Communication scientifique
Session of 6 mars 2012

Le refus des vaccinations. Aspects actuels en 2012 et solutions en santé publique

MOTS-CLÉS : refus de traitement. santé publique. vaccins
Vaccine refusa land implications for public health in 2012
KEY-WORDS : public health. treatment refusal. vaccines

Pierre Bégué *

Résumé

Les oppositions vaccinales ont un développement préoccupant dans tous les pays occidentaux. Les refus de vaccination vont de l’opposition totale aux hésitations, négligences ou oublis et ont pour conséquence l’insuffisance de la couverture vaccinale. La crainte des effets adverses des vaccins a remplacé la peur des maladies. La société occidentale remet en question la justification de certains vaccins de routine, n’en percevant plus le bénéfice pour les maladies disparues (i.e. polio, diphtérie). Ces refus sont aggravés par les peurs vaccinales, les informations erronées sur Internet ou dans les médias, la perte de confiance dans les experts, certaines croyances. Toutes les enquêtes concluent sur le manque d’information des parents d’enfants non ou mal vaccinés. Les solutions sont principalement l’instauration d’une information mieux faite sur les vaccins : une information plus pertinente et moderne des personnes sur le rapport bénéfice-risque des vaccins ; des moyens matériels modernes d’éducation et d’information ; la révision de la formation universitaire est urgente pour les médecins et les soignants sur la vaccinologie, les maladies infectieuses et l’épidémiologie ; le renforcement de l’enseignement des sciences à l’école et de l’hygiène pour le public pour améliorer la compréhension des messages de prévention. Les mesures de santé publique : gratuité des vaccins, obligation ou recommandation, adaptation du calendrier vaccinal, sont à adapter à chaque pays mais ne donnent pas de solution parfaite. La meilleure organisation des structures responsables de la vaccination est souhaitable en France pour mieux informer le public sur la justification de la vaccination. L’influence actuelle des médias et d’Internet justifie une réflexion internationale pour lutter contre la nuisance des informations non scientifiques et erronées.

Summary

Public opposition to vaccination is growing in all western countries, resulting in poor vaccine coverage and failure, as exemplified by measles in Europe. Opposition to vaccination ranges from radical refusal to hesitation, negligence or omission. The fear of adverse effects is now stronger than the fear of infectious diseases. The benefits of vaccination for vanishing infectious diseases can be hard to perceive. Safety alerts, false messages spread by the media and internet, and mistrust of experts also play a part. Studies consistently show that parents of children who are inadequately vaccinated or not vaccinated at all suffer from a lack of reliable information. More information on vaccines is needed, especially on the risk-benefit ratio. Doctors and other healthcare professionals need better training in vaccines, infectious diseases and epidemiology ; and college students must receive better scientific education if they are to understand public health messages. Free, compulsory or recommended vaccination, and changes in vaccine schedules, cannot alone overcome vaccine refusal. In France, better coordination is needed among the institutions responsible for vaccination. The growing influence of the media and internet calls for international reflection on how to limit the spread of false information on vaccines.

INTRODUCTION

Les vaccins ont connu un développement et des progrès immenses depuis les années 1980. Peu à peu l’usage de vaccins récents et plus élaborés s’étend au-delà des pays industrialisés vers les pays en développement. Les vaccins combinés avec de nombreuses valences, en améliorant l’acceptabilité, favorisent l’accomplissement du calendrier vaccinal. Pourtant, malgré ces progrès, on assiste dans tous les pays à une perte de confiance envers les vaccins. Cette transformation de la perception de la prévention vaccinale va de pair avec l’attitude moderne de doute scientifique dans tous les domaines. Les arguments allégués sur l’inefficacité et la sécurité des vaccins sont largement débattus dans les médias et diffusés sur de nombreux sites Internet.

Ces comportements conduisent à l’insuffisance de la couverture vaccinale et à la persistance de maladies et d‘épidémies telles que l’actuelle épidémie de rougeole en Europe. Notre propos est d’analyser la nature de ces oppositions puis d’examiner les solutions possibles pour enrayer les conséquences néfastes pour la prévention des maladies infectieuses.

