Communication scientifique
Session of 25 octobre 2011

Le handicap neurologique après accident du trafic

MOTS-CLÉS : manifetations neurologiques. rééducation et réadaptation. traumatisme du rachis. vessie urinaire/traumatisesm
Neurologic disabilities after road traffic accidents
KEY-WORDS : neurologic manifestations. rehabilitation. spinal injuries. urinary bladder/injuries

Bernard Bussel

Summary

Car crashes lead to central nervous system damages inducing mainly either locomotor and bladder in case of spinal injury or cognitive impairment after brain injury. Recently the way of management of locomotor disability changes a lot due to economical, philosophical reasons and scientific progress. A better understanding of mechanisms of ladder dysfunctions after spinal lesions lead to introduce new therapeutics solution in these patients which significantly reduce mortality and morbidity. Cognitive impairments following traumatic brain injury are now better characterised and their management becomes more efficient. Les lésions traumatiques médullaire et cérébrale sont responsables de la plupart des handicaps neurologiques post traumatiques. Très curieusement ces lésions du système nerveux central sont responsables de handicaps très « opposés » essentiellement locomoteur et urinaire après lésion spinale et cognitif et comportemental après lésion cérébrale. Première constatation très heureuse, la diminution de l’incidence des traumatismes crâniens et médullaires et ceci dans tous les pays développés. Par exemple en France, l’incidence des ces traumatismes crâniens graves est passé de 24 /100 000 en 1986 à 17/100 000 en 1996 et 3/100 000 en 2007 (baisse intéressant les sujets de moins de 55 ans (AVP) Il en est de même pour les traumatismes rachidiens après accident sur la voie publique (registre du Rhône) avec cependant une augmentation des accidents chez les cyclistes et moto-cyclistes. Aussi le nombre des blessés médullaires ne semble pas se modifier significativement ces dernières années. C’est volontairement que je n’aborderais pas le développement de thérapeutiques nouvelles améliorant les possibilités de croissance neuronale, traitements que nous ne pouvons pas encore utiliser en pratique.

Le handicap locomoteur consécutif à une lésion spinale

Il est depuis toujours le prototype même du handicap. Cependant la prise en charge de ce handicap locomoteur ne s’est-elle pas profondément modifiée ces dernières années pour des motifs économiques ? Ou, peut-être, car le fauteuil roulant est mieux accepté dans notre société ? Le but essentiel, qui était autrefois la reprise d’une locomotion (avec cannes béquilles grands appareils de marche…), est devenu l’acquisition la plus rapide possible de l’autonomie. Aussi un apprentissage précoce du positionnement et de la conduite d’un fauteuil roulant est actuellement privilégié à de longues séances de rééducation de la locomotion.

Des travaux réalisés chez l’animal ont précisé les circuits spinaux responsables de la locomotion. Les animaux, hormis les primates, même spinalisés à l’âge adulte sont capables d’acquérir une locomotion ayant une certaine efficacité. C’est en travaillant sur des chats adultes spinalisés marchant sur un tapis roulant que des chercheurs canadiens [3] ont constaté qu’une mobilisation passive des pattes par les expérimentateurs au repos et pendant la séance de locomotion, en quelque sorte une rééducation de la motricité des membres inférieurs permettait la reprise d’une locomotion plus rapide chez ces animaux.

Ils ont alors réalisé un dispositif semblable pour rééduquer la locomotion chez l’homme. Le malade est en position érigée, soutenu par un harnais de parachutiste, des aides ou maintenant différents appareillages mobilisent les membres inférieurs de façon locomotrice, la plante des pieds sont en contact avec un tapis roulant. Ce type de rééducation est maintenant couramment employé et a fait l’objet de nombreuses publications de nombreuses d’appareils [4] de rééducation permettant de réduire le temps de travail des thérapeutes. L’effet de ce type de rééducation par support du poids du corps (BWS) a été évalué [5] précisément, ce qui est rare car difficile, concernant les méthodes de rééducation, chez deux groupes de 75 patients paraplégiques récents incomplets ayant à deux mois quelques possibilités de marche. Ces patients ont reçu exactement le même temps de rééducation locomotrice. Il faut reconnaître qu’à six mois, la vitesse de marche (premier critère d’efficacité) comparé à celle obtenue à trois mois avant rééducation, est semblable quelle que soit la technique de rééducation. Quoique la supériorité de l’effet thérapeutique ne soit pas clairement établie à ce jour, il apparaît néanmoins qu’il est plus facile (et donc plus efficace) de faire réaliser par le patient un long (30 à 45 min) entraînement à la marche en support du poids du corps que soutenu par son seul kinésithérapeute.

