Communication scientifique
Session of 12 mai 2009

Le passage transplacentaire des médicaments

MOTS-CLÉS : placenta. préparations pharmaceutiques. vecteurs de médicament
Placental transfer of drugs
KEY-WORDS : drug carriers. pharmaceutical preparations. placenta

Elisabeth Elefant, Delphine Beghin

Résumé

Lien unique entre la mère et le fœtus, le placenta est essentiel au bon développement du fœtus. En raison de son rôle dans l’apport des nutriments et l’élimination des produits de dégradation, une fonction de barrière protectrice vis-à-vis de différents toxiques, virus et médicaments qui peuvent être en contact avec le fœtus lui a été attribuée. Qu’en est-il de cette notion de « barrière » placentaire ? Les différents mécanismes de passage des médicaments, ainsi que les moyens de les étudier sont présentés afin de mieux comprendre le rôle du placenta dans leur passage éventuel.

Summary

As the sole interface between the mother and fetus, the placenta is essential for normal fetal development, ensuring the transfer of nutrients and metabolic waste products. The authors examine the barrier function of the placenta, together with the different mechanisms of drug transport and the experimental models used to investigate them.

Le placenta

Le placenta constitue le lien entre la mère et le fœtus, essentiel au développement de ce dernier. Pendant la période embryonnaire le chorion n’est pas perfusé par du sang maternel mais par un fluide extracellulaire issu du plasma. [1]. Des produits présents dans la circulation maternelle (médicaments, virus…) peuvent atteindre l’embryon par diffusion pendant cette période critique de son développement (organogenèse).

 

À partir de dix semaines post-conception, les sangs maternel et foetal sont séparés par la « barrière placentaire » constituée par l’endothélium des capillaires fœtaux, le mésenchyme qui les entoure et le trophoblaste (cytotrophoblaste en couche discontinue en fin de grossesse et syncytiotrophoblaste). Ces circulations se juxtaposent sans jamais se mélanger et définissent le type hémochorial à trophoblaste villeux du placenta humain. A partir de ce terme de la grossesse, les médicaments contenus dans la circulation maternelle doivent traverser cette « barrière » avant d’atteindre la circulation fœtale [2]. Cette notion de « barrière » repose sur l’étanchéité entre les deux circulations sanguines et non sur l’absence de passage de xénobiotiques (dont les médicaments) à travers cette membrane.

Mécanismes de passage des médicaments

Le passage des médicaments à travers les membranes s’effectue grâce à différents mécanismes : le transfert passif, la diffusion facilitée, le transport actif, la phagocytose et la pinocytose. La pinocytose et la phagocytose représentent un mode de transfert tout à fait minoritaire pour les médicaments, et la diffusion facilitée n’est que très peu utilisée. Cette diffusion est médiée par un transporteur mais ne nécessite pas d’énergie. Le transfert médicamenteux est donc effectué en fonction de son gradient de concentration, et peut être inhibé par des analogues structuraux. Ce mode de transport a été décrit pour les céphalosporines, le gancyclovir, et la corticostérone [3].

Nous insisterons plus particulièrement sur la diffusion passive et le transport actif.

Diffusion passive

Généralités

Le transfert passif est la forme prédominante des échanges au niveau placentaire.

La diffusion passive peut être décrite par la loi de Fick : V diff = D × S × (Cm-Cf)/A (V diff : taux de diffusion, D : coefficient de diffusion, S : aire de surface d’échange, Cm : concentration dans la circulation maternelle, Cf : concentration dans la circulation fœtale et A : épaisseur de la membrane).

La diffusion passive ne nécessite pas d’énergie, n’est pas saturable et n’est pas sujette à l’inhibition compétitive. Quand les produits traversent le placenta de façon passive, leur passage est fonction de leur concentration dans la circulation maternelle, de leurs propriétés physico-chimiques et des propriétés du placenta. Des variations de ces paramètres peuvent modifier le passage des médicaments.

La diffusion passive est favorable aux molécules ayant un faible poids moléculaire (<500 Da), très liposolubles et non ionisées [4].

