Résumé
À l’aube du troisième millénaire, l’homme doit relever de nouveaux défis. Parmi ceux-ci, la maîtrise des pollutions d’une part et l’impact des technologies émergentes d’autre part constituent des enjeux majeurs de santé publique. Pour répondre à ces questions, les auteurs proposent dans le domaine des métaux, l’emploi de la torche à plasma, sorte de scanner à métaux d’apparition récente. Il s’agit d’un équipement qui offre des performances exceptionnelles avec lequel diverses applications en toxicologie humaine sont suggérées. Après avoir mis au point une technique de dosage multiélémentaire portant sur 32 éléments dans des matrices biologiques variées : sang, urines, cheveux, ongles ; divers exemples illustrent l’intérêt de la torche à plasma. Le premier cas mondial d’intoxication au gadolinium documenté avec des dosages sanguins est rapporté. Parmi les autres contributions originales, la notion de profil métallique individuel est avancée, l’analyse des ongles comme marqueur d’exposition chronique environnementale, professionnelle ou domestique est proposée. Enfin, un nouveau développement est mis en œuvre dans notre laboratoire : la spéciation des métaux qui permet de différencier les formes toxiques et non toxiques d’un élément.
Summary
The authors describe the use of inductively coupled plasma to detect 32 metals and metalloids in blood, urine, hair and nails. They also report the first case of gadolinium * Laboratoire de pharmacocinétique et toxicologie cliniques ** Laboratoire de biochimie, Groupe hospitalier, BP 24, 76083 Le Havre *** Laboratoire de toxicologie, Faculté de médecine et de pharmacie, 22 boulevard Gambetta, 76183 Rouen Tirés à part : Professeur Jean-Pierre GOULLE, même adresse et e-mail : jgoulle@ch-havre.fr Article reçu le 1er octobre 2007, accepté le 9 octobre 2007 overdose documented by blood analysis with this method. Metal speciation, a new approach developed in our laboratory, can distinguish between toxic and non toxic metals.
INTRODUCTION
À l’aurore de ce troisième millénaire l’homme doit relever de nouveaux défis. Parmi ceux-ci, outre l’exposition à des toxiques métalliques, la maîtrise des pollutions environnementales naturelles ou non ; l’impact des nouvelles technologies constituent des enjeux majeurs de santé publique. En ce qui concerne l’environnement, une prise de conscience collective s’installe progressivement. Malgré cela, certaines régions du globe sont contaminées soit de manière naturelle, soit par les activités humaines. Ainsi, l’arsenicisme chronique sévit en particulier dans l’ouest du Bengale où plus de 60 % de la population vit dans des zones dont l’eau des puits forés récemment est polluée par l’arsenic contenu dans les nappes phréatiques [1]. En effet, l’eau se charge progressivement au travers de couches géologiques riches en arsenic minéral toxique. Cette pollution affecte la santé de millions d’habitants et est responsable de centaines de milliers de décès dus à des cancers de la peau, de l’estomac, du poumon, du foie et du rein [2]. Il s’agit de la plus grande catastrophe écologique de tous les temps. La torche à plasma ou plasma à couplage inductif constitue l’équipement idéal pour assurer le contrôle et la surveillance de telles pollutions car elle permet le dosage de métalloïdes comme l’arsenic et de métaux tant dans les nappes phréatiques, les aliments, que chez l’homme. En ce qui concerne les métaux, l’exemple du mercure doit être mentionné. Certaines régions sont polluées par cet élément en raison de l’activité de l’homme, principalement l’extraction de l’or. En effet, on utilise du mercure métal pour amalgamer l’or. La présence de mercure qui s’accumule dans le milieu naturel aboutit à la formation de méthylmercure, qui associé à son puissant pouvoir de concentration dans les milieux biologiques en raison de sa grande liposolubilité, est à l’origine de la forte contamination de la chaîne alimentaire, poissons en particulier. Il s’agit là d’une source majeure d’intoxication dont les conséquences peuvent être redoutables comme nous le rappelle la tragédie survenue dans la baie de Minamata au Japon avec son cortège de plus de mille morts dus au méthylmercure. L’impact de nouvelles technologies comme celle des nanoparticules est également au centre de préoccupations sanitaires. Les effets de ce nouveau mode de vectorisation sur la santé de l’homme ne sont pas connus, aussi l’emploi de la torche à plasma, constitue en raison de son extrême sensibilité, l’équipement de choix pour réaliser des études sur les nanoparticules métalliques. Les performances analytiques obtenues avec ce nouvel appareillage sont supérieures à celles obtenues avec les équipements actuels que sont la spectrophotométrie d’absorption atomique en mode flamme ou électrothermique comme nous l’avons montré [3, 4] grâce à :
