Communication scientifique
Session of 9 mars 2010

L’éosinophilie : implication dans l’inflammation des maladies allergiques

MOTS-CLÉS : allergènes. asthme. chimiokines. eosinophilie. epithelium. inflammation. lymphocytes auxiliaires th2. maladies de la peau. oesophagite
Eosinophilic inflammation in allergic diseases
KEY-WORDS : allergens. eosinophilia. epithelium.. inflammation

Denise-Anne Moneret-Vautrin *

Résumé

Une éosinophilie tissulaire est une composante de l’inflammation allergique. La conception classique, fondée sur l’étude de l’hypersensibilité IgE-dépendante, insiste sur l’interrelation d’une activation des lymphocytes Th2 et de l’attraction tissulaire puis de l’activation des éosinophiles. La comparaison des maladies atopiques, et d’affections « miroir » identiques mais non atopiques, éclaire la complexité de cette inflammation. Les pathologies envisagées sont l’asthme allergique, comparé à l’asthme intrinsèque et à l’asthme de la maladie de Churg-Strauss, la polypose naso-sinusienne, la conjonctivite vernale, l’œsophagite à éosinophiles, le DRESS, la maladie d’Ofuji, la cystite à éosinophiles. A la lumière de ces pathologies, on doit considérer que le couple Th2-éosinophiles n’est pas spécifique de profil atopique. D’autre part l’inflammation allergique à éosinophiles peut reconnaître l’association d’une activation Th1 et le rôle déclenchant d’une infection virale simultanée (DRESS). Le rôle possible de l’épithélium dans l’induction de l’attraction tissulaire des éosinophiles est une conception alternative, démontrée dans l’oesophagite à éosinophiles, et pourrait conduire à de nouvelles thérapeutiques ciblant à ce niveau le contrôle de l’expression de l’éotaxine 3.

Summary

Tissular eosinophilia is a common feature of IgE-dependent allergic diseases. The classical concept links activated Th2 lymphocytes to eosinophil attraction and activation. However, comparisons of allergic diseases with non atopic ‘‘ mirror ’’ diseases reveal more complex underlying pathophysiological mechanisms. This article explores the links between allergic asthma and intrinsic asthma or asthma of the Churg-Strauss syndrome, nasal polyposis, vernal conjunctivitis, eosinophilic esophagitis (food allergy-induced or non allergic), DRESS, Ofuji disease, and eosinophilic cystitis. The results of recent mechanistic studies show that Th2 activation coupled with tissular eosinophilia can no longer be considered a hallmark of atopy. Allergic inflammation may depend on Th1 activation (vernal conjunctivitis, DRESS, eosinophilic esophagitis, etc.) and simultaneous viral infection, eliciting drug hypersensitivity (DRESS). A predominant role of the epithelium in eosinophil attraction is an alternative concept with a sound basis in eosinophilic esophagitis. This concept could lead to new therapeutics aimed at controlling epithelial eotaxin 3 expression.

INTRODUCTION

Depuis la découverte de l’éosinophile en 1879 par Ehrlich, cette cellule, présente dans le sang comme dans les muqueuses n’a cessé de faire rechercher ses rôles physiologiques et ses implications dans différents processus pathologiques. Considéré principalement comme cellule-effectrice, l’éosinophile se caractérise par la richesse de ses récepteurs membranaires pour des cytokines, des chemokines, des médiateurs lipidiques, des molécules d’adhésion, des récepteurs pour les IgE, les IgG et les IgA, des récepteurs TOLL, et par la multiplicité de ses produits de sécrétion : cytokines et chemokines initiées par les cytokines Th2, une neurotrophine (NGF) et quatre protéines fortement basiques et épithélio-toxiques (ECP, MBP, EPO, EDN). Sous l’effet d’IL-5, puis de chemokines spécifiques, le RANTES et les éotaxines 1, 2, 3, les éosinophiles migrent dans les tissus et s’y accumulent. La coopération des Th2 et des éosinophiles joue un rôle fondamental dans l’hypersensibilité IgE-dépendante et les maladies allergiques qui en dépendent [1]. Les éosinophiles sont d’autre part porteurs de molécules HLA de classe 2, de molécules de co-stimulation (CD40, CD28, CD86), d’IgE, et peuvent assurer de deux façons la présentation de l’allergène, se comportant ainsi comme des cellules initiatrices de l’activation lymphocytaire [1, 2].

