Communication scientifique
Session of 15 janvier 2002

La resynchronisation cardiaque par stimulation biventriculaire : nouveau traitement de l’insuffisance cardiaque réfractaire

MOTS-CLÉS : entraînement electrosystolique.. insuffisance cardiaque, thérapeutique
Cardiac resynchronisation with biventricular pacing : new treatment for advanced heart failure
KEY-WORDS : cardiac pacing, artificial.. heart failure, congestive, therapeutics

J.C. Daubert, Ch. Leclercq, Ph. Mabo

Résumé

Malgré les remarquables progrès du traitement médical, l’insuffisance cardiaque réfractaire touche des patients de plus en plus nombreux et de plus en plus âgés. Du fait des limites d’accès à la transplantation cardiaque et du caractère encore expérimental des autres techniques telles le cœur artificiel et la cardiomyoplastie cellulaire, les possibilités de traitement non pharmacologique restent très limitées. Pour pallier cette pénurie de moyens, nous avons besoin de traitements moins lourds, plus faciles à mettre en œuvre et moins onéreux, pour soulager ces patients souvent âgés et très invalides. La resynchronisation cardiaque par stimulation biventriculaire a été introduite en France au début des années 90. Elle vise à corriger les désordres électromécaniques induits par des troubles de conduction auriculo-ventriculaire (AV) ou intraventriculaire de haut degré, qui existent chez 30 à 50 % de ces patients et s’aggravent au fil du temps. Il en résulte plusieurs formes d’asynchronisme cardiaque : asynchronisme AV dans le cœur gauche, asynchronisme interventriculaire et asynchronisme intra-VG avec retard et dispersion de la contraction et de la relaxation qui viennent aggraver les conséquences de la dysfonction systolique du ventricule gauche (VG). Après validation du concept par des études hémodynamiques aiguës et quelques études pilotes de stimulation permanente, plusieurs études contrôlées (MUSTIC, MIRACLE, CONTAK-CD) ont montré que la resynchronisation cardiaque par stimulation atriobiventriculaire améliorait significativement les symptômes, la tolérance à l’effort et la qualité de vie des patients en insuffisance cardiaque stade III ou IV, non améliorés par un traitement médical optimisé et qui avaient sur l’ECG de base l’évidence d’un important délai d’activation intra-ventriculaire (QRS > 120, 130 ou 150 ms selon les études). De plus, le nombre de réhospitalisations pour insuffisance cardiaque (IC) décompensée était spectaculairement diminué (divisé par 7 dans MUSTIC). L’évaluation de ce nouveau traitement très prometteur se poursuit. Elle devra en particulier répondre aux questions suivantes : quel est l’impact sur la mortalité ? C’est l’objet des études CARE-HF et COMPANION actuellement en cours en Europe et aux Etats-Unis. La stimulation biventriculaire a t-elle un effet pro ou antiarythmique ? Faut-il y associer de principe un défibrillateur automatique ? Existe t-il un « reverse remodelling effect » permettant d’espé- rer une régression ou du moins une prévention de la progression de la dysfonction VG ? Comment sélectionner les patients potentiellement répondeurs à ce traitement ?… Car les succès ne sont pas constants (environ 70 % des patients implantés).