— une sensibilité inégalée atteignant la partie par trillion (ppt) ;
— la quantification multiélémentaire simultanée de trente-deux éléments : métaux, non-métaux ;
— l’évaluation semi-quantitative de trente-quatre éléments supplémentaires ;
— le dosage d’atomes difficilement accessibles ou inaccessibles par d’autres techniques : actinides (uranium…) ou lanthanides (gadolinium…) par exemple ;
— une prise d’essai très réduite : 0,4 ml de sang ou d’urines, 10 mg de cheveux ou d’ongles ;
— la réalisation rendue possible de dosages dans des matrices biologiques disponibles en faible quantité comme les cheveux ou les ongles ;
— la conduite d’analyses de spéciation, grâce à un couplage avec un chromatographe liquide haute performance, pour déterminer si l’élément mesuré est sous une forme toxique ou non toxique. L’arsenic par exemple existe sous deux formes distinctes : une forme organique non toxique (principalement arsénobé- taïne alimentaire, forme où l’arsenic est complexé dans une molécule organique bien connue en thérapeutique : la bétaïne) alors que la forme minérale est toxique.
Ainsi, la torche à plasma offre-t-elle aux utilisateurs des performances exceptionnelles et les applications cliniques sont nombreuses. Or il existe des domaines particuliers de la médecine où une telle sensibilité s’avère utile, voire indispensable qui sont ceux de la toxicologie, de la toxicologie clinique, de la toxicologie médicolégale, de la toxicologie professionnelle ou de la toxicologie environnementale.
Grâce à cet équipement, nous avons développé et appliqué avec succès des techniques d’analyse dans ces différents domaines de la toxicologie chez l’homme.
Après avoir établi des valeurs normales dans le sang et les urines chez 100 sujets volontaires [3], nous avons mené le même travail sur des prélèvements réalisés chez 54 personnes décédées [5]. Nous nous sommes ensuite intéressé aux phanères, cheveux et ongles et avons publié des valeurs de référence chez respectivement 45 et 130 volontaires [6, 7].
Dans le domaine de la toxicologie clinique, nos travaux nous ont permis de proposer la notion de profil métallique comme il existe un profil protéique, notion que nous sommes, à notre connaissance, les premiers à introduire en pathologie humaine [8].
Nous avons également étendu cette notion de profil métallique chez l’homme à la toxicologie médico-légale. Un très vaste champ d’investigation s’ouvre ainsi à nous, pour une meilleure approche de la toxicologie humaine sous ses divers aspects. Les applications médicales sont nombreuses. Parmi celles-ci, la plus significative est la mise en évidence du premier cas mondial documenté par le dosage sanguin d’une intoxication au gadolinium chez une patiente insuffisante rénale ayant subi treize examens successifs par IRM [9]. Dans le cadre de l’analyse des phanères qui permet d’évaluer l’importance d’une exposition chronique, si le dosage multiélémentaire dans les cheveux s’avère intéressant en médecine légale, il déçoit en pathologie professionnelle [10]. C’est pourquoi nous avons développé une technique de dosage multiélémentaire dans les ongles, milieu moins soumis à la contamination externe que les cheveux. Nous avons pu alors récemment mettre en évidence deux séries d’exposition familiale d’origine domestique au plomb dont la première vient d’être
rapportée [7]. S’agissant d’un prélèvement non invasif, nous proposons d’utiliser ce milieu biologique pour rechercher une exposition à l’un des 32 éléments du panel, pour surveiller les personnels exposés en milieu professionnel, pour réaliser des études épidémiologiques dans des zones contaminées, comme c’est le cas dans plusieurs régions françaises polluées par le plomb. Tous ces points sont développés et discutés ici.
