Communication scientifique
Session of 29 novembre 2011

Les grands singes : qui sont-ils ? Sont-ils capables d’automédication ?

MOTS-CLÉS : hominidae. maladie des grands singes. parasitologie.. zoonoses
Great apes : who are they ? Are they able to self-medicate ?
KEY-WORDS : ape diseases. hominidae. parasitology.. zoonoses

Sabrina Krief *, Jean-Michel Krief, John Kasenene, Thierry Sévenet, Claude Marcel Hladik, Georges Snounou, Jacques Guillot

Résumé

Six espèces de grands singes (chimpanzés, bonobos, gorilles de l’Est, gorilles de l’Ouest, orangs-outans de Bornéo et orangs-outans de Sumatra), primates non humains de la famille des Hominidae, vivent dans les forêts tropicales d’Afrique et d’Asie du Sud-Est. Cet habitat, fortement menacé par la déforestation, offre une diversité biologique et chimique d’une richesse inestimable. Au cours de ces dernières années, nous avons découvert de nouvelles molécules à activités pharmacologiques, à partir de plantes utilisées par les chimpanzés sauvages du parc national de Kibale en Ouganda. Nos observations, conduites en continu depuis douze ans, confirment que ces plantes sont sélectionnées par des individus malades sans aucun symptôme visible soutenant l’hypothèse de l’existence de comportements d’automédication chez les grands singes. Préserver et étudier nos plus proches parents dans leur habitat naturel contribue à la connaissance des ressources médicinales de la forêt tropicale et des maladies des Grands Singes et permettra peut-être d’apporter des éléments de réponse à des questions de santé humaine.

Summary

Six great ape species (chimpanzees, bonobos, Western gorillas, Eastern gorillas, Sumatran orangutans and Bornean orangutans) live in tropical forests of Africa and South-East Asia. Their habitat, severely threatened by deforestation, contains a vast chemical and biological diversity. During the last decade, we have isolated and identified novel pharmacologically active compounds from plants used by wild chimpanzees in Kibale National Park, Uganda. Our continuous observations over the last 12 years confirm that chimpanzees, when sick, may ingest plant material that are not generally eaten, supporting the existence of selfmedication among great apes. Knowledge of great-ape diseases, and the medicinal resources of tropical forests, may be improved by preserving and studying our closest relatives in their natural habitat.

INTRODUCTION

Les grands singes (

Great Apes en anglais) sont des primates de la famille des

Hominidés qui se caractérisent par une absence de queue, un volume cérébral élevé par rapport à leur poids et à leur taille corporelle et par conséquent d’importantes capacités cognitives. Parmi les trois cents espèces de primates répertoriées, on ne compte aujourd’hui que six espèces de grands singes. Ils vivent uniquement en forêt tropicale (comme 90 % des primates non humains), en Afrique équatoriale (deux espèces du genre Pan – chimpanzés et bonobos ; deux espèces du genre Gorilla- gorilles de l’Est et gorilles de l’Ouest) et en Asie du Sud-Est (deux espèces du genre

Pongo , insulaires : orangs-outans de Bornéo et orangs-outans de Sumatra). Ces six espèces sont aujourd’hui fortement menacées en milieu naturel (selon les espèces, de 7 000 à 300 000 représentants estimés) et toutes les populations sont en diminution numérique (tableau 1). Les menaces principales sont la fragmentation de l’habitat due à la déforestation pour l’exploitation du bois et des produits miniers et à l’empiètement des zones cultivées sur les forêts, le braconnage pour la viande de brousse et le commerce d’animaux vivants (favorisés par l’ouverture de pistes lors de la déforestation), les maladies, et plus généralement la pression démographique. La proximité spatiale entre les grands singes et les hommes s’accroît donc dans de nombreuses régions. Par conséquent, le risque zoonotique augmente, tout particulièrement pour des espèces phylogénétiquement proches, comme les sont les grands singes et les hommes.

Les maladies des grands singes en milieu naturel sont assez peu connues. Les travaux en laboratoire ont montré que ces espèces partagent avec l’homme de nombreuses maladies, parfois létales chez ce dernier (rougeole, Ebola, SIV et HIV, etc). Lors de notre découverte des activités pharmacologiques antiplasmodiales de plantes consommées par les chimpanzés (début des années 2000), les données sur le paludisme des chimpanzés sauvages dataient des années 60 et étaient parcellaires. Les observations semblent toutes abonder dans le sens de parasites très proches de ceux de l’homme ( Plasmodium reichenowi , P. schwetzi , P. rodhaini respectivement semblables à

P. falciparum, P. vivax ou P. ovale et P. malariae ) mais qui ne causeraient que des troubles mineurs chez les chimpanzés.

Chez les grands singes, des travaux récents ont permis de mettre en évidence des caractéristiques qui étaient auparavant décrites uniquement chez les humains comme l’utilisation d’outils, l’existence de comportements culturels mais aussi une

Tableau 1. — Les espèces de grands singes : leur localisation géographique, leur nombre et leur statut de conservation Statut

Nom

Nombre

Tendance selon la

Genre

Espèce commun

Localisation estimé pour la liste rouge population de l’UICN

OrangÎle de Bornéo En pygmaeus outan (Malaisie et 50 000 En danger diminution Pongo de Bornéo Indonésie) OrangÎle de Sumatra En danger En abelii outan (Indonésie) 7 000 critique diminution de Sumatra 21 pays d’Afrique Equatoriale 170 000 à En danger En troglodytes Chimpanzé (répartition 300 000 diminution discontinue et Pan fragmentée) République Bonobo Démocratique du En paniscus 30 000 à En danger Congo, sud du fleuve diminution 50 000 Congo uniquement Nigeria, Cameroun, Guinée Equatoriale, G. g. gorilla :

90 000 En danger En gorilla

Gorille de Gabon, RCA, G. g. dielhi :

critique diminution l’Ouest République du Congo, Cabinda 300 individus Gorilla

G.b. beringei :

700 individus Gorille de RDC, Ouganda, En beringei

G.b. graueri :

En danger l’Est Rwanda diminution 17 000 en 1995 mémoire associative particulièrement développée, tout particulièrement chez les chimpanzés. Ces capacités, ainsi que la diversité botanique et chimique de leur habitat (biodiversité remarquable des forêts tropicales), nous a conduit à postuler qu’il pourrait exister chez les grands singes, un usage des plantes de leur environnement pour le maintien ou l’amélioration de leur santé. Existerait-il une médecine ou plutôt une automédication chez les grands singes ?

