Résumé
Démyélinisation et atteinte axonale sont à l’origine de la survenue, puis de l’aggravation du handicap neurologique dans la sclérose en plaques. L’existence d’une remyélinisation des lésions est démontrée. Elle permet la restauration d’une conduction nerveuse. Elle joue aussi un rôle majeur dans la prévention de la neuro-dégénérescence. Parfois efficace, cette réparation myélinique est néanmoins le plus souvent insuffisante. L’analyse des lésions de sclérose en plaques, ainsi que l’étude de modèles in vivo et in vitro de myélinisation et de remyélinisation a amélioré notre compréhension des mécanismes cellulaires et moléculaires impliqués dans le succès ou la faillite de la réparation myélinique dans le système nerveux central. Cette approche permet en outre l’identification de cibles potentielles pour des stratégies thérapeutiques de remyélinisation.
Summary
Disability in multiple sclerosis is related to demyelination and axonal injury. Remyelination has been shown to occur in the different forms of the disease. In addition to restoring nerve conduction, myelin repair has a major role in preventing neurodegeneration. However, although sometimes extensive, remyelination is usually insufficient. Our understanding of the cellular and molecular mechanisms underlying the success or failure of myelin repair has benefited from lesion analysis in multiple sclerosis, and from in vivo and in vitro models of myelination and remyelination. This also provides potential targets for therapeutic intervention aimed at promoting endogenous remyelination.
La sclérose en plaques est caractérisée par la destruction de la myéline du système nerveux central. Cette démyélinisation, en plaques multifocales, est liée à une réaction auto-immune vis-à-vis d’un antigène cible encore inconnu. La conséquence initiale de la démyélinisation est la survenue d’un trouble de la conduction nerveuse, bloc de conduction le plus souvent, qui est à l’origine des symptômes dans les fibres cliniquement éloquentes. La perte de l’élément trophique que constitue la gaine de myéline a aussi une influence majeure sur l’axone, qui devient plus vulnérable. Cette souffrance axonale induite par la démyélinisation est l’un des mécanismes de la composante neuro-dégénérative de la sclérose en plaques.
L’existence d’une remyélinisation spontanée des lésions de sclérose en plaques, suggérée dès 1906 par Marburg [1] a été confirmée par les observations en microscopie électronique de Périer et Grégoire [2]. Les caractéristiques ultrastructurales de la myéline néo-formée sont une épaisseur réduite (ce qui correspond à un nombre plus faible d’enroulements myéliniques autour de l’axone) ainsi qu’une longueur inter-nodale (c’est-à-dire la distance comprise entre deux nœuds de Ranvier) plus courte par rapport aux fibres normalement myélinisées. Initialement mise en évidence à la périphérie de lésions chroniques [2, 3], cette remyélinisation a ensuite été décrite dans des lésions récentes et actives [4, 5]. Elle est variable dans son étendue, d’une remyélinisation marginale, le plus souvent localisée à la périphérie de la plaque, à une réparation de l’ensemble de la lésion. Ce dernier cas correspond aux « shadow plaques » ou plaques ombrées, car colorées de façon moins intense par le colorant myélinique par rapport à la périplaque normalement myélinisée. Cette « pâleur myélinique » est liée à une réduction uniforme de l’épaisseur de la gaine de myéline.
Cette néo-myéline, qui est donc un peu différente de la myéline normale, est néanmoins fonctionnelle. Cette démonstration découle des travaux du groupe de Ian McDonald [6], dans un modèle de démyélinisation chimique intra-spinale chez le chat. Dans ce modèle, l’enregistrement électro-physiologique des potentiels d’action a permis d’établir que la remyélinisation était associée à la restauration d’une conduction électrique normale.
Plus récemment, les travaux de neuropathologie sur des lésions de sclérose en plaques et l’analyse de différents modèles expérimentaux de démyélinisation, modè- les inflammatoires comme l’encéphalomyélite allergique expérimentale ou modèles chimiques comme les démyélinisations induites par la lysolécithine, la cuprizone ou le bromure d’éthidium, ont permis de clarifier la nature des cellules qui assurent la réparation myélinique dans le système nerveux central adulte. La participation des cellules oligodendrocytaires matures ayant survécu à l’agression démyélinisante semble en fait marginale, voire absente, dans ce phénomène de réparation. Celle-ci
semble assurée en quasi-totalité par des cellules immatures, les précurseurs d’oligodendrocytes. Le débat persiste sur l’origine de ces précurseurs d’oligodendrocytes impliqués dans la remyélinisation. Ces cellules pourraient être issues de la zone sous ventriculaire, qui peut être le siège d’une oligodendrogénèse dans des conditions expérimentales de démyélinisation. Elles pourraient aussi correspondre aux précurseurs d’oligodendrocytes disséminés dans la substance blanche du système nerveux central adulte. Ces deux hypothèses ne sont pas mutuellement exclusives. Parallèlement, il semble que dans certaines lésions médullaires, les cellules de Schwann puissent migrer à partir des racines des nerfs périphériques et remyéliniser des fibres démyélinisés centrales [7, 8].