Matériel et méthodes
Principe de la torche à plasma
La torche à plasma reliée à un détecteur de masse, ou spectrométrie de masseplasma à couplage inductif (EPI-SM), inductively coupled plasma mass spectrometry (ICP-MS), apporte des innovations majeures, comparables en quelque sorte à celles de la tomodensitométrie par rapport à la radiologie conventionnelle. Elle met en œuvre une simple dilution de l’échantillon biologique, sang, plasma ou urine par exemple, qui est nébulisée dans un plasma. Celui-ci est généré par le couplage inductif d’électrons libres avec des oscillations rapides du champ électromagnétique à la fréquence de 27 MHz dans de l’argon, ce qui permet d’atteindre une température très élevée, proche de 10 000 K. Dans ces conditions, les éléments métalliques, les métalloïdes, les alcalins, les alcalinoterreux, les lanthanides et les actinides sont transformés en ions à plus de 90 % ce qui permet leur analyse. Au cœur du système, une interface arrête les photons et focalise les éléments sous forme d’ions pour les amener au quadripôle (détecteur de masse) où ils sont séparés en fonction de leur rapport masse atomique sur charge (m/z). L’intensité du signal obtenu, proportionnel à la concentration, permet de quantifier l’élément.
Spéciation des métaux
Il s’agit d’un nouveau développement de l’EPI-SM destiné à séparer et à doser les formes toxiques et non toxiques d’un métal. L’analyse de spéciation fait appel à plusieurs types de couplage, il convient en effet de séparer dans un premier temps les différentes formes sous lesquelles se trouve le métal avant de réaliser les dosages par EPI-SM dans un second temps. Nous avons choisi le couplage entre un système de séparation par chromatographie liquide haute performance (CLHP) et une détection par EPI-SM (figure 1). Dans une première étape, les différentes formes sous lesquelles se trouve le métal sont séparées dans une colonne de chromatographie par CLHP. La sortie de la colonne de chromatographie est connectée avec l’EPI-SM.
Dans un second temps, le dosage de l’élément est réalisé par EPI-SM dans chaque pic ainsi séparé par CLHP (figure 2). Ainsi, les différentes espèces, toxiques et non toxiques de l’élément qui a fait l’objet de la spéciation sont quantifiées.
FIG. 1. — Principe du couplage entre la torche à plasma (EPI-SM) et la chromatographie liquide (CLHP).
AB = arsénobétaïne — As III = arsenic III — DMA = acude dyméthylarsinique — MMA = acide monométhylarsonique — As V = arsenic V FIG. 2. — Exemple de séparation de formes toxiques (inorganiques) et non toxique de l’arsenic (arsénobétaïne) dans un échantillon d’urine.
Conditions analytiques
Il s’agit d’une torche à plasma de type ThermoElectron X Series couplée à un spectromètre de masse, modèle X7/CCT (Thermofisher, Courtabœuf, France).
L’appareil est équipé d’une torche en quartz de 1,5 mm, d’un nébuliseur concentrique en verre borosilicaté de 1 mL (type Meinhard de Marque Glass Expansion — Référence Thermofisher 1201318) avec un débit d’échantillon de 0,85 mL/min, d’une chambre simple de nébulisation à bille d’impact en quartz munie d’un refroidisseur à effet Peltier régulant sa température à 3° C, et d’un passeur d’échantillons de type CETAC ASX-510. L’ensemble des acquisitions est enregistré sur une station informatique dotée du logiciel d’analyse PlasmaLab version 2,0 sous Windows NT. Les paramètres instrumentaux sont les suivants : puissance de la torche 1200 W ; débits d’argon : plasmagène 15 L/min, nébuliseur 0,95 L/min, auxiliaire 0,66 L/min ; interface : cônes échantillonneur et écorceur en nickel de diamètres respectifs de 1 mm et de 0,4 mm ; vide au niveau de l’interface : 1,9 mbar et du quadripôle : 1,6.10-7 mbar. Les réactifs, de qualité suprapure pour analyses de traces et les solutions étalon de métaux proviennent de chez Merck (Darmstadt, Allemagne) et CPI (Amsterdam, Hollande). Pour l’analyse dans le sang total, le plasma et
les urines, la méthode des ajouts dosés est utilisée, l’étalonnage étant réalisé à l’aide d’un pool dans le milieu biologique considéré. En ce qui concerne les phanères, après décontamination par de l’acétone et de l’eau tiède, 20 mg de cheveux ou d’ongles sont minéralisés dans de l’acide nitrique suprapur à 70° C pendant une heure. Une dilution du sang total, du plasma, de l’urine, de la solution obtenue après minéralisation des phanères est réalisée en milieu acide avec du butanol pour limiter les effets de matrice dus au carbone en présence d’un agent mouillant, le triton.