LES PREMIÈRES OBSERVATIONS DE PHARMACOGNOSIE CHEZ LES GRANDS SINGES

La zoopharmacognosie correspond à l’étude des comportements d’auto-médication chez les animaux. En observant le comportement d’ingurgitation de feuilles rugueuses chez des chimpanzé Richard Wrangham [1], il y a plus d’une trentaine d’années suggéra le premier que les raisons de la sélection de ces plantes étaient probablement autres que nutritionnelles. Depuis, les études ont confirmé que ce comportement, par une action mécanique, induisait une accélération du transit et contribuait à l’expulsion de parasites intestinaux confirmant l’hypothèse d’une utilisation médicinale des feuilles ingérées. En effet, en principe, le transit digestif d’un chimpanzé est de l’ordre de 24 à 48 heures : les feuilles sont ingurgitées à cet usage par les chimpanzés à jeun dès leur réveil et, six heures après avoir été avalées sans mastication, les feuilles sont déféquées, entraînant parfois avec elles des nématodes parasites intestinaux. Le limbe de ces feuilles est hérissé de trichomes ou rugueux comme du papier de verre ( Ficus asperifolia par exemple), propriété d’ailleurs utilisée à cet usage par les villageois … Plusieurs espèces sont consommées selon le même procédé : dans le parc de Kibale en Ouganda où nous travaillons, les feuilles des plantes Aneilema aequinoctiale , Rubia cordifolia , Ficus exasperata , Ficus asperifolia sont ingurgitées sans mastication. Ce comportement est largement répandu chez les grands singes africains : une enquête auprès de chercheurs a permis de répertorier plus de trente espèces consommées ainsi par les bonobos, gorilles ou chimpanzés [2]. Chezles chimpanzés comme chez les bonobos, une augmentation de la consommation de feuilles rugueuses a été décrite en saison des pluies, période à laquelle la prévalence des nématodes du genre Oesophagostomum augmente [3, 4] .

L’ingurgitation des feuilles rugueuses agirait comme un « traitement mécanique » vis-à-vis des nématodes.

Il y a plus d’une vingtaine d’années, M. Huffman [6] a observé une femelle chimpanzé apathique consommer les tiges amères d’une plante, généralement évitée par les chimpanzés. Après cette consommation, son état de santé s’est visiblement amélioré. Les guérisseurs locaux africains connaissent bien Vernonia amygdalina , cette espèce qu’ils utilisent pour traiter le paludisme. Le comportement de cette femelle chimpanzé a permis à M. Huffman et ses collègues de mettre au jour de nouvelles molécules antiparasitaires [7]. Depuis, peu de nouveaux travaux ont été publiés sur les propriétés pharmacologiques des plantes consommées par les grands singes.

Une seule espèce, décrite dans un même groupe de chimpanzés, serait donc utilisée pour ses propriétés chimiques thérapeutiques ? Compte tenu des capacités cognitives des chimpanzés, nous proposons de vérifier l’hypothèse de l’existence d’un répertoire plus large de plantes utilisées par ces primates pour leurs propriétés pharmacologiques.

OBSERVATIONS SUR LES CHIMPANZÉS EN OUGANDA

Nos travaux, débutés en 2000 dans le parc national de Kibale en Ouganda, ont pour objectif de rechercher les plantes potentiellement actives parmi celles consommées par les chimpanzés. Ces travaux sont menés depuis 2006 en collaboration entre le Muséum national d’Histoire naturelle, l’Institut de Chimie des Substances Naturel- les (CNRS) et nos collègues ougandais de l’Université Makerere de Kampala et de l’Uganda Wildlife Authority dans le cadre d’un accord de collaboration.

Notre objectif est de croiser plusieurs disciplines (médecine vétérinaire, éthologie, chimie des substances naturelles) pour obtenir des données complémentaires. Deux communautés voisines de chimpanzés (Kanyawara et Sebitoli) du parc et deux types de données sont obtenus, en fonction du « niveau d’habituation » des chimpanzés (tableau 2).

Tableau 2. — Caractéristiques des sites d’étude des chimpanzés et travail de recherche réalisé Sites

Nombre de

Début de

Distance

Thématique et travail de terrain chimpanzés l’habituation d’observation réalisé en 2011 des chimpanzés

Kanyawara, 40-50 Années 80, 5-10 m dans — suivi individuel des chimpanzés :

Parc initiée par les arbres et relevé systématique des signes National R.

au sol cliniques, collecte des selles, de Kibale, W.

Wranobservation du comportement Ouganda gham alimentaire (Harvard — collecte d’échantillons pour la University) phytochimie 70-100 2008, > à 20 m, — évaluation de l’impact de Sebitoli, (estimation) initiée dans les l’anthropisation sur la santé, Parc par S. Krief arbres le comportement, la démographie National de (MNHN) uniquement et l’écologie des chimpanzés Kibale, Ouganda — collecte d’échantillons pour la phytochimie Le suivi sanitaire individuel d’une jeune femelle (OK) qui souffrait de troubles digestifs et la comparaison de son alimentation à celle du reste du groupe a mis en évidence la consommation d’écorce d’ Albizia grandibracteata . Ce comportement coûteux en énergie et en temps alors que la disponibilité en fruits, aliments favoris des chimpanzés, était bonne a motivé les travaux ultérieurs. Les recherches bibliographiques et les enquêtes auprès des médecins traditionnels révèlent que les hommes utilisent les écorces d’ Albizia grandibracteata pour traiter les maux intestinaux et les ballonnements et en particulier le parasitisme intestinal. Dans les jours qui suivirent la consommation d’écorce, la jeune chimpanzé avait retrouvé un transit digestif normal. Les essais biologiques à partir des extraits bruts de la plante ont révélé une activité sur les nématodes, puis le fractionnement « bioguidé » des extraits a permis l’isolement et la détermination structurale de nouveaux saponosides. Ceux-ci inhibent en outre la croissance des cellules tumorales (KB et MCF7) en croissance [8].

Le suivi sanitaire a également mis en évidence un mâle adulte (LK), abattu et boiteux, isolé du reste du groupe et qui consommait presque exclusivement des feuilles de Trichilia rubescens . Des observations plus spécifiques ont montré que ces feuilles amères uniquement prélevées sur de jeunes arbres, étaient sélectionnées généralement par un seul chimpanzé qui n’en mangeait que quelques unes, pendant un temps assez court. Parfois, le consommateur est un individu blessé ou malade, mais souvent aucun symptôme visible ne l’affecte. Notre travail de phytochimie a permis d’isoler de ces feuilles, de nouvelles molécules limonoïdes à forte activité anti-plasmodiale, en culture, équivalente à celle de la chloroquine [9].