LES REFUS VACCINAUX : ANALYSE ET DESCRIPTION DE LEURS DIFFÉ- RENTS ASPECTS

L’histoire de la vaccinologie est pleine des débats sur les vaccins, à commencer par les détracteurs de la variolisation en France, au xviiie siècle, qui s’opposaient aux encyclopédistes défenseurs de l’inoculation. Aujourd’hui, comme aux siècles précé- dents, les vaccins ont toujours une position sociologique complexe [1]. Les raisons en sont politiques, religieuses, philosophiques, de plus en plus relayées par les médias. En outre, la meilleure connaissance de l’immunologie accroît la peur des réactions auto-immunes, argument fréquent des mouvements anti-vaccinaux. Mais il apparaît de nos jours une diversification des oppositions qui préoccupent beaucoup de pays ces dernières années. Sur la base bibliographique « Pub Med » à la seule rubrique « vaccine refusal » on dénombre, en février 2012, 422 publications dont 355 entre les années 2000 et 2012, contre 67 entre 1969 et 1999. Ces chiffres témoignent de la progression de ce phénomène et du souci actuel pour la prévention vaccinale.

Oppositions déclarées

Les oppositions à toutes les vaccinations s’observent pour une très infime minorité de personnes, dans tous les pays. On estime que 1 % des personnes, au maximum, appartiennent à cette catégorie. Il s’agit souvent de personnes affiliées à des associations ou à des ligues anti-vaccinales, mais il peut aussi s’agir de positions individuelles plus ou moins confortées par des mouvements philosophiques ou religieux. Il est très difficile de convaincre ces opposants, qui ont de plus en plus de sites Internet, où leurs justifications et leurs actions anti-vaccinales sont régulièrement tenues à jour.

Les opposants aux vaccinations non obligatoires en France, plus nombreux, acceptent uniquement, les vaccins obligatoires diphtérie, tétanos, poliomyélite, ce qui pose quelques problèmes en raison de l’arrêt de production du vaccin DTPolio. Ils font souvent partie de mouvements et associations anti-vaccinales.

Réticences ou oppositions relatives

À côté des oppositions nettes et déclarées existent de nombreuses formes de refus :

hésitations, omissions, réticences, plus difficiles à cerner, mais fréquentes et qui expliquent la situation actuelle. On connaît mieux aujourd’hui ces facteurs de sous-vaccination ou de non vaccination grâce à des enquêtes qui abordent davantage les questions de notre société.

ENQUÊTES SUR LES REFUS VACCINAUX

En France

Des enquêtes de population furent menées plusieurs années de suite par le CFES *

lors de la surveillance des campagnes de vaccination par le vaccin rougeole-rubéoleoreillons en raison de la mauvaise couverture vaccinale de certains départements français. Une enquête portant sur des mères « non vaccinantes » en 1992-1993 * Comité français pour l’éducation de la santé.

retrouve quatre types de mères : les « écologistes » qui recherchent une médecine alternative, les « consuméristes » qui revendiquent de choisir librement leur vaccin, les « empiristes » qui, pèsent avec leur médecin le rapport risque-bénéfice et les « dépendantes » qui font entièrement confiance au médecin mais demandent à être rassurées. Cette enquête a démontré la réalité de ces profils différents chez les parents refusant les vaccinations « systématiques » [2].

Enquêtes aux États-Unis

Plusieurs travaux récents ont porté sur les causes de non-vaccination aux ÉtatsUnis. En 2003 le CDC américain a étudié la signification des retards à la vaccination chez 2 921 parents d’enfants de 19 à 35 mois. Les parents qui retardent la vaccination de l’enfant pour une maladie ont un profil différent de ceux qui la diffèrent par doute sur l’efficacité ou sur la sécurité des vaccins. La couverture vaccinale complète des enfants à 24 mois est de 70 % chez les parents du premier groupe contre seulement 46 % pour les parents du deuxième groupe. Le rattrapage vaccinal fonctionne donc mal dans cette dernière catégorie. Les parents réticents consultent davantage Internet que leur médecin, ont un niveau d’instruction supérieur et un niveau économique plus fort que les autres parents [3]. Entre 1995 et 2001 Smith a comparé plus de 150 000 nourrissons insuffisamment vaccinés et 795 nourrissons sans aucun vaccin, sur tout le territoire américain. Il existait de fortes disparités d’un état à l’autre mais le nombre d’enfants sans aucun vaccin avait progressé sur cette période. Les parents des enfants non vaccinés exprimaient leur méfiance sur la sécurité vaccinale dans 44 % des cas contre 5 % chez les parents des enfants ayant une vaccination incomplète. Les premiers déclaraient aussi que le médecin n’avait pas orienté leur choix dans 70 % des cas contre 22 % pour les enfants insuffisamment vaccinés. Les auteurs déduisent que les parents des enfants sans aucune vaccination s’y étaient opposés intentionnellement, alors que les parents des enfants insuffisamment vaccinés avaient surtout fait preuve de négligence et d’oubli, malheureusement souvent non rattrapés par leur médecin [4].

Vaccination et adolescence

Le refus vaccinal au cours de l’adolescence est mieux connu grâce à des investigations récentes sur l’application de la vaccination HPV chez les jeunes filles aux États-Unis mais aussi dans des pays en développement. En France les nonvaccinations dans l’enquête de Sabiani sont dues à la crainte des effets adverses et au manque d’information [5].

