Communication scientifique
Session of 24 mai 2011

Les aspects éthiques du diagnostic pré-implantatoire (DPI)

MOTS-CLÉS : diagnostic préimplantatoire. éthique
Ethical aspects of preimplantation genetic diagnosis (PGD)
KEY-WORDS : ethics. preimplantation diagnosis

Alex Mauron

Résumé

Le DPI reste une pratique controversée. C’est particulièrement le cas du DPI aux fins de typage tissulaire entrepris avec le but de choisir un futur enfant susceptible d’être un donneur de cellules souches histocompatibles pour un aîné malade. Nous examinons trois familles d’arguments opposés au DPI en général ou plus particulièrement au DPI pour typage tissulaire. Ces arguments invoquent le statut de l’embryon, la question de l’eugénisme et le reproche d’instrumentalisation de l’enfant futur. Nous estimons qu’aucun de ces arguments n’est convaincant et que c’est la présomption en faveur de la liberté procréatrice des couples souhaitant recourir au DPI qui doit prévaloir.

Summary

The controversy surrounding PGD has not abated in recent times. This is especially the case for PGD-based tissue typing, which is used to select a future child who could serve as a stem cell donor for an older sick sibling. We examine three types of ethical argument cited against PGD in general, and specifically against tissue-typing PGD. These arguments focus on the moral status of the early embryo, the eugenics issue, and the charge that the future child is being exploited. We conclude that none of these three arguments is unassailable, and that it is the reproductive freedom of couples considering PGD that should prevail.

Introduction : le DPI, un enjeu éthique persistant

A l’heure où le DPI a dépassé vingt ans d’existence, cette technique d’analyse génétique désormais bien établie voit ses indications s’élargir progressivement. Elle reste néanmoins limitée dans son extension quantitative et ne saurait avoir les impacts populationnels associés aux méthodes d’assistance à la procréation en général. Il n’en reste pas moins que les controverses d’éthique que le DPI suscite ne sont pas près de s’éteindre et ce n’est guère surprenant au vu des nombreux enjeux éthiques et symboliques mobilisés par cette technique. C’est d’ailleurs un des paradoxes permanents de la réflexion bioéthique car elle consacre la même énergie à des enjeux très différents quant à l’ampleur de leurs impacts concrets sur la vie des individus et des collectivités.

Les questions de bioéthique ne sont pas obligatoirement des questions de droit positif. Mais quand le débat public sur une thématique bioéthique se déploie dans l’espace politique et qu’il inclut des appels à légiférer ou à réviser des lois existantes, cette dimension juridique déteint peu ou prou sur le débat conceptuel et philosophique. En France et en Suisse, deux pays familiers de l’auteur car il est citoyen de l’un et de l’autre, le DPI est un enjeu législatif d’actualité. En France, le DPI est concerné par la révision des lois de bioéthique, puisque celles-ci portent, entre bien d’autres sujets, sur les conditions de mise en œuvre du DPI [1]. En Suisse, le DPI est interdit par la Loi sur la procréation médicalement assistée de 1998 et implicitement par un article assez controversé de la Constitution fédérale (art.119), mais une majorité politique se dessine en faveur de la levée de cette interdiction sans qu’il y ait déjà consensus sur le régime d’autorisation appelé à la remplacer [2].

Revenons aux enjeux éthiques du DPI : seuls trois d’entre eux seront évoqués ici. Il s’agit respectivement de la question du statut de l’embryon humain aux tous premiers stades de son développement, de la visée éventuellement eugéniste du DPI ou de certaines de ses applications, et enfin de la question de « l’instrumentalisation » du bébé du double espoir qui naîtrait suite à un DPI au fins de typage tissulaire. Notons tout d’abord que dans cette présentation, qui est classique, chacune de ces questions est initialement présentée comme un problème et une raison putative de s’opposer au DPI. De plus, il faut être clair sur ce que signifie « s’opposer » à une technique telle que le DPI. En démocratie libérale, le fait qu’une pratique rencontre des objections morales largement partagées est généralement une condition nécessaire à son interdiction, mais en aucun cas une condition suffisante. Quand il est question de légiférer, l’éthique ouvre parfois, ou souvent, la discussion ; elle ne la clôture pas.

