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Session of 18 mai 2004

Le Conseil de l’Europe et la Santé

MOTS-CLÉS : communauté économique européenne. législation médicale. santé publique.
The role of the Council of Europe in the field of Health
KEY-WORDS : european union. medical legislation. public health.

Maurice Maisonnet *

Résumé

Le Conseil de l’Europe, ses objectifs, sa structure, ses méthodes sont présentés. Il considère le domaine de la Santé comme primordial et a édicté de nombreuses Recommandations dans les secteurs les plus variés (Transfusion sanguine, Transplantation d’organes, Toxicomanies, etc…) Il œuvre aussi tout particulièrement pour le développement de la protection socio-sanitaire afin de combler les disparités entre les pays membres. Le choix, la mise en place des instruments de coordination des législations et les moyens de contrôle sont analysés ainsi que le rôle prédominant du Comité Européen de la Santé, essentiellement fondé sur une stratégie socio-sanitaire globale.

Summary

To understand the actions of the Council of Europe in the field of human health, it is necessary first to understand the founding ideals, that is to say the creation in 1949 of a European institution capable of anticipating and avoiding differences and conflicts between the member states, whatever their standard of living. For the creation of status objectives, the Council has an appropriate working structure ; the Committee of Ministers, the Parliamentary Assembly, non governmental organisations and the European Health Committee, which proposes, develops and oversees the effective application of health measures and social protection. Several hundred recommendations have thus been adopted by the Committee of Ministers. The first steps of this European Health Committee were in the areas of blood transfusion, immunohematology, transplantation and equal access to health services. The European Social Security Code and its Protocol, the Conventions on social and medical assistance, and many international agreements are effective treaties which bind Member States.

INTRODUCTION

L’idée fondatrice du Conseil de l’Europe est la création d’une Institution Européenne capable de prévenir les divergences entre tous les pays européens, quelque soit le niveau de vie de chacun d’eux. Dès sa création, le 9 Mai 1949, cette institution s’engage donc dans une démarche positive qui relève de quatre grands principes : Humanisme, Droits de l’Homme, Solidarité, Sécurité.

Elle se donne pour tâche d’harmoniser et favoriser l’essor politique, économique et social des États membres tout en évitant le grave écueil d’une uniformisation, celle-ci pouvant entraîner à terme la disparition de la richesse culturelle de ces pays. Enfin, elle se veut concrète dans ses actions. Compte tenu de ces principes, les fondateurs confèrent au Conseil de l’Europe, première Institution européenne en la matière, une compétence extrêmement large : tous les domaines sont de son ressort à l’exception de la Défense. Il n’est pas étonnant, dans ces conditions, qu’il ait largement abordé les problèmes socio-sanitaires.

Pour réaliser ces objectifs, il utilise deux voies d’approche, d’ailleurs complé- mentaires :

— la voie normative ;

— la voie positive.

En ce qui concerne la voie normative , il est bien entendu que le Conseil de l’Europe est une organisation de coopération entre les États membres. Ce n’est pas un organisme supranational et les textes votés par le Conseil ne sont pas automatiquement applicables dans les États. Pour se faire, ils doivent être signés par les gouvernements et ratifiés par les parlements nationaux, au travers d’Accords internationaux ou Conventions. Une seule exception à cette règle, la Convention Européenne des Droits de l’Homme dont les dispositions priment sur les lois nationales et que tout état membre se doit de respecter. En dehors de cette convention, les plus connues sont la Charte Sociale Européenne, la Convention Européenne des Droits de l’Homme et la Biomédecine avec son protocole additionnel interdisant le clonage d’êtres humains. Par ailleurs, c’est par l’intermédiaire de Recommandations ou Résolutions votées par le Comité des Ministres que le Conseil de l’Europe s’exprime auprès des états membres. Elles sont, le plus souvent, suivies d’effet mais si, elles tardent à s’appliquer, cela tient à la lenteur des gouvernements à les intégrer dans leur législation nationale. Les Recommandations du Conseil de l’Europe sont donc très différentes dans leur esprit, des « Directives Européennes » impératives, apanage de l’Union Européenne, organisme international ayant ses structures et un rôle spécifique dans 25 pays, mais différent de celui du Conseil de l’Europe comprenant 43 pays.