La réalité de la réparation myélinique dans la sclérose en plaques est donc acquise.
D’autres données sont plus récentes. Elles concernent les aspects quantitatifs de cette réparation, ainsi que les mécanismes cellulaires et moléculaires impliqués dans ce processus. Elles apportent un éclairage nouveau sur les facteurs en cause dans la faillite ou le succès de la réparation myélinique dans la sclérose en plaques.
Remyélinisation : les données récentes
La variabilité inter-individuelle de la remyélinisation
La remyélinisation dans la sclérose en plaques a longtemps été considérée comme un phénomène très limité, notamment dans les phases tardives et/ou progressives de la maladie. Ces données ont été contredites par des études récentes, provenant de plusieurs groupes de neuropathologie [9-11]. La plus large étude est celle du groupe de Hans Lassmann [11], qui a analysé les capacités de remyélinisation à partir d’autopsies de patients atteints de sclérose en plaques. L’étendue de la remyélinisation était exprimée en pourcentage de la surface lésionnelle démyélinisée. Cette étude a confirmé l’existence d’une remyélinisation extensive dans 20 % des cinquante et un cas analysés. En outre, dans un sous groupe dans lequel des sections hémisphériques larges ou bihémisphériques ont été analysées, cette étude a montré une ségrégation en deux groupes, l’un caractérisé par une remyélinisation extensive, avec un pourcentage de remyélinisation compris entre 60 à 96 % de la surface démyélinisée, l’autre caractérisé par une remyélinisation faible, avec un pourcentage de remyélinisation inférieur à 25 % de la surface démyélinisée. De façon intéressante, il n’existait pas de différence dans le pourcentage de remyélinisation selon la forme évolutive de la maladie. La remyélinisation extensive n’était pas limitée aux formes récentes, rémittentes de la maladie, mais était aussi détectée dans les formes progressives, secondaires ou primitives. Ni l’âge au début de la maladie ni le sexe ne semblaient influencer la capacité de réparation.
Ces études ont aussi suggéré que la localisation lésionnelle pourrait influer sur la capacité de remyélinisation : en effet, les lésions périventriculaires étaient globalement moins remyéliniseés, au contraire des lésions corticales, le plus souvent le siège d’une remyélinisation étendue [9].
Ces résultats sont novateurs. Outre la démonstration d’une capacité préservée de remyélinisation dans les formes progressives de la maladie, ils suggèrent qu’il existe une relative homogénéité intra-individuelle des capacités de réparation myélinique dans la sclérose en plaques, contrastant avec une grande variabilité interindividuelle. Il pourrait ainsi exister des facteurs individuels favorisant la réparation myélinique, certains individus étant « bons remyélinisateurs » et d’autres « mauvais remyélinisateurs ».
La remyélinisation récapitule la myélinisation développementale
Les données expérimentales suggèrent que la remyélinisation récapitule la myélinisation développementale, en suivant les mêmes étapes : une première étape de mobilisation de cellules immatures, suivie d’une phase de migration en réponse à des facteurs chimiokinétiques comme le FGF2 (fibroblast growth factor 2), ou chimiotactiques comme le PDGF-A ( ? ?platelet derived growth factor A) ? ? ?, les Sémaphorines 3A et 3F ou la nétrine1, dont l’expression a été montrée dans les zones de démyélinisation. La troisième étape est celle de la différenciation des cellules précurseurs en oligodendrocytes, et l’interaction entre la cellule oligodendrocytaire et l’axone démyélinisé. Cette étape est régulée par des molécules de surface exprimées par les deux partenaires cellulaires.
La remyélinisation nécessite en outre des modifications intrinsèquement axonales.