L’embryon humain et la confusion entre taxinomie et ontologie

Le fait d’analyser plusieurs embryons in vitro pour choisir celui qui sera à l’origine d’une grossesse à l’exclusion des autres serait une transgression du droit à la vie si les embryons de quelques jours étaient assimilables à des personnes humaines sur la base d’une analogie moralement pertinente. C’est ce que soutiennent beaucoup d’adversaires du DPI, ainsi que plus généralement les tenants des positions « provie » sur les controverses mettant en jeu la vie prénatale humaine. Malgré leur diversité apparente, ces arguments se résument souvent à un paralogisme comme celui-ci :

D’un embryon dont le destin dépend d’un DPI, on peut affirmer :

(a) cet embryon est un être vivant, (b) cet être vivant est humain, (c) donc, cet embryon est un être humain vivant, (d) il est interdit de mettre volontairement fin à la vie d’un être humain vivant (sauf exceptions classiques comme la légitime défense etc., qui ne sont pas pertinentes ici), (e) donc, il est interdit de mettre volontairement fin à la vie de l’embryon en question.

Ce syllogisme est trompeur du fait d’un usage différent du terme « humain » dans la prémisse (b) et la conclusion intermédiaire (c). La prémisse (b) se contente d’énoncer une évidence taxinomique, à savoir que l’embryon dont on parle relève de l’espèce homo sapiens et non d’une autre espèce. Par contre, dans (c), le terme « humain » est un élément constitutif du substantif « être humain », avec le sousentendu qu’un être humain est forcément une personne, c’est-à-dire quelqu’un comme vous et moi. On voit donc que l’énoncé (c) n’a pas d’autre fonction que d’importer dans le raisonnement l’intuition prétendument évidente que l’embryon de quelques jours est déjà « quelqu’un » plutôt que « quelque chose ». Or c’est précisément cela qu’il s’agirait de démontrer, ce à quoi ce syllogisme fautif échoue.

Le débat sur le statut de l’embryon est ainsi piégé par de fausses questions :

l’embryon est il vivant ? Évidemment ! Est-il humain ? Bien sûr ! Mais tout ceci n’a rien à voir avec l’analyse ontologique et éthique du statut de l’embryon humain précoce, analyse dont on ne peut faire l’économie. Qu’on s’y attelle sérieusement et l’on bute immanquablement sur des difficultés majeures, tout au moins pour le stade du développement concerné par le DPI. Ainsi par exemple, le statut de personne implique des conditions ontologiques minimales telle que celle-ci : être une personne, c’est avoir une identité numérique, c’est-à-dire être la même personne à différents moments de son existence. Ce critère est pris en défaut au début de la vie prénatale, tant que la gémellité est encore possible. En effet, si un blastocyste qui donnera naissance à deux personnes était lui-même une personne, il devrait être identique à chacun des deux jumeaux, ce qui ne peut être le cas dès lors qu’on accepte l’évidence que des jumeaux sont des personnes distinctes 1. On notera que l’argument qui précède ne se réfère pas à la notion d’autonomie souvent évoquée dans ces débats. En effet, le critère de l’autonomie — actuelle ou potentielle — est 1 Le paradoxe des jumeaux montre que le problème du statut de l’embryon précoce n’est pas identique à celui du fœtus tel qu’il intervient dans les débats sur l’avortement.

beaucoup plus exigeant que le critère de l’identité numérique. Comme l’embryon précoce ne satisfait pas au second, a fortiori il ne saurait satisfaire au premier. C’est tout l’intérêt du critère de l’identité numérique, qui est un critère « minimaliste », plus facile à remplir que tout autre critère que l’on pourrait invoquer à l’appui d’un statut personnel. Pour une présentation plus poussée de ces problèmes on renverra le lecteur aux travaux antérieurs de l’auteur et de son collègue Bernard Baertschi [3-5].