Summary

Despite continous progress in drug therapy, many patients are still progressing into advanced heart failure, a very poor condition in terms of quality of life and prognosis. Therapeutic resources are quite limited at that end-stage. Heart transplantation may only be proposed to a small minority of patients. New non pharmacological alternatives like cellular cardiomyoplasty or left ventricular (LV) implantable assist device are still under evaluation. So simpler and cheaper approaches have imperatively to be developed for treating this highly invalidated and rapidly growing and ageing population. Cardiac resynchronisation therapy (CRT) with multisite biventricular pacing has been initiated in France in the early 90’s. The aim of CRT is to try and correct the electromechanical abnormalies that result from atrioventricular and intraventricular conduction delay (IVCD), a very common observation (30-50 %) in patients with chronic heart failure (CHF). IVCD worsens progressively overtime and is responsible for discoordinated interventricular and left-intraventricular contraction/relaxation which in turn enhances the hemodynamic consequences of the baseline LV systolic dysfunction. This new therapeutic concept was first assessed in acute hemodynamic studies with temporary pacing, then in pilot studies with permanent transvenous biventricular pacing. Several controlled studies (MUSTIC, MIRACLE, CONTAKCD…) were conducted aferwards and demonstrated that CRT might improve significantly symptoms, quality of life and exercise tolerance in patients with severe heart failure (NYHA class III — IV) under optimized drug treatment, low ejection fraction and significant IVCD as indicated by an intrinsic QRS duration QRS > 150 ms. The rehospitalisation rate was also significantly reduced with CRT. The clinical benefit was preserved over at least 1 year follow-up. The first validation step is now completed. There are however several important questions yet to be answered. Which is the impact of CRT on all-cause mortality and sudden cardiac death ? Two large-scale studies, CARE-HF in Europe and COMPANION in USA, are ongoing to try and answer this question. Which type of implantable devices has to be developed preferentially : multisite pacemakers or multisite pacemaker-defibrillators ? May CRT induce LV reverse remodelling and thus help at preventing heart failure progression ? Which cost-effectiveness ratio for heart failure management ? How to better select potential responders ?… The whole validation process of CRT should be completed on 2004-2005.

Lorsqu’une insuffisance cardiaque chronique devient réfractaire au traitement médical, altérant sévèrement le confort de vie du patient et générant des hospitali-
sations itératives pour décompensation, les ressources thérapeutiques sont aujourd’hui très limitées. La transplantation cardiaque est le traitement non pharmacologique de recours. Malheureusement, son accès reste très limité autant en raison des critères de sélection exigés qu’en raison de la pénurie croissante de greffons. En 2000, seulement 370 transplantations cardiaques ont été réalisées en France. D’autres thérapeutiques non pharmacologiques sont en cours d’évaluation, telles la transplantation cellulaire (celle-ci, en cas de validation, ne s’adressera qu’aux insuffisances cardiaques d’origine ischémique avec large séquelle d’infarctus) et l’assistance ventriculaire gauche implantable ou le cœur artificiel qui sont des procédures très lourdes et onéreuses.

Il existe donc un indiscutable besoin de thérapeutiques nouvelles, plus simples à mettre en œuvre et plus économiques, pouvant s’adresser à une large population d’insuffisance cardiaque réfractaire en se souvenant que la majorité de ces patients sont âgés. Peut-être la resynchronisation cardiaque par stimulation multisite permettra t-elle de répondre à cet objectif, au moins pour certaines catégories de patients.

HISTOIRE DU TRAITEMENT ÉLECTRIQUE DE L’INSUFFISANCE CARDIAQUE

L’histoire des stimulateurs implantables pour traiter l’insuffisance cardiaque débute en 1990 lorsque Hochleitner et coll. [1] rapportent une amélioration significative des symptômes (classe NYHA) et des indices de fonction systolique ventriculaire gauche après implantation d’un stimulateur double-chambre traditionnel (sonde ventriculaire unique placée à l’apex du ventricule droit) chez 17 patients atteints de cardiomyopathie dilatée, en insuffisance cardiaque réfractaire. Aucun ne relevait d’une indication traditionnelle de stimulation cardiaque. Dans tous les cas, le délai auriculo-ventriculaire avait été programmé à une valeur fixe et courte de 100 ms.

Bien que conforté par d’autres auteurs [2-4], ce bénéfice constaté à court terme n’a pu être confirmé à moyen et long terme [5-7]. Une explication de cet échec apparent a été probablement apportée par le travail de Nishimura et coll. [8] publié en 1995.

Ces auteurs ont clairement montré que la stimulation double-chambre traditionnelle avec délai auriculo-ventriculaire (AV) individuellement optimisé, ne pouvait améliorer la performance cardiaque que chez les patients avec intervalle PR long (> 200 ms) sur l’ECG de surface et présentant les signes échocardiographiques d’un asynchronisme auriculo-ventriculaire majeur dans le cœur gauche : temps de remplissage ventriculaire très court, fusion des ondes A et E sur le flux transmitral, preuve de la perte de toute contribution atriale au remplissage ventriculaire gauche (VG), insuffisance mitrale diastolique … A l’inverse, la stimulation était constamment inefficace, voire altérait la performance cardiaque en cas de PR non allongé.