En ce qui concerne la voie positive , il n’a pas échappé au Conseil de l’Europe, que l’implication concrète des États membres nécessitait la prise en considé- ration de toutes leurs difficultés, en particulier économiques. Il intervient par une aide d’expertise, d’assistance auprès de ces pays pour les aider à respecter les engagements qu’ils ont souscrits ou voudraient contracter dans le cadre d’obligations normatives.

Structure de ce Conseil

Pour répondre à ses objectifs, le Conseil de l’Europe s’est constitué une structure de travail adéquate (Fig. 1).

Celle-ci présente la caractéristique d’être dirigée par un Comité des Ministres, réunissant les Ministres des Affaires Étrangères représentant le gouvernement en place de chaque État membre : c’est l’organe décisionnel du Conseil.

Celui-ci laisse d’ailleurs une très large initiative à l’Assemblée Parlementaire [2], assemblée délibérante composée de députés issus des Parlements nationaux des pays membres. C’est au travers des 14 Commissions de l’Assemblée parlementaire (parmi lesquelles se trouve la très active Commission des Affaires Sociales, de la Santé et de la Famille) que s’élaborent les propositions qui seront soumises ultérieurement au Comité des Ministres. Les textes ont pour but de faire évoluer, en harmonie, la coopération inter-étatique.

En outre, les Commissions formulent des avis très circonstanciés sur l’application des mesures normatives du Conseil de l’Europe ou sur l’impact politique de certains projets de Recommandation élaborés par les Comités techniques.

D’autre part, le Conseil de l’Europe sollicite certaines Organisations Internationales non Gouvernementales dont l’activité internationale, l’indépendance, ont été reconnues par lui et auxquelles il a conféré le Statut Consultatif. Ces Associations ont la possibilité d’envoyer directement au Conseil de l’Europe, des mémoires ou des contributions. Ainsi, par exemple, l’Association Internationale pour la Recherche en Hygiène Hospitalière fait partie depuis 1975 de ces Associations à Statut Consultatif qui collaborent intimement avec le Comité Européen de la Santé et l’Assemblée Parlementaire. De plus, le Comité des Ministres dans sa séance du 19 Novembre dernier, a décidé de lui octroyer le Statut Participatif du Conseil de l’Europe, ce qui lui permet en siégeant dans cette Institution, de mieux faire connaître et défendre les besoins hospitaliers.

 

FIG. 1. — Conseil de l’Europe Je n’aurai garde d’oublier les Conférences des Ministres spécialisés (Fig.2) qui aboutissent souvent à des projets pouvant faire l’objet d’une action concertée.

Le Conseil de l’Europe face à la Santé

D’emblée, la Santé a été considérée comme un domaine primordial, tout particulièrement dans son approche sociale, le développement de la protection socio-sanitaire étant essentiel pour deux grandes raisons :

— problèmes de Santé Publique et de Démographie (prévention des grandes épidémies, développement des mouvements migratoires en Europe, par exemple) — problèmes économiques (prévention de distorsions sur le marché du travail, concurrence déloyale, éthique, etc) l ’ Europe de conseil du le r ô et Pouvoir — .

2 .

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En pratique, le Conseil s’efforce constamment de combler les trop grandes disparités de protection socio-sanitaire des pays membres car les plus démunis risquent de se trouver exclus de toute coopération internationale. Cela étant impossible à réaliser en un bref délai, il a fallu codifier les mesures de protection sociale en vigueur dans les pays membres (voire en suggérer un minimum dans les pays pauvres) et mettre en place des instruments internationaux de coopération transfrontalière permettant la circulation acceptable des hommes et des produits relevant du domaine de la Santé.

Parmi les premiers domaines choisis se trouvaient la Transfusion Sanguine, l’Immunohématologie, la transplantation d’organes, l’Équité de l’accès aux soins de santé auxquels se sont ajoutés le Code Européen de Sécurité Sociale et son Protocole, la Convention Européenne d’Assistance Sociale et Médicale ainsi que les Accords intérimaires de Sécurité Sociale et leur protocole, tout ceci en attendant l’harmonisation la plus complète possible des législations.