Nous ne traitons pas ici des questions liées à la notion de potentialité, qui nécessiteraient elles aussi un long développement [6]. Mentionnons pour terminer un autre problème, à savoir le présupposé accepté sans examen qui voudrait que le statut de l’embryon dépendrait d’une propriété monadique que celui-ci posséderait (pour les adversaires du DPI), ou dont il serait dépourvu (pour les partisans du DPI). Or il y a de bonnes raisons de penser que le statut de l’embryon est une propriété relationnelle, ce qui implique entre autres qu’à un stade donné de son développement, un embryon inscrit dans un projet parental n’a pas le même statut que celui qui ne l’est pas [6].

Le DPI relève-t-il de l’eugénisme ?

La crainte que le « tri d’embryon » ne relève d’une démarche eugénique a joué un rôle prépondérant dans le débat d’éthique ainsi que dans la justification d’une législation initialement restrictive de cette pratique en France, voire de son interdiction en Suisse. La dénonciation de l’eugénisme supposé du DPI est le fait de commentateurs les plus divers, depuis le Magistère catholique [7] jusqu’à certains intellectuels publics (voir par exemple, le blog du biologiste Jacques Testart [8]).

De fait, si le DPI pouvait être assimilé à des pratiques inhumaines que l’histoire a justement condamnées, ce serait une raison dirimante de le rejeter. Mais il ne suffit pas d’évoquer le « spectre de l’eugénisme » pour que cela ait valeur d’argumentation éthique rationnelle. Non certes qu’une telle argumentation soit impossible a priori ;

elle pourrait prendre l’une ou l’autre de deux formes. A première vue, la plus solide consisterait à envisager l’eugénisme comme un ensemble d’idéologies et de pratiques historiquement situées et de se demander si le DPI présente une ressemblance moralement significative avec l’eugénisme historique. Cependant, une telle comparaison devrait aborder de front la difficulté qui réside dans la nature éminemment politique de ce dernier. Car en amont de la diversité réelle des formes prises par l’eugénisme depuis les théories scientistes du xixe siècle jusqu’à l’eugénisme génocidaire de l’Allemagne nazie, il y a une constante : la conviction que l’État a le droit de piloter la procréation des personnes au nom d’objectifs de qualité populationnelle qui reflètent généralement les préjugés plus ou moins racistes du moment [9].

Or de toute évidence le DPI ne s’inscrit pas dans une telle démarche puisqu’il est une réponse individualisée à des problèmes de santé n’intéressant qu’une minorité de couples. De plus, personne ne songe sérieusement à assigner au DPI une finalité « d’assainissement des génomes », qui serait en effet eugénique au sens historique du terme. Il est impossible de voir dans le DPI, ni d’ailleurs dans le DPN, une violation de l’article 12 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui affirme le droit-liberté des personnes à fonder une famille sans être soumis à des consignes de la puissance publique. Nous le verrons plus loin, c’est plutôt l’interdiction ou la limitation du recours au DPI au nom d’une éthique d’Etat qui pourrait bien être en délicatesse avec l’article 12.

L’autre stratégie argumentative part de l’idée qu’il existe un eugénisme a-historique, intemporel, divorcé de ses oripeaux collectivistes, en un mot, un « eugénisme libéral », qui suscite l’opprobre de nombre d’auteurs contemporains [10]. La difficulté est ici de justifier une condamnation morale qui s’attacherait telle quelle au choix prénatal visant à déterminer certaines caractéristiques d’une personne future, choix qui serait par essence immoral indépendamment de toute pression extérieure et indépendamment du critère mis en œuvre dans ce choix.

Même si l’on peut avoir quelque sympathie pour l’argument qui voudrait qu’une existence prédéterminée par certaines sélections prénatales constitue un handicap pour le déploiement de sa liberté future, il est difficile d’en faire une raison valable d’interdire des choix reposant sur des finalités médicales, comme c’est typiquement le cas pour le DPI. En fait, et pour autant que l’indication du DPI soit clairement médicale, l’objection « anti-eugéniste » au DPI est auto-réfutante. En effet, la maladie grave est essentiellement un défaut d’opportunité. Eviter à une éventuelle personne future une telle maladie, c’est augmenter l’éventail de ses opportunités et non le réduire (nous ne discuterons pas ici de la légitimité ou non du concept de « prévention » dans le cas d’espèce ; il s’agit à nos yeux d’un problème plus sémantique que substantiel).