D’après les précédentes publications il est utile de distinguer les négligences des vrais refus. Beaucoup de négligences sont des refus déguisés , par crainte de la vaccination.

Cette attitude est en progrès, en raison de la désinformation et de la propagande sur la sécurité, soi-disant mal établie, des vaccins.

 

LES CAUSES ACTUELLES DES REFUS VACCINAUX

La difficulté sur le concept de bénéfice-risque

Bénéfice individuel et collectif

Le bénéfice d’un vaccin est strictement individuel s’il prévient une maladie sans agir sur sa transmission, tels le vaccin tétanos ou le BCG. Mais pour la plupart des vaccins le bénéfice est à la fois individuel et collectif , car ils modifient la transmission de la maladie, en supprimant le portage microbien (vaccins diphtérie, rougeole, Haemophilus b, pneumocoque, méningocoque). Ce « bénéfice collectif » ou effettroupeau, peut être perçu positivement ou négativement par le public. Pour les uns la vaccination est individuelle et liée à un choix personnel, tandis que pour d’autres l’avantage de la protection collective est un argument supplémentaire pour améliorer la santé publique. Mais une vaccination ne concerne qu’un bénéfice lointain.

La vaccination est un droit, faisant partie du droit à la santé, mais le refus de vaccination est aussi un droit, qui oblige le médecin à obtenir un consentement éclairé. La vaccination systématique, telle qu’elle est définie par les calendriers vaccinaux, est de plus en plus souvent discutée face aux conceptions individualistes de la société occidentale.

La crainte des effets adverses des vaccins a remplacé la peur des maladies

La crainte de maladies souvent disparues et méconnues : tétanos, diphtérie, poliomyélite, a été peu à peu supplantée par la crainte des effets adverses des vaccins et la balance bénéfice-risque s’est totalement inversée dans la société actuelle. Pour justifier et expliquer une vaccination, les arguments de « bénéfice » sont plus difficiles à appréhender par le public et même par le médecin, qui n’a pas connu ces maladies.

Il est moins convaincant s’il ne connaît pas l’épidémiologie actuelle de ces infections.

Les peurs vaccinales

Les peurs vaccinales surviennent à la suite de crises pour un vaccin déterminé. Elles persistent longtemps, même après des études démontrant la sécurité du vaccin. On rappellera ici quelques récentes alertes. La crainte des lésions neurologiques provoquées par les vaccins de la coqueluche, à germes entiers, a provoqué l’arrêt du vaccin dans beaucoup de pays et un état endémique de coqueluche s’est installé en Europe, de 1978 à 1996. Ceci a mené à la mise au point des nouveaux vaccins acellulaires bien tolérés, actuellement utilisés. En Grande-Bretagne, le vaccin rougeole fut accusé en 1998 de provoquer l’autisme et la maladie de Crohn. Il faudra attendre 2010 pour que la publication initiale du Dr Wakefield sur le sujet soit supprimée par le journal Lancet et que le vaccin soit réhabilité. Néanmoins la peur persiste encore et s’est étendue dans d’autres pays, dont les États-Unis, où l’on constate que certains états ont encore une couverture rougeole insuffisante en 2010, malgré les efforts d’information [6]. En France la vaccination Hépatite B continue à être redoutée, malgré les études qui, depuis 1995, ont démontré qu’il n’existait pas de lien entre le vaccin et la sclérose en plaques. La peur des adjuvants a relayé cette polémique à la suite de la vaccination contre la grippe pandémique en 2009. La myofasciite à macrophages fait partie de cette polémique, stigmatisant l’aluminium utilisé comme adjuvant.

Les croyances

Les diverses croyances et certains mouvements philosophiques peuvent profondé- ment altérer la confiance du public. C’est ainsi qu’à partir d’écoles anthroposophiques une épidémie de rougeole s’est propagée en 2008 de la Suisse vers l’Autriche, puis vers l’Allemagne. Des mesures immédiates durent être mises en œuvre à l’échelon européen, à la veille du championnat européen de football 2008 à Berlin [7-9]. Tout récemment des auteurs israéliens ont rapporté que seulement 65 % des enfants de parents ultra-orthodoxes de Jérusalem sont correctement vaccinés malgré de bonnes conditions d’accès aux vaccins. Ils insistent sur la nécessité d’améliorer l’éducation sanitaire et la confiance dans les autorités de santé [10].

Le rôle des médias et d’Internet

Il est de plus en plus évident que l’information vaccinale, comme pour beaucoup d’autres domaines médicaux, est concurrencée par les médias et surtout Internet.

