Communication scientifique
Session of 20 mai 2003

Les glomérulonéphrites extra-membraneuses : histoire d’une famille et nouveaux concepts physiopathologiques

MOTS-CLÉS : glomerule renal.. glomerulonephrite extramembraneuse. insuffisance renale. membrane metallo-endopeptidase. syndrome nephrotique
Membranous nephropathy : a family report leading to new pathophysiologic concepts
KEY-WORDS : glomerulonephritis, membranous. kidney failure. kidney glomerules.. nephrotic syndrome. neprilysin

H. Debiec, V. Guigonis, B. Mougenot, J.P. Haymann, A. Bensman, G. Deschênes, P. Ronco

Résumé

Les glomérulonéphrites extra-membraneuses (GEM) représentent une cause majeure de syndrome néphrotique et d’insuffisance rénale chronique. En étudiant la réactivité des anticorps néphritogènes responsables du développement d’une GEM anténatale, nous avons identifié pour la première fois une cible antigénique du conflit immunitaire dans les glomé- rules : l’endopeptidase neutre (CD10). Cette enzyme, qui a une répartition restreinte et est fortement exprimée dans le placenta et les podocytes, est impliquée dans l’inactivation de peptides vasomoteurs à la surface des cellules. Les anticorps néphritogènes inhibent l’activité enzymatique. Nous avons montré que la mère s’était immunisée contre l’enzyme lors d’une grossesse précédente parce qu’elle est déficiente en endopeptidase neutre. Deux autres familles ont été identifiées depuis. Les mécanismes physiopathologiques que nous avons identifiés rappellent l’immunisation anti-Rhésus, et peuvent conduire à de nouvelles straté- gies thérapeutiques.

Summary

Membranous glomerulonephritis (MGN) is a major cause of the nephrotic syndrome and chronic renal insufficiency. Studies on the reactivity of nephritogenic antibodies implicated in a case of antenatal MGN led to identify for the first time a target of the immune conflict in glomeruli, neutral endopeptidase (CD10). This enzyme that is restricted to certain tissues, being strongly expressed in the placenta and on glomerular podocytes, is involved in the catabolism of a number of regulatory peptides, particularly those involved in vasomotricity. We showed that the nephritogenic antibodies blocked enzymatic activity and that the mother became immunized at the time of a previous pregnancy because she was neutral endopeptidase-deficient. Two additional families have been identified since then. The pathophysiologic mechanisms that we have unraveled are reminiscent of Rhesus immunization and open up new avenues for therapeutic intervention.

Les glomérulonéphrites extra-membraneuses :

histoire d’une famille et nouveaux concepts physiopathologiques

Membranous nephropathy :

a family report leading to new pathophysiologic concepts

Hanna DEBIEC*, Vincent GUIGONIS **, Béatrice MOUGENOT*, Jean-Philippe HAYMANN*, Albert BENSMAN**, Georges DESCHÊNES**, Pierre RONCO*

Lecture par Pierre RONCO

INTRODUCTION

Les glomérulonéphrites extramembraneuses (GEM) représentent une cause majeure de syndrome néphrotique et d’insuffisance rénale chronique. Elles peuvent être associées à des situations pathologiques diverses (infections, cancers, maladies auto-immunes, prise de médicaments néphrotoxiques), mais les formes dites primitives, sans cause reconnue, restent les plus fréquentes. Sur le plan histologique, elles sont caractérisées par l’accumulation de dépôts immuns sur le versant externe de la membrane basale glomérulaire (MBG), sous les semelles des pédicelles et les diaphragmes de fente, mais le (ou les) antigène(s) cible(s) n’ont pas été identifié(s) chez l’homme.

Nos connaissances sur la physiopathologie de la maladie proviennent principalement de l’étude de la néphrite de Heymann, qui est un modèle de GEM induit chez le rat immunisé avec une préparation membranaire de la bordure en brosse (BB) des tubes contournés proximaux [1]. Ce modèle expérimental a conduit à l’identification de la mégaline, une protéine membranaire exprimée dans la bordure en brosse chez tous les mammifères testés et à la surface des podocytes chez le rat uniquement [2, 3].