Nos observations sur les chimpanzés ont par ailleurs montré qu’il est nécessaire de ne pas considérer la valeur pharmacologique d’un seul aliment, isolé. Par exemple, lors de la consommation de colobe, les chimpanzés associent à la chair des animaux des feuilles de différentes espèces, généralement non consommées dans un autre contexte, et forment une chique qu’ils mastiquent longuement. Si les raisons (amé- lioration de la texture et facilitation du masticage, masquage ou amélioration du goût, propriétés antibactériennes ou digestives des feuilles) ne sont pas encore élucidées, ce comportement confirme néanmoins que des mélanges et des associations sont parfois recherchées. C’est ainsi que nos observations de terrain ont montré que la consommation de feuilles de Trichilia rubescens pouvait être couplée à celle de terre. Nous avons modélisé la digestion des deux « aliments ». Nous avons reproduit les étapes de la digestion, de la mastication à la digestion gastrique et intestinale, et mesuré l’activité anti-plasmodiale des deux produits séparément puis du mélange. Il est alors apparu que l’activité du mélange était plus forte que celle de chacun des deux produits initiaux. En associant ainsi dans le temps la terre aux feuilles de Trichilia rubescens , l’activité biologique semble potentialisée [10].

 

APPRENTISSAGE DE LA PHARMACOGNOSIE

Les études sur l’apprentissage du choix des plantes ingérées par les primates non humains sont nombreuses mais se concentrent sur la façon dont les jeunes sélectionnent leurs aliments. Comme les autres mammifères, les jeunes primates étudiés en captivité manifestent un mélange de néophobie et de curiosité face à un nouvel aliment. La néophobie les préserve d’une intoxication et la curiosité leur permet d’explorer leur environnement gustatif et d’élargir leur répertoire alimentaire. Les travaux de Tarnaud & Yamagiwa [11] confirment qu’en milieu naturel, le jeune macaque acquiert très tôt un régime alimentaire varié et qu’au sevrage, les aliments qu’il consomme sont pratiquement aussi nombreux que ceux consommés par sa mère. L’apprentissage individuel, l’observation de la mère et la synchronisation des périodes d’alimentation avec ses congénères sont les moyens d’acquérir ce répertoire. Chez les chimpanzés, même si des observations font état de mères retirant des aliments des mains ou de la bouche de leur progéniture sont rapportées, les études conduites en captivité ainsi que nos observations en milieu naturel montrent que les mères n’interviennent que rarement de façon active pour orienter le choix alimentaire de leurs enfants. Alors que la part sociale de l’apprentissage chez le jeune enfant humain est très large, il apparaît au contraire que chez le jeune primate la part de l’apprentissage individuel est prépondérante dans l’acquisition du régime alimen- taire. Cependant, chez les grands singes, des transferts de nourriture solide de la mère au jeune se produisent en réponse à du quémandage. Comment les jeunes primates apprennent à consommer des plantes susceptibles d’améliorer leur état de santé ? En captivité Huffman et Hirata [12] ont montré que des chimpanzés ayant grandi en captivité peuvent spontanément rouler des feuilles rugueuses qu’on leur présente alors que d’autres refusent de les consommer, puis les ingèrent ensuite en présence de congénères. Une acquisition opportuniste qui se transmettrait comme une tradition ? Il semble bien en effet qu’il existe un usage traditionnel de certaines plantes. Ainsi, les chimpanzés de Mahale en Tanzanie, consomment les écorces de vingt et une espèces. Alors que treize d’entre elles sont aussi présentes à Gombe en Tanzanie, les chimpanzés vivant sur ce site n’en consomment que trois [13]…

Nos travaux comparant le comportement des chimpanzés de Kibale aux gorilles de l’Ouest en République Centrafricaine mettent en évidence que les chimpanzés, jeunes comme adultes, observent de façon soutenue leurs congénères lorsqu’ils consomment des aliments inhabituels alors que ce comportement est beaucoup moins fréquent chez les gorilles et n’existe que chez les individus immatures.

En outre, ces observations, rapprochées et soutenues, sont observés entre jeunes gorilles appartenant à la même clase d’âge alors que le modèle favori des chimpanzés (jeunes comme adultes) est un adulte âgé de 28 à 35 ans, c’est à dire mature et en bonne santé [14].

CONCLUSION

La biologie et la chimie des plantes n’ont à ce jour exploré qu’une petite partie de la diversité végétale de la planète. D’autre part, la médecine occidentale est loin d’avoir exploité toutes les ressources offertes par la nature. Les hommes qui vivent dans ou près des forêts tropicales d’Afrique ou d’Asie en connaissent les richesses. Nous avons recherché le recouvrement qui peut exister entre les plantes utilisées dans un but thérapeutique par les populations locales et celles consommées occasionnellement et en faible quantité par les grands singes. Parmi plus de cent-cinquante parties de plantes consommées par les chimpanzés, plus de 20 % font partie de la pharmacopée africaine répertoriée [15]. Nos travaux contribuent à documenter des questions très générales (comme par exemple mieux comprendre l’origine de la médecine chez l’Homme) mais apportent également des données plus appliquées, en chimie et pharmacologie ou encore sur les maladies des grands singes et leur potentiel zoonotique. La connaissance des grands singes et leur préservation apparaissent essentielles : non seulement, il s’agit d’espèces emblématiques et charismatiques dites « parapluie » (leur préservation contribue à celle de nombreuses espèces animales et végétales partageant leur écosystème) mais aussi, elles participent à la dissémination des graines de grande taille et représentent donc des « espèces clés de voute » de leur écosystème. Outre leur évidente contribution à la sauvegarde de la biodiversité, nos recherches soulignent la nécessité et l’urgence d’agir pour préserver les forêts tropicales et leurs ressources, pour la santé de la faune sauvage mais aussi pour celle de l’homme.

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[15] Krief S., Hladik C.M., Haxaire C. — Ethnomedicinal and bioactive properties of the plants ingested by wild chimpanzees in Uganda. Journal of Ethnopharmacology , 2005 ,101 , 1-15.

 

DISCUSSION

Cette communication a suscité de nombreuses questions sur la vie des grands singes. Les réponses fournies par Sabrina Krief nous ont conduits à consacrer à ce thème un espace supplémentaire.

M. Jacques BATTIN

Dans le règlement des conflits, les Bonobos font l’amour et pas la guerre (selon le slogan de mai 68), tandis que les chimpanzés sont agressifs. Ce qui rappelle les constatations de Margaret Mead sur les Arapehs et les Mundgumor, lui faisant dire que des comportements masculin et féminin ne sont pas de nature, mais naturels. Vos travaux montrent-ils qu’il y a un support génétique, même faible, une transmission des caractères acquis, un apprentissage ? Quand, comment, et sous quelle forme ?

 

Sabrina KRIEF

Dans son ouvrage «

Mœurs et sexualité en Océanie » publié en 1963, l’anthropologue

Margaret Mead décrit en effet des attitudes « naturellement » masculines et « naturellement » féminines dans trois sociétés de Nouvelle-Guinée, dont les Arapesh et les Mundugumor. Selon Mead, la société Arapesh est constituée d’hommes et de femmes également doux, sensibles, paisibles et « maternels » alors que les hommes et les femmes Mundugumor sont agressifs, durs et violents. Chez ces derniers, les enfants sont soumis à un stress permanent, devant, par exemple, téter très rapidement, sous peine d’être écartés du sein. Certains enfants Mundugumor sont tués ou donnés à la naissance, en cas de déception des parents par rapport au sexe espéré. Au cours de son travail de terrain, l’anthropologue américaine explique qu’elle ne put dénoter aucune différence de structure dans les sociétés, ou de comportement entre les individus, qui puisse être liée au sexe.

