RAPPORT au nom de la Commission 1 (Biologie — Immunologie — Génétique)
Les centres de ressources biologiques dans les établissements de soins
Biological resources centres in medical institutions
Michel BOUREL, Raymond ARDAILLOU Selon la définition de l’Organisation de Coopération et de Développement Economique (OCDE), les centres de ressources biologiques (CRB) sont « un élément essentiel de l’infrastructure sur laquelle s’appuient les biotechnologies et les sciences de la vie. Ils se composent de prestataires de services et de centres de conservation de cellules vivantes, de génomes d’organismes, et d’informations sur l’hérédité et les fonctions des systèmes biologiques. Les CRB détiennent des collections d’organismes cultivables (micro-organismes, cellules végétales, animales et humaines, par exemple), des organismes viables mais pas encore cultivables, des cellules et des tissus ainsi que des bases de données contenant des informations moléculaires, physiologiques et structurelles sur ces collections, et la bioinformatique qui leur est associée » [1].
Seuls les CRB détenant des ressources biologiques humaines acquises dans des établissements de soins sont l’objet du présent rapport. Les caractéristiques particulières de ces centres ont été détaillées dans la « Charte des Centres de ressources biologiques détenant des ressources biologiques humaines » éditée en mars 2001 par le ministère de la Recherche et de la
Technologie [2]. En particulier, il est indiqué dans cette charte que « les ressources biologiques à visée thérapeutique sont exclues du champ de la charte ».
Le ministre chargé de la recherche accorde l’appellation de « CRB détenant des ressources humaines » aux organismes publics ou privés remplissant les conditions énumérées ci-après :
— avoir sur le territoire national des activités de conservation et de transformation des éléments et produits du corps humain à des fins scientifiques ;
— déclarer cette activité auprès du ministère chargé de la Recherche en joignant un dossier justificatif ;
— adhérer à la charte ;
— dégager les crédits nécessaires en personnel et équipements.
Un Comité consultatif des ressources biologiques a été mis en place en février 2001 avec la mission de développer un réseau national des CRB, d’accompagner les projets, de favoriser la coordination internationale, de créer des liens avec les industries de biotechnologie et de faire des propositions en matière réglementaire. Ce comité regroupe des personnalités appartenant aux grands organismes de recherche et aux associations caritatives. De son côté, l’OCDE a créé un groupe de travail sur les biotechnologies dont la France assure la présidence et qui vient d’établir des recommandations en vue d’harmoniser les réglementations, les conditions d’agrément, et de favoriser la création d’un réseau international de centres.
On est donc dans une période de mise en place des CRB et de réflexion sur leur organisation, leurs objectifs et les meilleures réponses à apporter aux problèmes éthiques découlant de l’origine humaine des prélèvements.
C’est dans ce contexte que le ministre de la Recherche a saisi l’Académie nationale de médecine, par lettre en date du 22 avril 2002, d’une demande d’avis sur « l’organisation des CRB dans les établissements de soins, l’information et le consentement des personnes et la valorisation des échantillons biologiques d’origine humaine ». Le présent rapport a été rédigé après audition par la Commission 1 (Biologie-Immunologie-Génétique) de l’Académie, de six experts dont la liste est donnée en annexe. Après un bref rappel sur l’état actuel de la situation et les raisons qui ont conduit à la création des CRB, nous considérerons plus particulièrement les problèmes d’organisation des CRB, de traitement des échantillons depuis leur recueil jusqu’à leur distribution et, enfin, ceux concernant l’information et le consentement des donneurs. Nous résumerons cette analyse et la conclurons par une série de recommandations.
ÉTAT DE LA SITUATION EN FRANCE ET À L’ÉTRANGER
La plupart des hôpitaux possèdent des collections provenant de prélèvements effectués chez les malades vivants ou décédés, dans un but de diagnostic. Il s’agit chez le vivant de pièces opératoires, de biopsies dont certaines obtenues au cours d’endoscopies et de frottis sur lames, et sur le cadavre de prélèvements d’organes. Ces divers échantillons sont pour la plupart fixés et conservés sous la forme de lames ou de blocs, habituellement dans les services d’anatomie pathologique, mais parfois aussi dans des services de spécialités.