Différentes formes de stimulation électriques (tronc nerveux, ou épidurale) ont été utilisés. Parfois les résultats semblent remarquables aux expérimentateurs mais ne sont pas bien tolérés par les patients qui n’acceptent pas une activité locomotrice imposée. Et surtout ce type de marche requiert une attention soutenue pour garder l’équilibre. Or, la marche n’est véritablement fonctionnelle que si elle est « automatique » ce qui permet de se déplacer en discutant ou en faisant une autre tache.

Le handicap urinaire

La prise en charge du handicap urinaire des blessés médullaires est peut-être une des grandes avancées de l’activité médicale. En effet alors que l’on ne sait toujours pas comment traiter la lésion de la moelle, qui était autrefois constamment mortelle (dans l’année en 1918), avec une surmortalité rénale majeure, la durée de vie de ces patients est aujourd’hui (après la période aigue) presque similaire à celle du reste de la population.

Il faut avoir quelques notions de la physiologie et de la commande neurale du système vésico- sphinctérien qui assure deux fonctions ; évacuation volontaire, régulière et complète des urines et stockage à basse pression des urines pendant la phase de continence. C’est un réflexe, qui peut être volontairement contrôlé, qui assure la miction. La voie afférente du réflexe est constituée par des fibres sensibles à l’étirement (remplissage) de la vessie ; après relais médullaire, le message active directement un centre situé dans tronc cérébral qui lorsque les informations lui indiquent que la vessie est pleine, et si le sujet le désire, envoie à la moelle lombosacrée un double message associant activation des neurones moteurs du muscle vésical (détrusor) et inhibition de l’activité des sphincters. Cette « synergie « vésico sphinctérienne est évidement essentielle permettant la vidange complète de la vessie à basse pression.

En cas de lésion médullaire supra sacrée ce centre réflexe pontique ne peut être activé, se crée alors progressivement un néo centre médullaire sous lésionnel dans la moelle lombaire activé par des fibres de fin calibre sensibles aux processus inflammatoires de la vessie et entraînant une hyper activité du détrusor responsable de fuites. Cette hyperactivité du détrusor est d’autant plus délétère que la synergie vésico-sphinctérienne (inhibition des sphincters) n’est plus respectée entraînant à la fois une rétention d’urines par création d’un obstacle fonctionnel et un régime de haute pression pour lutter contre l’obstruction qui est le principal facteur de risque de dégradation rénale. On se trouve donc face à un tableau clinique qui associe incontinence urinaire par contraction non inhibée du détrusor et rétention chronique d’urines.

Le « gold standard » de la prise en charge de cette complication spécifique de la lésion médullaire est une association d’autosondage et traitement médicamenteux ou chirurgical de l’hyperactivité du détrusor. La miction complète et volontaire est ainsi assurée par le drainage régulier de la vessie par sondage et la continence ainsi que la maîtrise des facteurs de risques de dégradation des reins par le traitement de l’hyperactivité du détrusor.

Aujourd’hui l’auto sondage intermittent propre associé au traitement médicamenteux est la technique recommandée, elle a permis de faire baisser considérablement la mortalité due à des problèmes urinaires chez 43 % de ces patients, dans les années 40 50 à 10 % dans les année 80 90 et depuis baisse de moitié tous les dix ans. L’auto sondage propre est réalisé par le patient dans toutes les conditions de vie quotidienne cinq fois par jour. Les progrès technologiques des matériels de sondages ont considérablement amélioré la compliance au traitement. Par ailleurs les traitements médicamenteux ou chirurgicaux de l’hyperactivité vésicale se sont enrichis au fil des années par l’utilisation en particulier de la toxine botulique intra detrusorienne.

En cas d’impossibilité de réalisation des sondages chez par exemple les tétraplégiques hauts de nombreuses solutions ont été développées comme par exemple des endoprothèses urétrales pour le traitement de la dysynergie vésico-sphinctérienne chez l’homme tétraplégique ou des cystostomies continentes qui permettent aux femmes tétraplégiques un accès simplifié au sondage vésical. Tous ces progrès thérapeutiques ont considérablement réduit la mortalité liées aux complications rénales. Beaucoup reste à faire pour diminuer la morbidité en particulier infectieuse.

Le handicap cognitif post trauma crânien

Si l’incidence des traumatisés crâniens a considérablement diminué ces dernières années, il n’en reste pas moins que la prévalence reste importante, ainsi aux Etats Unis 2 % de la population vivrait avec des séquelles à long terme d’un traumatisme crânien.

Une échelle classique de handicap le Glasgow Outcome Scale graduéee 1 à 5 permet l’appréciation de l’importance du handicap.