À partir de cette description du comportement des hommes et femmes Mundugumor et Arapesh vis-à-vis des nouveaux-nés par exemple, il est certain que celui des chimpanzés est plus proche des Arapesh, doux et attentionnés, que des Mundugumor. Les femelles font preuve d’une très grande patience et d’une grande attention, vis-à-vis de leur petit.

S’il vient à décéder pendant les premières années de sa vie, la mère va le plus souvent garder le corps sans vie pendant des jours, voire des semaines.

Concernant la vision opposant les représentants du genre Pan , (chimpanzés et bonobos), l’année 2009 pourrait représenter un tournant. En effet, Surbek et al , dans une publication parue cette année-là, décrivent la présence d’une phalange de mangabé noir (

Lophocebus aterrimus ) dans les selles d’un bonobo ( Pan paniscus ) de Lui Kotale (Salonga NP), montrant pour la première fois que les bonobos consomment d’autres primates.

Jusqu’alors, l’absence de consommation de primates par les bonobos et les interactions, décrites comme pacifiques, des bonobos avec les singes avec lesquels peuvent même s’instaurer des séances d’épouillage avaient conduit à une idéalisation du bonobo . Cette comparaison entre chimpanzé (par troglodytes) et bonobo a conduit à des spéculations sur le fait que la violence serait héritée de notre ancêtre commun et serait partagée avec les chimpanzés, mais pas avec les bonobos, qui pourraient être « sympathetic to a victim » (Wrangham & Peterson, 1996 ; Wrangham, 1999), tout particulièrement si celle-ci se trouve être phylogénétiquement proche (un autre primate). D’ailleurs, comme dans le cas décrit par Surbek et al ., la chasse n’avait pas été observée, les auteurs, comme gênés par leur découverte, proposaient que cette observation traduise la rareté du comportement de chasse de primates chez les bonobos : ainsi, la coopération et violence sociale des males chimpanzés expliqueraient le succès de la chasse dans cette espèce, alors que la société bonobo, régie par des liens forts entre femelles, ne serait pas aussi efficace lors de la chasse, car non violente. Mais, comme le souligne Stanford (1998), ces suggestions concernant le comportement des bonobos, sont souvent spéculatives et résultent de données généralement obtenues à partir d’observations de bonobos captifs ou de communautés qui ont été nourries pendant l’habituation (familiarisation aux observateurs humains). Ainsi, les premières observations des bonobos, relayées par la presse, ont simplifié le comportement des deux espèces en une vision manichéenne: une société bonobo pacifiste où les femelles dominent, à tendance plutôt végétarienne vs une société chimpanzé violente, aimant la viande et guerrière dans laquelle les mâles collaborent, principalement pour accéder au pouvoir et au sexe. Encore plus réductrice est la dichotomie souvent utilisée asseyant la société chimpanzé sur des comportements visant au « pouvoir pour le sexe » contre la règle qui serait en vigueur chez les bonobos basée sur « le sexe pour le pouvoir ». Il a aujourd’hui été montré que, chez les chimpanzés comme chez les bonobos, les femelles chassent. À Kanyawara, dans le parc national de Kibale, les femelles que nous observons prennent activement part aux chasses et consomment de la viande (obs. pers.) même si les mâles sont plus fréquemment impliqués que les femelles dans les parties de chasse. À Lomako, sept captures de céphalophes ont été observées entre 1990 et 1997 et dans chaque cas, les femelles possédaient la carcasse et partageaient, plus souvent avec les autres femelles, mais les mâles aussi pouvaient recevoir un morceau (Fruth, en réponse à Stanford, 1998). À Wamba aussi les femelles chassent : Ingmanson dans sa réponse à Stanford (1998) rapporte le cas d’une femelle de haut rang chassant un écureuil volant et le partageant avec les autres femelles et les jeunes. Il est à souhaiter que dans le futur, la connaissance des comportements de bonobos vivant dans des milieux différents, plus ouverts, plus secs et utilisant des zones de savane par exemple permette de mieux décrire la société des bonobos et de s’écarter de ces stéréotypes simplistes. Il est fort probable que certains individus, certaines communautés de chimpanzés soient plus violentes et plus aptes à la chasse aussi et d’autres plus pacifiques. Hladik décrit l’émotion vive d’un groupe de chimpanzés suscitée par le refus de réconciliation d’une des leurs. Il propose que l’existence d’attitudes individuelles seraient garantes la cohésion des groupes sociaux et garantiraient le respect de « normes » ou « règles » visant au maintien des liens sociaux (Hladik, 2011). À l’inverse, à Ngogo, Watts et Mitani ont décrit des cas d’infanticides, de cannibalisme, de violence inter et intra-communautés (Watts & Mitani 2000, 2002 ; Watts et al. 2002), mais Mitani (2006) a aussi souligné le cas particulier de cette communauté qui présente des caractéristiques démographiques exceptionnelles : en effet, elle compte plus de cent-cinquante individus dont plus de trente-cinq mâles adolescents et adultes et se trouve ainsi être, de loin, la plus grande communauté décrite et suivie scientifiquement en milieu naturel. Les mâles chimpanzés de Ngogo patrouillent en moyenne une fois tous les dix jours ce qui est beaucoup plus fréquent que ce qui est observé ailleurs, ces patrouilles se soldant plus souvent qu’ailleurs par des attaques létales : entre 1999 et 2002, sept individus ont été tués (Watts & Mitani 2000 ; Watts et al. 2002). Cependant, rapportées au nombre total d’individus de la communauté, ces fréquences ne sont pas différentes des autres communautés étudiées. Qui plus est, les associations lors des différentes activités (épouillage, patrouilles, chasse, etc.) ne semblent pas être plus fréquentes entre mâles apparentés (ce sont les femelles qui quittent le territoire de naissance dans cette espèce). En fait, peut-être à cause des longs intervalles entre naissances, ce sont plutôt des cohortes de mâles du même âge qui se forment (Mitani, 2006). En conclusion, il semble que les caractéristiques démographiques — souvent oubliées au profit des caractéristiques environnementales et génétiques — aient un fort impact sur les comportements et expliquent, au moins en partie, les différences observées entre communautés et sous-espèces de chimpanzés par exemple (Mitani, 2006).

D’autres hypothèses sont invoquées pour expliquer les différences comportementales entre les deux espèces du genre Pan et tout particulièrement l’aspect pacifique des interactions sociales entre femelles. Parmi celles-ci, l’une d’elles évoque le pédomorphisme (persistance de caractères juvéniles à l’âge adulte) des bonobos comme ayant des conséquences éventuelles sur le comportement. Les bonobos et les chimpanzés diffèrent dans leur morphologie, leur physiologie, leur comportement et leur cognition et ces différences sont supposées être, en partie, dues à des différences dans leur développement.