Eléments essentiels de l’immunité anti-parasitaire par leurs propriétés cytotoxiques, acteurs dans l’immunité innée, les éosinophiles sont à la base de l’inflammation allergique représentée par des infiltrats tissulaires et sont également impliqués dans les phénomènes de remodelage consécutifs à l’inflammation chronique. Les buts de cette revue des principales affections allergiques sont une analyse de l’association de l’inflammation à éosinophiles avec l’activation Th2, et le rôle prédominant des éosinophiles dans cette inflammation et dans le remodeling consécutif. Ces maladies allergiques sont comparées aux pathologies « miroir », cliniquement identiques, mais non atopiques, ce qui permet de préciser la variété des inter-relations cellulaires de l’éosinophile, et d’attirer l’attention sur des aspects pathogéniques nouveaux représentés par différents aspects des fonctions épithéliales.

Un rôle protecteur des éosinophiles a été avancé dans certains processus allergiques, en raison de leur équipement enzymatique pouvant métaboliser l’histamine, et de leur aptitude à phagocyter des complexes allergène-IgE spécifiques [1, 3, 4]. Dans de rares cas d’hypersensibilité à la pénicilline extractive et aux sels d’or, l’éosinophilie a les caractéristiques d’une réponse immune dont la présence limite l’expression clinique de la sensibilisation IgE-dépendante [5, 6]. Néanmoins, si un rôle protecteur direct paraît limité, le fait que l’activation des récepteurs FcRI par les IgE, sur les éosinophiles humains co-stimulés par IL-5, entraîne la sécrétion d’IL-10, montre que l’éosinophile est aussi une cellule régulatrice de la réponse immune [7].

On peut s’interroger sur la signification de l’éosinophilie dans les allergies respiratoires :

Une éosinophilie modérée est quasi-constante dans la rhinite et l’asthme allergiques.

Présente dans le sang, les sécrétions nasales, le liquide broncho-alvéolaire, elle s’intensifie dans les heures suivant un challenge allergénique. Elle est consécutive à l’activation des lymphocytes Th2 et à leurs cytokines, IL-5, IL-4, et IL-13, mais également au pontage des IgE spécifiques présentes à leur surface, elles-mêmes fixées sur les récepteurs de type 1, de haute affinité pour les IgE, et de type 2, de basse affinité. Elle est également tributaire de la sécrétion d’éotaxine par l’épithélium bronchique, dont les valeurs sont élevées dans l’expectoration des asthmatiques [8].

Leur activation est objectivée par l’augmentation du taux d’ECP, signant l’inflammation allergique à éosinophiles. Dans l’asthme sévère voire mortel, une autre protéine cationique, la MBP, se dépose sous l’épithélium dont elle peut provoquer l’abrasion totale. La sévérité de l’asthme, marquée par des exacerbations, est parallèle à l’activation des éosinophiles, déterminée par Il-5, IL-13 et les éotaxines. Un modèle expérimental d’asthme sévère chez la souris transgénique pour IL-5 par les lymphocytes Th2 et pour la production d’éotaxine par l’’épithélium, montre la synergie IL-5-éotaxine pour déclencher une inflammation sévère à éosinophiles. Le rôle inducteur de cette inflammation est bien le fait des éosinophiles puisque leur l’ablation génique abolit la pathologie [9].

L’aspergillose broncho-pulmonaire allergique est une forme particulière d’hypersensibilité IgE-dépendante non isolée, se traduisant par un asthme avec IgE totales élevées, IgE spécifiques d’Aspergillus fumigatus , éosinophilie sanguine et bronchique. En effet elle a la particularité d’associer une colonisation bronchique par Aspergillus, suscitant une forte réponse Th1 se traduisant par des IgG spécifiques élevées (précipitines) et associant des lésions bronchiques. Le traitement par corticoïdes associe donc un traitement anti-fungique par triazolés [10].

