Communication scientifique
Session of 21 février 2006

La toxicologie analytique au début du troisième millénaire : de nouvelles applications médicales riches de promesses et leurs conséquences pour l’avenir de la toxicologie

MOTS-CLÉS : apoptose. hypoxie cerebrale. neurones. nouveau-né. rat
Toxicological analysis at the beginning of the third millennium : promising new applications and future implications
KEY-WORDS : apoptosis. hypoxia, brain. infant, newborn. neurons. rats

Jean-Pierre Goullé

Résumé

Au cours des dernières années, des avancées déterminantes ont été réalisées dans le domaine de l’analyse qui restera toujours un volet essentiel de la toxicologie car elle constitue une étape préliminaire, indispensable à une évaluation réaliste de la toxicité d’une substance. Les techniques chromatographiques ont remplacé les réactions colorimétriques peu spécifiques et peu sensibles. Le développement de la spectrométrie de masse a avantageusement complété, voire supplanté, les méthodes immunologiques limitées à un petit nombre de paramètres. Le détecteur de masse s’impose désormais comme l’outil universel du toxicologue analyste, couplé à un chromatographe en phase gazeuse (CG-SM ou CG-SM/MS), à un chromatographe en phase liquide (CL-SM ou CL-SM/SM) ou à un spectromètre d’émission à plasma inductif (EPI-SM). Grâce à ces progrès analytiques prodigieux, en 2005 peu de substances responsables des divers syndromes de la toxicologie clinique échappent à l’analyse, qu’il s’agisse de médicaments, de végétaux, de pesticides, de métaux ou de métalloïdes ainsi que de poisons variés. Ces nouvelles techniques sont également appliquées avec succès en médecine légale dans le cadre de recherche des causes de la mort, de conduite sous l’influence de stupéfiants ou de soumission chimique. Mais elle permettent désormais d’élargir le champ d’application de la toxicologie à la prévention de la santé de l’homme vivant, de plus en plus exposé à des substances nouvelles, et de toxicité inévitablement encore mal connue dans les deux domaines en pleine expansion de la pathologie professionnelle et environnementale. De ce fait elles constituent aussi une réponse optimale au plan national santé-environnement prévu par la loi relative à la politique de santé publique du 9 août 2004. Pour illustrer le potentiel de ces nouvelles techniques, l’auteur s’appuie sur quelques exemples de travaux personnels, parmi les plus récents obtenus dans son laboratoire. Les lésions cérébrales induites par une hypoxie-ischémie à la période périnatale ont longtemps été considérées comme irréversibles. Cependant, des études récentes ont montré que différentes agressions pouvaient induire une neurogenèse de novo dans le cerveau de rongeurs adultes. L’expérimentation présentée ici se propose d’évaluer si une hypoxie aiguë peut induire une neurogenèse dans le cerveau en développement. L’influence d’une hypoxie transitoire a été testée in vitro sur des neurones embryonnaires de rat en culture et in vivo sur les neurones de la couche pyramidale CA1 de l’hippocampe chez le rat nouveau-né. In vitro , le devenir des cellules a été évalué à l’aide de méthodes immuno-histo-chimiques 96 heures après la fin d’une hypoxie de six heures. La viabilité des neurones en culture était diminuée de 36 % avec des signes histologiques d’apoptose. A l’inverse, après une hypoxie de trois heures on ne constatait pas de perte cellulaire et même une augmentation numérique de 14 %. Ces phénomènes allaient de pair avec des variations du rapport des protéines régulatrices de la survie cellulaire Bax/Bcl-2. In vivo , une hypoxie de vingt minutes induit une réduction de 27 % des neurones de la couche CA1 de l’hippocampe après six à sept jours avec des signes nucléaires d’apoptose. Cette perte cellulaire était compensée à partir du vingtième jour. L’incorporation de BrdU, marqueur de cellules néoformées, couplée à la mise en évidence de protéines spécifiques des neurones (Neuro-D) confirme qu’une neurogenèse post-hypoxique peut être induite dans le cerveau en développement et constituer un mécanisme réparateur.

Summary

Enormous progress has been made in clinical toxicology over the last two decades, notably in the detection of pollutants. Chromatographic techniques have now replaced colorimetric reactions, which were non specific and poorly sensitive. Mass spectrometry has largely supplanted immunological methods, and is now coupled to gas phase (GC-MS or GC-MS/MS), liquid phase (LC-MS or LC-MS/MS) or induced coupled plasma spectrometry (ICP-MS). Few substances responsible for clinical syndromes now escape detection, be they medicinal drugs, plant products, pesticides, drugs of abuse, drugs used for criminal purposes, metals, metalloids, or poisons. Forensic medicine has benefited from these advances, notably in the fields of post-mortem toxicology, driving under the influence of drugs of abuse, and drug-facilitated crime. Rapid advances are being made in occupational and environmental monitoring of new substances with poorly documented toxicity. The French National Health and Environment Program, launched on 9 August 2004, specifically takes this problem into account. The author presents recent personal laboratory results illustrating the potential of these new techniques.

* Membre correspondant de l’Académie nationale de médecine. Service de Médecine néonatale, Maternité Régionale Adolphe Pinard-Nancy.

** Directeur de Recherche INSERM, U.724, Faculté de Médecine de Nancy.

Tirés à part : Professeur Paul Vert, même adresse.

Article reçu le 12 octobre 2005, accepté le 28 novembre 2005.


* Laboratoire de pharmacocinétique et toxicologie cliniques, Groupe hospitalier, BP 24, 76083 Le Havre. Tirés à part : Docteur Jean-Pierre GOULLÉ, même adresse. Article reçu le 19 septembre 2005, accepté le 21 novembre 2005.

Bull. Acad. Natle Méd., 2006, 190, no 2, 453-467, séance du 21 février 2006