Communication scientifique
Session of 9 octobre 2001

L’accès des pays en développement aux médicaments essentiels : une démarche d’équité

MOTS-CLÉS : coût médicament. industrie pharmaceutique, législation et jurisprudence.. médicaments essentiels. pays en développement. produits génériques, économie
The access of developing countries to essential drugs : A process of equity
KEY-WORDS : developing countries. drug cost. drug industry, legislation and jurisprudence.. drugs, essential. drugs, generic, economy

M-D. Campion

Résumé

Dans le contexte de la lutte contre la pauvreté, l’accès des pays en développement aux médicaments essentiels mobilise la communauté internationale. Il conduit à envisager des politiques nouvelles et complexes. Si le don ou la vente à tarif préférentiel par les industriels fabricants est étudié, la fabrication de médicaments génériques, voire de médicaments sous brevet via des licences volontaires ou obligatoires, est évoquée. A plus long terme, il s’agit de la mise en place de politiques nationales de santé et d’industrialisation dans les États destinataires qui sont en jeu. Ces nouvelles orientations ne sont pas sans conséquence sur le marché mondial du médicament.

Summary

In the context of the fight against poverty, the access of developing countries to essential drugs mobilizes the international community. It leads to envisage new and intricates politics. If donations or tiered prices are studied, the manufacturing of generics and even of patented drugs through voluntary or compulsory licensing is evoked. At a longer terms, it’s the setting of health national politics and industrialisation which are concerned. These new orientations are not without consequence on the global drug market .

L’accès des pays en développement aux médicaments essentiels : une démarche d’équité

The access of developing countries to essential drugs :

A process of equity

Marie-Danièle CAMPION *

« Trop de gens -et notamment les pauvres et les plus démunis- n’ont toujours pas accès aux médicaments, ni les moyens financiers de se les procurer….. Notre but doit être d’assurer l’équité d’accès aux médicaments essentiels, l’utilisation rationnelle et la qualité » [1].

Dr Gro Harlem Bruntland

* Membre de l’Académie Nationale de Pharmacie

Professeur à l’Université Droit et Santé de Lille II, Faculté des Sciences pharmaceutiques et biologiques, 3 rue du professeur Laguesse, BP 83 — 59006 Lille cedex.

Tirés-à-part : Professeur Marie-Danièle CAMPION, à l’adresse ci-dessus.

Article reçu le 16 février 2001, accepté le 12 mars 2001.

UNE PRISE DE CONSCIENCE INTERNATIONALE : UN DÉTERMINISME AFFICHÉ

Le droit international a profondément évolué en quelques années ; est ainsi affirmé le principe d’un partage des fruits du progrès réalisé, comme en témoigne notamment l’article 19 de la Déclaration universelle sur le génome humain et les droits de l’Homme [2] : « Les États devraient chercher à s’assurer que les pays en développement puissent bénéficier des avancées de la recherche scientifique et technologique de façon à favoriser le progrès économique et social au profit de tous ». Grâce aux travaux patients de la communauté internationale, notamment des organisations non gouvernementales (ONG) et de cercles de réflexion [3], transparaît une approche renouvelée des notions de solidarité et d’équité au sein d’une même société ou des sociétés [4]. Dans le domaine de la santé, cette évolution est sensible à travers des déclarations politiques et des actions sur le terrain. L’inégalité d’accès des citoyens européens aux médicaments est ainsi dénoncée [5] par les institutions européennes.

L’éthique médicale même appelle, selon certains auteurs, d’autres formes de solidarité, une revendication de justice » [6].

La pandémie de SIDA qui touche de nombreux pays parmi les plus pauvres, a suscité une prise de conscience internationale très aiguë. Des politiques vigoureuses adaptées à l’ampleur du fléau sont suscitées ; celles-ci pourraient servir de sources d’inspiration pour d’autres pathologies dans des zones géographiques variées et modifier la relation de l’Homme et de la société vis-à-vis de la Santé.

• Le VIH/SIDA tue chaque année plus de 2 millions de personnes sur le seul continent africain, faisant plus de dix fois plus de victimes que les guerres et conflits armés.

• En 1999, on estimait à 33,6 millions le nombre de personnes ayant contracté le VIH/SIDA. La maladie a provoqué la mort de plus de 16 millions de personnes depuis le déclenchement de l’épidémie.

• Quatre-vingt-dix-sept pour cent des contaminations sont enregistrées dans les pays en développement, dont les deux tiers en Afrique subsaharienne, où la prévalence du VIH a atteint 30 % de la population adulte dans 7 pays [7].

Les initiatives, sous l’égide des institutions internationales et agences multilatérales, sont nombreuses. On peut citer de manière non exhaustive : l’Organisation des Nations Unies (ONU) et ses institutions spécialisées comme ONUSIDA ou l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) [8], la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED) [9], le G8 [10], la Banque Mondiale, l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) et le Dialogue transatlantique [11].

La conférence de Durban, en juillet 2000 [12], cristallise cette obligation d’agir. Dès 1997, la place de la France est majeure dans cette démarche à travers les propos du Président de la République lors de la conférence internationale sur le SIDA à Abidjan, à travers la notion d’ingérence thérapeutique utilisée par le ministre chargé de la santé et la création du Fonds de Solidarité Thérapeutique dont bénéficient déjà plusieurs pays [13].