Les bonobos semblent garder des traits juvéniles comportementaux dans leurs jeux et leur comportement sexuel non-conceptif. Ces caractéristiques sont associées à une plus forte tolérance sociale à l’âge adulte, en particulier lors du partage de la nourriture ou de la résolution de conflits. L’étude conduite par Wobber et al. (2010) suggère qu’un « retard » de développement chez les bonobos produirait des différences qui apparaissent tout particulièrement lors de la compétition alimentaire. La tolérance interindividuelle décroît chez les chimpanzés avec l’âge alors qu’elle se maintient chez les bonobos, avec pour conséquence, par exemple, que les chimpanzés acquièrent plus rapidement la capacité d’inhiber des comportements de quémande que les bonobos. Le partage des aliments usuels est plus fréquent chez les bonobos que chez les chimpanzés. Alors que les partages observés chez les chimpanzés font le plus souvent suite à la chasse et mettent en jeu de la viande, aliment occasionnel, ils sont fréquents chez les bonobos autour des fruits. Entre 1990 et 1997, le taux de partage des fruits entre les bonobos de Lomako a été quinze fois plus fréquent que celui de partage de viande (Fruth en réponse à Stanford, 1998). Herrmann et al. (2007) proposent que les humains auraient une capacité adaptative cruciale par rapport aux autres grands singes, liée à un développement accéléré des compétences sociales chez les enfants. L’homme, considéré comme « ultra-social », au delà de la compétition ou de la coopération avec ses congénères, a développé des rites, des pratiques, des symboles propres à chaque groupe culturel. Pour pouvoir vivre en harmonie dans son groupe social, l’enfant humain doit apprendre très tôt cette culture et participer à ces pratiques qui nécessitent des compétences de communication (parler, lire, écrire), de théorie de l’esprit, ce que Herman et al (2007) appelle « l’hypothèse de l’intelligence culturelle ». L’ensemble des observations sur les grands singes peuvent certes nous permettre de mieux appréhender les facteurs favorisant l’émergence de certains traits chez l’homme, mais comme dans le cas de l’ouvrage de M. Mead dont les conclusions ont été modulées par les ethnologues ayant étudié ultérieurement les deux sociétés, il faut souvent de longues années d’étude et de comparaison inter-sites pour pouvoir mieux décrire le comportement d’une ‘société’ de grands singes.

[1] Herrmann E., Call J., Hernandez M.V., Hare B., Tomasello M. — Humans Have Evolved Specialized Skills of Social Cognition: 2007 The Cultural Intelligence Hypothesis. Science, 2007, 317 (5843) , 1360-1366 DOI: 10.1126/science.1146282 [2] ’Hladik C.M. — Des relations d’attachement essentielles à la vie d’un groupe de chimpanzés.

Primates, Nathan, 2010.

[3] Hohmann G., Fruth B. — New records on prey capture and meat eating by bonobos at Lui Kotale, Salonga National Park, Democratic Republic of Congo. Folia Primatol ., 2008, 79 , 103-110.

[4] Ihobe H. — Non-antagonistic relations between wild bonobos and two species of guenons.

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[5] Ihobe H. — Observations on the meat-eating behavior of wild bonobos (

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[8] Stanford C. — The social behavior of chimpanzees and bonobos—empirical evidence and shifting assumptions. Curr. Anthropol., 1998, 39 , 399-420.

[9] Surbeck M. Fowler A., Deimel C. and Hohmann G. — First evidence for consumption of monkeys by bonobos ( Pan paniscus ). American Journal of Primatology, 2009, 71(2), 171-174.

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[11] Watts D., Mitani J. — Boundary patrols and intergroup encounters in wild chimpanzees.

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[12] Watts D., Mitani J. — Hunting behavior of chimpanzees atNgogo, Kibale National Park, Uganda. Int. J. Primatol., 2002, 23 , 1-28.

[13] Watts D., Mitani J. — New cases of inter-community infanticide by male chimpanzees at Ngogo, Kibale National Park, Uganda. Primates, 2002, 43 , 263-270.

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[15] Wrangham R.W., Peterson D. — Demonic males. New York: Houghton Mifflin, 1996.

[16] Wrangham R.W., Peterson D. — Évolution of coalitionary killing: the imbalance-of-power hypothesis. Yearb Phys. Anthropol ., 1999 , 42 , 1-30.

 

M. Pierre BÉGUÉ

Dans votre expérience de terrain, savez-vous si les plantes utilisées à titre thérapeutique par les singes matures sont également connues des populations humaines de cette région ?

D’autre part, existe-t-il des différences entre les femelles et les mâles matures et les femelles utilisent-elles des plantes pour soigner leurs petits ?

Nos recherches ont, dès leur origine, cherché à valoriser les connaissances locales des plantes médicinales et se poursuivent dans cette perspective (Krief et al . 2005 ;

Namukobe et al. 2011 ; Lacroix et al. 2011). En 2005, nous avions enregistré cent soixante-trois parties de plantes consommées par les chimpanzés et parmi elles, plus de 20 % étaient utilisées, en médecine traditionnelle en traitement des parasites intestinaux, des maladies respiratoires, des troubles de la reproduction ou encore des affections dermatologiques. Certaines parties de plantes comme les écorces d’ Albizia grandibrateata (Krief et al, 2005), celles de Markhamia platycalyx (Lacroix et al . 2009), les feuilles de

Diospyros abyssinica (Namukobe et al . 2011), sont utilisées couramment localement et ont été l’objet de travaux de phytochimie ayant conduit à l’isolement de molécules actives. Il est indispensable de préserver ces espèces qui représentent une part du patrimoine culturel des Batooro et des Bakiga et qui seront peut-être demain des modèles pour les chimistes et pharmacologues. Mes observations m’ont conduit à remarquer un usage beaucoup plus fréquent d’écorces et de bois par les femelles, la consommation de bois mort de

Neoboutonia macrocalyx n’étant observée presque qu’exclusivement chez les femelles chimpanzés. Nous n’avons par contre jamais observé de femelles donnant à son jeune malade une plante qu’elle même n’aurait pas consommé. Par contre, il est assez fréquent qu’une femelle facilite l’accès à un item : par exemple lors de l’écorçage d’un arbre, elle peut laisser un morceau à son petit.

[1] Krief S., Hladik C.M., Haxaire C. — Ethnomedicinal and bioactive properties of the plants ingested by wild chimpanzees in Uganda. Journal of Ethnopharmacology , 2005, 101 ,1-15.