Le DPI-HLA et la notion d’instrumentalisation de l’enfant

Parmi les situations impliquant le DPI, l’une des plus controversées aujourd’hui est le DPI à double finalité, à savoir l’identification d’un embryon qui soit à la fois indemne d’une maladie génétique que l’on cherche à éviter et susceptible d’être un donneur HLA-compatible de cellules souches hématopoïétiques pour un frère ou une sœur aînée d’ores et déjà malade. Notons d’emblée que cette situation est matériellement distincte de celle qui concernerait les parents d’un enfant né avec une maladie non génétique traitable par une greffe de moelle ou de cellules souches du cordon, et pour qui la procréation par DPI d’un futur enfant HLA-compatible serait intéressante. Bien que cette distinction ait joué un rôle important dans les débats législatifs autour des indications du DPI, en France et ailleurs, nous estimons que cette distinction n’est pas moralement pertinente, pour des raisons qui seront apparentes plus loin. Pour plus de clarté, nous utiliserons le terme « DPI-HLA » pour regrouper sous un seul terme le DPI « double espoir » proprement dit et le DPI entrepris pour effectuer un typage tissulaire sans diagnostic génétique associé.

L’argument le plus souvent invoqué à l’encontre du DPI-HLA est celui qui voit dans cette procédure une instrumentalisation du futur enfant. S’inspirant d’une référence kantienne omniprésente dans la bioéthique européenne, les adversaires du DPI-

HLA estiment que l’enfant conçu dans le cadre de ce procédé doit son existence à un projet qui ne respecte pas la future personne comme fin en soi, puisqu’elle est programmée pour servir de donneur de cellules salvatrices pour son aîné. Etre appelé à l’existence pour servir des buts étrangers à elle-même, aussi honorables soient-ils, serait un affront à la dignité de la personne, car elle serait traitée comme un moyen et non comme une fin.

Plus concrètement, certains redoutent que « l’enfant sauveur » ne soit en quelque sorte l’esclave de son aîné, à qui il ne saurait refuser ses cellules. S’agissant des cellules souches du cordon, le problème ne se pose évidemment pas mais cette relation de sujétion fraternelle est une possibilité théorique si une greffe de moelle osseuse est envisagée. Mais ce que ces critiques oublient c’est qu’une fois né, l’enfant issu du DPI-HLA est une personne comme les autres. Tout l’arsenal juridique de protection des personnes en général et des enfants en particulier s’applique à lui.

L’impliquer dans une procédure médicale qui irait contre ses intérêts appellerait une intervention des autorités tutélaires selon les modalités prévues par la législation nationale, en conformité avec la Convention des Nations Unies sur les droits de l’enfant [11, 12]. Ceci dit, le recours à un petit enfant comme donneur de cellules souches n’est pas condamnable a priori. La nature du contexte familial est à prendre en compte dans chaque situation particulière.

Le fait qu’un enfant né soit protégé par les libertés fondamentales qui s’attachent à toute personne humaine désigne la sphère d’application correcte de l’impératif catégorique kantien, à savoir l’interdit de traiter la personne comme un moyen seulement. C’est là une précision nécessaire quand on parle d’instrumentalisation.

Par exemple, chacun de nous qui est salarié est à ce titre « instrumentalisé ». Mais ce statut implique une relation contractuelle limitée à la sphère travail, contrairement à l’esclavage. Dans cette acception ordinaire, la notion d’instrumentalisation est utile pour décrire et combattre des situations où des personnes sont humiliées et déshumanisées de façon systématique et c’est bien ainsi qu’on l’entend depuis le siècle des Lumières jusqu’à aujourd’hui. Car du temps du philosophe de Königsberg comme du nôtre, les exemples de traitements contraires à la dignité humaine ne manquent pas. C’était la traite des esclaves et la naissance du prolétariat industriel jadis ; c’est aujourd’hui la misère matérielle et morale des lieux d’inhumanité du monde contemporain : prisons, immigration clandestine, précarité, working poors

Autant de situations où l’angoisse de la survie au jour le jour, ou tout au moins la lutte quotidienne pour maintenir une existence digne, justement, laissent peu de place à l’autonomie de la personne et au sentiment d’être un tant soit peu maître de son parcours de vie. Ce qui est critiqué ici n’est donc pas le concept d’instrumentalisation comme tel mais le fait que cette notion, comme celle de dignité humaine qui lui est apparentée, fait de nos jours l’objet d’une inflation rhétorique qui aurait probablement beaucoup étonné Kant. Cette inflation est particulièrement évidente en bioéthique.

