Communication scientifique
Session of 16 octobre 2007

Laparoscopie et cancer colorectal

MOTS-CLÉS : péritonéoscopie. tumeurs colorectales
Laparoscopy and colorectal cancer
KEY-WORDS : colorectal neoplasms. laparoscopy

Yves Panis

Résumé

La laparoscopie a démontré son bénéfice dans le traitement du cancer du côlon grâce à plusieurs études randomisées. Elle améliore le résultat postopératoire tout en donnant un résultat carcinologique équivalent à celui de la laparotomie. Dans le cancer du rectum, il manque encore d’autres études randomisées avant de valider la laparoscopie dans cette indication. En effet, les premiers résultats carcinologiques sont équivalents à ceux de la laparotomie, mais la complexité de l’intervention impose une expérience préalable importante des chirurgiens, soulignant l’importance de la formation dans la chirurgie laparoscopique.

Summary

Laparoscopy is associated with better postoperative outcome than laparotomy in the treatment of colon cancer, and similar oncologic results. Thus, laparoscopy is now a validated approach to colon cancer management. In contrast, more studies are needed before endorsing the use of laparoscopy to treat rectal carcinoma. The initial oncologic results are encouraging, but the procedure is complex and the learning curve is long.

La première cholecystectomie par voie laparoscopique a été réalisée un peu dans l’anonymat par le Docteur Muhe, en Allemagne, en 1986 [1]. Mais c’est en fait de France qu’a réellement démarré l’aventure de la chirurgie digestive laparoscopique après la première cholecystectomie faite en 1987. Grâce à une commmunication probablement plus efficace qu’Outre-Rhin, celle-ci a provoqué un engouement extraordinaire qui a conduit en seulement quelques années à une véritable explosion
des indications de la laparoscopie (ou coelioscopie) en chirurgie digestive. On peut dire, sans risque de se tromper, que toutes les interventions abdominales ont été faites un jour sous coelioscopie. Jusqu’à récemment, on aurait pu rajouter « à l’exclusion de la transplantation hépatique ». Ce n’est même plus le cas aujourd’hui, puisqu’une équipe française a récemment rapporté une expérience de prélèvement de foie sur donneur vivant par laparoscopie [2] !

Bien évidemment, après le temps de l’enthousiasme est venu celui des interrogations et des doutes. La plus mauvaise nouvelle est venu de l’équipe de Wexner qui a rapporté en 1995 un taux, jugé à raison comme rédhibitoire, de 5,1 % de récidive tumorale le long des trajets de trocarts après colectomie laparoscopique pour cancer [3]. La condamnation initiale de l’abord coelioscopique en cas de colectomie pour cancer pouvait-elle à terme condamner toute la chirurgie digestive coelioscopique et tout particulièrement la chirurgie du cancer colorectal ? La réponse, est en 2007, clairement non.

En effet, la chirurgie colorectale a longtemps eu une place à part dans la chirurgie laparoscopique. Tout le monde reconnaît qu’il s’agit d’une chirurgie difficile, comprenant différents temps opératoires (dissections étendues, ligatures vasculaires, résection intestinale, anastomoses) qui nécessite probablement une bonne expé- rience à la fois en chirurgie colorectale et en chirurgie laparoscopique. C’est la raison pour laquelle les premiers cas de colectomies coelioscopiques datent seulement de 1991. Depuis cette date, les publications se sont multipliées sur le sujet, et plusieurs études randomisées et une méta-analyse [4] ont clairement démontré qu’en chirurgie colorectale, la laparoscopie apporte un bénéfice significatif en terme de résultat postopératoire (réduction des douleurs et de la morbidité postopératoire, raccourcissement de la durée d‘hospitalisation, etc.). Mais dans chirurgie du cancer colorectal, l’objectif principal à atteindre est l’obtention d’un résultat carcinologique au moins équivalent à celui obtenu par chirurgie conventionnelle.

Dans ce cadre là, seuls les études randomisées permettent de répondre à la question. Par chance, la chirurgie du cancer colorectal a fait l’objet à ce jour de cinq études randomisées comparant l’approche laparoscopique à la chirurgie traditionnelle.

Les résultats de ces cinq études sont sans appel en ce qui concerne le cancer du côlon.

En effet, si dans toutes les études, est confirmé le bénéfice postopératoire, le résultat carcinologique (survie à cinq ans) était meilleure qu’après laparotomie dans la première étude [5], ce qui était un peu surprenant, mais surtout était strictement équivalent dans les autres études. Ainsi, dans l’étude américaine COST organisé par le NIH [6], et qui a inclus plus de huit-cents patients, tout d’abord les récidives tumorales dans les trocarts n’étaient observées que dans moins de 1 % des cas, avec un taux équivalent de récidive tumorale dans la cicatrice ou dans les trajets de drainage après laparotomie (p=0,50). Mais surtout, après un suivi médian de 4,4 ans, les taux de récidive locale et à distance et les survies globales et sans récidive étaient strictement équivalents après laparoscopie et laparotomie. Cette étude a
permis de valider l’approche laparoscopique dans la chirurgie du cancer du côlon aux États-Unis.