Bien que la mégaline ait été détectée dans la BB des tubes proximaux chez l’homme, on ne trouve la protéine ni dans les glomérules humains ni dans les dépôts immuns chez les malades atteints de GEM [4]. La recherche d’antigènes responsables des GEM humaines a mobilisé — sans succès — de nombreux laboratoires depuis la découverte de la mégaline au début des années 1980. Différents antigènes dont des antigènes viraux (hépatite B, hépatite C) et bactériens ( Helicobacter pylori ), des antigènes tumoraux, la thyroglobuline, ont été détectés dans les dépôts subépithé- liaux, mais il n’y a pas de preuve réelle que ces antigènes soient pathogènes [5-7].

Leur présence dans les dépôts pourrait être la conséquence de l’augmentation de
perméabilité du capillaire glomérulaire. Des antigènes de la BB rénale ont également été mis en évidence dans les dépôts glomérulaires chez de rares patients, mais ils n’ont pas pu être identifiés précisément [8-10].

Il y a une vingtaine d’années, nous avions montré avec Pierre Verroust (Directeur de Recherche, Unité INSERM 538, Faculté Saint-Antoine) que des anticorps dirigés contre deux protéines enzymatiques, la dipeptidylpeptidase IV et l’endopeptidase neutre (EPN), pouvaient être impliqués dans la formation de dépôts extramembraneux quand ils étaient injectés chez le rat et le lapin, respectivement [11-13]. Ces antigènes sont exprimés par la BB et les podocytes, avec une expression phylogéné- tique variable selon les espèces, mais on les trouve également à la surface des podocytes humains [13-14]. Nous avions alors fait l’hypothèse qu’ils pourraient jouer un rôle dans la physiopathologie de certaines GEM humaines. Cette hypothèse a été confirmée 20 ans après pour l’EPN [15].

UNE HISTOIRE DE FAMILLE

Tout commence par la naissance d’un enfant de sexe mâle, à 38 semaines de gestation, qui présenta dès le premier jour de la vie, une oligo-anurie (volume urinaire, 10 ml/24 heures), une protéinurie massive (1,6 g/mmole de créatinine), et une insuffisance respiratoire aiguë. Son poids de naissance était de 3 260 g, et sa taille de 50 cm. Ses parents sont non apparentés, en bonne santé, et il n’existe pas d’histoire familiale de maladie rénale ou auto-immune. La mère, âgée de 24 ans à la naissance de l’enfant, avait eu un avortement spontané à 14 semaines de gestation, deux mois avant cette grossesse. Sa pression artérielle, ses analyses urinaires, et sa créatininémie ont été normales pendant toute la grossesse et après celle-ci. Elle ne prend aucun médicament. Cependant, une échographie effectuée à la 34ème semaine de la grossesse avait montré un oligohydramnios et une augmentation de la taille des reins du fœtus.

L’enfant a été ventilé dès la naissance et jusqu’à 10 jours de vie. Son taux de créatininémie a atteint une valeur maximum de 240 µmol/l à 4 jours. Il a présenté une protéinurie de débit néphrotique dès la naissance, responsable d’une hypoalbuminémie (19 g/l à 7 jours). Il était également hypertendu.

En raison de la persistance du syndrome néphrotique, une biopsie rénale a été réalisée sous contrôle scannographique à 4 semaines. L’analyse du prélèvement a montré une forme sévère, inhabituelle de GEM. Les floculus étaient collabés dans la majorité des 40 glomérules observés. La plupart des espaces urinaires étaient également distendus. Dans tous les glomérules, les parois capillaires étaient épaissies ; cet épaississement était plus visible dans les glomérules non collabés dont les anses capillaires montraient des images de massue.

L’atteinte glomérulaire était associée à une atrophie tubulaire importante et à des lésions sévères des artères interlobulaires et des artérioles. Les études en immunofluorescence ont montré d’importants dépôts extramembraneux d’IgG, de C3 et du
complexe d’attaque membranaire du complément C5b-9 dans tous les glomérules. Il n’y avait pas de dépôts immuns dans les tubes proximaux et les vaisseaux. L’examen au microscope électronique a révélé des altérations diffuses des parois des capillaires glomérulaires et une atrophie marquée de la BB. Des dépôts denses aux électrons, très abondants, ont été mis en évidence sur le versant externe de la MBG. Ces dépôts contenaient des formations annulaires inhabituelles, et étaient souvent revêtus d’une couche de matrice extracellulaire issue de la lamina densa .