 

La fixation des médicaments aux protéines plasmatiques limite leur diffusion. Bien qu’un grand nombre de protéines soient impliquées dans ces liaisons, seules l’albumine et l’α1 glycoprotéine acide ont des liaisons avec un large nombre de molécules acides et basiques respectivement.

Spécificités de la grossesse

Le taux de transfert d’une molécule à travers une membrane par diffusion passive est directement lié à l’aire de la surface d’échange, l’épaisseur de la membrane et du flux sanguin irriguant la membrane [5]. La distribution du sang maternel dans le placenta est un premier pas pour le transfert d’une molécule et est fonction du flux sanguin utérin et de la perméabilité de la membrane placentaire. Toute condition qui restreint le débit utérin maternel aura des répercussions sur le passage des médicaments. Les changements (physiologiques ou pathologiques) de structure du placenta tout au long de la grossesse induisent une modification profonde de ces paramètres.

Modifications histologiques : la combinaison de l’augmentation de la surface d’échange et la diminution de l’épaisseur de la barrière placentaire durant la grossesse assure les besoins nutritionnels et énergétiques croissants du fœtus. La moyenne de la surface d’échange (c’est à dire la surface villositaire) varie de 3,4m2 à 28 semaines de grossesse à 12.6m2 à terme [5]. L’épaisseur de la membrane diminue de 50-100 μm au 2e mois à 4-5 μm à terme.

Débit sanguin : à terme, le sang entre dans les espaces intervilleux par cent artères spiralées. Le débit sanguin augmente durant la grossesse passant de 50 mL/min à dix semaines à 600 mL/min à terme.

Protéines plasmatiques : les concentrations maternelles d’α1-glycoprotéine acide sont relativement constantes durant la grossesse, alors que le taux fœtal augmente de 10 % vers la 12ème semaine à 30-40 % à terme [6]. Ceci explique que la fraction de molécules liée à l’α1 glycoprotéine acide, tels que la bupivacaine, et l’aprenolol, soit élevée chez le fœtus [7, 8]. A l’opposé, une réduction importante de la concentration maternelle d’albumine et une augmentation de la concentration fœtale au fur et à mesure de la grossesse est observée. Ainsi, il y a une montée graduelle du ratio entre les concentrations fœtales et maternelles d’albumine de l’ordre de 30 % à douze semaines à 120 % à terme [6].

Transport actif

Le transport actif d’une molécule implique son transfert contre un gradient de concentration et nécessite donc de l’énergie. Celle-ci provient le plus souvent de l’hydrolyse de l’ATP ou d’un gradient électrochimique de Na+, Cl-, ou H+.

De nombreux transporteurs ont été découverts dans le placenta. Certains facilitent l’entrée des médicaments vers le fœtus (pompes d’influx) et d’autres permettent de limiter l’exposition fœtale (pompes d’efflux).

 

Transporteurs d’influx

La plupart des transporteurs d’influx ont été mis en évidence en raison de leur rôle physiologique d’entrée de substances endogènes nécessaires au bon développement du fœtus. Les connaissances acquises sur leurs interactions avec certains médicaments dans d’autres organes ont poussé les recherches vers leur identification au niveau placentaire et leur modulation par des médicaments substrats afin de pouvoir évaluer leur impact lors d’une éventuelle exposition fœtale.

Transporteurs de monoamines : trois transporteurs de monoamines ont été identifiés dans le placenta: le transporteur de la sérotonine (SERT), celui de la noradrénaline (NET) et celui de la monoamine extraneuronal (OCT3).

SERT et NET sont exprimés sur la membrane apicale du trophoblaste, et transportent la sérotonine, la dopamine, l’adrénaline et la noradrénaline [9]. SERT et NET placentaires sont identiques à ceux des neurones sérotoninergiques et noradrénergiques et peuvent donc être la cible des antidépresseurs tels que la fluoxétine (Prozac®), la sertaline (Zoloft®), la paroxetine (Deroxat®) et le citalopram (Seropram®). De plus, la cocaïne et les amphétamines interagissant avec ces transporteurs, leur rôle dans une éventuelle exposition fœtale serait à évaluer.