Au total, on peut retenir de cette première approche que la stimulation doublechambre traditionnelle peut partiellement corriger les conséquences néfastes d’un
asynchronisme auriculo-ventriculaire majeur créé par un PR long, et ainsi améliorer l’état clinique de quelques patients dûment sélectionnés, mais qu’elle ne peut être considérée comme un traitement en soi de l’insuffisance cardiaque.

Une seconde approche est née en 1994 lorsque Serge Cazeau [9] en France et Patricia Bakker [10] aux Pays-Bas ont rapporté les premiers cas d’implantation de stimulateurs atrio-biventriculaires chez des patients en insuffisance cardiaque sévère, là encore ne relevant pas en principe d’une stimulation permanente. Le concept de resynchronisation ventriculaire par stimulation multisite biventriculaire s’est depuis rapidement développé. Ce concept est principalement basé sur :

— la prévalence élevée de troubles de conduction intraventriculaire de haut degré chez les patients en insuffisance cardiaque chronique, avec selon les séries une durée de QRS > 120 ms dans 25 à 53 % des cas et un bloc de branche gauche complet chez 15 à 27 % des patients [11, 12] ;

— la majoration progressive de ces anomalies ECG dans le temps et avec l’aggravation de l’insuffisance cardiaque [13] ;

— leur incidence pronostique : ils sont reconnus comme facteur prédictif indépendant de mortalité ;

— enfin leurs conséquences hémodynamiques propres : en désynchronisant la contraction et la relaxation ventriculaires [14 — 16], ils viennent majorer les effets de la dysfonction ventriculaire gauche basale, en générant une altération complémentaire de la performance systolique et du remplissage ventriculaire, et une aggravation de l’insuffisance mitrale [14, 15].

ÉTUDES HÉMODYNAMIQUES AIGUËS LORS DE STIMULATIONS PROVISOIRES

La validité de ce concept a pu être démontrée par de multiples études hémodynamiques aiguës testant les effets de la stimulation atrio-biventriculaire [16-18] et/ou ceux de la stimulation atrio-ventriculaire gauche [19-21]. Les résultats de ces études sont parfaitement concordants, faisant état d’une augmentation significative du débit cardiaque (essentiellement avec la stimulation biventriculaire), de la pression artérielle systolique et différentielle, de la dP/dT VG (indice indirect de contractilité), et d’une baisse des pressions de remplissage du cœur (artérielle et capillaire pulmonaires). L’analyse des courbes pression-volume montre que l’amélioration de performance systolique VG est associée à l’amélioration du remplissage ventriculaire. Fait important, cette meilleure performance systolique est obtenue sans augmentation de la consommation en O du myocarde [22] démontrant que les effets 2 de la resynchronisation ventriculaire sont radicalement différents de ceux d’un médicament inotrope. Ce bénéfice observé fait intervenir deux mécanismes complé- mentaires : — la resynchronisation ventriculaire qui assure une meilleure coordination de la contraction et de la relaxation des parois du ventricule
gauche, ainsi que la resynchronisation atrio-ventriculaire gauche comme le fait de la stimulation double chambre traditionnelle en cas de PR long [8]. La part respective de ces mécanismes varie probablement d’un patient à l’autre, mais de nombreux arguments expérimentaux et cliniques suggèrent que la resynchronisation ventriculaire joue un rôle prédominant.

Un élément troublant dans ces résultats immédiats est l’absence de différence significative entre effets de la stimulation atrio-biventriculaire et effets de la stimulation atrio-ventriculaire gauche, ce qui conduit à s’interroger sur la réelle utilité de stimuler le ventricule droit. Cette identité de réponse est probablement due au fait que chez ces patients dont la conduction auriculo-ventriculaire est préservée, la stimulation atrio-ventriculaire gauche crée une fusion entre conduction intrinsèque activant la paroi libre du ventricule droit et une partie du septum dans des délais normaux et préexitation du ventricule gauche qui corrige le retard d’activation et de contraction de la paroi libre. Reste à savoir si une telle fusion optimisée peut être durablement maintenue ? L’avantage théorique de la stimulation biventriculaire est de capturer totalement la masse ventriculaire à partir de deux sites et de créer une séquence d’activation stable, indépendante des évolutions (histoire naturelle et effet des médicaments) de la conduction intrinsèque.