[2] Lacroix D., Prado S., Kamoga D., Kasenene J., Namukobe J., Krief S., Dumontet V., Mouray E., Bodo B., Brunois F. — Antiplasmodial and cytotoxic activities of medicinal plants traditionally used in the village of Kiohima, Uganda. Journal of Ethnopharmacology, 2011, 133 , (2), 850-855.

[3] Lacroix D., Prado S., Deville A., Krief S., Dumontet V., Kasenene J. Mouray E., Bories C., Bodo B. — Hydroperoxy-cycloartane triterpenoids from the leaves of Markhamia lutea, a plant ingested by wild chimpanzees. Phytochemistry, 2009, 70(10 ), 1239-1245.

[4] Namukobe J., Kasenene J.M., Kiremire B.T., Byamukama R., Kamatenesi-Mugisha M., Krief S., Umontet V., Kabasa J.D. — Traditional plants used for medicinal purposes by local communities around the Northern sector of Kibale National Park, Uganda. Journal of Ethnopharmacology , 2011, 136, (1), 236-245.

 

M. Charles-Joël MENKÈS

Les produits végétaux, très particuliers, utilisés par les médecins-sorciers africains sont-ils également sélectionnés par les grands singes pour leur auto médication ?

Dans la tradition orale gabonaise, on attribue la découverte de l’Iboga (

Tabernanthe iboga ), aux gorilles et aux chimpanzés : « en observant le comportement de ces animaux, l’homme a été émerveillé par les sensations voluptueuses que cette plante leur a procuré » (cité par Bureau, 2002). Cette Apocynacée est utilisée au Gabon dans les rites d’initiation, comme aphrodisiaque et contient l’ibogaïne, alcaloïde dont l’usage a été proposé pour le sevrage des toxicomanes. La plante a été déclarée au Gabon « patrimoine national et produit stratégique ». Les grands singes consomment aussi des noix de Kola, qui contiennent de la caféine et de la théobromine. Cependant, rappelons qu’alors que les noix de Kola contiennent de 2 à 4 % de caféine, le célèbre soda en contient plus de 12 mg par100 ml… Deux plantes connues localement pour leurs propriétés hallucinogènes seraient aussi ingérées par les chimpanzés en Guinée: Alchornea floribunda et A. cordifolia (Euphorbiaceae). En Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale, les racines d’ Alchornea floribunda (« Niando ») ont une grande réputation, comme drogue stimulante et comme aphrodisiaque. Des effets similaires auraient été observés chez les gorilles et les chimpanzés qui en avaient consommé les racines. Cependant, bien que les deux espèces d’ Alchornea soient présentes à Bai Hokou (République Centrafricaine), ma collègue Shelly Masi qui suit le comportement alimentaire des gorilles depuis douze ans, n’a jamais observé les gorilles les consommer (Masi, comm. pers.).

M. Pierre DELAVEAU

L’acquisition de connaissances par les « petits » se fait-elle de façon individuelle ou la mère éduque-t-elle sa progéniture (comme on le constate, en particulier, dans le cas de la brebis et de son agneau) ? Y a-t-il une transmission transversale d’un individu à un autre ?

 

Dans le cas de la consommation de plantes à propriétés thérapeutiques, nous tentons de comprendre s’il s’agit d’un phénomène adaptatif, avec un échantillonnage aléatoire de substances amères, ou si ces consommations résultent d’un apprentissage. Dans ce cas, cet apprentissage est-il individuel et « conditionné » ou social ? Dans le cas d’un apprentissage conditionné, il s’agirait de l’inverse d’un conditionnement aversif : une aversion pour un goût apparaît lorsqu’un malaise survient rapidement après son ingestion. Lors d’une exposition ultérieure à ce goût, l’ingestion de la substance associée sera alors évitée.

Dans le cas de l’ingestion de plantes à propriétés thérapeutiques, notre hypothèse est que l’individu malade, ayant dépassé son appréhension préalable à la consommation d’une substance ayant un goût aversif (amer, astringent, par exemple) et consommant une partie de plante susceptible de limiter les symptômes de sa maladie, associerait ce goût au mieux-être ressenti. Cet apprentissage peut être individuel, mais la socialisation peut améliorer et accélérer l’apprentissage de façon efficace. Dans le cas de l’apprentissage alimentaire, la synchronisation entre les membres du groupe permet de sélectionner les aliments sûrs en évitant de recommencer l’apprentissage par essai-erreur pour tous les individus d’un groupe. Chez les rats de Norvège, la simple présence physique d’un congénère, même anesthésié, sur un site avec des aliments, induit une préférence pour cet aliment (Galef, 2001). Il semble que l’enseignement (aussi appelé « apprentissage actif », « apprentissage intentionnel », « apprentissage instructif ») soit absent ou très rare chez les chimpanzés et en tout cas, l’existence d’enseignement chez les animaux est toujours en débat. On parle en général d’apprentissage par émulation car pour certains, enseigner sous-entend — être capable de supposer ce que l’autre sait, — que celui qui ‘enseigne’ modifie son comportement sans bénéfice direct pour lui-même et facilite l’apprentissage de l’autre qui — acquiert la connaissance ou la technique plus rapidement que s’il l’avait appris seul. Seuls quelques rares cas de mères aidant leur petit à casser des noix sont rapportés, par ailleurs, les jeunes chimpanzés semblent capables de rassembler efficacement des informations auprès de leurs aînés sans que ceux-ci ne modifient leur comportement et donc il semble que l’intérêt d’un apprentissage serait faible. Les cas les plus probants seraient ceux relatifs à l’apprentissage des comportements moteurs où la mère apporterait des encouragements stimulant la locomotion et l’autonomie (Maestripieri et al., 2002). J’ai pu cependant pour ma part observer des encouragements se manifestant par des tapotements dans le dos de l’enfant lors de période d’alimentation.

[1] Galef B.G. Jr. — Social Influences on Food Choices of Norway Rats and Mate Choices of Japanese Quail. International Journal of Comparative Psychology , 2001, 14 , 1-24.

[2] Maestripieri D., Ross S.K. et Megna N.L. — Mother infant interactions in western lowland gorillas (Gorilla gorilla gorilla): spatial relationships, communication, and opportunities for social learning. Journal of Comparative Psychology , 2002, 116 , 219-227.

[3] Thornton A., Raihani N.J. — The evolution of teaching. Animal

Behavior , 2008, 75, 1823- 1836.

M. Jacques-Louis BINET

Comment avez-vous pu « approcher » ces animaux ? Comment vous accueillent-ils ? Combien de temps les suivez-vous ? Comment recueillir selles et urines ?