OCT3 appartient à la famille des transporteurs de cations organiques, et est présent sur la membrane basale du trophoblaste [10]. Ce transporteur peut être inhibé par les hormones stéroïdes. La fonction physiologique d’OCT3 est de faciliter la clairance des catécholamines de la circulation fœtale. Un grand nombre de molécules sont reconnues par OCT3, comme la cimétidine (Tagamet®) et la prazosine (Alpress®).

Transporteurs de cations organiques (OCTN1 et OCTN2) : OCTN1 est proche de la structure de OCT3 et est fortement exprimé au niveau du placenta [11]. Parmi ses substrats exogènes on trouve la cimétidine, la clonidine, la nicotine, la procainamide, la pyrilamine, la quinine, la quinidine, le vérapamil, l’ofloxacine, et la levofloxacine [12]. OCTN2 (ou transporteur de carnitine) est proche structurellement de OCTN1.

Il est exprimé sur la membrane apicale [13]. La fonction physiologique de ce transporteur est de transporter la carnitine de la circulation maternelle vers le fœtus.

Il transporte aussi des cations inorganiques. Certaines bêta-lactamines, comme la céphaloridine, sont reconnues par OCTN2 [14]. Parmi ses substrats, on trouve également la cimétidine, la nicotine, la pyrilamine, la clonidine, la procainamide, la quinidine, la quinine et le vérapamil [15].

Récepteur et transporteur de folates : l’acide folique est un nutriment essentiel pour le fœtus. Il traverse le placenta à l’aide d’un récepteur de folates situé sur la membrane apicale du syncytiotrophoblaste et d’un transporteur de folates réduits situé sur la membrane basale [16]. Parmi les médicaments pouvant interagir avec ce transporteur, on trouve le méthotrexate.

Monocarboxylate transporters (MCTs) : les transporteurs de monocarboxylates sont exprimés au pôle basal ou apical des trophoblastes. Le rôle physiologique de

MCT est de transporter du lactate, mais aussi du pyruvate et du bêtahydroxybutyrate. Plusieurs molécules sont reconnues par ce transporteur, comme le valproate, les salicylates, les statines et le foscarnet [17].

Equilibrative nucleoside transporters (ENT1 et ENT2) : ces transporteurs de nucléosides ont été trouvés sur la membrane basale et apicale du trophoblaste. Ils peuvent transporter de nombreux médicaments tels que la cytarabine, la gentamicine et des antirétroviraux tels que la zalcitabine (ddC) et la zidovudine [18]. Le dipyridamole, le dilazep et la lidoflazine inhibent ENT1.

Pour conclure, sans préjuger d’un impact thérapeutique pratique, on peut penser que les médicaments substrats de ces transporteurs ont plus de chances de pénétrer dans le trophoblaste.

Transporteurs d’efflux

Ils représentent le deuxième grand groupe des transporteurs actifs et trouvent leur source d’énergie dans l’hydrolyse de l’ATP. Durant ces dernières années, certains de ces transporteurs ont été découverts lors de leur association au phénomène de « multidrug resistance » sur des cellules cancéreuses [19]. Il s’agit principalement des transporteurs d’efflux de la famille ABC (ATP-Binding Cassette), tels que la P-glycoprotéine (également appelée P-gp ou MDR1 ou ABCB1), les MRPs (Multidrug Resistance-associated Proteins) (codées par les gènes ABCC1 à 6 et ABCC10 à 12), et la Breast Cancer Resistance Protein (BCRP ou ABCG2). Leur rôle principal est de limiter le passage des molécules dans la cellule.

P-gp et placenta

La P-gp est exprimée sur la membrane apicale du syncytiotrophoblaste, donc en contact direct avec le sang maternel [20].

Ushigome et al. [21] ont montré que la P-gp régule le passage de la vincristine, de la vinblastine et de la digoxine à l’intérieur des cellules trophoblastiques. Le transfert de ces médicaments à travers le trophoblaste semble plus important du fœtus à la mère que dans le sens opposé. En présence d’inhibiteurs de la P-gp, ce transport est réduit, ce qui entraîne une augmentation de l’accumulation fœtale. Pavek et al. [22] ont récemment montré que la P-gp « pompe » la ciclosporine en dehors du trophoblaste dans le modèle du placenta perfusé chez le rat, réduisant ainsi le passage de la ciclosporine dans la circulation fœtale.

