Published 20 March 2018

 

Organisée par le médecin Général Henri JULIEN, membre de l’Académie nationale de Médecine, cette séance a été consacrée à la  « sécurité routière, un engagement de santé publique ».

Entretiens avec MM. Henri JULIEN, Philippe LAUWICK, Jean-Yves LE COZ et Mme Wafa SKALLI à l’ANM

Sujet de santé et de société dans lequel les médecins ont un rôle à toutes les étapes de la prévention, aux soins et à l’insertion mais aussi dans les recherches innovantes voire futuristes sur l’étude des mécanismes de l’accident de la route, des chocs et des traumatismes induits, et des réactions des différents segments et tissus du corps humain à ces chocs extrêmes.

Quelle est l’actualité de l’accidentalité routière dans le monde et dans notre pays ?

Dans son introduction de la séance, Henri JULIEN nous a livré les chiffres inquiétants du bilan annuel 2017, mauvaise année pour le risque routier, avec augmentation : des personnes tuées (+1,7%), des hospitalisations de plus de 24h (+2%), et des accidents corporels (+2,7%).

Les mesures de prévention ont eu un impact majeur dans la diminution de la mortalité par millions de km parcourus : ceinture à l’avant du véhicule, casque pour les 2 roues, installation de radars automatiques pour diminuer la vitesse. Sur les routes hors agglomération, 63% accidents mortels sont liés à la vitesse excessive; sur les autoroutes il s’agit plutôt de malaises et de fatigue. L’alcool (et les stupéfiants) sont en cause dans plus de 25% des accidents mortels. Les blessures à la tête entraînent les séquelles les plus graves et le handicap.

Les recherches actuelles étudient la dynamique des véhicules, la biomécanique des accidents et la modélisation numérique de l’être humain appliquée à la traumatologie.

Le Dr Philippe LAUWICK, Président de l’Automobile Club médical de France, membre du Conseil national de sécurité routière, a abordé la question de l’évaluation de l’aptitude médicale à la conduite et de ses enjeux.

Quelles sont les missions dévolues aux médecins praticiens du travail, et médecins agréés pour le contrôle de l’aptitude à la conduite ? En fait, ce contrôle médical a pour objectif principal de préserver, pour le plus grand nombre, un droit de conduire et donc l’autonomie de déplacement, si besoin au prix d’aménagements personnalisés. Ce contrôle a bien sûr pour objectif d’identifier les contre-indications médicales majeures et d’écarter de la route les conducteurs les plus dangereux en raison notamment de consommation d’alcool ou de stupéfiants non contrôlées. Il convient de sensibiliser et former l’ensemble des professionnels de santé pour qu’ils s’impliquent dans cette démarche de santé publique.

Diverses situations médicales nécessitant conseils, aménagements voire restrictions sont données en exemple. Cataracte, apnées du sommeil, choix des médicaments prescrits induisant ou non une somnolence, sont du ressort des médecins de soins et du travail, sachant que la première cause de mortalité au travail est liée aux accidents de la route. Pour certains seniors en situation de fragilité physiologique, l’autorisation de conduite sera maintenue, aménagée et, si nécessaire, dans un périmètre limité autour du domicile.

Faute d’élément probant sur son efficacité, une visite médicale systématique de l’ensemble des conducteurs ne peut être proposée. Mais le repérage des risques pourrait être amélioré par une formalisation du recueil des données médicales lors de l’inscription aux permis de conduire et par la meilleure reconnaissance des 3500 médecins agréés en France comme acteurs de sécurité routière.

La place de la recherche médicale en accidentologie est pleinement justifiée lorsque l’on prévoit que la mortalité routière sera, à l’horizon 2020, la 3ème cause de mortalité dans le monde, conséquence du développement exponentiel de la mobilité individuelle en particulier dans les pays émergents.

Ces recherches sont illustrées par deux communications au cours desquelles ont été projetés des films de « crash tests » virtuels permettant de visualiser les effets du choc sur le véhicule et sur le corps humain « mannequin » maintenant virtualisé dont on peut analyser avec précision les propriétés biomécaniques et les réactions dynamiques.

Apport de la biomécanique des chocs dans la prévention des blessures, tel a été le propos du Dr Jean-Yves LE COZ

Médecin, ingénieur, responsable de recherches pluridisciplinaires en accidentologie et biomécanique des chocs. Le Dr Yves LE COZ souligne l’importance de la collaboration des médecins et ingénieurs dans ce domaine.

La conception de systèmes de protection sûrs repose sur l’identification des mécanismes de blessures, et sur la connaissance de la tolérance de l’être humain à l’impact.

Les biomécaniciens établissent ainsi des courbes de risque mettant en relation des paramètres biomécaniques  et de risque de blessures.

D’abord basés sur l’utilisation de mannequins physiques, les essais de choc bénéficient maintenant du développement de modèles numériques substituts de l’être humain, du nouveau-né jusqu’à l’adulte, utilisés au quotidien dans les bureaux de conception de véhicules. Des vidéos de « crash tests » sont projetées lors de la séance. Les résultats obtenus en termes de protection et d’évitement de blessures lors des accidents de la route prouvent la puissance de la démarche. Tous ces travaux fixent des critères à respecter dans le cadre de l’homologation internationale des véhicules et de la règlementation pour la protection des usagers.

L’équipe du Dr Wafa SKALLI  a une longue tradition de recherches pluridisciplinaires sur les modèles numériques d’êtres humains  appliquée ici à la « Simulation biomécanique personnalisée et application à la traumatologie ».

 Les modèles biomécaniques sont maintenant utilisés dans les « crash tests » virtuels en amont de la construction de prototypes de véhicules. Cependant ces modèles ne prennent que partiellement en compte l’extrême variabilité du corps humain. Cette variabilité soulève des défis liés à la personnalisation des modèles, qu’il s’agisse de la géométrie ou des propriétés mécaniques des tissus (os et tissus mous). Les progrès en imagerie médicale et en particulier la radiographie biplane et les reconstructions 3D associées, utilisées en routine clinique, ont permis des avancées drastiques en modélisation géométrique (courbures du rachis par exemple), et donnent aujourd’hui accès à de larges bases de données. Ceci permet d’analyser et de modéliser les variations interindividuelles à partir de la caractérisation des propriétés mécaniques osseuses et de celles, in vivo, des tissus mous par élastographie ultrasonore (du disque intervertébral par exemple). La personnalisation des modèles biomécaniques ouvre un champ d’exploration très large. Au-delà du domaine de la sécurité routière, les recherches en modélisation personnalisée sont également actives en orthopédie et traumatologie pour l’identification de sujets à risques ou pour la planification des traitements conservateurs ou chirurgicaux. De véritables « outils métiers » devraient émerger tenant compte des spécificités de chaque individu, apportant ainsi une contribution à la médecine individualisée.