La conservation s’accompagne de l’archivage des données cliniques et comp-
tes rendus opératoires. Un nombre croissant de produits est maintenant congelé entre -70° et -80° C ou dans l’azote liquide. Il existe également des collections de sérum ou autres liquides organiques conservées dans des congélateurs. Ces collections ont un double intérêt, le premier pour le malade prélevé, le second plus général de connaissance scientifique. Il est essentiel pour le malade vivant de pouvoir se référer à des documents antérieurs pour suivre l’évolution de la maladie et, éventuellement, effectuer des analyses qui n’étaient pas possibles à la date du prélèvement. En outre, ces collections permettent des études groupées rétrospectives de maladies, devenues possibles lorsqu’un nombre suffisant de celles-ci a été observé.
L’entretien de ces collections pose de très nombreux problèmes techniques et légaux détaillés dans un rapport récent des Inspections Générales de l’Éducation nationale et de la Recherche et des Affaires sociales [3].
Une logistique précise n’est pas encore aujourd’hui suffisamment établie :
— l’inventaire précis des collections reste à établir et l’absence habituelle de codage informatique rend difficile la récupération de l’ensemble des pièces du dossier ;
— la conservation des lames et des blocs nécessite de plus en plus de place, souvent en sous-sol, vu le poids de ces documents ;
— l’organisation des banques d’éléments congelés est encore plus difficile.
Elle nécessite des congélateurs, une surveillance constante pour faire face aux pannes, un abonnement pour la livraison périodique d’azote liquide et un personnel compétent ;
— la sécurité est habituellement mal assurée. En plus des actes de malveillance toujours possibles, il existe des risques professionnels tenant à l’usage des solvants et des agents de cryoconservation, et à la manipulation de prélèvements humains éventuellement contaminés par des virus ou autres organismes.
Des problèmes juridiques se posent de plus en plus aux responsables de ces collections avec l’adoption de textes contraignants : consentement du malade, utilisé de son vivant ou après son décès, au prélèvement et à son utilisation ultérieure dans un but de recherche, droit d’accès au dossier du malade, obligation de déclaration des collections prévue dans la loi du 1er juillet 1998 relative à la sécurité sanitaire et dans le Code de la santé publique, confidentialité des données personnelles en accord avec la réglementation de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL).
Enfin, ces collections ont été habituellement créées par un chef de service, ce qui laisse un doute sur leur pérennité au départ de celui-ci.
On voit donc que la situation actuelle n’est pas satisfaisante et rend indispensable la création de structures hospitalières de recueil, prépara-
tion et stockage des collections d’échantillons de tissus humains que sont les
CRB. On doit ajouter que les collections d’échantillons humains réunies dans les hôpitaux deviendront dans les années qui viennent un instrument incontournable de la recherche biomédicale en permettant de multiplier les comparaisons des génomes des patients classés par maladie. On pourra ainsi mettre en évidence des facteurs de susceptibilité ou de résistance à ces maladies et, également, tester des réactifs nouveaux assurant un meilleur diagnostic ou de meilleures indications thérapeutiques. Ces travaux pourraient aboutir à la mise au point de trousses (‘‘kits’’) par l’industrie avec prise de brevets générant des bénéfices. Il y a là matière à réflexion urgente comme l’a montré le droit d’usage exclusif des gènes BRCA1 et BRCA2 de prédisposition au cancer du sein dont s’est prévalue la firme américaine Myriad Genetics pour l’établissement d’un test de dépistage.
Plusieurs pays se sont préoccupés aussi de la question du stockage des prélèvements tissulaires et humoraux humains [4]. Aux États-Unis fut créé dès 1918 dans les Armées un institut de conservation appelé « Armed Forces Institute of Pathology Repository for Pathological Tissues ». Il existe dans ce pays depuis 1998 une commission chargée de contrôler l’utilisation des matériaux biologiques humains en recherche, d’en fixer la politique générale et de régler les problèmes éthiques (‘‘National Bioethics Advisory Commission’’).
L’« American Type Cell Collection (ATCC) » entretient des lignées cellulaires qui sont distribuées aux utilisateurs dans un but scientifique. Plusieurs pays européens ont adopté une législation sur la protection des données individuelles contenues dans les banques de données médicales informatisées ainsi que sur la protection des personnes se prêtant à des prélèvements et ont créé des organismes de conservation des collections. Citons, en Allemagne, la « Deutsche Sammlung von Mikroorganismen und Zellkulturen GmbH », centre polyvalent le plus complet d’Europe. Les problèmes génétiques ont été abordés par un institut international, le « Human Genome Organisation (HUGO) » dont la recommandation essentielle est que « le génome humain appartient au patrimoine de l’humanité ».