Les souris mdr1a (-/-), knockout pour le gène de la P-gp, sont un bon outil pharmacologique pour examiner les fonctions de la P-gp dans différents tissus in vivo . Lankas et al . [23] ont montré que l’administration d’un isomère de l’avermectine (un pesticide) est associée à 100 % de fentes palatines chez les fœtus (-/-). Les souris hétérozygotes (+/-) sont moins sensibles et les fœtus homozygotes (+/+), ayant beaucoup de P-gp, sont totalement insensibles aux doses testées. Ils ont montré que le degré d’exposition fœtale d’une substance était inversement relié à l’expression de la P-gp, déterminée par le génotype fœtal.

 

Smit et al. [24] ont utilisé les souris mdr1a/1b (-/-) pour évaluer le rôle de la P-gp dans la protection fœtale vis-à-vis de la digoxine, du saquinavir et du paclitaxel. Ils ont trouvé que respectivement 2.4-, 7-, et 16- fois plus de digoxine, de saquinavir et de paclitaxel, entraient dans la circulation fœtale des souris mdr1a/1b (-/-) par rapport au type sauvage. Cette étude montre que la P-gp joue un rôle fœtoprotecteur majeur.

L’étude du taux d’expression de la P-gp dans le placenta revêt donc un intérêt certain, puisqu’elle pourrait être à l’origine de différences significatives de passage transplacentaire des médicaments. Une étude récente [25] a permis de mettre en évidence le taux d’expression de la P-gp placentaire en fonction de l’âge gestationnel. Les résultats montrent une diminution du taux d’expression de la P-glycoprotéine entre le début et la fin de grossesse. Ces résultats originaux suggè- rent une protection fœtale plus grande au début de grossesse, période où la sensibilité aux effets tératogènes est maximale.

MRPs et placenta

Lors d’études d’immunohistochimie, il est apparu que le placenta humain exprimait différents transporteurs de la famille des MRP [26].

Sur la membrane apicale du syncytiotrophoblaste, la présence de MRP2 a été décrite, celle de MRP3 y est exprimée plus faiblement et celle de MRP1 reste sujette à controverse [26].

Sur la membrane basale du syncytiotrophoblaste, la présence de MRP1 a été mise en évidence [20, 26].

MRP1 et MRP3 ont été décrits de manière abondante dans l’endothélium des capillaires fœtaux [26].

Les fonctions physiologiques des protéines MRPs placentaires restent spéculatives, bien qu’il semble qu’elles puissent jouer un rôle fœtoprotecteur en permettant l’excrétion des produits de métabolisme final du fœtus vers la mère. Le rôle des MRPs placentaires dans la distribution des médicaments et de leurs métabolites glucuronidés est actuellement un axe en plein essor.

BCRP et placenta

Une très forte expression de BCRP dans le placenta humain a été rapportée par Allikmets et al. , l’ayant ainsi nommé « transporteur ATP spécifique placentaire (ABCP) » [27]. Lors d’études immunohistochimiques, BCRP a été localisé sur le pôle apical du trophoblaste de la villosité chorionique [28].

Des études sur des souris déficientes en P-gp ont montré que l’inhibition de BCRP par l’élacridar (GF 120918), un inhibiteur de BCRP et de la P-gp, augmente de manière significative le passage du topotécan dans le fœtus [29]. Le rôle de BCRP dans la restriction du passage materno-fœtal du topotécan a été montré dans une autre étude, dans laquelle l’accumulation de topotécan dans les fœtus BCRP1-/- étaient deux fois plus importante que chez les fœtus BCRP1+/+ [30]. Plus récemment, l’activité fonctionnelle de BCRP a été mise en évidence dans des vésicules de microvillosités membranaires de placenta humain [31]. Des études sur cotylédon perfusé ont montré que l’inhibition de BCRP augmentait le passage du PhIP (2-Amino-1-methyl-6-phenylimidazo[4,5-b]pyridine) [32].