L’Union européenne s’est affichée très fortement sur ce dossier. Elle a ainsi adopté avec les États-Unis, le 31 mai 2000 à Quéluz, une déclaration conjointe sur l’intensification de la lutte contre le VIH/SIDA, le paludisme et la tuberculose en Afrique.

Une stratégie globale est dès lors dessinée, comportant le développement de partenariats internationaux, la sensibilisation des responsables politiques et des opinions publiques, la recherche de nouveaux médicaments et l’accès aux traitements et vaccins. Cet accès aux soins est partie intégrante d’une stratégie globale de lutte contre les maladies transmissibles liées à la pauvreté et au développement. Il est indissociable d’autres problématiques : la détermination des protocoles de traitement, la qualité des médicaments face aux risques de contrefaçon, le prix des thérapeutiques vendues aux malades, la continuité du contrôle de la chaîne de dispense des médicaments et le suivi des patients [14].

Face à ce défi de grande ampleur, trois aspects proprement pharmaceutiques peuvent conduire à des changements profonds de la perception du médicament, bien industriel et sanitaire. Il s’agit des encouragements aux dons ou à la vente à prix préférentiels, de la réflexion renouvelée sur les droits de propriété intellectuelle et enfin de la mise en place de politiques nationales pour ce secteur sanitaire.

L’ACCESSIBILITÉ EN TERMES FINANCIERS

Le don et la tarification préférentielle

Le don est pratiqué depuis longtemps par l’industrie pharmaceutique. Il représente plusieurs milliards [15] de dollars par an. Il intervient souvent au cours de programmes d’assistance humanitaire, souvent par l’intermédiaire d’organisations expérimentées, selon les besoins des professionnels de santé des pays bénéficiaires. Il répond à des demandes spécifiques et prend en compte une démarche sanitaire pouvant intégrer la politique de l’entreprise [16]. Le don, si généreux et utile soit-il, atteint rapidement ses limites. En tout état de cause, il ne peut constituer la solution pour assurer la disponibilité des médicaments dans les pays du tiers monde [17], en particulier celle des médicaments destinés à lutter contre le VIH.

La pratique de prix élevés des médicaments sous brevet dans les pays développés est justifiée par l’industrie afin d’amortir les frais fixes, financer la recherche et assurer la rémunération des actionnaires. Une valeur perçue élevée dans les pays développés conduisant à des prix consentis non négligeables, n’est pas incompatible avec une tarification au coût marginal dans les pays en développement. La marge brute des produits pharmaceutiques peut en effet être estimée à 85 %, ce qui est confirmé par les prix des médicaments génériques qui peuvent atteindre 40 % seulement du prix du produit de référence. De plus, une double tarification pourrait même être considérée comme un critère éthique auquel pourrait être sensible un actionnariat en quête de justification morale.

Le récent engagement, en mai 2000, des principaux laboratoires d’antirétroviraux de baisser leurs prix dans le contexte des négociations au sein d’un groupe de contact associant ces laboratoires et les Nations Unies (ONUSIDA, UNICEF, OMS) [18] a lancé une nouvelle dynamique, même si le démarrage est assez lent [19], notamment du fait de la nécessité de mettre en place les infrastructures et les circuits de distribution et de suivi. Dans leur principe même, ces initiatives ne sont pas exemptes de critiques dans la mesure où elles retarderaient ou limiteraient le recours aux génériques ou à la production locale [20]. Elles sont néanmoins très clairement encouragées dans les conclusions du sommet États-Unis / Union européenne de décembre dernier [21]. Ces nouveaux mécanismes susciteront manifestement des espoirs qui ne devront pas être déçus.

Le champ et les limites du don et de la tarification préférentielle

Il faudra, en effet, pouvoir déterminer le champ des pays bénéficiaires en fonction de critères compréhensibles sur la scène internationale : produit intérieur brut, prévalence de la maladie, infrastructure sanitaire, politique nationale de santé publique, engagement de respecter des règles de non-réexportation…. Des pressions risquent d’être exercées sur les industriels et les gouvernements pour étendre les bénéficiaires et le champ d’intervention du dispositif. Naturellement viennent immédiatement à l’esprit les traitements contre les grands fléaux (SIDA, malaria, tuberculose) mais aussi très rapidement les médicaments essentiels. Si près de 90 pays ont mis en place ou élaboré des politiques pharmaceutiques nationales, un tiers de la population mondiale n’a toujours pas accès, ni aux médicaments essentiels, ni aux prestations de soins de santé primaire [22]. Comment ne pas élargir le champ de l’accès aux soins ?

Avec l’émergence du concept de tarif préférentiel, la crainte légitime des industriels est le renforcement d’une pression généralisée à la baisse des prix, comme elle voit déjà le jour dans des pays industrialisés. Un engagement de non-renégociation des prix pratiqués dans les pays développés au vu de ces prix préférentiels pourrait encourager les industriels à persévérer dans cette voie. Se pose néanmoins la question des pays en voie d’industrialisation ou de PIB médians. L’élargissement de l’Union européenne à des pays dont le PIB correspond au quart de la moyenne de
celui des États actuellement membres, conduira inéluctablement à évoquer le problème d’un équitable accès aux soins au sein de notre future communauté agrandie.