Nous n’avons pas trouvé de dépôts subendothéliaux ou mésangiaux.

L’enquête étiologique n’a pas mis en évidence de cause infectieuse : les tests de syphilis, toxoplasmose, cytomégalovirose et d’infection par le virus de l’hépatite B étaient négatifs. Le test de Coombs était également négatif, et les composants du complément (C3 : 0,97 g/l ; C4 : 0,25 g/l) étaient normaux à l’âge de 35 jours. Des taux faibles de complexes immuns circulants (4 µg/ml) ont été mesurés dans le sérum 13 jours après la naissance, mais ils n’étaient plus détectables 40 jours après.

L’enfant est maintenant âgé de 2 ans. Son examen est normal. Son hypertension est contrôlée par le nicardipine (2 mg par kilo par jour). Le taux de créatininémie est normal (53 µmol/l), mais il persiste une protéinurie sélective (140 mg/mmol de créatinine urinaire) qui témoigne vraisemblablement d’une altération persistante du filtre glomérulaire.

IDENTIFICATION DE L’ENDOPEPTIDASE NEUTRE, L’ANTIGÈNE CIBLE DES ANTICORPS MATERNELS NÉPHRITOGÈNES

En raison du développement précoce d’une GEM chez ce nourrisson, nous avons évoqué l’hypothèse du passage transplacentaire d’anticorps néphritogènes produits par la mère à la suite d’une immunisation antérieure. Cette hypothèse a été testée par un examen en immunofluorescence indirecte de sections de rein humain normal incubées avec les sérums de la mère et de son enfant. Un sérum obtenu neuf mois avant la grossesse (sept mois avant l’avortement spontané) était négatif, alors que les sérums prélevés à trois mois de grossesse et après l’accouchement se fixaient avec une forte intensité sur les parois des capillaires glomérulaires et la BB dans tous les échantillons de rein humain testés. Le même patron de fluorescence était observé avec le sérum du nourrisson à 13 jours. Le fait qu’aucune réactivité ne restait détectable dans le sérum du nourrisson âgé de 40 jours, était très en faveur d’une immunisation passive de l’enfant comparable à l’immunisation Rhésus.

La nature de l’antigène cible a été suspectée grâce à l’examen en immunofluorescence indirecte de sections de lapin et de rat incubées avec le sérum de la mère ou du nourrisson.

Nous avons observé le même patron d’immunofluorescence chez le lapin que chez l’homme, mais chez le rat, le marquage était restreint aux cellules pariétales de la capsule de Bowman et à la BB des segments corticaux profonds du tubule proximal
( pars recta ). Ces différences d’expression inter-espèces de l’antigène étaient similaires à celles que nous avions constatées dans les années 1980 pour l’EPN, cette enzyme n’étant pas produite par les podocytes chez la souris et chez le rat [14]. En revanche, la dipeptidylpeptidase IV est exprimée à la surface des podocytes dans toutes les espèces analysées [14]. Nous avons donc formulé l’hypothèse d’une implication de l’EPN dans la formation des dépôts extramembraneux. Cette hypothèse a été confirmée par des expériences de Western blot, immunoprécipitation, et de dosage de l’activité enzymatique spécifique de l’EPN dans la fraction antigénique reconnue par les IgG de la mère.

Pour démontrer que les anticorps anti-EPN produits par la mère, qui ont été trouvés dans le sérum du nourrisson 13 jours après sa naissance, sont les anticorps néphritogènes, responsables de la GEM, nous avons réalisé deux types d’expériences.

D’une part, nous avons transféré la maladie à des lapins en leur injectant soit les IgG de la mère, soit les IgG du père.

Les lapins injectés avec les IgG de la mère ont développé des dépôts extramembraneux et une protéinurie, qui n’ont pas été observés chez les lapins injectés avec les IgG du père. D’autre part, nous avons étudié la composition des dépôts extramembraneux par microscopie confocale à l’aide d’anticorps polyclonaux anti-EPN et anti-IgG humaine. Nous avons montré une colocalisation parfaite de l’IgG et de l’EPN au sein des dépôts, sur le versant externe de la membrane basale, dans la biopsie du nourrisson, et dans celle d’un lapin injecté avec les IgG maternelles.