Les chimpanzés n’acceptent la présence d’observateurs humains qu’après une longue période d’habituation dont la durée dépend, en particulier, de la pression de chasse. À Kanyawara, les chimpanzés ont été habitués depuis une trentaine d’années par une équipe menée par un biologiste de l’Université Makerere en Ouganda (G. Basuta) et un anthropologue de l’Université d’Harvard (R. Wrangham) à la présence humaine et depuis trois ans, nous habituons une communauté voisine, dans le nord du parc (voir l’article). Nous avons formé une équipe d’assistants qui se relaient pour suivre chaque jour les chimpanzés et nous avons une petite équipe chargée de créer et maintenir de petits sentiers en forêt pour faciliter nos déplacements. Lorsque l’habituation est complète, les chimpanzés ne prêtent plus attention aux chercheurs, à condition que ceux-ci s’appliquent à respecter des règles simples comme suivre les chimpanzés en petit groupe (en général quatre personnes), garder une distance minimum de cinq mètres, être calme et silencieux, de ne pas se placer entre plusieurs individus, ne jamais toucher un chimpanzé et s’écarter quand l’un d’eux s’approche. Ceci permet aussi de limiter les risques de transmission de maladies. Nous partons avant l’aube pour arriver au site des nids (plateforme construite chaque soir par chaque chimpanzé sevré) avant leur réveil. Nous enregistrons les données tout au long de la journée, jusqu’à ce que les chimpanzés construisent leurs nids en fin de journée. Dans ces conditions, il est aisé de recueillir les selles juste après leur émission, généralement au sol, pour les placer dans du formol ou de l’ethanol selon l’usage auquel le prélèvement est destiné. Pour les urines, nous enfilons généralement un sac plastique sur une branche d’arbre fourchue que nous plaçons sous le chimpanzé quand il urine depuis une branche d’arbre. L’urine est ensuite pipetée et analysée rapidement à l’aide de bandelettes urinaires.

M. Dominique RICHARD-LENOBLE

L’automédication paraît démontrée pour différentes espèces en plus des grands singes (l’homme a reconnu les qualités de l’écorce de quinquina pour soigner sa fièvre bien avant de savoir ce qu’était le paludisme). Les « apprentissages » sont-ils comparables entre espèces différentes ? En pratique, dans la mesure de l’appétence selon les tranches d’âge des grands singes à se procurer des plantes médicinales, avez-vous mené vos études sur les mêmes singes ?

 

Dans un article paru récemment (Masi et al ., 2011), nous avons comparé les usages de plantes médicinales et leur acquisition chez deux espèces de grands singes, les gorilles de plaines de l’Ouest et les chimpanzés. Nous avons analysé les données de onze mois d’observations (237 jours de suivi soit deux mille heures) d’une cinquantaine de chimpanzés de la communauté de Kanyawara dans le parc national de Kibale en Ouganda avec celles issues de dix mois de suivi (214 jours de suivi soit 818 heures) d’un groupe d’une douzaine de gorilles des plaines à Bai Hokou, dans le parc national de DzangaNdoki de l’Ouest en République Centrafricaine. Une liste d’aliments occasionnels et/ou bioactifs a été définie en fonction de la faible occurrence de leur consommation, de leur faible valeur nutritive apparente (terre, bois mort, feuilles sèches…), de leur toxicité ou de leurs propriétés pharmacologiques. Lors des consommations de ces aliments occasionnels, nous avons enregistré l’identité de l’individu la consommant, l’espèce, la partie, la maturité et la quantité de plante consommée, sa disponibilité dans les vingt mètres autour du consommateur et sur les domaines vitaux respectifs ainsi que les interactions sociales et particulièrement, les observations proches et attentives de consommateurs, l’activité de l’observateur et du consommateur ayant lieu immédiatement après. On pourrait s’attendre à ce que la capacité des gorilles à détoxiquer les aliments grâce à leur gros intestin élargi, à la fermentation associée et au transit ralenti, ait pour conséquence un régime alimentaire plus divers, incluant une large gamme d’items ayant, pour certains, une faible valeur nutritive. Cependant, les aliments occasionnels et/ou bioactifs sont consommés deux fois plus fréquemment chez les chimpanzés que chez les gorilles (0,27 vs 0,14 PIB /jr ; P<<0.001). Nous avons comparé les usages en fonction de l’âge : il apparaît que les chimpanzés matures consomment beaucoup plus souvent ces plantes que les immatures (23 items vs 0,8 ; P<<0.001) mais aussi qu’ils en consomment une plus grande diversité (12,3 items vs 0,8 ; P<<0.001). Bien que non significatives, les tendances inverses sont observées pour les gorilles. Les chimpanzés observent plus fréquemment leurs congénères que les gorilles quand ils consomment des aliments occasionnels (38 % vs 14 % des consommations de PIB sont observées) bien que les chimpanzés soient plus fréquemment seuls quand ils consomment et que le nombre de voisins dans les quinze mètres soit aussi plus bas chez les chimpanzés (1 vs 3 ; P<<0.001) offrant donc de plus faibles opportunités d’observations de consommation de plantes inhabituelles. De plus, les observations des consommateurs d’aliments occasionnels par les chimpanzés sont plus longues que celles par les gorilles (90 sec vs 17 sec ; P<<0.001). De telles observations proches ne se produisent presque exclusivement qu’avec les aliments occasionnels chez les chimpanzés, alors qu’elles sont moins rares pour les aliments habituels chez les gorilles. Les transferts d’aliments sont rares et peu de quémandage a été observé chez les chimpanzés.

Les jeunes n’observent pas significativement plus que les adultes chez les chimpanzés alors que les gorilles immatures observent plus que les matures. Chez les chimpanzés, 89 % des observations par les enfants (n=35) sont dirigées vers leur mère et 39 % de la totalité des observations (n=140 observations) ont lieu entre individus matures montrant que des informations sont encore recherchées et acquises après la maturité.

Les démonstrateurs favoris chez les chimpanzés sont des individus adultes âgés de vingt-cinq à trente-cinq ans (avant la sénescence), males et femelles. Les mères ne semblent pas jouer un rôle majeur dans l’acquisition de ce comportement qui se poursuit bien au delà du sevrage et est toujours présent chez les adultes. Au contraire, chez les gorilles, 70 % des observations se produisent entre individus de la classe « immatures » et 91 % d’entre elles concernent un parent (généralement un demi-frère ou une demi-sœur), ceux-ci privilégiant, au contraire des chimpanzés, l’apprentissage horizontal.

Nos travaux mettent en évidence que les différences de socialité, de tolérance entre congénères pendant l’alimentation et la physiologie peuvent influencer les mécanismes mis en jeu pour discriminer les aliments des items thérapeutiques. Ces données sont en faveur de l’hypothèse selon laquelle, chez l’homme, la tolérance sociale élevée et l’absence de spécialisation digestive parmi de multiples autres facteurs ont probablement été des facteurs favorables à l’apparition et au développement d’un répertoire de plantes médicinales.

[1] Masi S., Gustafsson E., Saint-Jalme M., Narat V., Todd A., Bomsel M.C., Krief S. — Unusual feeding behaviour in wild great apes, a window to understand origins of selfmedication in humans: Role of sociality and physiology on learning process Physiology & Behavior , 2011, 150 , 337-349.