On trouve beaucoup plus de critiques alarmistes sur les sites et sur les blogs que de recommandations en faveur des vaccins. Les réseaux sociaux contribuent à disséminer les fausses informations : autisme et vaccin rougeole, crainte du thiomersal, peur des adjuvants, etc. [11]. Les médias, journaux, radio, télévision, abordent le sujet des vaccins surtout à l’occasion de scandales ou de peurs diverses, au nom de l’information. Les débats télévisés sont très déséquilibrés entre anti-vaccins et pro-vaccins, semant le doute dans le public. Il en a été ainsi récemment en France pour la grippe pandémique, les adjuvants, l’aluminium ou le vaccin HPV. En septembre 2011 un débat s’est engagé aux États-Unis sur la vaccination des jeunes filles par le vaccin HPV, suite aux déclarations d’une députée qui accusait ce vaccin d’être responsable de réactions dangereuses et même d’avoir provoqué un retard mental chez une fille de douze ans. La plupart des grands journaux américains se sont élevés contre une telle désinformation. La revue Nature fit remarquer la gravité de ces incitations au refus vaccinal [12].

La perte de confiance dans les experts

Un autre aspect très inquiétant de nos sociétés modernes est la perte de confiance dans l’expertise. Ce phénomène est général et les vaccins n’y échappent pas. La validité des connaissances scientifiques est remise en question et surtout la bonne foi de l’expert est suspecte en raison des conflits d’intérêt avec l’industrie des vaccins.

Cette question est primordiale, surtout dans les pays développés, car elle s’ajoute très lourdement aux autres causes de non-vaccination et de refus [13].

 

CONSÉQUENCES DES REFUS OU NÉGLIGENCES SUR LA COUVERTURE VACCINALE

L’insuffisance de la couverture vaccinale est le résultat des refus vaccinaux et elle conduit à la persistance des maladies et parfois à des épidémies. Elle fut la cause de la persistance de la coqueluche en Europe par arrêt de la vaccination et de la réapparition de la diphtérie en 1990 en Russie. Depuis 2008 la rougeole sévit en Europe car certains pays, dont la France, après de longues années de stagnation de leur couverture vaccinale, sont le siège de foyers épidémiques, avec des complications graves touchant les nourrissons mais aussi des adolescents et des adultes. La poliomyélite aurait pu être éliminée grâce à un vaccin très efficace. Malheureusement les refus du vaccin dans certaines régions du monde, Nord du Nigeria, Pakistan, a permis la survenue d’épidémies ces dernières années, laissant à penser que le maintien de la vaccination est encore nécessaire pour très longtemps dans le monde entier [14].

SOLUTIONS ET PROPOSITIONS POUR AMÉLIORER L’ACCEPTABILITÉ DES VACCINS

La littérature médicale abonde en suggestions et recommandations pour enrayer le mouvement des refus vaccinaux. Mais on ne trouve que très rarement une évaluation des méthodes, toujours difficile, car les habitudes et les conceptions des populations varient beaucoup d’un pays à l’autre. Il s’agit en effet d’un faisceau de causes qui varient d’importance selon les pays et les habitudes [15]. Pour plus de clarté les solutions seront présentées sous trois rubriques : l’information, la formation et les mesures de santé publique.

L’information du public et des vaccinateurs

Il est illusoire de continuer à proposer des solutions théoriques sans chercher à comprendre les modifications de notre société et les sources des blocages et de la perte de confiance.

Régénérer l’enseignement des sciences à l’école

Depuis plusieurs années on constate un certain désintérêt de la population pour les disciplines scientifiques, ce qui a conduit à mettre en place de nombreuses initiatives pour attirer l’intérêt des élèves vers ces disciplines scientifiques. Ce point semble essentiel pour comprendre les doutes de nos sociétés modernes sur la vaccination.

Une formation claire à l’école sur la biologie et les sciences exactes permettrait au public de mieux appréhender les notions d’épidémiologie qui sous-tendent les justifications de la vaccination. Sans cela, le dialogue avec les parents et le public demeurera toujours difficile pour aborder les domaines du choix d’une vaccination systématique, de son coût ou de l’évaluation des effets adverses.

 

Savoir bien répondre aux questions sur les vaccins

Les arguments courants avancés par les parents refusant une vaccination (tableau I) appellent des réponses scientifiques, compréhensibles et actualisées [16].

Tableau 1. — Arguments avancés par les parents refusant une vaccination • Les maladies avaient déjà commencé leur déclin avant la vaccination grâce aux progrès de l’hygiène. Les vaccins n’y sont pour rien.

• Les maladies ont disparu, il est inutile de continuer à vacciner.