Le concept d’instrumentalisation tel qu’il est invoqué par les adversaires du DPI présente deux faiblesses. L’une se rattache au statut de l’embryon. L’autre concerne les motivations de futurs parents d’avoir un enfant, avec ou sans DPI-HLA. Notons d’abord que la notion « d’instrumentalisation », ne saurait s’appliquer à l’embryon de quelques jours, dont le statut de personne, nous l’avons vu, est encore discutable.

Quoi qu’on pense du tri d’embryons dans le contexte du DPI, ou du DPI-HLA, on ne peut pas le condamner au nom d’un statut de personne que l’embryon ne possède pas pleinement. Cela peut paraître choquant mais découle logiquement de l’analyse du statut de l’embryon présentée plus haut. Le problème vient de ce que certaines positions bioéthiques, qui acceptent plus ou moins la FIV, le DPI et l’interruption volontaire ou médicale de grossesse, ne peuvent pas pour autant renoncer au vocabulaire kantien appliqué à l’embryon, ce qui conduit à de nombreuses incohérences.

Le second usage critiquable du concept d’instrumentalisation renvoie à un tort de nature symbolique en ce sens qu’il n’est pas censé affecter les embryons concernés par le DPI et qu’il ne lèse pas concrètement l’enfant futur. Nous avons vu que ce dernier et ses intérêts sont protégés par la loi dès lors qu’il n’est pas futur mais présent. Ce que certains critiquent dans le DPI-HLA, c’est le projet d’enfant lui-même, c’est-à-dire le fait de procréer en ayant à l’esprit une finalité qui envisage l’usage instrumental de l’enfant pour servir au traitement médical de son frère ou de sa sœur aînée. Or cela a été rappelé plus haut, l’interdit kantien ne concerne l’instrumentalisation de la personne que quand celle-ci est exclusive, c’est-à-dire qu’une relation purement instrumentale prend toute la place et qu’elle exclut toute forme de respect de la personne. Invoquer cet interdit à l’encontre du DPI-HLA, c’est présumer que chez les couples envisageant un DPI-HLA, la dimension instrumentale du projet procréatif exclut d’emblée toute autre motivation, notamment d’avoir désiré cet enfant pour lui même. Conjecture gratuite qui ne saurait fonder une évaluation éthique équitable et encore moins une interdiction légale.

Certains pourraient néanmoins être tentés de donner un sens plus exigeant à la notion d’instrumentalisation appliquée au projet parental avec ou sans DPI et affirmer que l’éthique commande d’avoir des enfants uniquement « pour euxmêmes », à l’exclusion de toute motivation égocentrique. Mais on voit difficilement quelle réalité psychologique un tel projet parental rigoureusement altruiste désigne.

De nos jours et dans les sociétés développées où l’accès à la contraception est acquis, être parent, c’est généralement la concrétisation d’un désir d’enfant. L’exception, c’est le couple qui a des relations sexuelles sans prêter attention aux conséquences possibles, attitude qui fait de nos jours l’objet d’une condamnation universelle y compris par les instances morales les plus conservatrices. D’ailleurs, les motivations du désir d’enfant ont de tous temps été très diverses. Poursuite de la lignée familiale ou d’une tradition professionnelle, assurance pour les vieux jours, concrétisation d’une aspiration qu’on n’a pas pu réaliser soi-même, ou encore conformité à une norme sociale du couple : autant de motivations qui ne sont pas réellement altruistes, si tant est que cette notion ait un sens dans le contexte de la procréation, ce dont il est permis de douter. Comparée aux motivations plus traditionnelles d’avoir des enfants, le projet des couples recourant au DPI-HLA parait particulièrement noble et honorable.