Cependant 10 % à 40 % des asthmes sont intrinsèques, non atopiques, et peuvent se compléter par une polypose naso-sinusienne et une intolérance à l’aspirine et aux anti-inflammatoires bloquant la cyclo oxygénase 1 (cette triade est appelée syndrome de Fernand Widal). Ils ne se différencient pas des asthmes atopiques pour tous les indices d’activation Th2 : expression des ARNm pour IL-4, IL-5, de la chemokine attractant les éosinophiles (RANTES), des récepteurs aux cytokines précitées, production locale d’IgE dans la muqueuse bronchique. L’état d’activation des éosinophiles est similaire dans les deux types d’asthme [8]. L’éventuel rapport de l’asthme intrinsèque avec une hypersensibilité à des antigènes viraux n’est pas élucidé. Cependant les éosinophiles possèdent des récepteurs TOLL endosomaux TLR 3, 7, 8 et 9 qui reconnaissent des composants viraux, susceptibles d’induire leur activation [12, 13]. On constate donc que ni l’activation Th2 ni l’inflammation à éosinophiles ne sont obligatoirement liées à l’atopie, et à une stimulation allergénique. De surcroit leur place centrale dans la pathogénie de l’asthme s’affronte à la conception d’un rôle important de l’axe épithélio-mésenchymateux. Le primum movens pourrait être un dysfonctionnement épithélial tel que, agressé, il induirait l’inflammation, puis le remodelage sous-jacent [14].

L’asthme est le trait dominant de la maladie de Churg et Strauss, vascularite nécrosante et granulomateuse avec éosinophile sanguine et tissulaire systémique, comportant la présence d’auto-anticorps anti-méloperoxydase dans 26 % à 40 % des cas. L’infiltration à éosinophiles paraît liée à la double activation des Th1 et Th2 [15, 16]. Toutefois l’activation Th2 est particulièrement importante et est à l’origine, par IL-4 et IL-13, de l’induction d’éotaxines. Il est d’un intérêt particulier d’objectiver l’expression de l’éotaxine 3 dans l’endothélium des petits vaisseaux, quelle que soit l’origine tissulaire des biopsies étudiées, et de constater l’élévation significative de son taux sérique [17].

La polypose nasale à éosinophiles est caractérisée par un infiltrat atteignant 80 % d’éosinophiles [8]. Les polypes sont riches en éotaxine 2 et 3 et leur quantité est proportionnelle à la densité des éosinophiles [19]. On observe une synthèse locale d’IgE. La PNS sans sensibilisation aux aéro-allergènes constitue pourtant la majorité des cas. C’est pourquoi l’hypothèse d’une activation cellulaire par des substances bactériennes est posée : soit que les Th2 soient activés, avec production d’IgE spécifiques des entérotoxines staphylococciques [20], soit que les éosinophiles soient activés directement par leurs récepteurs TOLL de surface, TLR 2, TLR 4, TLR 6, qui reconnaissent des motifs moléculaires bactériens, les PAMPS (pathogen associated molecular patterns) [12].

La conjonctivite printanière (dite vernale) est une affection oculaire sévère, Plus fré- quente chez les jeunes garçons, alors que le terrain atopique familial ou personnel est fréquent, moins de la moitié des cas présentent une sensibilisation IgE-dépendante aux aéro-allergènes. Il s’additionne une anormale susceptibilité aux UV [21].

La conjonctive est infiltrée d’éosinophiles activés, les sécrétions lacrymales et les frottis conjonctivaux sont riches en protéines basiques. Aussi bien l’épithélium que les fibroblastes conjonctivaux et cornéens expriment des chemokines recrutant les éosinophiles, comme les éotaxines 1 et 2 [22]. L’agressivité des éosinophiles provoque des ulcérations cornéennes. Les phénomènes de remodeling sont très importants.

La pathogénie de l’hypersensibilité est complexe et ne se résume pas à un processus IgE-dépendant comme le montre l’échec d’une immunothérapie isolée. La présence de cytokines pro-inflammatoires comme TNF alpha oiente vers une co-activation Th1., et son intensité est corrélée avec la sévérité de l’inflammation [23, 24]. On objective de surcroit une surexpression des récepteurs de NGF, et une surexpression de récepteurs pour les oestrogènes et la progestérone, indiquant des interactions possibles entre les systèmes immunitaire, endocrinien et nerveux [21, 25].

 

L’œsophagite à éosinophiles est probablement l’affection qui a récemment suscité le plus de recherches physiopathologiques, tant chez l’homme que dans des modèles expérimentaux chez la souris. Primitivement décrite en Australie et aux Etats-Unis, elle reconnaît une prévalence de 0,025 à 0, 1 % dans la population [26]. L’enfant est plus atteint que l’adulte et 88 % des cas surviennent en dessous de six ans. Il existe une forte association familiale suggérant une composante génétique. L’affection, outre les douleurs, les difficultés alimentaires dues au phénomène de blocage, a, chez le jeune enfant, un retentissement sur la courbe staturo-pondérale. Elle est chronique sans tendance à la rémission en l’absence de prise en charge. Les moyens diagnostiques actuels (endoscopie œsophagienne, biopsies œsophagiennes) sont désormais systématiques devant une œsophagite. Les rétrécissements circulaires, l’atteinte étendue à l’œsophage moyen voire supérieur sont d’emblée évocateurs. La biopsie permet un compte d’éosinophiles (normalement absents de la muqueuse oesophagienne) de 20 ou plus à champ x400, la constatation d’une éosinophilie intra-épithéliale, et d’une hyperplasie épithéliale.