Il y a donc nécessité de tenir compte dans notre législation de ce qui a été accompli ailleurs en vue de la maintenir compatible avec les dispositifs réglementaires européens ou internationaux, de faciliter les échanges entre les CRB et d’aboutir à la création de réseaux.
ORGANISATION DES CRB
L’organisation des CRB dans les établissements des soins doit permettre de répondre au mieux à leurs missions qui sont les suivantes :
— décider quels échantillons doivent être conservés, — assurer le recueil et le transport des échantillons,
— préparer les échantillons pour le stockage à long terme, — organiser la conservation des collections, — organiser le classement des collections, — traiter les échantillons pour les valoriser, — distribuer les échantillons aux utilisateurs.
L’intérêt de remplir de tels objectifs semble évident : assurer les meilleures conditions techniques par le professionnalisme des intervenants et la centralisation des structures, optimiser les coûts d’équipement et de fonctionnement et valider les échantillons auprès des utilisateurs. Il faut, en outre, mettre d’emblée en premier les intérêts du donneur. En effet, dans la plupart des cas, les prélèvements sont des tissus tumoraux prélevés en vue du diagnostic. La priorité est donc d’établir ce diagnostic et de garder un volume suffisant de tissu en vue d’examens ultérieurs au bénéfice du patient. Comment concilier tous ces impératifs ?
L’organisation devrait comporter deux niveaux : des antennes de proximité qui recueillent, analysent et congèlent le tissu et des centres de référence qui assurent la conservation et l’exploitation des échantillons congelés ainsi que leur transfert.
Les antennes de proximité seront les plus nombreuses, une par établissement de soins, et sous la responsabilité, si possible, du service d’anatomie pathologique. Un agent aura la responsabilité de recueillir le prélèvement en salle d’opération ou d’endoscopie, de le transporter aussitôt à froid dans le service où il sera préparé par élimination du tissu nécrosé et du tissu adipeux, authentifié par un anatomopathologiste qui seul pourra garantir la nature du tissu prélevé et partagé en vue de congeler le tissu à des fins diagnostiques ou de recherche, tout en privilégiant le diagnostic microscopique pour lequel la quantité de tissu destiné à la fixation et l’inclusion en paraffine doit être optimale en respectant les recommandations de l’ANAES [5].
Les centres de référence seront chargés du stockage, de la valorisation et de la distribution en vue de la recherche biomédicale. On en comptera un au minimum par centre hospitalo-universitaire (CHU) ou plus en fonction de la taille et de la dispersion des lieux d’utilisation, un aussi par centre anticancé- reux sauf lorsqu’un regroupement est possible du fait de la proximité des établissements. Certains acquerront, du fait de leur environnement, une spécialisation comme c’est le cas, pour le système nerveux central, du CRB rattaché à l’Institut fédératif des neurosciences de Lyon. À côté de ces CRB, d’autres localisés dans les centres hospitaliers régionaux (CHR) ou des établissements privés pourraient être agréés dans les mêmes conditions de respect de la Charte. Ces centre de référence seront des unités indépendantes pour leur gestion financière et leur personnel. Dans les CHU, ils seront sous
la double tutelle de l’administration hospitalière et des établissements publics de recherche médicale, essentiellement l’université de rattachement, l’INSERM et le CNRS qui fourniront le personnel et le financement pour l’achat des équipements et le fonctionnement selon un partage réglé par convention, comme cela est déjà le cas pour les centres d’investigation clinique (CIC). On doit noter que l’INSERM et le ministère de la Recherche ont lancé en 2001 et 2002 des appels à propositions de création de CRB assortis de financement.
De tels centres de référence auront une structure calquée sur leur double fonction de banque et de prestataire de services. Les fonctions de banque supposent des locaux de conservation à -80° C ou dans l’azote liquide et des moyens informatiques de classement. Les fonctions de prestataire de services supposent des locaux de traitement (mise en culture, immortalisation, extraction d’ADN….) convenablement équipés en cryostat, microdissecteur laser, trieur cellulaire, thermocycleur pour amplification de l’ADN, pièces de culture ….