 

Conclusion : procréation et libertés

La tonalité du débat sur le DPI change du tout au tout lorsqu’une situation concrète se présente et qu’elle fait l’objet d’un grand intérêt médiatique [13]. Ce fut le cas en 2006, lorsque le parcours d’un couple genevois qui avait eu recours au DPI-HLA en Belgique fut rendu public. Le happy end (enfant né en bonne santé, greffe sur son aîné réussie) marqua fortement l’opinion publique. Dans le sillage de cet évènement, la Commission nationale d’éthique suisse, dont l’auteur était membre à l’époque, resta profondément divisée sur la question du DPI-HLA mais fut unanime à reconnaître que « (…) les parents qui font pratiquer un DPI à l’étranger pour s’assurer d’avoir un enfant HLA compatible le font pour des raisons qui sont éthiquement compréhensibles et honorables ; ils ne méritent aucun reproche éthique ou moral » [14].

Qu’on puisse préconiser la criminalisation de comportements qu’on juge par ailleurs honorables ne laisse pas d’étonner. Cette contradiction illustre le décalage entre l’argumentation d’éthique philosophique telle qu’elle a légitimement cours dans le monde universitaire et le discours de ce qu’on pourrait appeler la bioéthique publique. Cette dernière relève des commissions d’éthique qui ont un statut officiel et dont les avis, tout en étant consultatifs, ont l’ambition d’éclairer le législateur. Dès lors, elles ne peuvent pas faire l’impasse sur les libertés individuelles qui, en matière de procréation, sont très étendues. L’article douze de la Convention européenne des droits de l’homme a été évoqué plus haut. Il consacre le droit-liberté de tout un chacun de fonder une famille sans interférence normative de l’Etat, à l’exception des interdits classiques sur l’inceste, la bigamie, l’âge minimum du mariage, etc. Or plus la bioéthique publique s’engage sur le terrain périlleux du moralisme et se mêle des décisions intimes des couples quant à leur enfant futur, plus elle se met en porte-à- faux par rapport à ces libertés fondamentales (c’est d’autant plus ironique lorsqu’on se souvient que ces libertés ont été reconnues par la Convention au lendemain de la seconde guerre mondiale pour faire barrage à l’eugénisme !).

C’est pourquoi il est nécessaire de rappeler qu’en matière de procréation, la pré- somption est en faveur de la liberté et c’est aux adversaires d’une pratique controversée qu’incombe le fardeau de prouver le caractère à la fois nécessaire et légitime de son interdiction.

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La révision des lois de bioéthique . La Documentation française, Paris, 2009.

[2] Office fédéral de la santé publique (Suisse). — Travaux législatifs en cours (admission et réglementation du diagnostic préimplantatoire) , Berne, 2011.

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[7] Congrégation pour la doctrine de la foi. —

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[8] Testart J. —

Jacques Testart, critique de science . 2007-2011.

URL : http://jacques.testart.free.fr.

[9] Kevles D.J. — In the Name of Eugenics : Genetics and the Uses of Human Heredity . Knopf, New

York, 1985.

[10] Habermas J. — L’avenir de la nature humaine — Vers un eugénisme libéral ? Gallimard, Paris, 2002.

[11] Sheldon S., Wilkinson S. — Should selecting saviour siblings be banned ? J. Med. Ethics, 2004.

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[13] Mauron A. —

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[14] Commission nationale d’étique en médecine humaine (Suisse). —

Avis no.14: Diagnostic préimplantatoire II : Questions spécifiques sur la réglementation légale et le typage HLA. Berne, 2007, p. 19. URL : http://www.bag.admin.ch/nek-cne/04229/04232/index.html?lang=fr.

 

<p>* Institut d’éthique biomédicale, Centre médical universitaire, rue Michel-Servet 1, 1211 Genève 4 (Suisse), e-mail : alexandre.mauron@unige.ch Tirés à part : Professeur Alexandre Mauron, même adresse Article reçu le 25 avril 2011, accepté le 16 mai 2011</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2011, 195, nos 4 et 5, 1023-1031, séance du 24 mai 2011