Au-delà d’une réflexion sur-le-champ des médicaments à tarification préférentielle, une plus grande transparence dans le mécanisme de formation des prix est souhaitée par l’ensemble des acteurs. Celle-ci porte à la fois sur le prix fabricant et sur le prix public en raison des politiques nationales, sur les réglementations notamment tarifaires, voire les pratiques de certains gouvernements, la notion de corruption n’étant pas absente du débat selon certains auteurs [23]. Pour favoriser le développement d’un marché du médicament dans ces pays, M. Pascal Lamy, commissaire européen, a annoncé son intention de faire aboutir une initiative d’exemption de droits et de quotas pour les pays les moins avancés (PMA). La disparition de la clause de non-discrimination à l’intérieur du groupe ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique) devrait permettre à la Communauté de commencer un exercice de libéralisation totale de l’accès au marché en faveur des pays les plus pauvres de la planète [24]. Si ce sujet est complexe, il ne doit pas masquer le difficile équilibre à trouver entre droits de propriété intellectuelle stimulateurs de la recherche et légitime demande d’accès aux traitements. Sur ce point, les pays les moins avancés (PMA), comme l’a souligné M. Pascal Lamy [25], disposent d’une période de transition leur permettant d’appliquer les accords internationaux sur la propriété intellectuelle à partir de 2006, au mieux. De plus, ils pourront, par la suite, obtenir une prorogation de ce report du fait de leurs impératifs sociaux, de leurs contraintes économiques, techniques et administratives. L’intérêt de ces dispositions est souligné dans un accord conjoint entre l’Organisation Mondiale de la Santé et les représentants de l’industrie pharmaceutique [26].

QUELLES ATTEINTES ET QUELLES LIMITES AUX DROITS DE PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE ?

Le brevet est un titre de propriété industrielle permettant de protéger les inventions.

Il donne à son titulaire un droit exclusif et temporaire d’exploitation pour toute invention, implique une activité et est susceptible d’application industrielle. Le brevet est limité territorialement au territoire de l’État pour lequel il a été concédé.

Il confère un monopole de vingt ans à son détenteur à compter de la date de dépôt de la demande [27].

L’Accord de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) dit « Accord de Marrakech », signé en 1994 et entré en vigueur le 1er janvier 1995, se décline en plusieurs traités. L’un d’entre eux, l’accord sur les Aspects des Doits de Propriété Intellectuelle (ADPIC), devenu exécutoire au 1er janvier 1996 à l’égard des pays développés, établit des normes internationales minimales pour la plupart des droits de propriété intellectuelle et industrielle. La section 5 de l’Accord consacre huit articles spécifiques au régime juridique des brevets. Cet accord établit des normes fondamentales de protection minimale qui doivent figurer dans la législation de
chaque pays. Il précise les procédures juridiques et les mesures correctives auxquelles les détenteurs de droit doivent avoir accès dans le cadre des procédures judiciaires et/ou administratives [28].

L’article 28 de l’Accord ADPIC précise que « le brevet confère à son titulaire le droit exclusif d’empêcher des tiers, agissant sans son consentement, d’accomplir les actes ci-après : fabriquer, utiliser, offrir à la vente, vendre ou importer à ces fins ce produit ». Le titulaire du brevet a aussi le droit de céder le brevet et de conclure des contrats de licence. Un sujet très délicat est celui de la fabrication, dans des États ayant introduit récemment des législations sur la propriété industrielle, par des laboratoires publics ou privés, de copies de produits protégés par des brevets sur les marchés internationaux, la fabrication pouvant être réalisée à l’intention de plusieurs marchés non solvables [29]. Au-delà de l’analyse juridique et des contentieux envisageables, le débat est celui de l’approvisionnement en médicaments avec ou sans l’accord des industriels innovateurs.

Le champ des licences obligatoires : vers une plus grande flexibilité ?

Le système international des brevets prévoit à côté du système de licences de droit qui a la préférence de la Communauté internationale, l’octroi de licences obligatoires sans le consentement du titulaire des droits de propriété intellectuelle pour divers motifs d’intérêt général, en particulier de santé publique. L’article 31 de l’accord ADPIC décline longuement et précisément les conditions relatives à l’octroi de licences obligatoires, que l’on peut résumer sous les différentes obligations suivantes :

• la demande de licence obligatoire doit « être fondée sur des circonstances propres » ;

• de plus, une licence volontaire doit avoir été préalablement demandée selon « des modalités commerciales raisonnables » sachant que l’étendue et la durée de la licence obligatoire doivent être limitées par le but poursuivi. La licence obligatoire est non exclusive et non cessible ;

• elle doit servir à répondre « principalement » à « l’approvisionnement du marché intérieur du membre qui a autorisé cette utilisation » ;

• le breveté doit recevoir une rémunération proportionnée avec la valeur économique de l’autorisation.

Les conditions d’interprétations de l’article 31 sont strictes et restrictives puisqu’elles sont dérogatoires du droit commun fixé à l’article 28 de l’Accord.