EXPÉRIENCE CLINIQUE AVEC LA STIMULATION BIVENTRICULAIRE PERMANENTE

Partant de ces bases, l’efficacité clinique de la stimulation biventriculaire permanente a été évaluée dans plusieurs études non contrôlées, puis contrôlées. Les résultats de trois études [10, 23, 24] ont été publiés. L’étude pilote française [23] a recruté 53 patients entre 1994 et 1996 dans 2 centres : Rennes et Saint-Cloud ; elle est la seule à apporter des informations sur les effets à long terme de cette thérapeutique [23]. L’étude InSync [24] a recruté 103 patients dans 16 centres européens et canadiens en 1997 et 1998 et elle a confirmé la faisabilité d’une technique d’implantation totalement endoveineuse (Fig. 1) avec un taux de succès de 88 % [24]. Les résultats de ces deux études suggèrent que la stimulation atrio-biventriculaire améliore significativement et durablement les symptômes (classe NYHA), la tolé- rance à l’effort et la qualité de vie de patients en classe III ou IV, sélectionnés sur la base d’une résistance à un traitement médical jugé optimal, d’une dysfonction systolique VG de haut degré et d’une durée du QRS spontané > 150 ms sur l’ECG de surface (Fig. 2). Ces études ont aussi montré que le taux de mortalité restait élevé chez ces patients, 20 % à 1 an dans l’étude InSync qui incluait une majorité de patients en classe III et 25 % (40 % à 2 ans) dans l’étude pilote française qui incluait une majorité de patients en classe IV. Ces taux de mortalité sont proches de ceux des groupes témoins de grands essais médicamenteux qui ont été réalisés pendant la même période pour tester les effets des bêta-bloquants (CIBIS II, MERIT-HF, COPERNICUS …), de la spironolactone (RALES) ou des bloqueurs des récepteurs de l’angiotensine (ELITE II).

Fig. 1 — Radiographies de face et de profil montrant la position typique des 3 sondes endocavitaires pour un stimulateur atrio-biventriculaire. La sonde ventriculaire gauche (VG) est positionnée dans une veine postéro-latérale en empruntant le trajet du sinus coronaire. La sonde ventriculaire droite (VD) a été vissée à mi-hauteur du bord antérieur. La sonde atriale (OD) est placée dans la partie antérieure et haute du septum inter-auriculaire.

Plus récemment ont été communiqués les premiers résultats de quatre études contrôlées : les études PATH-CHF [25] MUSTIC [26], MIRACLE [27] et CONTAK-CD.

L’interprétation des données recueillies dans PATH-CHF [25] est délicate du fait de difficultés méthodologiques : petit nombre de patients recrutés sur une très longue période de près de 4 ans ; mise en place d’un système de stimulation très complexe ;

évaluation de l’efficacité d’une configuration de stimulation dite « optimale » variant d’un patient à l’autre selon les résultats d’une étude hémodynamique aiguë peropératoire, source d’une hétérogénéité complémentaire dans la population étudiée.

L’étude MUSTIC [26] a utilisé un programme expérimental beaucoup plus simple, comparant l’efficacité clinique de la stimulation atrio-biventriculaire à l’absence de stimulation pendant deux périodes croisées de 3 mois chacune. Cette étude multicentrique européenne a recruté 131 patients en un an, et démontré que la stimulation atrio-biventriculaire augmentait la tolérance à l’effort (test de marche) de 23 % en

Fig. 2 — Exemple ECG de resynchronisation ventriculaire par stimulation atrio-biventriculaire. En rythme spontané (à gauche), les QRS sont très larges (durée = 186 msec) avec une morphologie de bloc de branche gauche. L’activation du pacemaker (flèche) réduit instantanément la durée du QRS à 145 msec.

moyenne (p < 0.0001), améliorait le score de qualité de vie de 32 % en moyenne (p < 0.0001) et divisait par trois le nombre d’hospitalisations pour insuffisance cardiaque décompensée (p < 0.03). L’amplitude des effets cliniques observés (tolé- rance à l’effort et qualité de vie) apparaît supérieure à tout ce qui avait été précé- demment rapporté avec des traitements médicamenteux, en particulier les inhibiteurs de l’enzyme de conversion. MUSTIC apporte ainsi la première preuve d’un intérêt thérapeutique de la stimulation atrio-biventriculaire chez des patients en insuffisance cardiaque sévère ne relevant pas, en principe, de l’implantation d’un pacemaker.

