jeunes à faire de la recherche, par des programmes d’enseignement et de perfectionnement.


* Professeur Dr. Volker ter MEULEN, Président de la Deutsche Akademie der Naturforscher Leopoldina (République Fédérale d’Allemagne)

Bull. Acad. Natle Méd., 2006, 190, no 9, 1889-1895, séance du 16 mai 2006