Ces résultats expérimentaux permettent de conclure que la GEM de l’enfant, dont les premières manifestations ont été anténatales, est due au passage transplacentaire d’anticorps maternels dirigés contre l’EPN.

MÉCANISMES DE LA FORMATION DES DÉPÔTS IMMUNS DANS LES GLOMÉRULES DU NOURRISSON

Des taux faibles de complexes immuns circulants ont été détectés dans le sérum du nourrisson à 13 jours. Ces complexes n’étaient ensuite plus détectables. Ces complexes, que nous avons isolés du sérum, contenaient de l’EPN que nous avons identifiée par Western blotting avec des anticorps spécifiques. Les polynucléaires neutrophiles sont une source importante d’EPN. Dans ces cellules, l’EPN est exprimée à la membrane, si bien que la fixation d’anticorps circulants anti-EPN pourrait induire le relargage de l’antigène au sein de complexes immuns dans la circulation. Cependant, la contribution des immuns complexes circulants à la formation des dépôts immuns extramembraneux chez le nourrisson reste hypothétique pour trois raisons : leur taux était faible ; les manifestations de maladie sérique étaient absentes ;

nous n’avons pas observé de dépôts immuns mésangiaux et sous-endothéliaux (endomembraneux). Les complexes immuns responsables des dépôts extramembraneux pourraient également être formés in situ au niveau de la semelle des pédicelles où l’EPN est exprimée [16]. Les deux mécanismes ne sont pas exclusifs.

POURQUOI LA MÈRE DE L’ENFANT S’EST-ELLE IMMUNISÉE CONTRE L’ENDOPEPTIDASE NEUTRE ?

En raison de l’absence de toute anomalie rénale glomérulaire et tubulaire chez la mère de l’enfant malgré la persistance de taux élevés d’anticorps anti-EPN, nous avons formulé l’hypothèse qu’elle pourrait être déficiente en EPN. Nous avons donc analysé la présence de l’EPN dans les polynucléaires neutrophiles et dans les urines où l’EPN est sécrétée par les cellules tubulaires proximales, l’EPN représentant 4 % des protéines de la BB. L’analyse en FACS (trieur de cellules) des granulocytes de la mère incubés avec différents anticorps anti-EPN n’a pas permis de mettre en évidence l’EPN à la surface de ces cellules. L’absence d’EPN dans les granulocytes et les urines a été confirmée par une analyse en Western blot . Le sérum de la mère, qui ne reconnaissait pas ses propres granulocytes, réagissait cependant avec les granulocytes du père de l’enfant, témoignant ainsi d’un processus d’allo-immunisation.

Selon toute vraisemblance, cette allo-immunisation est survenue au moment de l’avortement spontané, puisqu’un sérum obtenu avant cet avortement ne contenait pas d’anticorps anti-EPN. Au cours de la grossesse, l’EPN est fortement exprimée dans les syncytiotrophoblastes [18] ; elle peut aussi apparaître dans la circulation maternelle à la suite d’embols de syncytiotrophoblastes ou du passage de cellules fœtales qui expriment l’enzyme. Des taux élevés d’anticorps anti-EPN persistent dans la circulation maternelle plus de deux ans après la grossesse, menaçant le déroulement d’une grossesse ultérieure.

En collaboration avec Florence Coulet (Laboratoire du Professeur Florent Soubrier, Hôpital Tenon), nous avons montré que l’absence d’EPN chez la mère de l’enfant était la conséquence de deux mutations différentes responsables en théorie de la production de protéines tronquées dépourvues du site actif de l’enzyme. L’une des mutations est une délétion d’une base qui décale le cadre de lecture et introduit un codon stop, la mutation portée par l’autre allèle est une mutation non-sens. Un allèle muté a été transmis par le père, et l’autre par la mère. Les deux sœurs de la mère ne portent aucune des deux mutations. En revanche, son fils qui a développé la GEM, est porteur hétérozygote de l’une des deux mutations alléliques.