Depuis, d’autres études ont confirmé la faisabilité et les bons résultats carcinologiques à moyen terme, tant dans le cancer du rectosigmoïde (c’est-à-dire le cancer du haut rectum et le cancer du sigmoïde [7], que dans celui à nouveau du cancer du côlon, excluant à nouveau les cancers du rectum et notamment ceux du bas et du moyen rectum [8].

On peut donc dire aujourd’hui, comme cela a été confirmé par plusieurs sociétés savantes que la laparoscopie est définitivement validée dans la prise en charge du cancer du côlon (et du haut rectum). Néanmoins, dans l’ensemble des recommandations publiées, les auteurs insistent sur la nécessité d’une formation préalable en chirurgie digestive laparoscopique, avec la réalisation d’un nombre minimum de colectomies laparoscopiques pour lésions bénignes d’environ trente, avant de se « lancer » dans la chirurgie du cancer du côlon.

Reste le problème du cancer du rectum, et donc surtout celui du cancer du bas et du moyen rectum, pour lequel il est nécessaire de réaliser un exérèse totale du mésorectum. À ce jour, une seule étude randomisée a inclus des patients opérés de cancer du bas et du moyen rectum. Il s’agit du CLASICC Trial anglais [9]. Dans cette étude ayant inclus 253 cancers du rectum opérés par laparoscopie (contre 128 par laparotomie), initialement, seuls les résultats opératoires et anatomopathologiques avaient été données. Et il est clair qu’ils n’étaient pas très bons. En effet, on observait dans cette étude un taux de conversion en laparotomie de 34 %, ce qui est beaucoup plus élevé que le taux observé dans les centres experts, suggérant d’ailleurs une expérience peut être insuffisante des opérateurs. Si la morbidité postopératoire était équivalente entre laparotomie (50 %) et laparoscopie « réussie » (44 %), celle-ci devenait rédhibitoire (93 % des patients !) en cas de conversion en laparotomie. De même la mortalité opératoire était de 4 % en laparotomie contre 1 % en laparoscopie, mais grimpait à 9 % en cas de conversion. On aurait envie de dire avec cette étude que la laparoscopie dans le cancer du rectum, c’est bien…si on ne convertit pas, remettant sur le tapis le problème essentiel de l’expérience du chirurgien. Très récemment a été publié les résultats carcinologiques à trois ans de la même étude, qui sont eux beaucoup plus encourageants. En effet, tant le taux de récidive locale, que la survie globale et la survie sans récidive à trois ans étaient strictement identiques entre laparotomie et laparoscopie [10]. Il s’agit de la première étude randomisée apportant des résultats carcinologiques dans le cancer du rectum, et probablement un premier pas vers la validation de la laparoscopie dans cette indication. Mais d’autres études et un plus long suivi sont encore nécessaires avant de généraliser cette technique qui nécessitent un apprentissage encore plus long que pour le cancer du côlon.

En conclusion, la laparoscopie prend aujourd’hui une place de plus en plus importante dans le traitement chirurgical du cancer colorectal. Avec de très bons niveaux de preuve, et ce grâce à plusieurs études randomisées dont les résultats sont tous concordants, l’approche laparoscopique est clairement validée dans le cancer du
côlon. En effet, parallélement aux bénéfices postopératoires significatifs observés grâce à la laparoscopie, elle permet d’obtenir un résultat carcinologique équivalent à celui de la laparotomie. Dans le cancer du rectum, ils manquent encore d’études randomisées et de résultats carcinologiques à plus long terme pour la valider. Mais déjà une première étude de qualité suggère que le résultat carcinologique à trois ans est équivalent à celui de la laparotomie. Mais la complexité du geste à réaliser dans le cancer du rectum (exérèse totale du mésorectum) souligne qu’une expérience importante est indispensable dans cette chirurgie qui reste encore aujourd’hui réservée à quelques centres experts. Afin de réduire la courbe d’apprentissage, la laparoscopie doit bénéficier aujourd’hui, surtout pour les plus jeunes chirurgiens, non seulement de la formation initiale et continue, mais aussi des modèles animaux, et très bientôt des simulateurs qui commencent à arriver sur le marché.

BIBLIOGRAPHIE [1] MUHE E. — Laparoskopische Cholezystekomie-Spatergebnisse. Langenbecks.

Arch. Chir ., 1991, Suppl. 416.

[2] SOUBRANE O., CHERQUI D., SCATON O. et al. — Laparoscopic left lateral sectionectomy in living donors : safety and reproductibility of the technique in a single center.

Ann. Surg., 2006, 244 , 815-820.

[3] WEXNER S.D., COHEN S.M. — Port site metastases after laparoscopic colorectal surgery for cure of malignancy. Br. J. Surg., 1995, 82 , 295-298.

[4] ABRAHAM N.S., YOUNG J.M., SOLOMON M.J. — Meta-analysis of short term outcomes after laparoscopic resection of colorectal cancer . Br. J. Surg., 2004, 91 , 1111-1124.