L’étude MIRACLE [27] a inclus 587 patients sélectionnés sur les mêmes critères que MUSTIC si ce n’est la durée du QRS avec une limite inférieure de 130 ms. L’implantation d’un stimulateur atrio-biventriculaire par voie endocavitaire a été tentée chez tous les patients. Le taux de réussite de l’implantation a été de 93 %. En cas de succès, les patients ont été randomisés en deux groupes parallèles. Dans un groupe, le pacemaker a été programmé en mode actif (atrio-biventriculaire). Dans l’autre groupe, la stimulation a été inactivée. Les patients ont ensuite été suivis pendant 6
mois. Le critère de jugement principal a été la tolérance fonctionnelle jugée sur la classe NYHA, le test de marche de 6 minutes et le score de qualité de vie. Ces trois paramètres ont été améliorés significativement dans le groupe « actif » (p < 0.001 pour la classe NYHA, < 0.003 pour le périmètre de marche et < 0.03 pour le score de qualité de vie). L’analyse complémentaire d’un critère d’évaluation composite combinant survie, hospitalisations pour insuffisance cardiaque décompensée, modifications du traitement médical et tolérance fonctionnelle, a montré que 66 % des patients étaient améliorés dans le groupe « actif » versus 32 % seulement dans le groupe « inactif » (p < 0.001). Le nombre de journées d’hospitalisation pour insuffisance cardiaque décompensée était 5 fois plus faible dans le groupe « actif » (p < 0.03). Pendant cette période d’observation de 6 mois, 10 décès ont été observés dans le groupe « actif » et 14 dans le groupe « inactif ».

L’étude CONTAK-CD (données non publiées, communiquées au congrès de l’European Society of Cardiology, Stockholm, août 2001) se différencie de MIRACLE par le fait que seuls étaient inclus les patients en insuffisance cardiaque chronique avec une indication « acceptée » de défibrillateur automatique implantable. Ils avaient tous subi l’implantation d’un système endocavitaire combinant stimulation atrio-biventriculaire et défibrillation automatique. Une autre particularité de cette étude était l’inclusion possible de patients en insuffisance cardiaque légère à modérée (classe NYHA II) 88 % des 581 patients inclus ont pu subir l’implantation avec succès et être randomisés en deux bras parallèles. La stimulation biventriculaire était activée dans un bras et inactivée dans l’autre. Le critère d’étude principal était composite associant décès de toutes causes, hospitalisations pour insuffisance cardiaque décompensée et thérapies appropriées (TV ou FV) délivrées par le défibrillateur. Après un suivi moyen de 4,5 mois, une tendance favorable (réduction de 21 % d’événements) se dégage en faveur de la stimulation « active », mais la différence n’est pas statistiquement significative du fait d’un nombre global d’événements plus faible qu’attendu. En ce qui concerne la tolérance fonctionnelle évaluée sur le pic de VO lors d’un test d’effort cardio-respiratoire, le périmètre de 2 marche en 6 minutes et le score de qualité de vie, il n’apparaît pas de différence significative entre les deux groupes lorsque tous les patients inclus sont pris en compte. En revanche, un bénéfice significatif apparaît en faveur de la stimulation « active » (p < 0.001 pour le pic de VO ; p. < 0.03 pour le score de qualité de vie) 2 lorsque seuls sont pris en compte les patients en insuffisance cardiaque sévère (classe NYHA III et IV).