Dès la sortie du coma, les patients ont habituellement une période de confusion désorientation dans le temps et l’espace et une amnésie rétrograde. Ces troubles régressent et les patients récupèrent progressivement. Il a été montré depuis longtemps que la durée de cette amnésie post traumatique était prédictive de l’état futur du patient.

 

Les déficiences neurologiques à plus long terme sont très variées. Epilepsie, troubles moteurs, sensitifs, syndrome cérébelleux, des anomalies des paires crâniennes avec en particulier des troubles de l’odorat sont très classiques.

Les déficiences cognitives sont de loin les plus fréquentes, elles sont responsables du « handicap invisible « des patients [6]. Les troubles de mémoire sont au premier plan, signalées par le patient et son entourage, leur importance est significativement corrélée avec les possibilités de retour au travail. Tous les types de mémoire peuvent être touchés (mémoire antérograde, mémoire de travail), associés à des troubles attentionnels, de concentration, lenteur cognitive, fatigabilité. Est aussi fréquent le syndrome dysexécutif avec perte de l’initiative, de l’organisation des stratégies, du jugement et surtout perte de la flexibilité mentale, dépendance à l’environnement et persévérations et stéréotypies.

Cela induit des modifications de la personnalité qui sont observées dans 50 à 70 % des traumatismes crâniens graves, avec désinhibition, impulsivité, intolérances aux contrariétés, agressivité ou au contraire inhibition, apragmatisme, manque d’initiative.

L’analyse des troubles cognitifs survenant après un coma traumatique est complexe, l’examen clinique « au lit du patient » est tout à fait insuffisant. Le bilan neuropsychologique est indispensable mais ne détecte et ne mesure pas toujours précisé- ment les déficits. Certains patients peuvent réaliser très bien des tests cognitifs usuels et ceci contrastant avec la présence de grandes difficultés dans la vie quotidienne. Ils ont souvent peu conscience de leurs troubles. Aussi des tests psychologiques plus spécifiques doivent être utilisés, effets d’une double tache [7], questionnaire à la famille et, si possible des mesures en situation écologique proche de la vie réelle dont les résultats [8] sont parfois surprenants.

Associés, à une analyse clinique parfois difficile, des troubles de ces patients les examens neuro-radiologiques sont parfois peu contributifs. Les lésions cérébrales post traumatiques sont diverses mais l’une d’entre elles, les lésions axonales diffuses est particulièrement fréquente 50 % des TC graves mais sont observées quelle que soit la gravité du traumatisme. Elles sont secondaires au cisaillement des axones à la jonction substance blanche, substance grise, par les forces d’accélération décélération induites par le traumatisme, et prédominent pour des raisons mécaniques dans les régions cérébrales antérieures (gradient rostro caudal). Ces lésions sont visibles à l’IRM, et mais non au CT scan. Elles interrompent essentiellement des axones reliant entre elles différentes régions cérébrales, ce qui explique la séméiologie clinique observée. Probablement dans les années à venir une analyse plus précise du trajet des fibres corticales [9] avec IRM de diffusion permettra de mieux authentifier ces lésions, en particulier lors de traumatismes minimes.

Il est indéniable que ces patients sont aujourd’hui mieux compris par leur famille, les médecins, les experts médicaux. De plus, des techniques sélectives permettent de réduire significativement les troubles et le handicap de ces patients aussi, il est admis actuellement [10] que la prise en charge rééducative réalisée par des équipes spécialisées est efficace. En témoigne le nombre plus important pouvant reprendre une activité professionnelle.

BIBLIOGRAPHIE [1] Javouhey E., Guerin A.C., Chiron M. — Incidence and risk factors of severe traumatic brain injury resulting from road accidents: A population-based study. Accident Analysis and Prevention , 38, (2006), 225-233.

[2] Lieutaud T., Ndiaye A., Laumon B., Chiron M. — Spinal cord injuries sustained in road crashes are not on the decrease in France:A study based on epidemiological trends. Neurotrauma . 2011 Sep 6.

[3] Rossignol S., Frigon A., Barrière G., Martinez M., Barthélemy D., Bouyer L., Bélanger M., Provencher J., Chau C., Brustein E., Barbeau H., Giroux N., Marcoux J., Langlet C., Alluin O. — Spinal plasticity in the recovery of locomotion. Prog. Brain Res., 2011, 188 , 229.

[4] Hesse S., Schmidt H., Werner C., Bardeleben A. — Upper and lower extremity robotic devices for rehabilitation and for studying motor control. Curr. Opin. Neurol ., 2003, Dec., 16(6), 705-10.

[5] Dobkin B., Apple D., Barbeau H., Basso M., Behrman A., Deforge D., Ditunno J., Dubley G., Elashoff R., Fugate L., Harkema S., Saulino M., Scott M. — Spinal Cord Injury Locomotor Trial Group Weight-supported treadmill vs over-ground training for walking after acute incomplete SCI. Neurology . 2006 Feb., 28 , 66(4), 484-93.