Le personnel travaillera sous la direction d’un responsable biologiste dont le statut peut être divers (médecin ou pharmacien biologiste, chercheur en biologie cellulaire,…). Ce personnel inclura des agents essentiellement chargés de l’acheminement des échantillons et des techniciens de laboratoire compé- tents en biologie moléculaire, biologie cellulaire et anatomie pathologique chargés du traitement et de la gestion des échantillons. La tutelle s’exercera par l’intermédiaire d’un conseil scientifique groupant des représentants de l’administration hospitalière, des médecins de l’établissement, des chercheurs et des experts extérieurs indépendants. Ce conseil aura, en particulier, la charge de décider quels types de prélèvements doivent être stockés et quels utilisateurs peuvent être agréés. Dans l’intervalle des réunions du conseil, un directoire restreint exercera ces responsabilités.
Les CRB devraient être organisés en réseaux afin de pouvoir échanger les échantillons. Ce type de relations a un double intérêt : permettre une meilleure sauvegarde en stockant ailleurs des duplicata, rassembler dans des centres spécialisés les échantillons de maladies rares.
DEVENIR DES ÉCHANTILLONS BIOLOGIQUES HUMAINS
On rappellera ici les deux missions d’un CRB, d’une part celle de banque et de stockage, d’autre part celle de valorisation et prestation de service.
CRB et conservation des échantillons
Quels échantillons ?
La première question à résoudre est de déterminer la nature des prélèvements devant entrer dans les collections. Un impératif s’impose : ne peuvent être
acceptés que les prélèvements accompagnés d’une fiche d’identification remplie en totalité selon un canevas obligatoire et se prêtant à un traitement informatique, c’est-à-dire l’entrée dans une base de données. Il convient, en effet, pour une utilisation ultérieure efficace, de retrouver l’origine du prélèvement et de posséder toute l’information nécessaire sur le patient et sa maladie.
Cette condition remplie, quels prélèvements accepter ? Dans la majorité des cas, il devra s’agir de prélèvements effectués dans le cadre d’un programme scientifique à l’initiative d’un investigateur et validé par le Conseil scientifique du CRB. Ce projet pourra poursuivre des objectifs assez larges pour pouvoir être adapté avec le temps. Il faut insister sur l’importance du suivi du projet et du respect du protocole. En effet, si on prend le cas des tumeurs cancéreuses, la recherche portera souvent sur l’étude d’un oncogène ou autre antigène tumoral associé à une indication thérapeutique ou au pronostic. Il est certain que l’hypothèse de départ ne pourra être validée que par le suivi au long cours du malade. D’où la nécessité, pour donner à l’étude du prélèvement tout son intérêt, d’exiger de l’investigateur et de son équipe qu’ils rendent compte au Conseil Scientifique du CRB des progrès de la recherche et que la qualité du suivi soit régulièrement examinée par des audits internes et externes. Doit on aussi accepter des prélèvements à caractère individuel sans examen préalable d’un projet lorsqu’il est urgent de prendre une décision, par exemple dans le cas d’une maladie rare ? La réponse est, en général, affirmative, la décision étant prise par le directoire responsable émanant du conseil scientifique ou le directeur du centre. Enfin, comment concilier l’intérêt du malade avec le projet de recherche ? Le plus sage serait de conserver des échantillons fractionnés dans le CRB en préservant l’un d’entre eux pour des examens éventuels au bénéfice du patient. On doit aussi prévoir que dans le futur des collectes de tissu excluant tout risque pour le donneur pourront être organisées dans un échantillon de population en vue d’une recherche épidémiologique telle celle visant à évaluer l’imprégnation occulte par des toxiques (pesticides, métaux lourds …) ou génétique [1]. Ces tissus devront logiquement être stockés et traités dans les CRB.
Quelles mesures pour obtenir l’assurance de la qualité ?