Cependant, les institutions internationales et régionales sont nombreuses à requérir une certaine souplesse d’application. Ainsi, la Communauté européenne admet, pour les pays en développement, « d’utiliser la flexibilité prévue par les accords ADPIC pour obtenir des licences obligatoires pour résoudre les problèmes de santé publique ou faire face à des situations de crise. Ce faisant, la Communauté veillera à ce que les droits des titulaires de brevet soient respectés » [30]. Poursuivant le
même type de démarche, l’OMS associe politique de protection de la propriété intellectuelle et politiques sanitaires. En mai 1999, l’Assemblée Mondiale de la Santé [31] a adopté, à l’unanimité, une résolution relative à la stratégie révisée relative aux médicaments qui reconnaît l’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle relatifs au commerce et qui a notamment pour but la protection de la santé publique. La résolution demande aussi de renforcer les mesures prises pour améliorer la qualité, l’accessibilité et la possibilité de payer les médicaments dans les régions les moins développées du monde.

La mise en œuvre par les États dans leur droit national des dispositions prévues par l’article 31 de l’accord ADPIC comporte de nombreux facteurs d’interprétation délicate.

Quel est le champ du domaine thérapeutique potentiellement couvert par ces dispositions ? Les conditions liées à la nécessité et à la proportionnalité des utilisations sans autorisation du détenteur des droits peuvent militer pour une analyse au cas par cas, pays par pays. Mais l’ampleur des fléaux sociaux, la globalisation des marchés appellent des approches communes. Si 290 médicaments essentiels sont hors brevet, la tentation pourrait être grande de faire un amalgame entre possibilité de licence obligatoire et médicaments essentiels protégés par la propriété intellectuelle démontrant aussi par-là la volonté de mettre à disposition de l’ensemble des citoyens du monde un arsenal thérapeutique minimal [32]. Un tel geste conduirait ipso facto à déterminer pour l’avenir le panier minimal des médicaments susceptibles de licences obligatoires, position loin d’être neutre pour les laboratoires de recherche [33], sachant que plus d’une centaine de médicaments contre le VIH/SIDA sont actuellement en phase de recherche et développement, dont plus d’une dizaine de vaccins [34]. L’explosion de demandes de licences obligatoires serait alors à prévoir lorsque l’on étudie les listes des médicaments reconnus comme indispensables par des institutions internationales [35].

Quelles négociations préalables avec le titulaire des droits de propriété intellectuelle doivent avoir été conduites ? La problématique est celle du coût de la licence de droit ou de l’approvisionnement par le titulaire du brevet ; elle impose de ce fait une appréciation au cas par cas et le refus d’un approvisionnement de la part de l’entreprise détentrice du brevet avec les autorités compétentes de chaque État. C’est peut-être dans ce contexte que la mise en place d’une banque de données internationale sur le prix des médicaments, à l’instar de l’initiative de Médecins Sans Frontières [36], trouverait son intérêt. Il faut cependant être conscient du caractère souvent artificiel d’un tel exercice. En effet, prix officiels ou prix catalogues et prix négociés ne sont pas comparables [37]. De plus, la détermination de prix de médicaments hors et sous brevet ne prend pas en compte les mêmes facteurs. Mais il s’agit peut-être là, justement, d’une marge de négociation ?

En corollaire de la question précédente, quelle autorité déterminera le montant de la rémunération du titulaire des droits de propriété intellectuelle ? Sur quelles bases et pour quels marchés ? Faut-il des prix différentiels et sur quels critères ? L’obligation
de rémunération est, comme toute décision, susceptible de recours judiciaire ou devant une autorité supérieure indépendante, mais laquelle ? Comment équilibrer les responsabilités et les attributions des parties en présence ?

L’obtention d’une licence obligatoire ne signifie pas accès au médicament, loin s’en faut ; celui-ci nécessite en effet la mise en œuvre de technologies parfois complexes, qui s’inscrivent souvent dans un cadre général de transfert de technologies (art. 66-2 de l’accord ADPIC) au profit d’un pays pour lui-même ou plus largement pour un ensemble de pays d’une zone géographique donnée. Par ailleurs, sont étudiées les conditions dans lesquelles les pays les moins avancés qui n’intégreront que plus tardivement dans leur droit national la protection de la propriété intellectuelle, peuvent faire fabriquer ou s’approvisionner à partir de pays tiers.

UN DÉBAT SOUS LE REGARD DE L’OPINION PUBLIQUE

Sans mésestimer l’importance des barrières actuelles physiques, linguistiques, politiques, économiques [38] sur l’accès aux traitements, les réflexions conduites actuellement risquent d’avoir un impact non négligeable sur la perception que toute société peut avoir du « droit à la santé » ; il s’agit peut-être d’une réminiscence du slogan « La santé pour tous en l’an 2000 » ? On peut ainsi envisager des évolutions du droit de la propriété intellectuelle et une structuration industrielle et sanitaire des États en développement.

Quelle évolution du droit ?