• Donner plusieurs vaccins simultanément aux enfants produit une surcharge leur système immunitaire et augmente le risque de réponse négative aux vaccins.

• Beaucoup de personnes vaccinées sont cependant malades. Les vaccins sont inefficaces • Les vaccins sont responsables de trop d’effets adverses préjudiciables, voire mortels et on ignore leurs effets à très long terme : maladies auto-immunes ou cancers.

La compréhension de la vaccination passe par trois points essentiels : sa justification vis-à-vis de l’infection prévenue, son activité immunologique et sa tolérance. Les refus ou les doutes portent sur l’un ou l’ensemble de ces trois points. L’infection est-elle si grave qu’une vaccination systématique est nécessaire? Nous citons deux exemples d’arguments avancés par les détracteurs des vaccins : « La rougeole est bénigne ». Mais on en ignore les complications encéphalitiques, leur gravité et leur nombre. « L’hépatite B est exceptionnelle en France », argument maintes fois avancé sans prendre en compte l’extension de cette maladie hautement contagieuse, ses formes insidieuses et surtout la circulation internationale actuelle du virus entre les zones de forte endémie et les pays de faible endémie.

La protection est mise en doute, sur l’argument que des personnes vaccinées contractent la maladie. Le vaccin rougeole est décrié, parce qu’il faut deux doses et que la protection par la maladie naturelle est plus solide que par la vaccination. Si quelques rares personnes, apparemment bien vaccinées, ont eu la rougeole on omet de dire que la quasi-totalité des cas de rougeoles en Europe sont survenus chez des non-vaccinés !

Enfin, la sécurité vaccinale est contestée, sur l’argument que les effets adverses graves ne seraient pas pris en compte, argument central des débats et polémiques médiatiques sur les vaccins depuis vingt ans.

Ces constatations montrent que l’information sur la vaccination est insuffisante.

Beaucoup de parents sont mal informés et l’ignorent.

Le rôle du médecin est essentiel , en particulier en France où 90 % des vaccinations sont faites dans le secteur privé [17].

Comment communiquer avec les familles sur les vaccinations ?

Les solutions à proposer doivent tenir compte des changements de notre société occidentale du XXIe siècle. Tous les services nationaux de santé publique insistent sur la nécessité d’une explication patiente aux questions des familles, des parents et des individus à l’occasion d’une vaccination .

Les vaccins sont des médicaments particuliers, administrés à titre préventif à des personnes a priori non malades et consentantes. Le geste vaccinal, le plus souvent par injection, est intrusif et redouté. Par conséquent, pour être accepté, il demande une explication patiente et convaincante, nécessitant du temps. Cet effort est plus important que pour un médicament curatif qui laisse entrevoir au malade un bénéfice proche. La notion de bénéfice individuel de la vaccination doit être associée à celle de bénéfice collectif pour parvenir à une couverture vaccinale élevée.

On peut cependant se demander si l’information actuelle dans les pays industrialisés convient pour assurer une couverture vaccinale suffisante, puisque celle-ci à tendance à stagner voire à diminuer pour certains vaccins. Des moyens complémentaires sont certainement utiles.

Des travaux anglo-saxons concluent de mieux prendre en compte la psychologie, le comportement et les croyances des parents, pour déceler ceux qui seraient réfractaires à la vaccination [18, 19]. Les rappels de rendez-vous de vaccination par téléphone ou par courriel sont suggérés d’après l’analyse de 553 articles sur l’insuffisance de couverture vaccinale [19].

Une information plus pertinente est nécessaire

Mais un discours adapté et non moralisateur est nécessaire . Il faut régulièrement s’enquérir des arguments nouveaux et préférés des opposants aux vaccins, afin d’adapter les réponses et fournir les réponses attendues du public [20].

Les moyens matériels modernes d’éducation et d’information

En France l’éducation pour la santé est dévolue à l’Institut national d’éducation et de prévention pour la santé ou INPES (ex CFES). Le public et les professionnels de santé peuvent trouver sur son site de nombreux documents sur la vaccination. Mais les campagnes mises en œuvre, la semaine européenne de vaccination ou la campagne sur la rougeole, restent peu visibles auprès des médecins et du public. Aux États-Unis le CDC américain procure de multiples informations bien accessibles et actualisées sur les vaccinations, destinées aux professionnels et au public : affiches, questions-réponses, diapositives, conférences, etc.

En Grande-Bretagne on a suggéré de compléter les documents écrits informatifs par une réunion de parents de deux heures, pour améliorer la confiance des parents dans la sécurité du vaccin triple rougeole-rubéole-oreillons, après la peur de l’autisme.