L’un des exemples est le rétablissement d’une organisation moléculaire en domaines axonaux spécialisés (nœud de Ranvier, région paranodale, région juxta paranodale) lors de la remyélinisation. Cette organisation moléculaire sous-tend en effet la conduction saltatoire, rapide, des fibres myélinisées. L’analyse de différents modèles expérimentaux de démyélinisation ainsi que l’étude de lésions de sclérose en plaques ont montré que les différentes protéines qui organisent ces différents domaines axonaux des fibres myélinisées sont modifiées lors de la démyélinisation, avec une redistribution diffuse le long de l’axone [12, 13]. La redistribution des canaux sodium voltage dépendants (Nav), qui sont normalement agrégés au nœuds de Ranvier, joue probablement un rôle essentiel dans le maintien d’une conduction lente sur la fibre démyélinisée, qui permet peut-être de préserver la fonction. Elle influencerait aussi la survie neuronale, en fonction de l’isoforme prédominante, mature ou immature, du canal sodium exprimé le long de l’axone dénudé [13]. La remyélinisation est associée à la réapparition d’une organisation moléculaire nodale et périnodale en domaines spécifiques, et donc d’une réagrégation de ces protéines axonales spécifiques. Nos résultats suggèrent que la réagrégation des canaux sodium survient avant le début de la remyélinisation, et est peut-être initiatrice de celle-ci. Le facteur responsable de cette agrégation des canaux sodium dans le système nerveux central reste inconnu. Dans le système nerveux périphérique, la gliomédine est une protéine sécrétée par les cellules de Schwann qui pourrait induire l’agrégation des canaux sodium [14]. Son équivalent dans le système nerveux central n’a pas à notre connaissance été mis en évidence. Il est envisageable qu’un facteur sécrété par les cellules oligodendrogliales joue un rôle dans cette agrégation nodale des canaux
sodium, comme le suggèrent des études in vitro montrant que le milieu conditionné d’oligodendrocytes induit l’agrégation des canaux sodium voltage dépendants sur des neurones isolés.
L’influence pro-myélinisante de l’inflammation
L’étude des différents modèles expérimentaux de démyélinisation a fait émerger le concept « perturbateur » de l’influence pro-myélinisante de la réaction inflammatoire sur la remyélinisation. Il est certes évident que la cascade inflammatoire (cellules lymphocytaires CD4, cellules lymphocytaires CD8, anticorps, cellules microgliales, cytokines) est délétère pour la gaine de myéline (ainsi que pour l’axone). Néanmoins, dans différents paradigmes expérimentaux, la suppression de l’inflammation (par dépletion macrophagique notamment) diminue l’étendue de la remyélinisation [15]. Au contraire, dans un modèle de mutant murin caractérisé par une démyélinisation chronique, l’induction d’une inflammatoire locale stimule la migration de cellules oligodendrogliales greffées, et ainsi la rapidité et l’étendue de la réparation myélinique [16]. Ces résultats sont importants, même si leur « amplitude » physiologique reste à déterminer. Ils doivent néanmoins faire réfléchir à l’utilisation des thérapeutiques immunosuppressives dans la sclérose en plaques, en gardant à l’esprit que la suppression d’une réponse inflammatoire pourrait peut-être diminuer à moyen terme les capacités de réparation myélinique, et ainsi accélérer la phase progressive de la maladie.
Pourquoi seules certaines lésions de sclérose en plaques rémyélinisent ?
Les mécanismes qui sous-tendent faillite ou succès de la réparation myélinique sont certainement nombreux et non exclusifs. Pour tenter de disséquer les différents facteurs impliqués dans cette entreprise biologique de réparation, la distinction, en fonction de leur contenu en cellules oligodendrocytaires, des différents types de plaques démyélinisées est utile. Les études neuropathologiques nous ont en effet enseigné qu’il existe deux types de lésion démyélinisée : les lésions dans lesquelles persistent des cellules myélinisantes, oligodendrocytes ou cellules précurseurs d’oligodendrocytes ; des lésions caractérisées au contraire par une dépopulation oligodendrocytaire. Nous envisagerons l’une puis l’autre de ces lésions, en évoquant pour chacune d’entre elles les mécanismes qui pourraient expliquer la faillite de la remyélinisation.
Les lésions avec persistance de cellules myélinisantes
Ces lésions, dans lesquelles persistent des cellules oligodendrocytaires, immatures ou plus différenciées ont été décrites dans la moelle épinière [17] et le cerveau [18].