A l’extrême, le nouveau contexte, dans un climat de tension, pourrait inciter les États à adopter des législations permettant de limiter les effets des brevets, notamment via les licences obligatoires. Ces dernières pourraient, soit être mises en œuvre même si la maîtrise de la technologie est souvent délicate, soit servir d’armes de négociations vis-à-vis des laboratoires pharmaceutiques. En situation de désaccord, c’est aussi l’idée de la réouverture de la négociation de l’Accord ADPIC qui pourrait être en jeu ? Profitant de cette même dynamique, des États pourraient être tentés d’introduire dans leurs législations des clauses de sauvegarde de protection de la santé comme le développement des importations parallèles à partir de pays où les médicaments sont vendus à un prix moindre.

Importations parallèles Produits importés dans un pays sans l’autorisation du titulaire du droit de propriété intellectuelle alors que ce produit a été mis sur le marché dans un autre pays par cette personne ou avec son consentement. Selon la théorie de l’épuisement des droits de propriété intellectuelle, le droit exclusif du titulaire du brevet d’importer le produit protégé s’épuise, et donc s’éteint, pour la première mise sur le marché du produit [39].

Des différences d’appréciation notables existent sur ce dernier sujet. L’accord ADPIC n’interdit pas les importations parallèles dans la mesure où elles rétablissent une situation de concurrence par les prix pour des produits brevetés en autorisant l’importation sans autorisation du titulaire de produits brevetés identiques qui sont commercialisés à un prix inférieur dans un autre pays [40]. A contrario , ces importations sont considérées comme perturbatrices du marché par les opérateurs économiques et certaines institutions européennes comme le Comité Économique et Social et elles font l’objet de débats âpres, notamment aux États-Unis [41].

Le renforcement de l’infrastructure technico-sanitaire

Sur un plan technique et sanitaire, l’accès aux médicaments par la fourniture directe ou la fabrication locale se doit d’être assorti d’engagements de la part des États et de mesures effectives, de nature à garantir la pérennité du système. Il faut en effet éviter la création de flux illicites mais lucratifs, détournant les médicaments des malades, au profit de patients solvables. La réelle satisfaction des besoins des pays en développement passe par la mise en place de systèmes de distribution fiables et peu coûteux et de mesures de protection de la santé publique (diagnostic, dispense, administration et suivi des malades).

Des pistes complémentaires sont actuellement explorées. Ainsi, aux États-Unis, a été soulevée la possibilité pour les instituts nationaux de recherche (National Institutes of Health ou NIH) de favoriser le transfert de technologies d’inventions réalisées à partir de fonds publics [42]. Poursuivant le même objectif, des initiatives voient le jour pour favoriser la réalisation d’essais cliniques dans les pays en développement [43] comme cela est déjà le cas en Côte d’Ivoire, au Kenya ou en Thaïlande. Pour la première fois, l’Union européenne jette un regard nouveau sur l’harmonisation scientifique des normes en matière de médicaments réalisée grâce aux conférences internationales d’harmonisation assurant le plus haut niveau possible de qualité et de sécurité. L’Union, à travers le Comité Économique et Social, s’interroge sur la sélection industrielle opérée au détriment des PME et sur la capacité de réalisation de développements pharmaceutiques dans certaines régions du monde. La fabrication locale impose en effet une capacité technique réelle et d’importants investissements qui ne peuvent être opérationnels que sur le moyen terme.

CONCLUSION

La prise de conscience internationale des nouveaux défis sanitaires conduit à rechercher des politiques adaptées à cette nouvelle donne [44]. Celles-ci s’inscrivent dans une stratégie générale vis-à-vis des pays du groupe ACP, des dispositions tarifaires favorables… Si la fourniture à tarif préférentiel par les industriels fabricant est une des pistes d’approvisionnement retenues, celle-ci ne peut constituer une réponse unique à la demande de biens de santé. Elle pourrait même retarder des
initiatives locales d’industrialisation. La fabrication de médicaments génériques, voire de médicaments sous brevets via des licences volontaires ou obligatoires est étudiée, mais suppose la mise en place d’une infrastructure technologique suffisante et d’une maintenance effective. En matière de propriété intellectuelle, la difficulté sera de trouver le point d’équilibre entre droit des brevets et protection de la santé publique en évitant toute rupture avec le système existant. La réussite de la démarche actuelle repose principalement sur les politiques nationales de santé des États ;

elle implique l’existence de systèmes de santé structurés assurant le suivi des malades et des médicaments afin d’éviter tout détournement au profit de populations solvables. Ces nouvelles orientations ne seront pas sans conséquence sur le marché mondial du médicament. C’est une refondation du droit à la santé qui se prépare.

BIBLIOGRAPHIE [1] HARLEM BRUNTLAND G. —

In Vélasquez G., Boulet P. – Mondialisation et accès aux médicaments, perspectives sur l’accord ADPIC de l’OMC, série Économie de la Santé et Médicaments , 7, 70 p.

[2] Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture — Déclaration universelle sur le génome humain et les droits de l’Homme, 11 novembre 1997.

[3] LECHAT P. — Les médicaments orphelins : qui sont-ils et pourquoi ne trouvent-ils pas de parents adoptifs ? Thérapie , 1987, 42 , 33-36.

[4] RAWLS J. — Théorie de la justice, points Essais, 410 p.