Plus de 60 % des œsophagites à éosinophiles (OE), 90 % pour certains auteurs, sont liées à une polyallergie alimentaire. Si les aliments les plus fréquents, dans les pays anglo-saxons, sont le lait, l’œuf, la farine de blé, le soja, le maïs, le trait marquant est la multiplicité des allergies alimentaires, pouvant s’étendre aux viandes et à l’arachide [27]. Les aéro-allergènes doivent également être incriminés, ce qui est démontré pour les pollens [28]. La physiopathologie des polysensibilisations est complexe comme le montrent les tests cutanés, puisque aussi bien une hypersensibilité immé- diate établie par prick tests qu’une hypersensibilité retardée établie par patch tests documentent une double activation Th1 et Th2 [29]. Le diagnostic des hypersensibilités alimentaires bénéficiera prochainement de la biopuce pour détection d’IgE à 125 allergènes recombinants ou allergènes majeurs purifiés (test ISAC, Phadia, Suède). Le fait que ces multiples allergies alimentaires ne provoquent que cette pathologie, sans symptômes systémiques, est un problème intrigant. L’étude sur des gastro-entérites à éosinophiles (GEE) avec allergie à l’arachide, comparées aux allergies à forme systémique indique la possibilité de deux sous-populations Th2 synthétisant ou non l’IL-5 : les Th2 IL-5+ sont 20 fois plus nombreux dans la GEE que dans les allergies systémiques [30]. Il pourrait en être de même dans l’œsophagite à éosinophiles.

Quarante pour cent des œsophagites à éosinophiles ne reconnaissent ni terrain atopique ni sensibilisation identifiée. Elles sont en quelque sorte le pendant des asthmes intrinsèques à forte composante éosinophile. Il est frappant de constater que les caractéristiques histo-immunologiques sont identiques : présence de nombreux éosinophiles et mastocytes activés, synthèse locale d’IgE, surexpression de la cytokine Th2, l’IL-13, recrutant les éosinophiles et les induisant à répondre aux chemo-attractants [31]. De même le profil génomique est identique : l’étude du génome humain objective que 1 % des gènes présentent des modifications d’expression. Une trentaine est surexprimée. Le gène de l’éotaxine 3 est 53 fois plus exprimé que chez les sujets contrôles, le gène de la périostine, protéine de matrice extra- cellulaire favorisant l’adhésion des éosinophiles à la fibronectine, et partie prenante de l’installation de l’inflammation allergique, l’est aussi avec un facteur 47. L’anomalie qui unifie les OE atopiques et non atopiques est donc la surexpression d’éotaxine 3 dans l’épithélium [32]. Inversement la sous-expression du gène de la filagrine, facteur de cohésion épithélial, a probablement une certaine importance dans la pathogénie.

L’éosinophile apparaît également comme la cellule-centrale présidant par ses diffé- rentes cytokines aux phénomènes de remodeling, en activant l’épithélium dont les cellules se dé-différencient en myofibroblastes, conduisant à une hyperplasie, une augmentation de la matrice extra-cellulaire et une fibrose sous-épithéliale. Les interrelations épithélium-éosinophiles, suscitées par les cytokines issues de l’éosinophile (IL-13, TGF-beta et alpha) ainsi que par ses médiateurs MBP et EPO, sont donc des acteurs directs de la pathogénie de l’affection [33].

Il s’additionne des facteurs génétiques probablement multifactoriels. Un SNP pour le gène de l’éotaxine 3 a déjà été identifié mais ne concerne que 14 % des OE [26].

Cette affection sévère et chronique pose des problèmes de régime alimentaire délicats, et le traitement corticoïde local, quoiqu’efficace, ne dispose pas actuellement d’une présentation galénique adéquate. Le mepolizumab (anti-IL-5) est à l’étude [34].