Ces cellules survivent, émettent des prolongements qui s’alignent le long des axones, sans myéliniser. Cette discordance entre la persistance des acteurs cellulaires de la remyélinisation et l’incapacité de réparation suggère l’existence de facteurs inhibi-
teurs de la différenciation et de la maturation de l’oligodendrocyte, ou du processus de remyélinisation.
L’inhibition de la différenciation oligodendrocytaire
La voie Notch/Jagged Cette voie de signalisation est impliquée dans la différenciation de différents types cellulaires au cours du développement. Dans le système nerveux central, au cours du développement, la protéine Notch est exprimée par les cellules précurseurs d’oligodendrocytes, et la protéine Jagged par l’axone. L’activation de Notch par Jagged inhibe la différentiation oligodendrocytaire. Cette voie est ensuite inactivée à la fin du développement. Dans les lésions de sclérose en plaques, une expression astrocytaire de Jagged a été détectée dans les zones démyélinisées, et pourrait inhiber la différenciation des cellules précurseurs d’oligodendrocytes adultes exprimant la protéine Notch en réactivant une signalisation inhibitrice [19]. L’inhibition de la sécrétase, qui bloque l’activation de Notch, favoriserait la réparation myélinique dans un modèle expérimental de démyélinisation [20] La réalité physiologique de cette voie d’activation dans la myélinisation reste néanmoins à démontrer, dans la mesure où l’invalidation oligodendrogliale du gène Notch par transgénèse conditionnelle ne modifie pas les capacités de remyélinisation après démyélinisation chimique par la cuprizone, par rapport aux animaux contrôles [21].
D’autres molécules inhibitrices de la différenciation oligodendrocytaire ont récemment été identifiées, comme la molécule LINGO-1,
LINGO-1 est une protéine transmembranaire exprimée par les cellules précurseurs d’oligodendrocytes et les axones dans le système nerveux central. In vitro et in vivo ,
LINGO-1 inhibe la myélinisation et son invalidation par transgénèse accélère, aux étapes précoces du développement, la chronologie de la myélinisation du système nerveux central. Des stratégies expérimentales de stimulation de la myélinisation et de la remyélinisation par inhibition de LINGO-1 sont en cours de développement [22, 23].
Les facteurs inhibiteurs de la myélinisation
Les signaux axonaux inhibiteurs Certaines molécules, exprimées à la surface de l’axone, appartenant à la superfamille des immunoglobulines, jouent un rôle dans la myélinisation. Parmi celles-ci, la molécule PSA-NCAM (forme polysialylée de la molécule d’adhérence NCAM, neural cell adhesion molecule) joue un rôle de régulateur négatif de la myélinisation au cours du développement, et son expression disparaît lors de la myélinisation [24].
Nous avons montré que PSA-NCAM était réexprimée à la surface de certains axones démyélinisés dans des lésions de sclérose en plaques, et suggéré que la réexpression de cette molécule inhibitrice pouvait être l’un des facteurs inhibiteurs de la myélinisation [25]. La mise en évidence de ces inhibiteurs (PSA-NCAM n’étant
que l’un d’entre eux) ouvre des perspectives de stratégies thérapeutiques, basées sur la suppression de ces molécules inhibitrices de la réparation myélinique.
Parallèlement à ces molécules de surface axonale, d’autres facteurs axonaux inhibiteurs sont potentiellement impliqués : le bloc de conduction, sur l’axone démyélinisé, pourrait être l’un d’entre eux, dans la mesure où l’activité électrique est nécessaire aux étapes initiales du processus de myélinisation [26]. Un défaut de réagrégation des canaux sodium pourrait aussi jouer un rôle, cette étape d’agrégation étant l’un des évènements initiaux (et peut-être initiateur) du processus de remyélinisation.
Les lésions avec dépopulation oligodendrogliale
Dans ces lésions, la cause du défaut de remyélinisation est claire : c’est l’absence d’acteur cellulaire de la myélinogénèse. Cette dépopulation oligodendrocytaire contraste avec la persistance, dans le système nerveux central adulte normal, de cellules précurseurs, potentiellement remyélinisantes, et qui sont disséminées dans la substance blanche. Un des mécanismes pourrait être un épuisement du pool de cellules précurseurs, secondaire aux démyélinisations répétées, mais cette hypothèse n’est pas confirmée dans différents modèles expérimentaux, dans lesquels des démyélinisations répétées ne diminuent pas les capacités de remyélinisation [27, 28].