[5] Comité Économique et Social — Avis sur le rôle de l’Union européenne pour une politique pharmaceutique qui réponde aux besoins des citoyens : Améliorer l’assistance, relancer la recherche innovatrice, maîtriser les dépenses de santé, INT/031, Politique pharmaceutique, 19 octobre 2000.

[6] BRUNET-JAILLY J. — Quels critères pour une juste répartition des soins ? Esprit , janvier 2001, 1 , 8-113.

[7] Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen — Accélération de la lutte contre les principales maladies transmissibles dans le cadre de la réduction de la pauvreté, COM (2000) 585 final, 20/9/2000, annexe 1, 25 p.

[8] Assemblée mondiale de la santé — Résolution WHA 52.21 sur la réforme de l’Assemblée Mondiale de la Santé.

[9] Bangkok 10-17 février 2000.

[10] Conférence internationale d’Okinawa sur les maladies infectieuses, 7-8 décembre 2000.

[11] Transatlantic Relations — 157/00 EU-US Summit Statement on Communicable Diseases in Africa, 17 december 2000.

[12] Passion in science as AIDS meeting becomes « watershed ». SCRIP , july 19th 2000, 2558 , 22 p.

[13] French project addressing HIV in Africa.

SCRIP, july 19th 2000, 2558 , 17.

[14] Africa AIDS Drug Program Relies on NGOs to achieve Secure Distribution.

Pink sheet , 15 may 2000.

[15] Fédération Internationale de l’Industrie du Médicament – Les donations de médicaments, février 1997, 1-10.

[16] Fédération Internationale de l’Industrie du Médicament — Access to Health Care in Developing Countries, 9 mars 2000, 1-11.

[17] NAINGOLAN L. — Accessing AIDS Treatments in the Developing World. SCRIP Magazine , september 2000, 31-33.

[18] Sida : cinq laboratoires s’engagent à réduire le prix de leurs médicaments (Libération, La Tribune, les Échos, le Monde, Wall Street Journal Europe, International Herald Tribune, communiqué de presse ministère des Affaires Étrangères, 11 mai 2000) – Pharmaceutiques on line – analyse de presse, 446.

[19] Au Sénégal, quatre des cinq laboratoires ont consenti une baisse de 80 à 90 % du prix de leurs traitements anti-rétroviraux ; en Ouganda, quatre laboratoires ont consenti des baisses de prix de 40 à 68 % sur les thérapies de lutte contre le SIDA ; Boehringer s’est engagé à fournir Viramune (nevirapine) et Glaxo Wellcome (Retrovir, Epivir et Combivir) à des tarifs préférentiels pendant une période de cinq ans dans le cadre de la prévention de la transmission HIV mère enfant.

[20] Droit et Pharmacie Parexel — Bulletin International d’informations, 01-2001, 77 p.

[21] Transatlantic Relations — 157/00 EU-US Summit Statement on Communicable Diseases in Africa, 17 december 2000.

[22] Cf. réf. 1, 70 p.

[23] CRISTOFARI J-J. — Médicaments et OMC : le rendez-vous difficile de Seattle. Pharmaceutiques , décembre 1999, 72, 15-16.

[24] LAMY P. — Perspectives pour les pays en voie de développement après Seattle, Commission du développement du Parlement européen, Bruxelles, 21 février 2000, discours/00/48.

[25] LAMY P. — Perspectives pour les pays en voie de développement après Seattle, Commission développement du Parlement européen, Bruxelles, 21 février 2000.

[26] OMS/FIIM — Second WHO-IFPMA Round Table, 3 november 1999.

[27] Dictionnaire Permanent Droit Européen des Affaires — Éditions Législatives, Brevets, feuillets 41.

[28] Assemblée nationale — Rapport d’information no 1824 sur la préparation de la Conférence ministérielle de l’OMC à Seattle enregistrée à la Présidence de l’Assemblée le 30 septembre 1999.

[29] DUTILLEUX C. — Piratage en toute légalité au Brésil. Libération , 5 juillet 2000.

[30] Commission des communautés européennes — Communication au Conseil et au Parlement européen sur l’accélération de la lutte contre les principales maladies transmissibles dans le cadre de la réduction de la pauvreté. COM (2000) 585 final, 20/9/2000.

[31] Assemblée Mondiale de la Santé — Résolution EB 103 R1, 52e AMS.

[32] OMS — Rapport sur la santé dans le monde. OMS, 1999, Pour un réel changement, 37 p.

[33] National Economic Research Associates — The Effects of Compulsory Licensing on Innovation and Access to Health Care, september 2000, 32 p.

[34] Pharmaceutical Research and Manufacturers of America — New Medicines in Development for AIDS, 1999, 1-18.

[35] UNAIDS — Access to drugs : site http ; //www.unaids.org/publications [36] WWW.ACCESSMED-MSF.ORG [37] DANZON P. — Making Sense of Drug Prices. Regulation , 23 , 1 , 56-63.

[38] Fédération Internationale de l’Industrie du Médicament — Access to Health Care in Developing Countries, 9 mars 2000, 13 p.

[39] Cf. réf. 1, 47 p.

[40] Cf. réf. 1, 5 p.