Malgré l’absence d’EPN, la mère semble parfaitement bien portante. Elle est normotendue. Elle n’a aucune anomalie rénale : absence de microalbuminurie et de protéinurie, et d’altérations du débit de filtration glomérulaire et des fonctions tubulaires. Elle n’a pas non plus de déficit immunitaire alors que l’EPN était jusqu’alors considérée comme une molécule essentielle au développement précoce du thymus [19] et à la maturation des lymphocytes B [20, 21]. L’absence de phénotype apparent suggère que d’autres enzymes se substituent à l’EPN pour accomplir ses fonctions. Le phénotype des souris chez lesquelles le gène EPN a été invalidé, est défini par une sensibilité accrue au choc infectieux, dont le mécanisme reste à déterminer [22]. Leur pression artérielle moyenne est inférieure de 20 % à celle des souris témoins, et ces souris présentent une augmentation de la perméabilité des
microvaisseaux [23]. Il est possible que chez la souris, les mécanismes compensant l’absence d’EPN ne soient pas aussi développés que chez l’homme.

Une atteinte rénale induite par une réponse allo-immune à des antigènes rénaux a été décrite pour la première fois pour des antigènes de la membrane basale tubulaire chez le rat après transplantation rénale [24]. Notre observation rappelle les mécanismes physiopathologiques impliqués dans l’immunisation Rhésus.

RÔLE POTENTIEL DU BLOCAGE DE L’ACTIVITÉ ENZYMATIQUE DE L’ENDOPEPTIDASE NEUTRE PAR LES ANTICORPS NÉPHRITOGÈNES

L’EPN (encore appelée néprilysine, enképhalinase, CD10, EC 3.4.24.11) est une métallopeptidase à zinc d’un poids moléculaire apparent compris entre 90 et 110 kD. Elle est identique à l’antigène commun des leucémies aiguës lymphoblastiques (CALLA) [25, 26].

Elle est exprimée dans le cerveau, à la surface des polynucléaires neutrophiles et des progéniteurs lymphocytaires, et sur les cellules épithéliales des tissus épithéliaux dont le rein, le foie, le sein, et le poumon [27, 28]. On la trouve aussi dans le sérum et l’urine [29, 30].

Cette enzyme est impliquée dans le métabolisme de peptides ayant une action régulatrice, et elle joue un rôle important dans la disponibilité de ces peptides à la surface cellulaire et ainsi dans l’activation de leurs récepteurs [31]. Dans le rein humain, l’EPN est présente dans la BB, et à la surface des podocytes et des cellules musculaires lisses vasculaires [14, 32].

Afin de rechercher un effet potentiel des anticorps néphritogènes anti-EPN sur l’activité enzymatique, nous avons incubé des lysats de podocyte humain avec les IgG de la mère ou du père, et nous avons mesuré l’activité enzymatique de l’EPN après cette incubation. Les IgG maternelles, à la différence des IgG paternelles, inhibaient l’activité enzymatique de l’EPN, bloquant totalement cette activité à la concentration la plus forte comme le font les inhibiteurs spécifiques de l’enzyme, thiorphan et phosphoramidon [15].

La GEM diagnostiquée chez le nourrisson était particulière par l’existence de lésions artérielles sévères, inhabituelles dans ce contexte pathologique, et par un collapsus de la plupart des floculus glomérulaires suggérant une ischémie rénale majeure pendant le développement anténatal du rein. Etant donné que l’EPN inactive des peptides vaso-actifs comme la bradykinine, les peptides natriurétiques et les endothélines, nous faisons l’hypothèse que l’inhibition de l’activité enzymatique par les anticorps a induit une augmentation de la concentration de certains peptides vaso-actifs, en particulier de l’endothéline dont le rôle au cours du développement est très important. L’endothéline est un agent vaso-constricteur puissant
et exerce des effets mitogènes sur les cellules musculaires lisses vasculaires, ces deux propriétés pouvant rendre compte des lésions vasculaires et glomérulaires observées.

Des dépôts extramembraneux d’immunoglobuline et une albuminurie peuvent également être induits par l’injection chez la souris d’un anticorps monoclonal anti-aminopeptidase A, une enzyme exprimée à la surface des podocytes jouant un rôle important dans la dégradation intrarénale de l’angiotensine II [33]. L’albuminurie a été initialement rapportée à l’augmentation de la concentration d’angiotensine II résultant de l’effet neutralisant de l’anticorps sur l’activité enzymatique.

Toutefois, chez les souris génétiquement déficientes en angiotensinogène, l’injection d’anticorps anti-aminopeptidase A bloquant l’activité de l’enzyme a le même effet que chez les souris normales ; ceci suggère que l’albuminurie n’est pas due à l’augmentation de la concentration glomérulaire d’angiotensine II [34].