La deuxième nécessité est l’assurance de la qualité, c’est-à-dire l’ensemble des mesures qui donneront au prélèvement sa valeur scientifique. On peut les énumérer comme suit :
— la nature du tissu et de la lésion doit être connue avec certitude ;
— la chaîne du froid permettant une bonne conservation doit être contrôlée en permanence ;
— le prélèvement ne doit pas être contaminé ;
— le matériel conservé et distribué doit être quantifié avec précision ;
— la fiche informatique d’entrée doit être complétée par une fiche de suivi et un catalogue des collections doit être tenu ;
— la législation doit être respectée. L’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé (ANAES) a récemment édicté, sous l’égide des Sociétés françaises de pathologie, hématologie et cancérologie, des « recommandations pour la cryopréservation de cellules et tissus tumoraux dans le but de réaliser des analyses moléculaires » [5] qui détaillent les mesures techniques à respecter en matière de recueil et d’acheminement des prélèvements, sélection des fragments à congeler, conditionnement, conservation et traçabilité des prélèvements.
CRB et prestations de service : la valorisation
Le CRB a, à côté de ses missions de conservation, des missions de prestataire de services. On entend par là qu’il doit apporter au prélèvement une valeur ajoutée. Celle-ci est déjà, en partie, fournie par la fiche informatique accompagnatrice précisant les antécédents et l’histoire clinique du patient. Elle peut provenir de la saisie et de l’analyse d’images. Elle est surtout le fait de traitements appropriés. Il peut s’agir de l’extraction d’ADN ou d’ARN suivie d’amplification d’ADN complémentaires. Il peut s’agir aussi de mise en culture d’un ou de plusieurs types cellulaires suivie de leur immortalisation pour obtenir des lignées. On peut aussi penser que des prestations de service sur contrat pourront être réalisées dans les CRB telles que l’identification de marqueurs ou l’analyse du transcriptome (ensemble des transcrits).
Comment et à qui les échantillons doivent-ils être distribués ? Plusieurs catégories d’échantillons peuvent être distinguées :
— ceux contenus dans le catalogue public et d’accès libre après approbation du projet scientifique de l’utilisateur par le Conseil scientifique ;
— ceux d’accès restreint à l’investigateur pour une période à déterminer lui permettant de mener à bien son étude avec ensuite accès libre ;
— ceux enfin d’accès restreint en permanence dans le cas des collections réduites.
Les utilisateurs seront soit des chercheurs travaillant dans le cadre de la recherche publique, soit des industriels soucieux de mettre au point un test de dépistage ou de valider un traitement. Dans les deux cas, le projet sera examiné par le Conseil scientifique avant acceptation. Celui-ci devra exiger que l’acquéreur ne transfère pas secondairement ces échantillons à un tiers sans accord préalable et que l’anonymat des données afférentes aux échantillons soit maintenu. Il devra aussi ne pas accorder d’exclusivité afin de ne pas obérer la possibilité d’autres recherches. La législation prescrit que les organes, tissus, cellules et tous dérivés provenant du corps humain n’ont pas de valeur patrimoniale et ne peuvent faire l’objet d’un brevet. Il s’ensuit que le patient donneur ne peut pas être rémunéré et qu’un échantillon d’origine humaine ne peut pas être vendu. En revanche, la valeur ajoutée conférée à l’échantillon
a la nature d’un service qui peut être rémunéré . Les CRB n’ont pas de but lucratif, mais doivent pouvoir assurer une part d’autofinancement. Il paraît raisonnable qu’ils réclament aux utilisateurs académiques le remboursement des frais de fonctionnement induits par la conservation et la valorisation du prélèvement fourni. Ce type de dépense doit être mentionné dans la partie « coût » du projet de recherche. Les utilisateurs industriels qui espèrent géné- rer des bénéfices à partir de l’utilisation des prélèvements doivent payer un prix tenant compte de la totalité des dépenses du CRB et des nécessités d’investissement. La fixation de ce prix ne peut être faite que par un professionnel. La valeur ajoutée par le CRB ainsi que la contribution intellectuelle des participants à la chaîne de collecte et de transformation de l’échantillon doivent être rétribuées non seulement par le prix de cession, mais, le cas échéant, par la reconnaissance du droit des inventeurs et la copropriété des brevets éventuels.
Pour les institutions dont dépend le CRB (universités, administrations hospitalières, INSERM …), l’obtention de redevances et une participation au capital des entreprises biotechnologiques devraient être également possibles.
Se pose enfin le problème de la pérennité des collections et des échanges avec les autres CRB français ou étrangers. Un intérêt majeur des CRB par rapport aux collections individuelles est de permettre une conservation de longue durée. Il n’en reste pas moins que des collections pourront être détruites, ne serait ce que pour une question de place. La décision reviendra au Conseil scientifique.