[41] DANZON P. — The Economics of Parallel Trade. Pharmacoeconomics , march 1998, 293-304.

[42] 35 USC Sec 202 [4] Bayh-Dole Act, modifié pour la dernière fois par le Federal Technology Transfer Act, sur l’octroi de fonds publics aux universités et aux petites entreprises, 37 CFR 404.7 (a) [2] [1].

[43] Nuffield Council on Bioethics — The Ethics of Clinical Research in Developing Countries, 1999, 25 p.

[44] Commission des Communautés européennes — Communication au Conseil et au Parlement européen, Programme d’action sur l’accélération de lutte contre le VIH/SIDA, le paludisme et la tuberculose dans le cadre de la réduction de la pauvreté – D/347, 21/02/2001.

COMMENTAIRES ET DISCUSSION

M. Pierre JOLY

Mes trois remarques ont pour but d’attirer l’attention de notre Académie sur trois points essentiels :

— l’accès des pays en voie de développement aux « médicaments essentiels » qui sont sélectionnés par l’OMS et qui sont nécessaires aux soins de santé primaire est libre, sauf à disposer des moyens d’acquisition même à prix très faible et sauf à assurer leur distribution dans les limites géographiques du pays en voie de développement béné- ficiaire. L’accès est plus délicat dans le cadre des médicaments nouveaux encore protégés par un brevet. Encore que le principe de licence obligatoire peut être appliqué ;

— le brevet est un moyen de protection très transitoire (de 8 à 13 ans selon les pays) nécessaire pour assurer l’amortissement des recherches entreprises (de 3 à 5 millions de francs selon les médicaments). Le brevet a fait faire des progrès énormes à la science dans nos pays développés en mettant fin au secret conservé souvent jusqu’à leur mort par les inventeurs. Maintenant, en échange d’une protection très courte à l’aune de la vie scientifique d’un pays après la fin du brevet, l’invention qu’il a protégée est mise, sans restriction ni débours, à la disposition de l’humanité (on dit que l’ensemble est tombé dans le domaine public) ;

— je crois profondément, après différentes expériences personnelles, que la solidarité humanitaire doit s’exprimer au niveau des États. Un partenariat est indispensable et seul à même de changer la situation actuelle, humainement insupportable, entre états développés et en voie de développement, organisations mondiales et laboratoires pharmaceutiques.

M. Paul LECHAT

Connaît-on la part respective affectée par le gouvernement des pays en développement aux achats d’armes d’une part, et aux achats de médicaments essentiels, d’autre part ? L’extension du sida dans les pays africains et du sud-est asiatique ne serait-elle pas plus efficacement limitée par des mesures de prévention et d’éducation des populations plutôt que par l’envoi de médicaments curatifs d’une efficacité aléatoire dans ces pays ?

L’affectation des budgets publics des États est, ainsi que vous le mentionnez, un choix national en fonction des priorités définies. Il est manifeste que la mise à disposition de médicaments par dons ou par tarif préférentiel ne trouve sa pleine efficacité que dans le cadre d’une politique sanitaire de l’État. En particulier des réseaux de santé sont nécessaires pour la distribution des médicaments, le suivi des malades. On peut souhaiter que la notion d’accès aux soins, au-delà de la mise à disposition des produits, prendra largement en compte cette dimension, comme le demandent de nombreuses ONG qui connaissent bien les difficultés inhérentes à certains pays. L’Union européenne, dans ses travaux, met l’accent sur la nécessité d’une approche sanitaire globale du sujet en intégrant les politiques de prévention et d’éducation.

M. Claude DREUX

Ne pensez-vous pas que l’aide aux PED doit également s’exercer sur l’organisation du contrôle et de la distribution des médicaments ? En effet, beaucoup de « faux » apparaissaient sur les marchés, à bas prix, et concurrencent les médicaments très chers, vendus dans les pharmacies regroupées dans les grandes villes. Certaines organisations (RcMed par exemple) s’attachent à aider les PED dans cette organisation de l’achat, du contrôle et de la délivrance, à toute la population, des médicaments essentiels.

En tant que pharmacien, nous connaissons l’importance attachée à l’organisation du marché pharmaceutique, notamment aux dangers liés aux contrefaçons et au mauvais usage des médicaments. Il faut très certainement tirer parti de l’expérience d’organisations telles ReMed, en fonction des spécificités des pays, pour mettre en place les structures de distribution des produits pharmaceutiques. Dans de nombreux pays, les pharmaciens pourraient aussi jouer utilement un rôle et nous pouvons sentir chez nos collègues, en France, la volonté de contribuer à des actions de formation et d’information.

M. Jean SÉNÉCAL

J’ai participé à l’application de la politique des médicaments essentiels en Guinée. Plusieurs enquêtes avaient montré que la population achetait sur le marché local des médicaments souvent périmés ou pris à des doses insuffisantes ; d’où l’idée d’utiliser plus efficacement ces ressources. Une liste de 30 médicaments a été établie de ces médicaments génériques achetés en grande quantité par l’UNICEF à un prix très faible. Ces médicaments donnés au gouvernement étaient répartis dans les centres de santé et vendus à la population 2 fois ½ le prix d’achat. Ceci permettait de reconstituer le stock, d’assurer les pertes et d’accorder un petit bénéfice au centre. En une année la somme recueillie s’élevait à 7 millions de livres guinéennes, somme correspondant aux salaires annuels de 6 personnes travaillant au centre.