Les parents ayant eu l’information en réunion vaccinaient davantage (93 %) que ceux n’ayant été informés que par un livret (73 %) [21].

 

Les sites Internet

Pour remédier aux fausses informations sur les vaccins il est souhaitable que le public connaisse des sites ayant un label de fiabilité [22]. Même s’il est impossible d’empêcher la propagande anti-vaccinale, il est nécessaire de fournir aux parents et au public des sites dont la qualité scientifique soit contrôlée. Une récente publication américaine donne une liste de sites Internet à recommander aux parents hésitants ou posant des questions [23].

Refonder la formation universitaire pour la vaccinologie, les maladies infectieuses et l’épidémiologie

Pour bien informer il faut une formation de qualité des informateurs

Points à améliorer

Il faut former ceux qui informent sur les vaccins, les médecins mais aussi les autres professions de santé au contact des patients : infirmiers, sages-femmes, pharmaciens, qui devraient avoir un rôle de choix dans l’information sur les vaccins.

La refonte de l’enseignement de la vaccinologie dans le cursus des étudiants en médecine est nécessaire car les programmes actuels en France ne comportent que peu ou pas d’heures d’enseignement spécifique. Les politiques vaccinales ne sont pas expliquées, ni les effets adverses des vaccins. L’Université de Genève, qui a créé une chaire de vaccinologie depuis près de dix ans, est exemplaire à cet égard.

Les maladies infectieuses prévenues par les vaccins doivent être enseignées, même si elles sont devenues rares (diphtérie, poliomyélite, etc.). D’un point de vue éthique, le médecin doit connaître les maladies contre lesquelles il vaccine. Il peut ainsi répondre aux questions des patients sur la maladie et la raison de la vaccination, faute de quoi il perdra leur confiance.

L’enseignement de l’épidémiologie est primordial pour la compréhension des enjeux vaccinaux en santé publique et pour que le médecin transmette un message compré- hensible et fiable aux personnes qui le questionnent.

 

La formation médicale continue devrait proposer plus fréquemment le thème de la vaccination. Il est important que cet enseignement post-universitaire soit assuré par l’Université. L’industrie des vaccins, malgré sa compétence et sa volonté d’aider, ne peut pas être aujourd’hui le vecteur principal de l’enseignement des vaccins. Il faut assurer la transparence d’un enseignement scientifique dégagé de tout lien.

Le Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH) publie régulièrement le nouveau calendrier vaccinal et de nombreuses enquêtes sur les maladies à prévention vaccinale. Document de qualité, gratuit et accessible par Internet sur le site de l’Institut de la Veille sanitaire (InVS), il est peu connu des médecins.

 

LES MESURES RELEVANT DE LA SANTÉ PUBLIQUE ET DU POLITIQUE

Attitude des autorités politiques

L’initiative récente de l’Office parlementaire d’évaluation des politiques de santé révèle une prise de conscience nouvelle chez les hommes politiques de l’enjeu national et international des vaccinations. Mais les questions des députés au Gouvernement se font aussi l’écho des craintes et des polémiques vaccinales.

Gratuité des vaccins : est-ce suffisant ?

La gratuité des vaccins établie dans beaucoup de pays est nécessaire mais non suffisante. Aux États-Unis le remboursement par Medicaid donne de moins bons résultats de couverture vaccinale chez les adolescents qui en bénéficient que chez ceux n’ayant pas cette prise en charge. Les enquêteurs préconisent le développement d’interventions scolaires et de visites de prévention pour adolescents [24]. En France, si la gratuité est efficace pour la vaccination des nourrissons et des enfants, elle n’est pas suffisante puisque la couverture stagne pour plusieurs vaccins. Certains freins d’ordre religieux ou philosophiques doivent aussi être pris en compte, en rappelant que dans les deux exemples cités plus haut l’accès aux vaccins est facile et gratuit pour les communautés [7,10].

Dans les pays en développement, le constat est similaire, malgré les efforts de l’UNICEF et surtout depuis l’initiative GAVI de Bill Gates. On rappellera les attaques de certaines communautés contre le vaccin poliomyélite au Nigeria. Des études récentes montrent que les adolescents qui ne fréquentent pas l’école réguliè- rement viennent moins aux séances de vaccination [25].

Un calendrier vaccinal complexe et peu commenté

On reproche souvent la différence des calendriers d’un pays à l’autre, 29 modes de vaccination diphtérique pour 72 pays, et l’absence d’uniformisation européenne. Les changements fréquents de stratégie ne sont pas bien compris et engendrent plutôt la défiance, même parmi les médecins. Pourtant, le calendrier vaccinal français est de plus en plus documenté et très informatif. La lecture n’est pas toujours facile pour les non spécialistes et des calendriers simplifiés sont souhaitables, comme sur le site du CDC américain. Les articles consacrés à ce calendrier et à la pratique vaccinale sont rares en France.