Ceci ne permet pas néanmoins d’exclure ce mécanisme dans la sclérose en plaques.
L’autre hypothèse est celle d’un défaut de recrutement de ces cellules précurseurs vers la lésion démyélinisée, par défaut de signal attractif ou par excès de signal répulsif. On sait en effet qu’au cours du développement, la migration des cellules précurseurs d’oligodendrocytes est sous le contrôle de différentes molécules de guidage. Certaines de ces molécules de guidage appartiennent à la famille des sémaphorines, notamment les sémaphorines de classe 3 et exercent des effets opposés sur la migration des cellules précurseurs d’oligodendrocytes dans le nerf optique au cours du développement : la sémaphorine 3A a une action répulsive alors que la sémaphorine 3F a un effet d’attraction [29]. Ces résultats nous ont conduit à envisager qu’une dysrégulation de ces molécules de guidage pourrait expliquer en partie le défaut de recrutement de cellules précurseurs. Nous avons ainsi récemment analysé, en hybridation in situ , l’expression des transcrits de ces molécules de guidage, sémaphorine 3A et sémaphorine 3F sur du tissu cérébral post-mortem de sclérose en plaques et sur du tissu cérébral contrôle. Nous avons tout d’abord montré que les transcrits codant pour ces protéines ne sont pas exprimés dans la substance blanche de tissu cérébral contrôle. En revanche, ils sont exprimés dans les prélèvements provenant de sclérose en plaques, avec une expression qui est restreinte aux lésions actives, c’est-à-dire les lésions inflammatoires, alors qu’elle est absente des lésions chroniques et de la substance blanche en apparence normale, à distance des lésions démyélinisées. L’expression de ces transcrits est liée majoritairement à l’infiltrat microglial et astrocytaire localisé à la périphérie de lésions actives. Nos résultats suggèrent en outre que les lésions les plus inflammatoires expriment plus de sémaphorines 3F par rapport à la sémaphorine 3A. Ces lésions seraient ainsi
potentiellement plus « attractives » vis-à-vis des cellules précurseurs d’oligodendrocytes, et donc plus favorables à la remyélinisation. Ces résultats sont en accord avec les données sur le rôle pro-myélinisant de la réaction inflammatoire dans différents modèles expérimentaux de démyélinisation (voir ci-dessus).
Parallèlement à cette expression gliale autour des lésions actives dans la substance blanche, il existe également une augmentation de l’expression de ces transcrits dans le cortex de sclérose en plaques. Cette expression est uniquement neuronale. Environ 60 % des neurones corticaux de sclérose en plaques expriment ces molécules de guidage, un pourcentage double de celui des cortex contrôles.
Ces résultats ont été confirmés dans un modèle expérimental de démyélinisation, induit par injection d’un agent démyélinisant chimique (la lysolécithine) dans le tractus cortico-spinal de moelle épinière de rat [30].
D’autres molécules ont aussi une influence sur la migration des cellules précurseurs d’oligodendrocytes au cours du développement : outre le FGF2 et le PDGF A, qui ont aussi un effet de prolifération, CXCL1, une chimiokine qui bloque la migration des cellules précurseurs, est fortement exprimée par les astrocytes réactifs autour de la plaque démyélinisée [31]. La nétrine1 est aussi un chimiorépulsif pour les cellules pré- curseurs de la moelle épinière, et son expression est augmentée après un traumatisme spinal [32]. On peut ainsi envisager que l’expression relative de molécules attractives ou répulsives pourrait influer sur les capacités de recrutement des cellules précurseurs vers la lésion démyélinisée et ainsi sur les capacités de réparation myélinique.
Ces résultats ouvrent des perspectives de stratégies thérapeutiques, basées sur la manipulation de ces facteurs de guidage, par modification de leur niveau d’expression, ou par intervention sur leurs récepteurs et/ou sur la cascade intra-cellulaire de signalisation. L’objectif de ce type de stratégie est de stimuler le recrutement oligodendrocytaire dans les zones démyélinisées, et donc la remyélinisation endogène.
CONCLUSION
La capacité de remyélinisation persiste dans le système nerveux central adulte après une démyélinisation, avec une efficacité variable. La dissection des mécanismes cellulaires et moléculaires impliqués dans l’échec ou le succès de la remyélinisation dans le système nerveux central permet d’envisager des stratégies de réparation myélinique endogène, dont l’évaluation est actuellement en cours dans différents modèles expérimentaux. Favoriser la remyélinisation est un objectif majeur dans la sclérose en plaques, dans la mesure où cette remyélinisation, outre la restauration de la conduction nerveuse rapide, représente probablement l’un des moyens les plus efficaces pour protéger l’axone de la neuro-dégénérescence secondaire.