Au total, cette expérience clinique préliminaire mais déjà importante par le nombre de patients inclus dans des études contrôlées, confirme que la resynchronisation cardiaque améliore très significativement les symptômes, la tolérance à l’effort et la qualité de vie de patients en insuffisance cardiaque sévère (classe NYHA III ou IV), ayant par ailleurs l’évidence ECG d’une importante désynchronisation ventriculaire. Le nombre d’hospitalisations pour décompensation est significativement réduit. L’effet sur la mortalité reste inconnu, mais rien n’indique que la stimulation biventriculaire puisse générer une surmortalité. Enfin, les effets favorables persistent
au-delà d’un an comme le confirme la publication récente des résultats du suivi à long terme de l’étude MUSTIC [28].

Ces quatre études ne constituent qu’une première étape dans l’évaluation clinique de ce nouveau traitement. Des études complémentaires sont nécessaires pour déterminer son impact global, en particulier son influence sur la mortalité totale et sur la mort subite, la morbidité, les coûts de prise en charge de la maladie et le ratio coût/efficacité. Ces nouveaux essais devront comparer sur de longues périodes deux groupes de patients, l’un recevant le seul traitement médical optimisé, l’autre le traitement médical associé à l’implantation d’un stimulateur multisite ou d’un stimulateur-défibrillateur biventriculaire. Ces études viennent de débuter. Elles ont pour noms CARE — HF [29] en Europe, et COMPANION [30] en Amérique du Nord. Il est prévu qu’elles incluent entre 800 et 2 400 patients, soit la taille habituelle des grands essais sur le médicament. Nous devrons probablement attendre trois ans avant de disposer des premiers résultats.

Cet intervalle devra être mis à profit pour essayer de répondre à d’autres questions encore non résolues : — comment sélectionner les patients et évaluer le degré de désynchronisation ventriculaire spontanée ? Il faudra très probablement adjoindre voire substituer aux classiques critères ECG (durée du QRS, bloc de branche gauche) de nouveaux critères mécaniques fournis par l’imagerie cardiaque — quelle est la meilleure configuration de stimulation ventriculaire : biventriculaire ou monoventriculaire gauche ? En quel (s) site (s) : un ou plusieurs sites VG ? — la stimulation biventriculaire ou ventriculaire gauche a-t-elle un effet anti-arythmique ou à l’inverse pro-arythmique (risque d’induire des tachycardies ou fibrillations ventriculaires) chez l’insuffisant cardiaque ? De la réponse à cette question dépendra en grande partie le choix des prothèses qu’il faudra préférentiellement développer :

stimulateurs multisites seuls ou prothèses multifonctions associant stimulation multisite et défibrillation automatique.

CONCLUSION

Dans l’immédiat, le nombre des implantations va probablement continuer à augmenter. Il est souhaitable qu’elles soient prioritairement réalisées dans le cadre des grandes études cliniques de morbi-mortalité ou d’essais plus spécifiques visant à répondre aux questions ci-dessus mentionnées. Sinon, ces implantations devront rester dans le strict cadre de la seule indication validée par les études MUSTIC et MIRACLE, à savoir des patients en insuffisance cardiaque sévère par dysfonction systolique VG (FE < 35 % ; diamètre télédiastolique > 60 mm), avec une durée de QRS > 150 ms sur l’ECG de surface, et qui demeurent handicapés (classe III ou IV) malgré un traitement médical optimum, comportant si possible inhibiteurs de l’enzyme de conversion ou équivalents, et bêtabloquants à la posologie maximale tolérée.

REMERCIEMENTS

Les auteurs remercient chaleureusement leurs élèves et amis qui ont joué un rôle déterminant dans la conception et la validation de ce nouveau traitement initié en France, en particulier les docteurs Serge Cazeau, Philippe Ritter, Daniel Gras et Christine Alonso, ainsi que leurs partenaires du « board » de l’étude MUSTIC, en particulier le docteur Cécilia Linde et M. Christophe Bailleul.

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DISCUSSION

M. Christian CABROL

Je voudrais vous remercier d’avoir parlé de « veine latérale gauche » du cœur et non de veine « marginale » (ou comme l’on dit aussi trop souvent « artère marginale gauche ») car, contrairement au bord droit du cœur, il n’y a pas de bord gauche mais une face gauche du cœur. Détail certes, mais d’une certaine importance pour les anatomistes et les utilisateurs de l’imagerie cardiaque.