[5] LACY A.M., GARCIA-VALDECASAS J.C., DELGADO S. et al . — Laparoscoy-assisted colectomy versus open colectomy for treatment of non-metastatic colon cancer : a randomised trial.

Lancet, 2002, 359 , 2224-2229.

[6] The Clinical Outcomes of Surgical Therapy Group (COST). A comparison of laparoscopically assisted and open colectomy for cancer. New Engl. J. Med., 2004, 350 , 2050-2059.

[7] LEUNG K.L., KWOK S.P., LAM S.C. et al. — Laparoscopic resection of rectosigmoid carcinoma : prospective randomised trial.

Lancet, 2004, 363 , 1187-1192.

[8] The COLOR group. Laparoscopic surgery versus open surgery for colon cancer : short-term outcomes of a randomised trial. Lancet Oncol., 2005, 6 , 477-484.

[9] GUILLOU P.J., QUIRKE P., THORPE H. et al . — Short-term endpoints of convetional versus laparoscopic assisted surgery in patients with colorectal cancer (MRC CLASICC trial) :

multicentre, randomised controlled trial. Lancet, 2005, 365 , 1718-1726.

[10] JAYNE D.G., GUILLOU P.J., THORPE H. et al . — Randomized trial of laparoscopic-assisted resection of colorectal carcinoma : 3-year results of the UK MRC CLASICC trial group.

J.

Clin. Oncol., 2007, 25 , 3061-3068.

DISCUSSION

M. Patrice QUENEAU

Vous avez souligné à juste titre le biais méthodologique qui résulte des niveaux de compé- tence différents de certains chirurgiens ‘‘ expérimentateurs ’’, certains étant plus experts avec telle technique, chirurgie ou coelioscopie. Il me semble donc que le tirage au sort aura ainsi pu induire des pertes de chance pour les malades opérés par des chirurgiens moins habiles. Dès lors, ne pensez-vous pas que cela pose une question éthique ? En corollaire, ne pensez-vous pas que l’obsession du grand nombre de malades conduit à inclure des équipes trop hétérogènes comptant des chirurgiens de compétence trop différente pour la chirurgie et la coelioscopie ? Avec deux conséquences : un biais induit par le nombre important de ‘‘ reconversions compliquées vers la chirurgie ’’ pour des raisons de moindre habileté de coelioscopiste. Vous l’avez évoqué. Mais également une question éthique liée au risque de perte de chance pour certains malades ‘‘ pénalisés ’’ par des reconversions compliquées.

En fait, s’il est vrai que certains essais randomisées peuvent être critiquables pour le problème que vous évoquez, il semble que notamment pour l’essai américain COST, qui a permis la validation de la coelioscopie dans le cancer du côlon, l’ensemble des chirurgiens avait été au préalable évalué (avec visualisation de cassette vidéos et un minimum requis de trente colectomies laparoscopiques pour lésions bénignes pour participer au protocole). De plus, expert ou pas expert, l’ensemble des essais va dans le même sens. Maintenant, si vous abordez le problème éthique des essais contrôlés, en soulignant le fait que tous les chirurgiens n’ont pas la même expérience, avec donc la possibilité de « perte de chance » pour le patient, on pourrait répondre que c’est exactement le même problème, et à une échelle beaucoup plus grande dans la « vraie vie » : en effet, pensez-vous qu’en France, tous les chirurgiens qui font une colectomie laparoscopique ont la même expérience ? La réponse est évidemment non.

M. Pierre-AMBROISE-THOMAS

La chirurgie coelioscopique permet-elle éventuellement une économie ? Dans quelles limites ? Dans quelles indications ? Par ailleurs, quelle part peut être dévolue à des collaborateurs non médecins ? Avec quelles limites et quelles précautions ?

Sur un plan strictement économique, des études, essentiellement américaines, ont montré que le coût total de la procédure (incluant non seulement le matériel, mais aussi la durée d’hospitalisation) était en faveur de la laparoscopie. En effet, si le coût direct (matériel, bloc opératoire) est en défaveur de laparoscopie, la réduction significative de la durée d’hospitalisation compense largement ce surcoût. Ces données sont retrouvées dans toutes les interventions coelioscopiques les plus courantes. La participation de collaborateurs non médecins paraît difficile à envisager étant donné que les gestes coelioscopiques (déjà difficiles pour certains chirurgiens !) demandent un apprentissage très important, et ne sont pas des gestes simples, standardisés, et reproductibles à 100 %. Ainsi, on peut comprendre qu’on puisse faire une simple fibroscopie gastrique à visée diagnostique par un non médecin (comme au Japon), cela paraît nettement moins envisageable pour une intervention chirurgicale.


* Service de Chirurgie Colorectale — Pôle des Maladies de l’Appareil Digestif « PMAD » Hôpital Beaujon — 100 bd. du Gal Leclerc, 92118, Clichy cedex. Tirés-à-part : Professeur Yves PANIS, même adresse. Article reçu le 10 septembre 2007, accepté le 1er octobre 2007.

Bull. Acad. Natle Méd., 2007, 191, no 7, 1375-1379, séance du 16 octobre 2007