L’indium et le rhodium sont utilisés comme étalons internes. Trente deux éléments sont quantifiés simultanément : lithium, béryllium, bore, aluminium, vanadium, chrome, manganèse, cobalt, nickel, cuivre, zinc, gallium, germanium, arsenic, sélé- nium, rubidium, strontium, molybdène, palladium, argent, cadmium, étain, antimoine, tellure, baryum, tungstène, platine, mercure, thallium, plomb, bismuth, uranium. Nous participons au contrôle de qualité canadien par EPI-SM (programme de comparaison interlaboratoires, Sainte Foy, Canada).
Résultats et applications
Dans plusieurs publications précédentes ou en cours nous avons établi les concentrations normales pour trente-deux éléments par EPI-SM :
— dans du sang total, du plasma, des urines prélevés chez cent volontaires [3] ;
— dans du sang total et des urines, recueillis chez cinquante-quatre personnes décédées [5] ;
— dans des cheveux coupés chez quarante-cinq sujets [6] ;
— dans des ongles obtenus chez cent-trente volontaires [7].
À titre d’exemple, nous présentons les résultats obtenus lors du dosage du plomb dans les ongles d’une famille à la suite d’une exposition domestique au plomb (Tableau I). Il s’agit de la découverte fortuite d’une plombémie élevée, non prescrite, chez une mère de quarante-trois ans (226 µg/L — normale < 63 µg/L). Elle ne présente aucune symptomatologie clinique évocatrice d’une intoxication par ce métal. Le dosage du plomb dans les ongles est réalisé à distance de l’exposition, mais contemporain de celle-ci compte tenu de leur vitesse de pousse. Il révèle une concentration de 33,8 µg/g (normale < 3,7 µg/g). La plombémie mesurée dix mois après l’exposition montre un retour lent à la normale (82 µg/L). L’analyse des ongles dix semaines plus tard le confirme (5,1 µg/g et 4,5 µg/g respectivement dans les ongles de la main et du pied). Le père de quarante-trois ans présente également une plombémie élevée (191 µg/L — normale < 63 µg/L), sans signe clinique. Le sujet
TABLEAU 1. — Dosage du plomb dans un cas d’exposition familiale d’origine domestique à ce métal.
Sexe Age Date Ongles Cheveux Sang total Signes N < 3,7 µg/g N < 4,6 µg/g N adulte < 63 µg/L cliniques 12.04.06 226 01.02.07 Main 33,8 F 43 ans Aucun 01.03.07 82 12.05.07 Main 5,1 Pied 4,5 M 41 ans 15.05.06 191 Aucun 12.04.07 F 17 ans 01.02.07 Main 4,3 45,1 Aucun 01.03.07 33 01.03.07 39 M 15 ans Aucun 02.05.07 Main 8,2 Pied 6,4 01.02.07 Main 89,1 M 11 ans 02.03.07 50 Aucun 13.05.07 Main 19,1 Pied 19,2 01.02.07 Main 185 01.03.07 95 M 7 ans 11.04.07 81 Aucun 02.05.07 Main 20,4 Pied 46,8 TABLEAU 2. — Dosage du gadolinium trois mois après la dernière IRM dans un cas de fibrose systémique néphrogénique.
Date Médiane 11.10.2006 01.02.2007 Milieu population témoin Sang 36,30 1,80 0,03 (µg/L) Ongles de la main — 1.130 1 (pg/mg) Cheveux — 1.040 Environ 1 (pg/mg) (segment août 2006)
TABLEAU 3. — Principales applications de l’EPI-SM en toxicologie humaine.