Ainsi, de la même manière que la P-gp, BCRP semblerait contribuer à la fonction protectrice du placenta en effluant des médicaments et xénobiotiques contenus dans le sang maternel. Son expression serait constante durant la grossesse [33] et serait supérieure à celle de la P-gp dans le placenta humain à terme [34]. Enfin de nombreuses études ont montré que BCRP limitait le passage transplacentaire du glibenclamide (Daonil®, Glucovance®, Miglucan®) (cf. infra) [35, 36].

Moyens d’études du passage placentaire des médicaments

Plusieurs modèles ont été mis en place pour étudier in vitro le transport placentaire des nutriments, médicaments et toxiques. Ces modèles permettent de contourner les problèmes d’ordres éthiques et méthodologiques inhérents aux modèles in vivo . Ces techniques in vitro ne sont pas sans limites pour autant car elles ne prennent pas en compte les variables physiologiques et biochimiques de la mère, du placenta et du fœtus, ni de leurs changements durant la grossesse.

Modèle ex vivo

Le modèle ex vivo du cotylédon perfusé a été décrit pour la première fois en 1967 [37]. Après un examen attentif, un cotylédon d’un placenta à terme est sélectionné pour une étude de perfusion. L’intégrité et la viabilité du tissu placentaire sont suivies par la mesure des pressions partielles dans les circuits fœtaux et maternels et de la consommation de glucose. L’antipyrine est utilisée comme un marqueur diffusant librement pour évaluer le transfert de substances.

Cette technique est utilisée pour déterminer le transfert placentaire des substances, déterminer l’effet des substances endogènes et exogènes sur les pressions et le transport, mesurer la libération de substances endogènes dans les perfusions fœtale et maternelle [38-40].

Avec l’avancée des connaissances concernant l’identité, la localisation et la régulation des transporteurs placentaires, l’utilisation de cette méthode est amenée à se développer. Par exemple, l’addition d’inhibiteurs spécifiques de transporteurs permettra une estimation plus précise de l’implication d’un transporteur dans le passage transplacentaire d’un médicament donné. Ainsi, il sera envisageable d’évaluer de façon plus précise le rapport bénéfices/risques pour le fœtus des thérapeutiques maternelles.

Modèle in vitro

Ces modèles sont utilisés pour connaître l’existence ou non de systèmes de transport et de métabolisation dans le placenta à partir de fragments tissulaires ou de lignées cellulaires explorées in vitro [41]. Les différents types de préparations dans cette catégorie comprennent :

 

Les coupes placentaires et les explants villositaires qui offrent l’avantage de pouvoir conserver la microarchitecture ainsi que les interactions cellulaires et les communications paracrines du placenta. De plus, des explants placentaires de début et de fin de grossesse peuvent être utilisés.

Les cultures primaires de syncytiotrophoblastes permettent l’étude de la capture et des mécanismes de transport à l’échelon cellulaire et moléculaire. L’isolement et la culture de trophoblastes villeux mononucléés dérivant de placenta de 1er trimestre ou à terme est actuellement bien décrit. La capture de substances radioactives peut être mesurée aussi bien sur des trophoblastes mononucléés que sur des cellules multinucléées adhérentes résultant de la formation du syncytium. L’expression endogène de multiples transporteurs dans ces trophoblastes isolés est un des avantages de cette technique, permettant ainsi d’avoir une meilleure compréhension des interactions potentielles entre les xénobiotiques et les substances naturelles. Les trophoblastes isolés sont aussi utilisés pour l’étude du transport des médicaments et l’étude de la régulation de l’expression de gènes associés à la formation du syncytium [42].

Les lignées cellulaires dérivées de choriocarcinomes humains (BeWo, JAr et JEG) possèdent de nombreuses propriétés communes avec les trophoblastes villositaires en termes de morphologie, marqueurs biochimiques et sécrétion hormonale [43].

Ces cellules sont couramment utilisées pour les études de la barrière placentaire, incluant les mécanismes de transport.

Les vésicules de membranes villositaires sont utilisées pour étudier les mécanismes de transport fœtal et maternel de manière séparée [44].