INFORMATION ET CONSENTEMENT DES DONNEURS
Les textes réglementaires en vigueur concernant les CRB peuvent être divisés en trois catégories [6] :
— ceux sur la constitution de collections (loi du 29 juillet 1994 sur les banques d’échantillons biologiques ; loi du 28 mai 1996 sur les banques avec une finalité de recherche en génétique ; loi du 1er juillet 1998 incluant une disposition sur la conservation des échantillons biologiques dans un but de recherche) ;
— ceux sur les conditions du prélèvement (loi du 20 décembre 1988 dite loi Huriet sur la protection des personnes se prêtant à des recherches biomédicales, code de la santé publique et code civil) ;
— ceux sur la gestion des données informatiques (loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés).
Toute personne souhaitant constituer une collection de matériel biologique doit demander l’autorisation au ministre de la recherche dont les services ont trois mois pour donner une réponse. L’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) est tenue informée. La collection peut être
interrompue à tout moment pour des raisons de sécurité ou de non-conformité à la loi. Le ministre de la Recherche donne également son autorisation à l’importation et à l’exportation de tout produit biologique. Le projet de loi pour la révision des lois dites de bioéthique reprend ces mesures en tenant compte de l’expérience acquise pendant les cinq ans écoulés : le champ d’application est élargi à tous les prélèvements biologiques sans distinguer la finalité particulière des recherches en génétique et la cession du matériel biologique sera également soumise à autorisation.
Le prélèvement chez un donneur vivant peut se faire dans le cadre de l’activité de soins ou s’inscrire dans un plan de Recherche, ce qui est habituel pour les collections d’échantillons biologiques. Dans ce cas, les dispositions de la loi dite Huriet (articles 1121 à 1125 du Code de la Santé Publique) s’appliquent . On distingue les prélèvements au bénéfice direct du patient et ceux sans bénéfice direct. Dans le premier cas, l’autorisation du malade ou des parents pour les mineurs est nécessaire, mais elle ne requiert aucun formalisme particulier. Les échantillons peuvent être stockés et réutilisés au bénéfice de l’intéressé sans nouvelle autorisation. Lorsque le prélèvement est effectué dans le cadre d’un protocole de recherche biomédicale sans bénéfice direct, le patient adulte doit délivrer son consentement par écrit après avoir reçu toute l’information nécessaire (‘‘ information claire, loyale et intelligible à la personne à laquelle elle s’adresse ’’). L’ensemble du protocole, y compris le document informatif, doit recevoir l’agrément d’un comité consultatif de protection des personnes se prêtant à la recherche biomédicale (CCPPRB). Le cas des déchets opératoires et des placentas est particulier. Le projet de loi de bioéthique actuellement en révision prévoit que les organes, tissus ou tous produits prélevés au cours d’une intervention effectuée dans l’intérêt du patient pourront être utilisés à des fins scientifiques, sauf opposition exprimée par ce dernier après qu’il a été informé des objectifs de l’utilisation. Il en est de même pour les placentas. Il est à noter qu’une nouvelle disposition vient d’être introduite dans la loi du 4 mars 2002 modifiant l’article 1122.1 du Code de la Santé Publique et stipulant que « à l’issue de la recherche, la personne qui s’y est prêtée est informée des résultats globaux de cette recherche ». Cette disposition sera parfois difficile à appliquer.
La mise en œuvre d’un fichier de recherche en santé publique suppose une autorisation préalable délivrée par la CNIL après avis du Comité consultatif national sur le traitement de l’information en matière de recherche en santé (CCTIRS) auquel un dossier de demande est adressé par le responsable de la constitution et de la tenue du fichier. Les patients entrant dans le fichier doivent être informés au préalable de la nature des informations transmises, de la finalité du traitement des données, de l’identité des destinataires, de leur droit d’accès et de rectification et de leur droit d’opposition à tout moment à l’utilisation des données les concernant. Le patient devra donner un consentement explicite à l’utilisation des données nominatives permettant de l’identifier.
Il convient, enfin, d’assurer la protection des personnels impliqués dans la manipulation des examens biologiques en détectant par des examens appropriés les échantillons contaminés par des virus transmissibles (HIV, HBV, HCV…). Lorsqu’une recherche de marqueurs est entreprise à cette fin, le patient doit y consentir. Le CRB informera le médecin traitant des résultats afin que ce dernier puisse, à son tour, informer le patient.