Recherche d’exposition (sang, urine) Poisons « classiques » : Arsenic, Thallium Métaux lourds : Plomb, Cadmium, Mercure Métaux variés : Aluminium, Cobalt, Nickel, Molybdène, Tungstène Médicaments contenant des métaux et des non métaux :
Lithium, Platine, Aluminium, Bismuth, Brome Pesticides métalliques et apparentés :
Arsenic, Plomb, Aluminium, Baryum, Mercure, Sélénium, Cuivre, Brome Bombes fumigènes militaires contenant des métaux : Zinc, Aluminium Halogénures : Iode, Brome Éléments utilisés dans le diagnostic de noyade : Strontium, Brome Lanthanides : Cérium, Lanthane, Gadolinium Uranides : Thorium, Uranium se ronge les ongles, mais l’analyse des cheveux plusieurs mois après l’exposition révèle une teneur en plomb augmentée (45,1 µg/g — normale < 4,6 µg/g). Les deux adolescents de dix-sept ans et quinze ans présentent des concentrations sensiblement normales de plomb dans le sang et les ongles (Tableau I). En ce qui concerne les deux enfants les plus jeunes, âgés de onze ans et sept ans, qui n’étaient pas censés avoir été exposés, la découverte fortuite de concentrations très importantes dans les ongles (respectivement 89,1 µg/g et 185 µg/g — normale < 3,7 µg/g) conduit à des prélèvements sanguins, certes tardifs par rapport à la période d’exposition, mais les valeurs augmentées (respectivement 50 µg/L et 95 µg/L) sont encore démonstratives. Ces résultats sont également en faveur d’une exposition au métal toxique.
L’enquête a révélé que le plomb provenait d’opérations de décapage thermique de peintures sur des portes dans un habitat ancien, pourtant réalisé dans un espace ventilé. L’analyse d’écailles des peintures anciennes a été réalisée, elle a révélé que celles-ci contenaient 26 % de plomb, ce qui confirme la nature domestique de cette exposition par inhalation et montre tout l’intérêt du dosage du métal toxique dans les ongles.
Enfin, grâce à l’EPI-SM, nous venons de rapporter le premier cas mondial d’intoxication sévère au gadolinium [9], documenté par les dosages. Il s’agit d’une malade de soixante-deux ans, hémodialysée depuis 1999 à la suite d’une binéphrectomie pour adénocarcinome rénal bilatéral. En raison d’une allergie à l’iode, le suivi oncologique de la patiente ne peut s’effectuer que par IRM. De mai 2003 à juillet 2006, elle a subi treize examens par IRM. A partir de janvier 2005, elle a présenté des signes cliniques évoquant une dermopathie néphrogénique fibrosante qui est confirmée par une biopsie cutanée. Les premiers dosages sanguins de gadolinium réalisés en octobre 2006 soit trois mois après la dernière IRM révèlent une concentration sanguine de 36,3 ng/ml soit environ mille fois la concentration moyenne mesurée chez nos cent volontaires. Le diagnostic de fibrose systémique néphrogénique (FSN) est finalement retenu. Le tableau II montre les principaux résultats obtenus dans les divers milieux biologiques.
DISCUSSION
L’EPI-SM constitue un outil puissant pour mettre en évidence une intoxication humaine à divers minéraux : métaux, métalloïdes, lanthanides, actinides, autres éléments. Le tableau III récapitule l’ensemble des cas que nous avons pu identifier.
Cette énumération n’est pas exhaustive et le champ d’investigation peut dépasser les éléments rapportés dans ce tableau. C’est ainsi que nous avons pu mettre en évidence une intoxication sévère au gadolinium. En ce qui concerne cette observation, il s’agit du premier cas de fibrose systémique néphrogénique (FSN) avec des dosages de gadolinium sanguin, aucune référence publiée n’étant disponible. De plus les résultats des analyses de gadolinium effectuées dans cette observation semblent conforter l’hypothèse de la toxicité de ce lanthanide dans la survenue et l’aggravation de cette pathologie rare, d’évolution rapide, invalidante voire mortelle, décrite essentiellement chez des malades en insuffisance rénale sévère. L’organisme est imprégné par de fortes quantités de gadolinium comme en témoignent les dosages que nous avons réalisés dans les cheveux et dans les ongles. Cette nouvelle observation de FSN pose le problème de la pratique de l’IRM avec des produits de contraste à base de gadolinium chez les insuffisants rénaux chroniques au stade terminal de l’insuffisance rénale. La probable responsabilité de certains chélates du gadolinium a conduit tout récemment à de nouvelles recommandations.