Obligation vaccinale ou recommandation ?

En France, seuls les vaccins tétanos, diphtérie et poliomyélite sont obligatoires. Les autres vaccins sont recommandés. Cette dualité fait croire au public qu’un vaccin recommandé peut être facultatif, ce qui entrave la compréhension de la politique vaccinale. Une enquête française de l’Institut de la veille sanitaire et de l’INPES en 2005 a porté sur la perception de la vaccination obligatoire dans le public et chez les médecins. Les résultats sont partagés : 56,5 % de la population et 42 % des médecins sont favorables à l’obligation [23].

On exalte souvent la réussite des pays qui n’ont que des vaccins recommandés, mais le terme « recommandé » a un sens très fort en anglais (« mandatory » du français « mander » , très incitatif). Beaucoup de pays ont des règlements scolaires qui exigent la vaccination des enfants (États-Unis, Pays-Bas). Aux États-Unis certains états veulent rétablir l’obligation pour certains vaccins (vaccin HPV) ou au contraire ne pas suivre les recommandations du calendrier officiel américain [27]. Enfin, dans ce même pays la couverture rougeole est loin d’être parfaite et le CDC s’en inquiète en 2011 sur les derniers résultats de couverture vaccinale nationale [27]. Ces faits doivent être présents à l’esprit du législateur, car ni l’obligation ni la recommandation vaccinale ne sont des solutions idéales face au refus vaccinal. Le récent rapport sur la santé à l’Assemblée nationale fait part du souhait d’instaurer l’obligation vaccinale pour le vaccin rougeole, ce qui est probablement insuffisant pour gagner les quelques points manquants de couverture vaccinale [29]. Enfin, il est important de rappeler que si cette obligation a permis d’appliquer facilement la vaccination en France et de lutter naguère contre des fléaux, elle a longtemps empêché le corps médical d’apprendre à communiquer sur les vaccins.

Une meilleure approche des effets adverses

Le recueil des effets adverses post-vaccinaux pourrait être amélioré. L’analyse des cas complexes par des médecins indépendants et une écoute plus attentive des familles pourrait améliorer le dialogue et apporter plus de confiance sur l’imputabilité. En quelque sorte, une humanisation de la pharmacovigilance améliorerait la communication sur des évènements graves attribués à une vaccination [20].

L’éducation sanitaire

Les notions d’hygiène ont cessé de concerner les familles et les éducateurs depuis cinquante ans. Cette « instruction » sanitaire est tout récemment évoquée dans le rapport de la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la Sécurité sociale (MECSS) en février 2012 [29].

Il est souhaitable aussi de renforcer la médecine scolaire et la médecine du travail qui ont un rôle majeur dans la politique de prévention. La politique vaccinale bénéficierait de ces deux secteurs, école et travail, pour les enfants et pour la vaccination des adultes. l’Institut national de la prévention et de l’éducation pour la santé (INPES) pourrait voir sa place très étendue et centrale, pour coordonner les actions aujourd’hui dispersées.

 

Organisation de la vaccination et institutions politiques

Une meilleure cohérence entre les institutions est souhaitable en France. Le rapport de la MECSS note l’« absence de coordination de nombreux intervenants, insuffisance, voire absence de pilotage, grande incertitude sur le montant des financements consacrés à la prévention, manque d’évaluation de plans divers et peu cohérents entre eux, défaut de hiérarchisation des objectifs fixés dans la loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique » [29].

La vaccination en France souffre de cette apparente dispersion des moyens et des acteurs : État, conseils généraux et des différents agences concernées par la politique vaccinale : Haute autorité de santé, Haut conseil de santé publique, AFSSAPS, INPES, Assurance maladie, Éducation nationale, Ministère de la santé et aussi les communes, les associations.

CONCLUSION

Les oppositions vaccinales représentent un obstacle à la prévention des maladies infectieuses et leur développement est préoccupant dans tous les pays occidentaux.

De la simple hésitation au refus complet elles varient selon les régions. Toutes les enquêtes concluent sur le manque d’information des parents d’enfants non ou mal vaccinés. La formation sur la vaccination devrait être très améliorée en France.

L’éducation sanitaire de la population doit être renforcée pour que le dialogue soit plus convaincant entre les vaccinateurs et les personnes. L’influence actuelle des médias et d’Internet justifie une réflexion internationale pour lutter contre la nuisance des informations non scientifiques et erronées. La meilleure organisation et le recentrage des structures responsables de la vaccination est souhaitable en France pour mieux informer le public et restaurer sa confiance.