RECOMMANDATIONS
Au terme de cette analyse, l’Académie nationale de médecine est consciente de la nécessité de la mise en place des CRB regroupant les collections d’échantillons biologiques d’origine humaine, patrimoine qu’il convient de protéger et outil indispensable à la recherche clinique, à l’interface des établissements de soins, des organismes de recherche et de l’industrie. Leur fonctionnement doit se conformer à la Charte des CRB détenant des ressources biologiques humaines [2] qui fixe les règles déontologiques à respecter et rappelle les obligations légales en vigueur. Cependant, l’organisation des CRB pose encore de nombreux problèmes. La période présente de révision des lois de bioéthique nous invite à réfléchir à leur solution.
Autour des trois axes évoqués dans la demande du Ministre de la Recherche (organisation des CRB, valorisation des échantillons biologiques et consentement des personnes), l’Académie nationale de médecine émet les recommandations suivantes :
1 — Relatives à l’organisation des CRB dans les établissements de soins
Que les CRB puissent avoir :
— un double niveau d’organisation •
Les antennes de proximité d’une part. Elles devraient être confiées de préférence aux anatomopathologistes, hématologistes et autres biologistes locaux en charge du prélèvement initial pour que l’échantillon biologique suive un circuit aussi proche que possible de celui qu’effectue un prélèvement à visée diagnostique. Il est important de ne laisser de côté aucune source potentielle d’échantillons. À cette fin, des antennes de proximité devraient voir le jour, non seulement dans les CHU mais aussi dans les autres centres hospitaliers ainsi que les cliniques et les laboratoires d’analyse du secteur privé qui prélèvent un grand nombre d’échantillons, en particulier tumoraux. Cette source abondante est aujourd’hui quasiment inexploitée à des fins de recherche. Le nombre de ces antennes de proximité serait fonction de l’importance de la ville et/ou de l’orientation spécialisée des équipes de recherches. S’agissant de structures légères, plusieurs pourraient coexister dans un même établissement.
•
Les centres de référence d’autre part. Structure lourde, un au minimum par région qui devrait être créé pour assurer la permanence de conditions adéquates de stockage (chaîne du froid), la manipulation et les analyses des échantillons en vue de leur valorisation grâce à une plateforme technologique adéquate. À côté des CRB localisés dans les établissements publics (centres hospitalo-universitaires, centres anticancéreux), des CRB au sein d’établissements privés pourraient être agréés dans les mêmes conditions de respect de la Charte. Ces derniers pourraient également bénéficier d’un financement public s’ils s’engageaient à mettre leurs collections à la disposition de la recherche académique.
— un statut d’organisme autonome • doté d’un
Conseil Scientifique responsable de la gestion, de la constitution des collections, du suivi du protocole de recherche à leur origine, des travaux de valorisation et de la cession des échantillons ;
• bénéficiant d’un personnel et d’un financement propres . Concernant les CRB au sein des établissements publics de soins, les plus nombreux, leurs dépenses d’équipement, de fonctionnement et de personnel devraient être réglées par convention entre les universités, les administrations hospitalières et les établissements publics de recherche ;
• appartenant à un ou des réseaux incluant d’autres CRB français et étrangers afin de pouvoir échanger les échantillons et regrouper en vue d’études ceux provenant de patients atteints de maladies rares.
2 — Relatives à la valorisation des échantillons biologiques
Que les CRB puissent assurer les missions suivantes :
• par leur Conseil Scientifique accepter ou refuser l’entrée des échantillons dans les collections au vu d’un dossier comportant, outre la fiche informatique d’accompagnement, le projet scientifique de recherche dans lequel s’inscrit le prélèvement ;
• être capable de réaliser toutes les opérations nécessaires à la valorisation telles que microdissection, tri cellulaire, identification de marqueurs tumoraux et de gènes de susceptibilité, purification de types cellulaires avec mise en culture et immortalisation pour création de lignées, extraction d’ARN suivie de rétrotranscription et amplification de l’ADN complémentaire… toutes opérations postulant équipement et personnel spécialisés ;
• tenir le catalogue des collections disponibles ;
• avec l’aide d’un service financier, établir, après étude rigoureuse des procédés mis en œuvre, le coût de la valorisation afin de fixer des prix de cession différenciés en vue de la recherche académique et des besoins de l’industrie et préserver les droits des différents participants
(du recueil à la transformation des échantillons) dans toute exploitation commerciale.