REMERCIEMENTS
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Neurosci ., 2003, 23(9), 3735-44.
DISCUSSION
M. Bernard PESSAC
Quel(s) est (sont) les antigènes ?
Il n’existe pas à l’heure actuelle d’antigène cible connu dans la sclérose en plaques. C’est la grande différence entre sclérose en plaques et encéphalite allergique expérimentale. On sait en revanche qu’il existe, dans le sang et le liquide céphalorachidien de patients atteints de sclérose en plaques, des auto-anticorps qui reconnaissent différents antigènes protéiques ou lipidiques de la myéline. Ces auto-anticorps correspondent probablement à des réponses immunes secondaires qui surviennent au cours de l’évolution de la maladie.
M. Jean-Jacques HAUW
Existe-t-il d’autres conditions pathologiques dans lesquelles des anomalies de l’expression des sémaphorines ont été décrites ?
L’augmentation de l’expression des sémaphorines n’est pas spécifique des pathologies démyélinisantes du système nerveux central. Une augmentation de l’expression corticale des ARN messagers de sémaphorine 3A a été rapportée dans des modèles expérimentaux d’ischémie artérielle cérébrale et dans des modèles traumatiques. Cette dysrégulation pourrait ainsi représenter une réponse non spécifique à une souffrance du tissu cérébral.
M. Claude DREUX
Existe-t-il un traitement des formes progressives d’emblée sans poussée (en dehors de la remyélinisation qui fait l’objet de vos remarquables recherches actuelles) ?
Il n’existe pas actuellement de traitement dont l’efficacité ait été démontrée dans les formes progressives de sclérose en plaques dont la physiopathologie est probablement un peu différente des formes rémittentes. Une étude débutera d’ici quelques semaines, avec un immunosuppresseur de « nouvelle génération », le FTY720. Cette molécule « trappe » les lymphocytes dans les organes lymphoïdes en bloquant leur migration par action sur des récepteurs sphingosine1-phosphate exprimés par ces cellules immunitaires. Un essai de phase 3 est déjà en cours dans les formes rémittentes, depuis environ un an.
M. André-Laurent PARODI
Connaît-on les mécanismes qui commandent à la concentration ou l’activation des substances inhibitrices de la différenciation des précurseurs des oligodendrocytes ?
On ne connaît pas les mécanismes qui agissent sur l’expression, ou l’activation des molé- cules inhibitrices de la différenciation des précurseurs d’oligodendrocytes. En ce qui concerne l’expression axonale de molécules d’adhérence inhibitrices de l’étape de myéli-
nisation comme la forme sialylée de NCAM (PSA-NCAM), il est envisageable que cette expression corresponde à une relocalisation d’un stock intra-cytosplasmique de cette molécule d’adhérence, possiblement par le biais d’une mobilisation calcique axonale.
M. Jean-Luc de GENNES
À propos de la lésion anatomopathologique de la sclérose en plaques, y a-t-il une composante d’hypervascularisation de la lésion, comme il est très facile pour nous de la mettre en évidence, par exemple, dans les lésions de la thyroïdite auto-immune, dont l’hypervascularisation se réduit parallèlement à l’évolution favorable de la lésion ?
Il n’existe pas dans les lésions de sclérose en plaques de composante d’hypervascularisation. En revanche, il est clair que les lésions sont le plus souvent centrées par un vaisseau et que la plaque se développe de façon centrifuge à partir de ce vaisseau. Même en l’absence d’hypervascularisation, cette relation topographique entre le vaisseau et la plaque de démyélinisation est intéressante dans la mesure où on commence à entrevoir que des molécules angiogéniques, comme le VEGF, ont une action sur la différenciation oligodendrogliale.
* Fédération des maladies du système nerveux et Inserm U-711, Hôpital de la Salpêtrière, UPMC 47 boulevard de l’hôpital, 75651 Paris cedex 13 Tirés à part : Professeur Catherine LUBETZKI, même adresse Article reçu le 26 novembre 2007, accepté le 11 février 2008
Bull. Acad. Natle Méd., 2008, 192, no 3, 495-506, séance du 4 mars 2008