Je ne peux qu’approuver ce commentaire, venant d’un anatomiste distingué.

M. Pierre GODEAU

Dans le cadre de la stimulation multisite, y a-t-il une différence de réponse entre les patients en rythme sinusal et ceux en fibrillation auriculaire ?

Chez les patients en rythme sinusal, la stimulation multisite (dans ce cas atriobiventriculaire) permet d’obtenir à la fois une resynchronisation auriculo-ventriculaire dans le cœur gauche améliorant le remplissage ventriculaire gauche et une resynchronisation interventriculaire ainsi qu’intraventriculaire gauche grâce à la stimulation biventriculaire, améliorant la performance systolique. Chez les patients en fibrillation auriculaire chronique où l’oreillette a perdu toute activité contractile, la stimulation multisite ne peut assurer qu’une resynchronisation ventriculaire. Ces différences se retrouvent en clinique. Dans l’étude MUSTIC, le bénéfice fonctionnel, bien que significatif dans les 2 groupes, était beaucoup moins marqué chez les patients en fibrillation auriculaire que chez ceux en rythme sinusal.

M. Jacques-Louis BINET

Quel est le prix de cette méthode ? En dehors du groupe de Rennes, a-t-elle diffusé dans d’autres centres cardiologiques ?

Le prix d’un stimulateur multisite simple, incluant boîtier et sondes, est de l’ordre de 6 000 euros. Si on y ajoute une fonction de défibrillation automatique (défibrillateurstimulateur biventriculaire), le prix est multiplié par 4, soit environ 25 000 euros. La plupart des CHU, quelques centres hospitaliers généraux importants et quelques centres privés sont aujourd’hui capables d’implanter ces prothèses. La principale difficulté technique est la mise en place par voie endoveineuse de la sonde de stimulation ventriculaire gauche. La maîtrise de cette technique encore délicate passe par une courbe d’apprentissage assez longue.

M. Maurice TUBIANA

Existe t-il des modèles animaux sur lesquels on puisse étudier les effets à long terme ?

Nous disposons actuellement de deux principaux modèles animaux d’insuffisance cardiaque avec désynchronisation ventriculaire, cette dernière étant obtenue par cautérisa-
tion (ablation par courant de radiofréquence) de la branche gauche du faisceau de His. Le modèle le plus courant est créé par stimulation atriale ou ventriculaire rapide et prolongée. Il a l’inconvénient d’une rapide réversibilité à l’arrêt de la stimulation et, en pratique, ne permet que des études aiguës. Un second modèle de cardiomyopathie ischémique est créé par micro-embolisations itératives dans les artères coronaires. Ce modèle, beaucoup plus stable et proche des situations pathologiques observées chez l’homme, est probablement idéal pour les expérimentations chroniques, mais sa réalisation technique pose encore problème.

M. André VACHERON

Initiée en France par vous et par votre école, la resynchronisation cardiaque par stimulation biventriculaire a diffusé aux États-Unis. Qu’en est-il de son utilisation en Europe ?

En France, son utilisation reste relativement limitée (estimation de 1 500 implantations en 2001) et se fait principalement dans le cadre d’études cliniques. Cela semble être aussi le cas dans la plupart des autres pays européens, à l’exception de l’Allemagne et de l’Italie où cette thérapeutique connaît un développement rapide (il y aurait eu 5 000 implantations dans ces 2 pays l’an passé). Les États-Unis par la voie de la FDA ont été le premier pays à donner un « approval » (équivalent d’une AMM) à un premier appareil en septembre 2001, laissant présager une explosion du nombre des implantations. Cet « approval » a été accordé sur la base des résultats des études MUSTIC et MIRACLE.


* Département de Cardiologie et Maladies Vasculaires, Centre cardio-pneumologique, Hôpital Pontchaillou — CHU — 35033 Rennes cedex. Tirés-à-part : Professeur Jean-Claude Daubert, à l’adresse ci-dessus. Article reçu le 31 octobre 2001, accepté le 10 décembre 2001.

Bull. Acad. Natle Méd., 2002, 186, no 1, 45-57, séance du 15 janvier 2002