ALTÉRATIONS PHÉNOTYPIQUES DES PODOCYTES INDUITES PAR LES COMPLEXES IMMUNS EPN ANTI-EPN

Nous avons mis en évidence des dépôts importants du complexe d’attaque membranaire du complément C5b-9, sur le versant externe de la paroi du capillaire glomé- rulaire suivant la même localisation dans les dépôts immuns que l’IgG et l’EPN [15].

Ces dépôts pourraient rendre compte de la présence inhabituelle de formations annulaires au sein des dépôts denses aux électrons observés en microscopie électronique. Ils posent la question des conséquences fonctionnelles de l’attaque des podocytes par le complément.

Nous faisons l’hypothèse que la fixation à la surface des podocytes d’anticorps néphritogènes anti-EPN et l’activation du complément peuvent modifier le phénotype podocytaire, provoquant des altérations du cytosquelette, le relargage de protéines importantes pour la fonction du podocyte, et la production de molécules toxiques (collagénases, métabolites actifs de l’oxygène, …). La présence de zones denses aux electrons, localisées dans le cytoplasme des pieds des podocytes, est compatible avec des modifications du cytosquelette d’actine.

Ayant caractérisé les anticorps néphritogènes, nous disposons d’un outil moléculaire précieux pour élucider les mécanismes pathogéniques impliqués dans le développement de l’albuminurie.

LES ANTICORPS ANTI-EPN SONT-ILS IMPLIQUÉS DANS D’AUTRES CAS DE GEM ET DANS D’AUTRES NÉPHROPATHIES ?

Un cas de GEM anténatale ou néonatale similaire au nôtre a été rapporté en 1990 [35]. Nous avons montré que le sérum de la mère qui avait été conservé depuis 20 ans par E. de Heer (Leyden, Pays-Bas), contenait des anticorps anti-EPN. La
mère, actuellement âgée de 41 ans, est également déficiente en EPN (J. Nauta, Rotterdam, Pays-Bas). Il est vraisemblable que d’autres cas n’ont pas été diagnostiqués en raison de la sévérité du tableau clinique initial qui a pu conduire au décès du nouveau-né. Une famille belge est également en cours d’investigation.

Nous avons commencé une étude ayant pour objectif la recherche systématique d’EPN dans les dépôts extramembraneux chez l’enfant et chez l’adulte. Cependant, il est possible que la présence de l’EPN dans les dépôts ne soit pas durable, comme le suggère le modèle expérimental que nous avons développé chez le lapin. En revanche, il se pourrait que l’immunisation anti-EPN soit à l’origine d’une maladie rénale progressive, avec une forte composante vasculaire, comme cela a été observé chez l’enfant et chez le lapin.

Nous avons également entrepris une étude de prévalence de la déficience en EPN qui pourrait être grandement sous-estimée en raison de l’absence de manifestation clinique, à l’exception de la pathologie néonatale.

CONCLUSION ET PERSPECTIVES THÉRAPEUTIQUES

Nous avons identifié le premier antigène impliqué dans les GEM humaines et le premier cas de déficience en EPN. Dans ce modèle, l’EPN doit être considérée comme un antigène mais également comme une enzyme, les anticorps néphritogè- nes ayant la double propriété de se fixer sur l’antigène et de bloquer son activité enzymatique. Cette dualité doit être prise en compte dans l’analyse des mécanismes physiopathologiques des altérations podocytaires et de l’albuminurie.

L’histoire clinique et les mécanismes physiopathologiques que nous avons identifiés rappellent l’immunisation Rhésus. Dans ce cas, il est possible d’empêcher la production des allo-anticorps par une mère Rhésus négative en injectant des immunoglobulines anti-Rhésus immédiatement après l’accouchement, et si possible pendant la grossesse, d’un premier enfant Rhésus positif. Cette stratégie ne semble pas pouvoir être appliquée à l’immunisation anti-EPN puisque l’EPN est fortement exprimée dans le placenta où la fixation des immunoglobulines anti-EPN, si elles étaient administrées pendant la grossesse, pourrait exercer des effets néfastes. En revanche, l’identification au sein de la molécule d’EPN des peptides antigéniques qui sont la cible des anticorps néphritogènes pourrait permettre d’envisager des traitements neutralisant l’action des anticorps anti-EPN (par injection parentérale de ces peptides) ou une désensibilisation maternelle par vaccination peptidique.