Notre étude récente concernant le dosage multiélémentaire des métaux dans les ongles offre également des applications nouvelles dans plusieurs domaines de la toxicologie humaine. La rétention de certains éléments comme l’arsenic dans des milieux kératinisés (cheveux, ongles) est connue de longue date. Cependant, l’analyse des ongles présente un certain nombre d’avantages par rapport aux cheveux. Le risque de contamination externe est plus faible et la vitesse de pousse plus régulière.
Par ailleurs la quantité de mélanine contenue dans les cheveux influe de manière sensible sur l’incorporation des xénobiotiques. Enfin, l’analyse des cheveux peut être
faussée par divers traitements cosmétiques tels que la coloration, la décoloration et les permanentes voire les shampoings, susceptibles d’éliminer une partie des xénobiotiques fixés. La contamination externe environnementale des cheveux a été clairement montrée par Anawar [2] pour le plomb et le cadmium chez des habitants d’une zone urbaine. En effet, ces sujets présentaient des concentrations plus élevées pour ces éléments dans les cheveux que les sujets d’une zone non urbaine alors que les concentrations dans les ongles des pieds étaient identiques pour les deux types de population. Pour mettre en évidence une exposition professionnelle, l’analyse des ongles de pied doit donc être privilégiée.
Nous avons proposé d’introduire la notion de profil métallique sanguin chez les sujets vivants pour lesquels on distingue un profil typique chez les malades insuffisants rénaux ou chez les patients dénutris par exemple. Cette notion de profil métallique peut aussi être étendue aux analyses réalisées chez des sujets décédés bien que ceux-ci présentent un profil différent des volontaires sains. Il s’agit là d’un nouveau concept dont les applications potentielles en pathologie nous semblent particulièrement intéressantes pour les sujets vivants. Pour ce qui est des nanoparticules métalliques, la diffusion rapide de leur utilisation et la méconnaissance des effets toxiques éventuels justifient la plus grande prudence. Dans cette optique, en raison de son extrême sensibilité, la torche à plasma constitue donc un outil de choix pour la mesure de leur impact chez l’homme.
CONCLUSION
La torche à plasma, sorte de « scanner à métaux », outre le gain de temps considé- rable grâce à des dosages multiélémentaires, offre une sensibilité jusque là inégalée dans le domaine de l’analyse des métaux. En outre, le détecteur de masse garantit une excellente spécificité. L’intérêt de la mesure simultanée d’un grand nombre d’éléments dans les milieux biologiques ouvre des perspectives nouvelles. Ainsi, il s’avère possible de mettre en évidence non seulement une intoxication aiguë ou chronique à un très grand nombre d’éléments, mais aussi de mieux surveiller les expositions professionnelles, domestiques ou environnementales ainsi que l’impact des nanoparticules métalliques sur l’homme. Toutes les caractéristiques de cette technique prometteuse en font un outil idéal pour la réalisation d’études épidémiologiques. La notion de profil métallique, que nous proposons, constitue également un nouveau champ d’application en médecine humaine. Enfin le développement d’analyses de spéciation des métaux, pour différencier les formes toxiques et non toxiques d’un élément est une source de progrès considérable pour la toxicologie humaine et la santé publique.
REMERCIEMENTS
L’appareillage (torche à plasma), a été acquis grâce à un financement de l’Association pour la Fondation Charles Nicolle, Rouen, France (Président Professeur Éric MAL-
″LET). L’obtention du prix Elisabeth TAUB de l’Académie nationale de médecine a permis de compléter l’équipement de base et de mettre en œuvre un développement nouveau, la spéciation des métaux.