Modèle in vivo

Le rapport fœtus/mère des concentrations sanguines est utilisé comme un index de transfert placentaire in vivo . Il permet ainsi d’avoir une mesure directe du ratio des concentrations plasmatiques, mais ne permet pas l’étude des mécanismes mis en jeu.

Il est calculé à partir d’échantillons sanguins provenant d’une veine périphérique (sang maternel) et du cordon ombilical (sang fœtal) au moment de l’expulsion du placenta [45].

Application thérapeutique : exemple du glibenclamide

Le diabète gestationnel est une complication survenant dans 5 à 12 % des grossesses.

Bien que l’insuline soit le traitement de référence en cours de grossesse (absence de passage placentaire), des équipes s’intéressent à d’autres approches thérapeutiques, en particulier des traitements non injectables.

Le glibenclamide (ou glyburide) (Daonil®, Glucovance®, Miglucan®) est un sulfamide hypoglycémiant, administré par voie orale, qui semble avoir une efficacité comparable à celle de l’insuline et un passage placentaire négligeable [46-48], malgré des caractéristiques physico-chimiques qui, en théorie, auraient laissé supposer l’inverse. Différents techniques ont permis de confirmer ce passage placentaire négligeable et d’en trouver l’explication.

Le glibenclamide est indétectable dans le sang de cordon 4 heures (Tmax) après la dernière prise chez douze mères (limite de détection 10 ng/mL) [47].

La méthode du cotylédon perfusé a permis de souligner le rôle limitant pour son passage placentaire de la très forte liaison du glibenclamide à l’albumine, et également de mettre en évidence l’implication de transporteurs d’efflux au vu des différences de passage observées entre le sens materno-fœtal et fœto-maternel [49].

L’implication des transporteurs d’efflux pour le transfert placentaire du glibenclamide, et plus précisément de BCRP, a été confirmée par les études in vitro sur les cultures de trophoblastes et les vésicules de membranes villositaires [35]. L’inhibition de BCRP sur un modèle de cotylédon perfusé a également montré une augmentation du passage du glibenclamide [36].

Toutes les techniques présentées plus haut, ont permis de vérifier l’absence de passage de cet hypoglycémiant oral et de comprendre les mécanismes placentaires impliqués dans ce phénomène. Ces résultats ouvrent des perspectives considérables dans la prise en charge du diabète gestationnel.

CONCLUSION

Le passage des médicaments à travers la « barrière » placentaire est tributaire de leurs propriétés physico-chimiques mais aussi des modifications pharmacocinétiques liées à la grossesse. De plus, la présence de divers transporteurs sur l’interface placentaire, dont certains limitent le transfert des médicaments de la circulation maternelle vers la circulation fœtale, ont permis de mieux comprendre les différences de passage possibles entre différents médicaments. Les recherches actuelles, tournées vers l’identification des transporteurs placentaires et leurs moyens d’étude, élargissent les possibilités d’exploration de nouvelles options thérapeutiques chez la femme enceinte, tout en conservant en mémoire les limites de chaque méthode avant toute extrapolation clinique.

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DISCUSSION

M. Bernard PESSAC

Peut-on comparer la « barrière fœto-maternelle » à la barrière hémato-encéphalique ?

Il existe de nombreux points communs entre les deux « barrières ». Elles sont composées de l’endothélium vasculaire continu et étanche des capillaires et d’une couche cellulaire (astrocytes ou syncitiotrophoblaste). Enfin, comme dans le placenta, la présence de nombreux transporteurs d’efflux a été mis en évidence dans le cerveau, limitant ainsi le passage des médicaments substrats de ces transporteurs.

M. Gilles CREPIN

Le transfert actif est-il le même tout au long de la grossesse ou s’adapte-t-il aux compétences progressives du fœtus pour assurer son autonomie homeostasique ?

L’expression de certains transporteurs peut varier en cours de grossesse. L’expression de P-gp est plus importante en début de grossesse qu’à terme. L’expression de BCRP semble stable durant la grossesse, quelques études ayant aussi montré une augmentation en fin de grossesse.