La mise en place des instruments de coordination des législations en matière d’équité de traitement et des soins aux malades, représente le premier pas vers l’égalité dans le cadre de la Sécurité Sociale et de l’Assistance entre nationaux de tous les Etats membres. Toutefois, ces instruments de coordination n’inté- graient pas les problèmes de protection de la Famille du migrant restée dans le pays d’origine. Cette dernière question est définitivement réglée actuellement, pour les parties contractantes, par la Convention Européenne de Sécurité Sociale. Quant à l’Assistance Sociale et Médicale , il est à remarquer que la

Convention de 1953 est d’une très belle générosité entre les parties contractantes : elle dispose, en effet, que l’Assistance à laquelle la couverture se réfère, est celle prévue par les Lois et Règlements de chaque partie contractante et elle exclut le rapatriement d’un résident sur le territoire d’une autre partie contractante pour le seul motif que l’intéressé a besoin d’assistance.

Enfin, à l’heure où de nouvelles tendances protectionnistes tendent à resurgir, il est bon de rappeler que la Convention prévoit que les frais d’assistance aux indigents ou malades, sont supportés par chaque partie contractante sur le territoire de laquelle l’Assistance médicale et sociale est octroyée (sans grand souci, d’ailleurs, de définir à quel organisme national incombe la charge financière des prestations servies…) Les nombreuses actions du Conseil de l’Europe dans le domaine de la Santé découlent de ses objectifs statutaires. Cependant, pendant de longues années suivant sa création, le Conseil de l’Europe n’a pas ressenti le besoin de définir une réelle politique européenne de santé.

Cela tient pour une part au fait que les problèmes de santé européens étaient étudiés par une organisation spécialisée des Nations Unies, l’O.M.S. et plus particulièrement par l’Office Européen de Copenhague ; les États membres du Conseil de l’Europe dont le nombre s’est accru au fil des ans, (43 pays actuellement) ont peut-être senti intuitivement que la politique de santé préconisée à Copenhague, à savoir la mise en œuvre d’un système généralisé de soins de santé primaires ne correspondait plus guère à leurs préoccupations principales en la matière.

Dans le même temps, commençait à se développer l’intérêt du Conseil pour la prévention sous toutes ses formes dont les éléments seraient regroupés dans un vaste système unique socio-sanitaire.

Actuellement, le Comité Européen de la Santé constitué des représentants des

Ministères de la Santé des Etats membres, y occupe une place de choix pour les deux raisons principales suivantes :

— Tous les projets du Conseil de l’Europe en matière de santé doivent être soumis, à titre consultatif, au Comité Européen de la Santé avant leur présentation au Comité des Ministres.

— Ce Comité joue un rôle prédominant dans la définition et la mise en place des standards européens des soins de santé et, d’une façon plus générale, dans la coopération internationale, y compris dans les détails les plus concrets :

citons, par exemple, la standardisation de pratiques pour la classification, le conditionnement et la conservation de certains produits tel le sang et ses dérivés qui, sans cela, n’auraient pu franchir les frontières.

Parmi les très nombreuses Recommandations votées par le Comité des Ministres, un certain nombre sont mieux connues du fait de l’importance des sujets traités, par exemple :

— Les maladies sexuellement transmissibles, leur mode de transmission, la prévention, la thérapie.

— La protection des denrées alimentaires depuis leur préparation jusqu’à la distribution.

— Les toxicomanies — La prévention et la transmission possible du SIDA des donneurs contaminés aux receveurs de sang et de produits sanguins (R(83)8) etc…

On doit enfin au Conseil de l’Europe et plus particulièrement au Comité Européen de la Santé, d’avoir abandonné progressivement la notion de Santé Publique, au sens le plus restrictif du terme, pour l’élargir à la santé en général, permettant ainsi d’étudier tout ce qui la conditionne.

Le Conseil de l’Europe exerce-t-il un contrôle sur les normes sociosanitaires qu’il a édictées ?