3 — Relatives à l’information et au consentement des personnes
Que les CRB aient l’obligation de s’assurer, avant d’accepter un échantillon, que le responsable du prélèvement et l’investigateur du projet de recherches ont respecté les obligations suivantes :
— informer le patient du fait que les organes, tissus, cellules et tous dérivés du corps humain n’ont pas de valeur patrimoniale, de telle sorte qu’un prélèvement ne peut être vendu ou faire l’objet d’une rémunération quelconque ;
— informer le patient de façon « claire, loyale et intelligible » du projet de recherche dans lequel s’inscrit le prélèvement, sans entrer dans les détails techniques de ce protocole ;
— obtenir le consentement « libre et éclairé » du patient au prélèvement que celui-ci soit susceptible ou non de procurer un bénéfice direct. Ce consentement devra être donné par écrit et formulé en termes les plus larges possibles selon un formulaire agréé par le CCPPRB de l’établissement afin de n’être pas obligé de demander une nouvelle autorisation si l’objectif de la recherche est modifié ;
— dans le cas des déchets opératoires ou des fragments de tissus sains destinés à servir de témoins et prélevés au cours d’une intervention effectuée dans l’intérêt du patient, s’assurer qu’aucun risque supplémentaire n’est encouru de ce fait, prévenir le patient et obtenir son autorisation pour l’utilisation du prélèvement à des fins scientifiques.
Que les CRB puissent être autorisés à requalifier pour la recherche médicale tout tissu demeurant stocké après décès du patient, la loi dite Huriet ne s’appliquant qu’aux sujets vivants et, également, des échantillons initialement à visée thérapeutique mais inutilisés à cette fin (organe non retenu pour la greffe, cellules « périmées » pour la thérapie cellulaire, reliquat de cellules ou même à visée diagnostique ou pronostique lorsque l’objectif initial a été rempli).
Que les CRB avant toute étude comportant l’établissement d’un fichier de recherche incluant des données nominales s’assurent que l’autorisation de la CNIL a été obtenue par l’investigateur responsable.
4 — De façon générale
Que les textes législatifs et réglementaires concernant les CRB dans les établissements de soin, hétérogènes en raison de leur parution indépendante,
soient confrontés, harmonisés, et simplifiés afin de ne pas entraver la créativité des équipes de recherche biomédicale.
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* *
L’Académie, saisie dans sa séance du mardi 19 novembre 2002, a adopté ce rapport à l’unanimité.
BIBLIOGRAPHIE [1] Biological Resource Centres : underpinning the future of life sciences and biotechnology.
Paris : OECD, 2001.
[2] Comité consultatif des ressources biologiques, Ministère de la Recherche, mars 2001, Paris.
[3] Conservation d’éléments du corps humain en milieu hospitalier, Rapport de l’Inspection Générale de l’Éducation Nationale et de la Recherche et de l’Inspection Générale des Affaires Sociales, mars 2002, Paris.
[4] Review of the current status, activities and future of existing biological resource centres, Paris : OECD, 2001.
[5] Recommandations pour la cryopréservation de cellules et tissus tumoraux dans le but de réaliser des analyses moléculaires. ANAES, juillet 2000, Paris.
[6] Réglementation des banques d’échantillons biologiques d’origine humaine constituées dans un but de recherche, Service Juridique de l’INSERM, octobre 2001, Paris.
ANNEXE — Liste des experts consultés
Marie-Françoise BELIN — Directeur de recherches à l’INSERM (U 433), Lyon.
Anne BISAGNI — Adjointe au Directeur de l’Animation et des Partenariats Scientifiques à l’INSERM, Paris.
Éric CLAUSER — Professeur de biologie cellulaire, Département d’Endocrinologie, Institut Cochin, Paris.
Bruno CLÉMENT — Directeur de recherches à l’INSERM, chargé de mission au ministère de la Recherche, Paris.
Jean-Alexis GRIMAUD — Directeur du Département de Bioingénierie, ministère de la Recherche, Paris.
Anne JANIN — Professeur d’anatomie pathologique, Hôpital Saint-Louis, Paris.
Bull. Acad. Natle Méd., 2002, 186, n° 8, 1551-1564, séance du 19 novembre 2002