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DISCUSSION
M. Pierre DELAVEAU
L’usage de la torche à plasma est-il rare actuellement ou se répand-il en France et en Europe ? L’application de la ‘‘ spéciation ’’ va-t-elle contribuer à la découverte de nouveaux chapitres de la pathologie ? Quelles données nouvelles au sujet des cheveux de Napoléon contenant de l’arsenic ?
L’usage de la torche à plasma commence à se répandre en France et en Europe car il s’agit d’un nouvel équipement dont les performances sont exceptionnelles et qui offre de nombreuses applications en toxicologie humaine et en santé publique. Cet appareil a déjà montré sa puissance dans de nouveaux chapitres de la pathologie comme l’intoxication au tungstène ou au gadolinium. La spéciation qui permet de différentier les formes toxiques et non toxiques d’un métal s’avère également d’un intérêt majeur. La spéciation de l’arsenic appliquée aux cheveux de Napoléon a permis de prouver récemment que les concentrations élevées d’arsenic mesurées dans les cheveux sont entièrement sous la forme minérale la plus toxique (poison).
M. Christian NEZELOF
Avez-vous l’intention d’étendre vos cibles d’investigation au cordon ombilical ? Cette interrogation dans la suite de la démonstration de mercure dans le cordon ombilical d’enfants japonais après la catastrophe de Minamata.
Je vous remercie pour cette question très intéressante. L’analyse multiélémentaire des métaux dans le cordon ombilical me semble un projet de recherche extrêmement pertinent, projet sur lequel nous avons prévu de travailler.
M. Pierre GODEAU
En ce qui concerne les fibroses systémiques néphrogéniques, n’y a-t-il pas une toxicité différente des diverses substances de contraste contenant du gadolinium ?
En ce qui concerne la fibrose systémique néphrogénique, il existe effectivement une toxicité potentielle très différente des diverses substances de contraste contenant du gadolinium. Alors que les dérivés linéaires présentent le risque toxique le plus élevé, surtout en cas d’atteinte rénale, les dérives cycliques permettent la pratique de l’IRM dans des conditions de sécurité accrue.
M. Roger NORDMANN
Les recommandations nutritionnelles actuelles insistent sur l’intérêt de la consommation de poissons. Or une grande partie de ceux-ci est importée de zones lointaines dont certaines pourraient être contaminées, notamment par des métaux. A-t-on fait des études grâce à votre remarquable technologie sur des échantillons de poissons permettant de lever ce doute ou, au contraire, de justifier les inquiétudes souvent diffusées par les médias ?
Il existe à l’heure actuelle des normes sur les teneurs maximales des principaux métaux contenus dans les poissons destinés à l’alimentation humaine. L’utilisation de la torche à plasma sur des échantillons de poisson devrait permettre d’améliorer ce type de surveillance.
M. Jacques BATTIN
Les pubertés précoces et avances pubertaires étant en nette augmentation depuis vingt ans, ne serait-il pas indiqué de rechercher plus systématiquement, par votre méthode, l’implication des pesticides qui sont des œstrogène-like ?
Cette méthode peut effectivement être utilisée pour mettre en évidence une exposition à des pesticides minéraux qui contiennent des métaux, ou des métalloïdes, mais elle n’est pas applicable aux pesticides organiques.
M. Jean-Marie LAUNAY
Pouvez-vous nous préciser d’une part les éléments qui doivent être dosés en cas d’utilisation de nanoparticules métalliques, citées plusieurs fois à juste titre, et d’autre part, le dosage du zinc qui n’est que listé par les auteurs mais dont le dosage pourrait s’avérer intéressant et peut-être utile dans toutes les situations pathologiques, elles sont de plus en plus nombreuses, où les métalloprotéinases sont augmentées ?
La torche à plasma constitue la méthode de choix pour mettre en évidence une exposition à des nanoparticules métalliques. Cela concerne de très nombreux éléments entrant dans la composition de ces nanoparticules : métaux, métaux lourds, métalloïdes par exemple.
Cette technique permet également de réaliser le dosage du zinc, d’intérêt dans un certain nombre de situations pathologiques, mais pour ce paramètre l’on dispose également d’autres méthodes d’accès plus facile.
Bull. Acad. Natle Méd., 2008, 192, no 3, 555-567, séance du 18 mars 2008