Ce contrôle peut être prévu par les textes eux-mêmes qui exigent un minimum de prestations ou d’engagements des Etats : c’est le cas notamment du Code de Sécurité Sociale du Conseil de l’Europe ou de la Charte Sociale Européenne. Dans les autres cas, il peut s’exercer sous forme de recommandations supplémentaires du Conseil des Ministres adressées aux gouvernements concernés, ou encore par la saisine directe d’instances internationales telle que la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Cependant, la saisine directe et individuelle n’est possible qu’en cas de violation des Droits de l’Homme ; il serait souhaitable qu’elle s’étende à d’autres domaines. Par ailleurs, une avancée intéressante se dessine avec la mise en place d’une procédure de réclamation collective, ouverte aux organisations internationales non gouvernementales (bénéficiant du statut participatif du Conseil), donc à la Société Civile.

CONCLUSION

L’interdépendance socio-sanitaire européenne apparaît comme inévitable. Elle nécessite, par le surcroît d’activité qu’elle entraîne, une implication de plus en plus importante des professionnels de santé dans les institutions hospitalières, certes, mais aussi dans tous les secteurs médico-sociaux. Elle sera de moins en moins limitée par les frontières nationales [6]. On s’oriente donc vers un Droit reconnu aux Citoyens européens de choisir l’État où il voudrait recevoir des soins appropriés et une harmonisation claire s’avèrera très vite indispensable. A ce point de vue, le rôle du Conseil de l’Europe, dans ce domaine socio-sanitaire, ne cessera de croître, en particulier par l’application de la Convention Européenne des Droits de l’Homme et de la Charte Sociale Européenne : les Etats membres du Conseil de l’Europe sont tenus, en effet, de respecter la libre circulation des personnes, des biens et des services au travers des pays membres.

A cette action du Conseil de l’Europe, si importante et variée, l’Académie Nationale de Médecine s’est déjà associée à plusieurs reprises puisqu’elle a soutenu par des vœux divers, l’action du Conseil de l’Europe, notamment l’expérience des Hôpitaux-Pilotes, l’engagement de qualité lors des soins de santé. Il serait utile que ces relations privilégiées se poursuivent, l’Académie dont l’autorité est incontestée faisant ainsi bénéficier la construction européenne de ses avis et conseils fort écoutés : c’est, en conclusion, le souhait que je me permets de former.

BIBLIOGRAPHIE [1] CONSEIL DE L’EUROPE — L’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe — Council of Europe Publishing — 1998 [2] CONSEIL DE L’EUROPE — Faire face aux défis de Santé : le rôle des conférences des Ministres de la Santé dans les travaux du Conseil de l’Europe — Council of Europe Publishing —— 1998 [3] ACADÉMIE NATIONALE DE MÉDECINE — Vœu de l’Académie Nationale de Médecine concernant le rôle des Hôpitaux-Pilotes dans la lutte contre les Infections Nosocomiales — Bull. Acad.

Nat. Méd. 1991, 175, 461-462 [4] CONSEIL DE L’EUROPE — Recommandations No R(84)20 : La Prévention des Infections Hospitalières et exposé des motifs. Council of Europe Publishing — 1985 [5] COUNCIL OF EUROPE — European Social Charter — Protocol amending the European Social Charter — Additional Protocol to the European Social Charter providing for a system of collective complaints — Revised European Social Charter — European treaty series 1996, 35, 128, 142, 158, 163 — Council of Europe Publishing.

[6] CONSEIL DE L’EUROPE — L’établissement des premiers rapports nationaux sur l’application de la Charte Sociale Européenne (Actes) — 1999 — Droits de l’Homme, cahiers de la Charte Sociale No 10 — Council of Europe Publishing.

 

* Membre correspondant de l’Académie nationale de médecine Tirés-à-part : Professeur Maurice MAISONNET, 56, Avenue Joseph Giordan — 06200 Nice Article reçu le 22 décembre 2003, accepté le 1er mars 2004

 

Bull. Acad. Natle Méd., 2004, 188, no 5, 813-821, séance du 18 mai 2004