Ultérieurement une stratégie par siRNA sera probablement considérée…

Des pathologies digestives à éosinophiles — gastro-entérite et/ou colite à éosinophiles — caractérisent des allergies alimentaires multiples qui sont fréquemment rencontrées chez des enfants ayant subi une transplantation hépatique et traités par tacrolimus. D’une part cet immuno-suppresseur préférentiel des Th1 entraine un déséquilibre de la balance Th1-Th2, d’autre part il induit une hyperperméabilité intestinale qui suscite la localisation intestinale de l’hypersensibilité aux trophallergènes [35, 36].

Les affections cutanées à éosinophiles faisant intervenir une hypersensibilité sont le

DRESS (drug induced systemic reaction with eosinophilic syndrome) et la maladie d’Ofuji :

— Le DRESS est l’acronyme proposé par Bocquet pour caractériser l’association d’une éruption cutanée, d’une éosinophilie sanguine élevée et de symptômes systémiques liés pour les plus fréquents à une insuffisance rénale, une cytolyse hépatique, une pneumopathie interstitielle, d’origine médicamenteuse [37].

L’infiltrat cutané dermique comporte une forte densité de lymphocytes, et des éosinophiles. Plusieurs publications démontrent que le mécanisme de l’hypersensibilité est une activation des Th1 par le médicament ou ses métabolites, documentée par la positivité des épicutanéo-réactions et du test d’activation lymphocytaire [38-40]. Toutefois, ce mécanisme se met en place dans le contexte d’une infection ou d’une réactivation d’infection à l’Herpes Virus de type 6 [41, 42]. L’hypothèse que l’infection virale provoque une altération de certains composants du cytochrome 450 expliquerait des anomalies du métabolisme médicamenteux, livrant des dérivés très réactifs constituant des haptènes se liant aux protéines et induisant l’hypersensibilité. Par ailleurs la réactivation virale rendrait compte de l’anormale prolongation de positivité du test de transformation lymphocytaire, à l’opposé de ce qui est observé dans les éruptions maculopapuleuses par hypersensibilité médicamenteuse [40].

— La maladie d’Ofuji, d’abord décrite chez l’adulte lors d’infections à VIH ou chez les sujets immuno-déprimés, existe aussi chez l’enfant, et le terrain atopique est fréquent [43]. Les éléments cutanés correspondent à un infiltrat à éosinophiles circonscrit autour des bulbes pilaires, du cuir chevelu en particulier, avec parfois micro-abcès à éosinophiles. Les lésions très prurigineuses peuvent s’excorier.

Des cas démonstratifs indiquent une hypersensibilité retardée aux acariens, et la reproduction de l’éruption dans les 48 heures suivant l’épicutanéo-réaction aux acariens entraîne la conviction [44]. D’autres sensibilisations pourraient être postulées, à Pityrosporum comme au Demodex folliculorum , commensaux cutanés fréquents [43]. Une allergie médicamenteuse a déjà été incriminée [45].

Les cystites à éosinophiles sont rares : 200 cas environ de cystite à éosinophiles ont été publiés. Une origine allergique serait suspectée dans 17 % des cas [46]. Quelques observations documentent par des épicutanéo-réactions et des tests d’activation lymphocytaire une hypersensibilité de type 1 à des médicaments [47, 48].

Cette brève revue de pathologies allergiques comportant une inflammation tissulaire à éosinophiles souligne la complexité des interrelations des éosinophiles, en tant que cellules effectrices, avec leur environnement cellulaire et cytokinique de type Th1 et Th2. Elle attire l’attention sur deux faits importants : d’une part la conception classique que le couple Th2-éosinophiles est la marque de l’atopie est remis en question par le fait que des affections « miroir » non atopiques présentent cette même caractéristique. Il est possible d’invoquer d’autres antigènes que les allergènes environnementaux, aéro-allergènes et trophallergènes, et, outre les médicaments, des auto-antigènes, comme il est reconnu dans la dermatite atopique. Des antigènes viraux et bactériens pourraient contribuer à un profil Th2-éosinophile dans ces affections non atopiques. L’association d’une activation des Th1 est observée aussi bien dans les pathologies atopiques que dans les affections « miroir » non atopiques. D’autre part l’importance de l’épithélium, apte à induire l’attraction tissulaire puis l’activation des éosinophiles, doit être soulignée, puisqu’une caracté- ristique générale des épithéliums est leur capacité de production d’éotaxines. Cette conception alternative d’une fonction prédominante du couple épithéliuméosinophiles, et la possibilité qu’un dysfonctionnement épithélial soit la genèse d’une infiltration tissulaire par les éosinophiles conduisent à prêter une attention grandissante aux facteurs environnementaux susceptibles d’exercer une action sur les épithéliums, d’autant plus qu’à la suite du contact des allergènes avec l’épithé- lium, l’information allergénique peut provenir des cellules de Langherans intraépithéliales. Elle appelle de nouvelles thérapeutiques ciblant les dysfonctionnements de production d’éotaxine dans leur localisation épithéliale, ainsi que les facteurs de dédifférentiation épithélio-mésenchymateuse.