 

M. André VACHERON

Quelle est l’espérance de vie moyenne des chimpanzés ? Les possibilités de mémorisation de ces grands singes augmentent-elles au fil des années ?

 

Voir aussi réponse à M. Pierre Delaveau.

Une étude (Hill et al., 2001) a compilé les données collectées dans cinq communautés de chimpanzés (Gombe et Mahale en Tanzanie, Taï en Côte d’Ivoire, Kibale en Ouganda et Bossou en Guinée), cumulant ainsi 3 711 années de suivi. Les auteurs ont analysé les données correspondant à 278 morts. Il apparaît que la durée de vie moyenne des chimpanzés en milieu naturel est beaucoup plus courte qu’en captivité. En moyenne, les chimpanzés sauvages ont une espérance de vie à la naissance de seulement quinze ans et la durée de vie moyenne pour ceux qui atteignent la maturité sexuelle (quinze ans) n’est que de quinze années supplémentaires. Pour ceux qui atteignent l’âge de trente ans, le taux de mortalité annuelle est de 8,5 % et l’espérance de vie est alors de trente-huit ans.

Les mâles ont une espérance de vie inférieure aux femelles et il existe une variation de longévité assez importante entre les sites. Ces données prennent en compte les morts d’individus ayant contracté des maladies a priori d’origine humaine et celle dues à la prédation humaine.

Pour les chimpanzés en captivité, Dyke et al. (1995) ont montré que 47 % des femelles vivant en zoos qui atteignent l’âge de quinze ans survivent au moins jusqu’à quarantecinq ans, âge jamais atteint selon les chercheurs par les chimpanzés de Gombe en Tanzanie. Cependant, à Kanyawara, environ 10 % des individus de la communauté dépassent l’âge de quarante ans (3/11 mâles adultes et 2/11 femelles adultes) et une femelle est morte en 2007, à l’âge estimé de soixante-cinq ans, alors qu’elle avait un fils de huit ans (Krief, obs. pers.). Ces données soulignent une différence majeure entre les chimpanzés et les humains concernant la fertilité (absence de ménopause mais aussi de pic de fertilité en début de vie reproductive chez les chimpanzés). Une seconde différence est relative au vieillissement cérébral et aux capacités cognitives des individus âgés: au contraire des humains, qui développent fréquemment des neuropathologies et des alté- rations des structures cérébrales incluant une diminution de leur volume au cours du vieillissement, peu de changements significatifs de volume des différentes structures pouvant être attribuées à l’âge ont été observés dans les cerveaux de quatre vingt dix-neuf chimpanzés étudiés récemment (Sherwood et al. 2011). Les auteurs concluent que l’involution cérébrale chez l’homme âgé pourrait résulter de l’accroissement — récent sur une échelle évolutive — de leur durée de vie. Les auteurs soulignent que l’âge de la sénescence reproductive chez les femmes (vers cinquante ans) correspond, voire même excède, l’âge auquel meurent les chimpanzés. Ils soutiennent ainsi l’hypothèse selon laquelle l’augmentation de la durée de vie post-reproductive dans l’espère humaine a favorisé la coopération intergénérationnelle, les grands-mères permettant ainsi d’aider à élever des enfants, dont la durée de dépendance vis-à-vis des adultes, et donc d’apprentissage, sont accrus. Cette période d’apprentissage est cependant relativement longue chez les chimpanzés également. Nos travaux, dans le contexte de l’automédication, montrent que les chimpanzés, même adultes, observent avec une attention soutenue leurs congénères qui semblent être les meilleurs démonstrateurs et qui sont des adultes matures (Masi et al., 2011). Aujourd’hui, les connaissances sur la mémoire des chimpanzés sont encore fragmentaires. Il est difficile de déterminer quel type de mémoire est mis en jeu et donc, plus encore, d’évaluer l’acquisition et le stockage des informations. Des expériences en laboratoire montrent que les chimpanzés auraient une meilleure mémoire de travail à court terme que les humains (Inoue & Matsuzawa, 2007) et qu’ils auraient des capacités de mémoire à long terme, puisqu’ils se souviendraient d’une tâche apprise deux mois auparavant (Whiten et al. 2005). Menzel en 1999 décrit une femelle chimpanzé captive de onze ans ayant appris à communiquer avec les humains par le biais de lexigrammes, qui mentionne à ses soigneurs les endroits où des objets (dont certains non alimentaires) étaient cachés seize heures auparavant, mettant en jeu la mémoire à long terme. La mémoire épisodique (mémoire à long terme explicite) se réfère à une capacité à se rappeler des évènements basés sur une expérience personnelle. Elle a longtemps été décrite comme étant propre à l’homme (Tulving, 1983, Suddendorf et Corballis, 1997).

Mais une expérience conduite avec des geais par Clayton et al. (2001) montre que les geais sont capables de se souvenir quand , et quel objet a été caché : les oiseaux modulent leur recherche de nourriture en fonction de la fraîcheur attendue des aliments : les criquets, qui sont les aliments préférés lorsqu’ils sont frais mais qui se dégradent rapidement, ne seront pas recherchés lorsqu’ils ont été cachés depuis trop longtemps. La recherche des geais se portera alors sur les cacahouètes, qui se conservent mieux. Clayton proposa donc que la mémoire épisodique soit définie comme la mémoire de la date, du lieu et du contexte d’un événement unique. Ainsi, selon Mitani et al. (2010), la mémoire épisodique entrerait en jeu chez les chimpanzés en milieu naturel : ainsi, ils sont capables de se souvenir de la position hiérarchique de congénères qu’ils ne rencontrent pas régulièrement à cause de leur système social de type « fission-fusion ». Une forme de mémoire épisodique pourrait aussi être sollicitée lors de visites non aléatoires à des arbres en fruits dans leur territoire mais aussi en dehors du territoire lors de patrouilles dans les territoires des communautés voisines, les retours aux sites où des chasses ont connu un succès. Si nous parvenons à mettre en évidence quel type de mémoire est mis en œuvre, peut-être sera-t-il ensuite possible de déterminer comment ces capacités varient au cours de la vie du chimpanzé.

[1] Clayton N.S., Yu K.S., Dickinson A. — Scrub jays (Aphelocoma coerulescens) form integrated memories of the multiple featuresof caching episodes. J. Exp. PsycholAnim. Behav.

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[10] Whiten A., Horner V., de Waal F. — Conofrmity to cultural norms of tool use in chimpanzees. Nature , 2005, 437 , 737-740.

 

<p>* Département Hommes, Natures, Sociétés, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN), 43, rue Buffon, 75231 Paris cedex 5, e-mail : krief@mnhn.fr Tirés à part : Docteur Sabrina Krief, même adresse Article reçu le 4 novembre 2011, accepté le 28 novembre 2011</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2011, 195, no 8, 1927-1944, séance du 29 novembre 2011