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DISCUSSION

M. Claude DREUX

Faut-il rendre obligatoire certaines vaccinations nouvelles (rougeole, hépatite B…) après diphtérie, tétanos, polio… ?

Devant l’insuffisance d’une couverture vaccinale on propose souvent d’avoir recours à l’obligation. Si l’obligation vaccinale a été bien acceptée au xxe siècle pour des vaccins dirigés sur de véritables fléaux (par exemple la diphtérie ou la poliomyélite), il n’en est plus de même aujourd’hui, car les risques ne sont pas perçus de la même façon ni bien connus : « la rougeole est une maladie bénigne » ou « l’hépatite B est rare en France », sont des avis fréquemment émis par le public. Pour une maladie telle que la rougeole, qui relance en fait le débat actuel en France, l’exigence de la couverture vaccinale est très forte, supérieure à 95 % en raison du taux d’infectiosité qui est le plus élevé des maladies infectieuses. Une obligation ne suffira pas à gagner les quelques points qui manquent à la couverture vaccinale, mais risque de relancer des débats qui peuvent faire refuser encore davantage la vaccination. Nous pensons donc que seule une information de bonne qualité et bien argumentée est plus efficace, en répondant aux questions des parents pour motiver leur adhésion à l’acte vaccinal.

M. Jean-Marie BOURRE

Les motifs du refus vaccinal sont variés et touchent à divers domaines, tout au moins en France et dans les pays occidentaux. Je doute que ces motifs, parfois très élaborés intellectuellement, puissent concerner de manière importante les refus de vaccination au Nigéria, tout comme en Afghanistan et au Pakistan, que vous avez évoqués. Il a été rapporté que des arguments anti-occidentaux ont été à la base de propagandes anti-vaccinales très agressives, affirmant que le vaccin (précisément d’origine occidentale) rendait les femmes stériles, voire contenait des poisons. Qu’en est-il de la réalité ? Quelle a été la portée de cette propagande mensongère ?

Les refus de vaccin poliomyélite au Nigeria sont effectivement d’un autre ordre que ceux enregistrés dans les pays occidentaux. Il s’agit de motifs religieux qui remettent en question la tolérance du vaccin, accusé de rendre stérile et de propager le SIDA. La conséquence en a été la flambée de poliomyélites en 2003 dans le Nord du Nigeria, avec une extension aux pays voisins et aussi à certains pays d’Asie. Même si les autorités religieuses ont révisé leur positions, la maladie est disséminée et l’éradication que l’on pensait possible pour la poliomyélite est aujourd’hui fortement remise en question.

M. Yves JUILLET

Considérez-vous que les pouvoirs publics et en particulier la Direction générale de la santé prend partie et défend de manière suffisante la politique vaccinale, ou qu’elle apparaît trop prudente et influencée par le principe de précaution ?

Chaque année le calendrier vaccinal est proposé par le Haut Conseil de la Santé publique à l’approbation du Ministre, qui le signe. Il existe donc un engagement théorique des autorités de santé publique. Mais la promotion de la vaccination est trop timide en France et le principe de précaution est très présent. La question de l’expertise scientifique est un problème réel et grandissant. En cas de difficultés les arguments des experts sont souvent contredits et la confiance dans les données scientifiques est souvent ébranlée. Il existe un intérêt récent des politiques pour la vaccination, à l’occasion des crises ou des inquiétudes vaccinales : hépatite B, rougeole, adjuvants, aluminium, grippe H1N1, vaccination HPV, tous sujets qui sont l’objet de débats contradictoires où la Direction générale de la santé intervient peu. C’est pourquoi un renforcement du rôle de l’INPES serait souhaitable pour améliorer l’information.

M. Jacques HUREAU

N’y a-t-il pas certains refus de la vaccination par les parents, induits ou non par un avis médical, qui confinent à la « non assistance à la personne mise en danger » ?

Le refus de vaccination par les parents, malgré une explication longue et patiente, est proche de la non assistance à personne en danger. Des enfants non vaccinés en France contre le tétanos ou la diphtérie ont été victimes de ces maladies ces dernières années. Il faut toujours rappeler que les parents parlent au nom de l’enfant et que le choix de ce dernier ne serait peut-être pas celui du refus vaccinal. Mais, là encore, c’est la connaissance précise de la balance bénéfice-risque qui peut aider à faire prendre conscience de la gravité d’un refus vaccinal.

 

<p>* Membre de l’Académie nationale de médecine ; e-mail : beguep@wanadoo.fr Tirés à part : Professeur Pierre Bégué, même adresse Article reçu le 19 février 2012, accepté le 5 mars 2012</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2012, 196, no 3, 603-618, séance du 6 mars 2012