REMERCIEMENTS

L’auteur dédie ce travail au Professeur Gabriel Richet qui l’a convaincu qu’une observation clinique bien étudiée pouvait conduire à élucider des mystères de la Biologie, à la Mémoire du Professeur Giuseppe Andres† pour ses découvertes en immunopathologie rénale et ses encouragements chaleureux, et à la famille D. pour sa participation active et
compréhensive. Ce travail a été financé par l’INSERM, l’Université Paris 6, et un don généreux de M. et Mme Halpin (Connecticut, USA).

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COMMENTAIRES ET DISCUSSION

M. Raymond ARDAILLOU

Comment peut-on détecter les femmes à risque ? Quelle est la prévalence de l’absence d’expression de l’endopepdidase neutre ?

Les femmes à risque sont celles qui n’ont pas d’endopeptidase neutre et qui peuvent s’immuniser contre cet antigène à l’occasion d’une grossesse. Aucune anomalie n’a pu être détectée jusqu’à présent chez les cinq mères ayant un déficit en endopeptidase neutre que nous avons pu étudier. Dans l’état actuel de nos connaissances sur la maladie, les femmes à risque sont celles qui ont donné naissance à un enfant ayant une maladie rénale glomérulaire néonatale voire anténatale. En raison de l’expression intense de l’endopeptidase neutre dans le placenta, il est possible que le déficit enzymatique soit également à l’origine d’avortements à répétition ou d’échecs de la reproduction chez plusieurs femmes d’une même famille. Nous avons constaté que les anticorps anti-endopeptidase neutre persistaient à un taux élevé parfois plus de 20 ans après la grossesse, en raison de l’absence d’antigène circulant (porté par les polynucléaires) et tissulaire. Le test de détection le plus simple consisterait à rechercher ces anticorps par un examen en immunofluorescence indirecte des sections de rein humain et de rein de rat incubées avec le sérum de la femme.

Ce test devrait être complété par une analyse en Western blot utilisant des extraits de polynucléaire pour vérifier l’absence d’endopeptidase neutre, et par la recherche des mutations responsables. La prévalence de l’absence d’expression de l’endopeptidase neutre est à ce jour inconnue. Elle pourrait être établie par le dosage enzymatique dans les urines et/ou par la recherche de la mutation la plus fréquente que nous avons identifiée dans 5 allèles sur les 6 analysés dans trois familles.

M. Alain LARCAN

Savez-vous ce qu’il en est de l’endopeptidase dans les processus d’amyloïdose (primitive, secondaire) et plus spécialement dans les cas semble-t-il de plus en plus fréquents au Portugal de para-amyloïdose avec polynévrite ?

L’endopeptidase neutre (néprilysine) est capable de dégrader le peptide amyloïde bêta (Aβ) dont l’accumulation caractérise la maladie d’Alzheimer. Des expériences de transfert génique ont montré récemment que l’endopeptidase neutre pourrait réduire les dépôts dans un modèle expérimental de maladie d’Alzheimer chez la souris. En revanche, on ne connaît pas les effets de l’endopeptidase neutre sur d’autres protéines amylogènes comme la transthyrétine (impliquée dans l’amylose dite portugaise). Dans la famille portugaise que nous avons étudiée, il n’y avait pas de manifestations rénales ou neurologiques évocatrices d’amylose portugaise.

M. Jacques-Louis BINET

Pourquoi avez-vous testé comme antigène l’endopeptidase neutre ? Comment expliquezvous l’immunisation fœto-maternelle puisque, chez votre malade, contrairement aux immunisations Rhésus, un avortement spontané a précédé la naissance d’un enfant avec atteinte rénale ?

Nous avons testé l’endopeptidase neutre car le sérum de la mère reconnaissait des structures différentes dans le rein chez l’homme et chez le rat. Chez l’homme, les anticorps maternels se fixaient sur les cellules épithéliales viscérales du glomérule (podocytes) et sur la bordure en brosse de tous les segments du tubule proximal, alors que chez le rat les anticorps n’avaient pas de réactivité avec les podocytes mais se fixaient sur les cellules de la capsule de Bowman des glomérules et sur le pôle urinaire du segment le plus distal du tube contourné proximal (segment S3). Nous avions observé de telles variations phylogénétiques 20 ans auparavant quand nous avions caractérisé des anticorps monoclonaux réagissant spécifiquement avec l’endopeptidase neutre. Il est probable que l’immunisation fœto-maternelle survenue au moment de l’avortement spontané, soit liée à l’expression de l’endopeptidase neutre sur les cellules placentaires et à des embols trophoblastiques dans la circulation maternelle.