Les fonds ainsi recueillis étaient gérés par un comité d’élus locaux qui, ainsi, participaient à l’action. Ce bon résultat n’a pas été obtenu dans tous les centres et il aurait été intéressant d’évaluer l’efficacité du système en mesurant, par exemple, l’évolution de la mortalité. Ce que je n’ai pas pu faire mais peut-être avez-vous des renseignements sur ce point ?

La mise en place d’une politique sanitaire, comme celle que vous développez, a porté de nombreux fruits dans la mesure où elle a permis d’assurer une certaine autonomie et une responsabilisation des acteurs de la chaîne pharmaceutique. Comme vous, je n’ai pas eu connaissance d’une évaluation faite, mais le modèle pourrait inspirer de nombreux États
et organisations internationales pour la mise à disposition de médicaments, hors brevet ou sous brevet, dans le cadre de la lutte contre les épidémies de SIDA, malaria et tuberculose.

M. Pierre GODEAU

L’accès aux médicaments essentiels n’est qu’un cas particulier de l’accès aux soins modernes dont la difficulté de mise en place est, en partie, un problème d’infrastructure adaptée. Ne croyez-vous pas qu’en l’absence de moyen de diffusion, de contrôle de la bonne dispensation et du suivi thérapeutique, de multiples risques, par exemple de résistance bactérienne, de rebond lors d’un arrêt injustifié d’un traitement, peuvent avoir des conséquences dramatiques éventuellement plus fâcheuses que la pénurie des moyens ?

Hormis le cas des milieux scientifiques spécialisés, le sujet de la résistance bactérienne, en particulier la résistance aux antibiotiques, commence seulement à être pleinement intégré dans les politiques sanitaires, notamment européennes. Ainsi que vous l’exposez, les risques liés à la résistance doivent être évalués en termes de protection de la santé et de protection de l’environnement pour assurer l’usage le plus approprié du produit.

M. Jean CIVATTE

L’accès aux médicaments des pays en développement peut-il se combiner avec l’usage de la télémédecine qui rapproche des populations lointaines et isolées des centres de diagnostic et de traitement, comme la pratique en Afrique francophone la FISSA (Force d’Intervention Sanitaire Satellitaire Autoportée) ?

Comme vous l’avez souligné, la télémédecine est un des moyens d’accès au diagnostic et au traitement des populations éloignées des centres de soins. Elle constitue certainement une des pièces du dispositif sanitaire à mettre en place. Mais elle suppose la maintenance d’une technologie suffisante.

M. Pierre DELAVEAU

En dehors de l’OMS, quelles sont les autorités officielles compétentes ?

Comme vous l’indiquez, l’OMS, institution spécialisée de l’ONU, joue un rôle majeur dans la politique d’accès aux soins des pays en développement. Plusieurs autres enceintes internationales au sein ou en dehors de l’ONU se préoccupent du sujet, parmi lesquelles :

ONU-SIDA dans la lutte contre l’infection à VIH et les affections opportunistes, l’UNICEF, le PNUD, l’OMC, le G8… Ce sujet est également une des priorités de l’Union européenne à travers l’action de ses différentes institutions (Commission, Conseil et Parlement européen). Les initiatives en la matière sont nombreuses en faveur de l’accès aux médicaments et plus largement de l’accès aux soins.

M. Maurice TUBIANA

La disponibilité des médicaments est, comme vous venez de le souligner, un des aspects essentiels de la politique du médicament dans les pays en développement, les autres étant la
distribution dans les pays (par exemple, chaîne du froid) et l’utilisation correcte. C’est donc l’ensemble de ces aspects qu’il faudrait considérer. Enfin il est de notre responsabilité de pays industrialisé d’envisager la recherche car souvent, faute de marché solvable, les laboratoires pharmaceutiques n’entreprennent pas la recherche pour les médicaments spécifiques destinés aux pays en développement (par exemple maladies parasitaires, comme le paludisme).

Inciter les laboratoires publics et privés à s’intéresser à ce domaine est donc une autre action nécessaire. C’est toute une politique du médicament qu’il faudrait mettre en œuvre dans le cadre d’une stratégie globale.

Vous avez utilisé les termes de stratégie globale et de responsabilité des pays industrialisés.

A cet égard, ainsi que vous l’évoquez, il est essentiel que, pour les maladies orphelines en raison de la non solvabilité des populations touchées, des médicaments soient mis à disposition. Seules des politiques publiques peuvent inciter la recherche publique et privée à s’orienter dans ces secteurs. Notre pays a, en la matière, une longue tradition de recherche en faveur de l’intérêt général. Les politiques européennes en faveur des médicaments dits orphelins comprennent un volet dévolu à la recherche, dont une part est consacrée à des affections rencontrées essentiellement hors du territoire de l’Union européenne. C’est une initiative intéressante qui en appelle certainement d’autres.

Bull. Acad. Natle Méd., 2001, 185, no 7, 1255-1269, séance du 9 octobre 2001