 

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DISCUSSION

M. François-Bernard MICHEL

Vous avez, très légitimement, souligné et démontré qu’éosinophilie n’était pas synonyme de mécanisme allergique de telle ou telle affection. Est-ce que la relation éosinophileépihelium, qui demeure encore souvent mystérieuse, tend à montrer que le caractère inflammatoire de l’éosinophilie tissulaire ou des secrétions (bronchiques, nasales, etc.) peut être un marqueur d’allergie future ?

Il est délicat de trancher cette question. En effet on doit remarquer que l’inflammation allergique à éosinophiles est liée à un état d’activation de ces cellules, et que l’on en a un reflet par le dosage d’ECP sérique et peut-être prochainement par le taux sérique d’éotaxine 3. Mais ces marqueurs d’activation pourraient ne pas montrer de différence entre activation au sein d’une inflammation allergique, et d’une inflammation non allergique. Il faudrait disposer de données comparatives entre asthme non allergique et maladie de Churg et Strauss par exemple. De même l’activation épithéliale ne fait pas encore l’objet de telles études comparatives.

M. Daniel COUTURIER

Les oesophagites à éosinophiles doivent-elles être considérées comme apparentées aux oesophagites associées aux dermatoses bulleuses (comme le pemphigus bulleux) que l’on connaît depuis plus longtemps ? La dédifférenciation épithéliale qui est parfois associée à l’oesophagite à éosinophiles est-elle régressive ou susceptible d’évoluer vers la dysplasie et la transformation ?

Cette oesophagite auto-immune n’a pas bénéficié du genre d’études appliquées à l’oesophagite à éosinophiles. En ce qui concerne la dédifférentiation épithéliale de la seconde, il s’agit de travaux très récents. Il faut attendre des études ultérieures.

M. Gérard MILHAUD

Avez-vous étudié le mécanisme physiopathologique de la myalgie hyperéosinophilique au tryptophane ?

Non. Cette pathologie est déjà ancienne. Je crois qu’elle a été mise en relation avec un mécanisme toxique d’un contaminant représenté par un dimère de tryptophane.

M. Christian NEZELOF

Je vous félicite de votre exposé mais je m’étonne que vous n’ayez pas mentionné la présence accrue de cellules mastocytaires et cellules basophiles, ainsi que du rôle des cellules dendritiques qui jouent dans l’immunité innée ?

Je n’ai pas mentionné cette relation tissulaire entre les mastocytes et les éosinophiles.

Effectivement la densité mastocytaire est accrue tant dans la muqueuse bronchique de l’asthme que dans la muqueuse de l’oesophagite à éosinophiles. L’activation mastocytaire « relance » l’attraction des éosinophiles en synthétisant en particulier IL-4 et IL-5.

M. Claude MOLINA

S’il était généralement admis que l’inflammation à éosinophiles était la cause principale de l’hyperréactivité bronchique de l’asthmatique, l’utilisation d’anticorps monoclonaux anti IL5 (mépolizumab) ou anti IL4-IL13 dans les asthmes hyperéosinophiliques montre que la diminution ou la disparition de l’éosinophilie sanguine et tissulaire n’améliore pas l’asthme ni la fonction respiratoire. Que peut-on penser de cette dissociation que l’on retrouve aussi entre la réaction immédiate bronchospastique du test de provocation allergénique, dépendant du couple IgE mastocytes et, la réaction tardive avec forte éosinophilie spécifique de certains allergènes comme la poussière de maison ?

Une part de l’hyperréactivité bronchique est liée à d’autres composantes que l’atopie, en relation avec le système nerveux autonome.

 

<p>* Membre de l’Académie nationale de médecine, e-mail pramoneret@hotmail.com Tirés à part : Professeur Denise-Anne Monneret-Vautrin, même adresse Article reçu et accepté le 8 mars 2010</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2010, 194, no 3, 535-545, séance du 9 mars 2010