M. Georges DAVID

Par cette observation exceptionnelle et exceptionnellement exploitée, vous élargissez singulièrement le cadre des immunisations fœto-maternelles. Jusqu’à présent on les croyait limitées au cellules sanguines, principalement les hématies (c’est la classique immunisation Rhésus) et plus rarement les plaquettes. L’explication de ce confinement aux incompatibilités sanguines tient à ce que les cellules sanguines sont les seules à pénétrer dans la circulation maternelle à travers le placenta. Mais on sait maintenant que des embols trophoblastiques peuvent survenir dans la circulation maternelle. Dans votre cas, les cellules transporteuses pourraient être les leucocytes qui sont porteurs de l’endopeptidase neutre.

Avez-vous pu explorer la deuxième hypothèse, celle de la présence de l’enzyme sur les cellules trophoblastiques ?

L’expression de l’endopeptidase neutre a été démontrée par une équipe japonaise à la surface des syncytiotrophoblastes. L’enzyme est également détectée à des degrés divers sur les tumeurs trophoblastiques, et pourrait jouer un rôle dans la transformation maligne des cellules trophoblastiques.

M. Jean-luc de GENNES

Quelle est votre interprétation sur la lésion artérielle que vous avez bien montrée sur la biopsie rénale ? Ne pourrait-on pas rapprocher ce fait de l’action de l’endopeptidase neutre sur l’endothéline ?

Une lésion artérielle d’une telle sévérité est effectivement très inhabituelle chez un nouveau-né. Nous faisons l’hypothèse que la prolifération des cellules musculaires lisses est liée principalement à l’absence de dégradation de l’endothéline par l’endopeptidase neutre en raison de l’inhibition de l’activité enzymatique par les anticorps maternels néphritogènes. D’autres peptides comme les peptides natriurétiques, qui eux sont vaso-
dilatateurs, sont également dégradés par l’endopeptidase neutre. Cependant, il est probable que l’effet résultant de l’inhibition de l’activité enzymatique par les anticorps pendant la période anténatale soit l’accumulation d’endothéline dans la paroi vasculaire, comme vous le suggérez. Un mécanisme immunologique d’atteinte vasculaire ne peut pas être écarté puisque l’endopeptidase neutre est présente à la surface des cellules musculaires lisses vasculaires comme le groupe de Raymond Ardaillou l’a démontré. Toutefois, nous n’avons pas trouvé de dépôts d’immunoglobuline dans les parois vasculaires du nourrisson.

M. Gabriel RICHET

Je voudrais ajouter à la question posée par M. de Gennes, un commentaire sur le rôle prépondérant des lésions artérielles à l’origine des insuffisances rénales chroniques dites primitives. En pathologie expérimentale, existe-t-il des conséquences pathologiques au manque d’endopeptidase neutre ?

Les souris déficientes en endopeptidase neutre ont une tendance à l’hypotension arté- rielle et manifestent une augmentation de la perméabilité vasculaire. Ces anomalies ne sont pas retrouvées chez les femmes déficientes en cette enzyme. Toutefois, la capacité de l’endopeptidase neutre de réduire les dépôts d’amylose dans un modèle expérimental de maladie d’Alzheimer chez la souris suggère que des formes particulières de maladie d’Alzheimer pourraient être causées par un déficit en endopeptidase.


* Unité INSERM 489, Hôpital Tenon, 4 rue de la Chine, 75020 Paris. ** Service de Néphrologie Pédiatrique, Hôpital Armand-Trousseau, 6 av du Dr Arnold Netter, 75012 Paris. Les trois premiers auteurs ont contribué de façon équivalente à ce travail. Tirés-à-part : Professeur Pierre RONCO, à l’adresse ci-dessus. Article reçu le 8 janvier 2003, accepté le 24 février 2003.

Bull. Acad. Natle Méd., 2003, 187, n° 5, 921-934, séance du 20 mai 2003