M. Roger NORDMANN

Comme vous l’avez remarquablement exposé, un grand nombre de médicaments ont un passage transplacentaire passif ou actif, ce qui conduit à relativiser la notion de ‘‘ barrière ’’ fœto-placentaire. Je voudrais signaler qu’il en est malheureusement de même pour les substances psycho-actives les plus consommées. C’est ainsi que, du fait de ses propriétés physico-chimiques particulières, l’alcool traverse aisément cette ‘‘ barrière ’’ ; de plus, du fait de l’immaturité des enzymes du catabolisme de l’éthanol au niveau fœtal, sa concentration peut même s’y retrouver plus élevée que dans le sang maternel ! De même, en cas de consommation de cannabis au cours de la grossesse, le tétrahydrocannabinol a un passage transplacentaire aisé, en raison de sa liposolubilité. Ne pensez-vous pas que la connaissance des effets néfastes pour le fœtus de telles consommations sont souvent sous-estimées du fait de la croyance en une barrière fœto-placentaire efficace?

Il est certain que l’expression de « barrière » placentaire laisse penser que cet organe opère un effet protecteur vis-à-vis de toutes les substances auxquelles le fœtus peut être amené à être exposé, y compris celles que vous avez mentionnées qui sont effectivement pourvues de propriétés psychopharmacologiques certaines. Le fœtus possède d’ailleurs de récepteurs aux substances psychoactives de cette nature (comme les récepteurs aux cannabinoïdes).

M. Jean-Paul TILLEMENT

Existe-t-il des interactions d’ordre métabolique au niveau du placenta sachant qu’il possède un équipement enzymatique permettant les transformations de certains médicaments ?

Sait-on aujourd’hui comment et en quelles proportions sont transférées les nanoparticules ?

Le dispositif enzymatique du placenta est très pauvre comparé à celui du foie, et il est usuel de considérer qu’il joue un rôle tout à fait marginal dans le passage placentaire des médicaments. Néanmoins, certaines voies métaboliques présentes dans le placenta peuvent expliquer le transfert modéré de certaines substances (prednisone, buprénorphine, méthadone…).

M. Alain Abbas SAFAVIAN

En réalité, on peut considérer que tous les médicaments peuvent passer à travers la barrière fœto-placentaire (sauf quelques grosses molécules comme l’insuline ou l’héparine). Et vous venez de nous apprendre les découvertes récentes sur les passages actifs nécessitant transporteur et énergie. La question qui se pose donc au prescripteur est la prévention du risque tératogène et fœtotoxique de chaque médicament. Or, les essais thérapeutiques ne pouvant pas être réalisés chez la femme enceinte pour des raisons éthiques évidents, l’évaluation du risque se base sur les essais chez l’animal d’une part et l’analyse retrospective des données connues chez la femme d’autre part. Je suis étonné de vous entendre dire qu’un certain nombre d’essais cliniques ont été. effectués récemment ou sont en cours. Comment répondent-ils, ces chercheurs, aux considérations éthiques et aussi juridiques dans l’état actuel de la législation ?

Contrairement à une idée répandue, les essais cliniques chez la femme enceinte sont assez fréquents. La Cochrane Database a été constituée à son origine sur la collecte d’essais cliniques randomisés en cours de grossesse. Ces essais concernent des pathologies gravidiques (rupture prématurée des membranes, menace d’accouchement prématuré, hypertension artérielle gravidique, retard de croissance intra-utérin…) qui nécessitent par définition de travailler sur des groupes de femmes enceintes et incluent généralement des patientes au-delà du premier trimestre. Ces essais répondent aux critères éthiques et juridiques des pays dans lesquels ils ont été conduits. »

M. Pierre GODEAU

Vous avez signalé que la liaison des médicaments aux protéines plasmatiques était l’un des facteurs s’opposant à la diffusion passive transplacentaire des médicaments. Que se passet-il en cas d’hypoalbuminémie et d’hémodilution consécutive à l’augmentation de la masse sanguine en cours de l’évolution de la grossesse en particulier pour l’adaptation éventuelle des posologies ?