[6] Azouvi P., Vallat-Azouvi C., Belmont A. — Cognitive deficits after traumatic coma.

Progress in Brain Research , Vol. 177 89-111.

[7] Azouvi P., Couillet J., Leclercq M., Martin M., Asloun S., Rousseaux M. — (2004).

Divided attention and mental effort after severe traumatic brain injury. Neuropsychologia , 42, 1260-1268.

[8] Shallice T., Burgess P. — (1991). Deficits in strategy application following frontal lobe damage in man. Brain, 114 , 727-741.

[9] Sharp D.J., Ham T.E. — Investigating white matter injury after mild traumatic brain injury.

Current Opinion in Neurology, 2011, October 7.

[10] Cicerone K.D., Langenbahn D.M., Braden C., Malec J.F., Kalmar K., Fraas M., Felicetti T., Laatsch L., Harley J.P., Bergquist T., Azulay J., Cantor J., Ashman T. — Evidence-based cognitive rehabilitation: updated review of the literature from 2003 through 2008. 2011 Apr., 92(4), 519-30.

 

DISCUSSION

M. Jacques-Louis BINET

En dehors des traumatisms cérébraux les ‘‘ paraplégiques traumatiques ’’ sont-ils tous impuissants ? Chez ces mêmes patients, quels sont ceux qui peuvent retrouver un travail ?

 

Il existe en effet quelques cas de paraplégie avec impuissance , il s’agit de patients ayant soit des lésions de toutes les racines (syndrome de la queue de cheval), soit une destruction de la moelle sacrée mais ces cas sont relativement rares . Dans l’immense majorité des cas, c’est-à-dire lors d’une lésion de la moelle lombaire haute dorsale ou cervicale (tétraplé- gie) il n’y a pas d’impuissance. Indéniablement lorsque le sujet a une section complète de la moelle, il ne ressent pas de perception tactile ou proprioceptive au niveau du gland comme au niveau des membres inférieurs mais il garde des possibilités d’érection. Ces érections ne peuvent être déclenchées volontairement ou par des stimulations visuelles !

Mais elles sont obtenues soit, par attouchement local, soit par vibreur, il y a alors érection réflexe, (chez le sujet normal aussi, mais celui-ci a en plus, d’autres sources d’érection). Il y a aussi éjaculation, mais celle-ci n’est pas normale. Cela est attribué a un défaut d’activation d’un centre de l’éjaculation situé dans la moelle lombaire basse probablement dans les couches 10 ou 11. Comme il existe un centre bulbaire de la respiration, ou vraisemblablement un centre lombaire de la locomotion. Ce centre n’est plus activé par des fibres provenant du tronc cérébral et l’éjaculation est baveuse . Chez l’homme paraplégique, bien entendu la vue persiste et il y a des zones érogènes sus-lésionnelles et des possibilités d’érection éjaculation et des possibilités aussi d’avoir des enfants. Et la possibilité pour l’homme et la femme d’avoir du plaisir . Des traitements médicamenteux sont prescrits chez ces patients pour renforcer et maintenir des érections (Viagra…). Ce qui a remplacé des injections intra caverneuses. Néanmoins il faut reconnaître que les infections urinaires, l’existence d’orchi-épididimites peuvent poser des problèmes et amoindrir la qualité du sperme mais les hommes paraplégiques peuvent et ont des enfants, de même que les femmes paraplégiques peuvent conduire une grossesse à terme sans trop de problème.

Les reprises de travail sont courantes chez les patients paraplégiques. Mais il est certain que la reprise de travail va être beaucoup plus compliquée chez un couvreur de quarante ans paraplégique, que chez un jeune que l’on peut former à un poste adapté. Normalement, un homme jeune qui peut exercer une activité de bureau en partie sédentaire, aura des possibilités professionnelles importantes. Il faut aménager le poste de travail, avoir des locaux et des toilettes spécialement adaptées et des possibilités de déplacement en fauteuil roulant dans son lieu de travail. À priori les personnes ayant ou pouvant acquérir des compétences nécessaires peuvent exercer un travail sédentaire, reprennent un travail dans environ 75 %. Mais il est difficile de former à l’informatique un travailleur manuel de quarante ans !

 

<p>* Médecine physique et réadaptation, Hôpital Raymond Poincaré — 92380 Garches, e-mail : bernard.bussel@rpc.aphp.fr Tirés à part : Professeur Bernard Bussel, même adresse Article reçu le 20 octobre 2011, accepté le 24 octobre 2011</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2011, 195, no 7, 1717-1723, séance du 25 ctobre 2011