En théorie, l’hypoalbuminémie et l’hémodilution jouent des rôles opposés. La première augmente la fraction libre (donc active) des médicaments et la seconde diluerait cet effet.

Dans la pratique, ces deux paramètres ne conduisent pas à une modification a priori des posologies médicamenteuses en cours de grossesse. En revanche, des modifications du métabolisme hépatique maternel ont des répercussions beaucoup plus sensibles sur l’efficacité des traitements tout au long de la grossesse, nécessitant une surveillance de concentrations plasmatiques et une éventuelle adaptation des posologies.

M. Paul VERT

L’ensemble des prescripteurs sont concernés par le sujet du passage placentaire, car toute molécule sur le marché peut aboutir chez une femme enceinte. Les industriels reportent souvent la responsabilité d’accidents éventuels sur les prescripteurs. Cependant certaines données peuvent induire en erreur comme les supports tant maternel que fœtal qui dépendent des moments desprélèvements par rapport au moment de la prise médicamenteuse avec les cinétiques respectives de la mère et de l’enfant. Pourriez-vous aborder le problème du métabolisme des médicaments par l’organisme (le foie) fœtal et de l’élimination placentaire de leurs métabolites entre le fœtus et la circulation maternelle ?

Le foie embryonnaire dispose d’un équipement enzymatique très tôt (vers la cinquième semaine post-conception). Il s’agit essentiellement à ce terme de voies métaboliques d’activation des médicaments (oxydo-réduction…). En revanche, les dispositifs de désactivation ne sont présents que beaucoup plus tard dans la vie fœtale, voire après la naissance (on parle d’immaturité hépatique même chez des nouveau-nés à terme). La conjonction de ces deux phénomènes peut conduire à l’apparition de métabolites que le fœtus n’éliminera que lentement de son compartiment vers celui de sa mère, qui in fine épure son organisme et celui de son fœtus. Lors d’administrations médicamenteuses maternelles chroniques, ceci peut conduire à une accumulation de substances chez le fœtus, avec des concentrations fœtales ou néonatales parfois supérieures à celles de la mère.

M. Jean-Pierre NICOLAS

Qu’en est-il du passage transplacentaire des vitamines ? En particulier des folates et de la vitamine A ainsi que des acides rétinoïques qui jouent un rôle important dans la différenciation cellulaire ?

Les vitamines ont un mode de passage qui leur est propre. Pour l’acide folique, un transporteur d’influx placentaire des folates réduits a été mis en évidence au pôle basal du syncitiotrophoblaste. Il existe un récepteur des folates au niveau apical du syncytiotrophoblaste (FRα) permettant leur entrée du sang maternel vers le cytoplasme du syncytiotrophoblaste. Pour la vitamine A, transportée sur une protéine spécifique (RBP) dans le sang, elle pénètre dans le compartiment fœtal sans sa protéine transporteuse, peut-être dans des lipoprotéines, selon des modalités mal connues qui respectent les besoins fœtaux, même en cas d’apport maternel insuffisant ou de carence.

M. Jacques-Louis BINET

Les chimiothérapies sont-elles donc interdites chez la femme enceinte ? Qu’en est-il des corticoïdes et de la cyclosporine ?

D’une manière générale, les chimiothérapies sont vivement découragées au premier trimestre, mais leur administration est envisageable au-delà (en fonction de la nature des substances, leur posologie et l’état maternel). Les corticoïdes font partie de la pharmacopée utilisable quelle que soit leur voie d’administration en cours de grossesse. La ciclosporine peut être prescrite chez la femme enceinte, les données concernant cet immunosuppresseur étant suffisantes à ce jour pour le considérer utilisable quel que soit le terme.

 

<p>* Centre de Référence sur les Agents Tératogènes (CRAT). Hôpital Armand Trousseau, 26 avenue du Dr Arnold Netter. 75571 Paris Cedex 12, www.lecrat.org Tirés à part : Docteur Élisabeth Elefant, même adresse, et e-mail : elisabeth.elefant@trs.ap-hp.fr Article reçu et accepté le 24 avril 2009</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2009, 193, no 5, 1043-1057, séance du 12 mai 2009