Information
Session of 30 mai 2006

La peste antonine

MOTS-CLÉS : monde romain/histoire. peste/histoire. variole/histoire
The Antonine plague
KEY-WORDS : plague/history. roman-world/ history. smallpox/history

Charles Haas

Résumé

Pendant le règne de Marc Aurèle, l’Empire Romain fut en proie à une épidémie redoutable et prolongée que l’on nomme la ‘‘ peste antonine ’’ Elle commença à la fin de l’année 165 ou au début de 166, en Mésopotamie, pendant la campagne parthique de Vérus et gagna Rome en moins d’un an. L’épidémie dura au moins jusqu’à la mort de Marc-Aurèle en 180 et sans doute pendant la première partie du règne de Commode. Elle fit d’innombrables victimes. Galien avait une connaissance de première main de la peste antonine. Il était à Rome lorsque l’épidémie commença en 166. Il était également présent pendant l’hiver de 168-169, auprès des troupes stationnées à Aquilée et qui étaient touchées par l’épidémie. Il avait une considérable expérience de la maladie. Les notes de Galien sont éparses et brèves, souvent sommaires, mais elles évoquent très fortement le diagnostic de variole. La description qu’il donne de l’exanthème est typique de la variole, particulièrement à la phase hémorragique de la maladie. Fièvre

Summary

During the reign of Marcus Aurelius, the Roman Empire was struck by a long and destructive epidemic. It began in Mesopotamia in late AD 165 or early AD 166 during Verus’ Parthian campaign, and quickly spread to Rome. It lasted at least until the death of Marcus Aurelius in AD 180 and likely into the early part of Commodus’ reign. Its victims were ‘‘ innumerable ’’.Galen had first-hand knowledge of the disease. He was in Rome when the plague reached the city in AD 166. He was also present during an outbreak among troops stationed at Aquileia during the winter of AD 168-169. His references to the plague are scattered and brief, but enough information is available to firmly identify the plague as smallpox. His description of the exanthema is fairly typical of the smallpox rash, particularly in the hemorrhagic phase of the disease.

— Ceux qui sont affectés par la peste ne semblent ni chauds ni brûlants à ceux qui les touchent, quoiqu’ils soient en proie à une ardente fièvre intérieure, telle que la décrit Thucydide (dans la « Peste d’Athènes »). (Commentaire 1, in Hippocratis epidemiorum librum sextum. Aphorisme 29-Kühn XVII-a, 885).

— Galien appelle la peste une fièvre pesteuse (Commentaire 3, in

Hippocratis epidemiorum liber III. Aphorisme 57-Kühn XVII-a, 709).

Exanthème — Au neuvième jour, un certain jeune homme fut couvert d’un exanthème qui atteignait le corps entier, comme c’était le cas chez presque tous ceux qui ont survécu. Des médications asséchantes furent appliquées sur son corps. Au douzième jour, il fut capable de quitter le lit ( De methodo medendi Kühn X, 360).

— Chez ceux qui allaient survivre et qui avaient de la diarrhée, un exanthème noir apparaissait sur le corps entier. Il était ulcéré dans la plupart des cas et toujours sec. La noirceur était due à un résidu de sang qui s’était putréfié dans les vésicules de la fièvre… Chez certains des éléments devenus ulcérés, cette partie de la surface appelée la croûte tombait et la cicatrisation se faisait ( De methodo medendi —Künh X, 367).

— Dans beaucoup de cas où il n’y avait pas de diarrhée, le corps entier était recouvert d’un exanthème noir. Et quelquefois, une sorte d’écaille tombait, lorsque l’exanthème s’était asséché et dissipé petit à petit, sur une période de plusieurs jours après la crise. ( De atra bile — Kühn V, 115).

Inconfort gastrique et vomissements — Il y avait de l’inconfort gastrique dans tous les cas ;

— et parfois des vomissements ( De methodo medendi — Kühn X, 367).

Diarrhée — La diarrhée était un symptôme constant de la peste (Commentaire 3, in Hippo- cratis epidemiorum liber III —Kühn XVII —a, 709).

— Les selles noires étaient un symptôme de la maladie, qu’elle ait été mortelle ou non. La diarrhée était d’abord de couleur brune, puis jaune rouge, et devenait noirâtre plus tard, comme du sang digéré. (In Hippocratis aphorismi et Galeni in eos commentarius). Commentaire 4. Kühn XVII-b, 683).

— Chez beaucoup de ceux qui survivaient, des selles noires apparaissaient, principalement au neuvième jour ou même le septième ou le onzième jour. Bien des différences survenaient. Certains avaient des selles qui étaient presque noires… Si les selles n’étaient pas noires, l’exanthème apparaissait toujours. Tous ceux qui avaient des selles très noires sont morts ( De atra bile — Kühn V, 115).

Fétidité de l’haleine

L’haleine pouvait être fétide (

De praesagitione ex pulsibus . Kühn IX, 357).

Toux : catarrrhe — Au neuvième jour, un jeune homme avait une petite toux. Au dixième jour, la toux devint plus forte et il cracha des croûtes. ( De methodo medendi — Kühn X, 360).

— Après avoir eu du catarrhe pendant plusieurs jours, il expectora un peu de sang frais rutilant… ( De methodo medendi —Kühn X, 367).

Ulcérations internes et inflammation

Au dixième jour, un jeune homme se mit à tousser et cracha une croûte, ce qui était l’indication d’une zone ulcérée dans la trachée… Il n’y avait pas d’ulcérations dans la bouche ni dans la gorge (ni de difficultés pour absorber les aliments). ( De methodo medendi — Kühn X, 367).

Discussion

L’exanthème que décrit Galien est caractéristique de la variole par sa topographie au corps entier, par sa morphologie vésiculo-pustuleuse puis croûteuse et par son évolution. Il insiste à plusieurs reprises sur la couleur noirâtre des éléments cutanés qui est bien due, comme il le supposait, à des extravasations sanguines intralésionnelles [13]. Les autres signes qu’il décrit : fièvre, diarrhée, inconfort gastrique, vomissements, fétidité de l’haleine, etc. se retrouvent dans les descriptions classiques de la maladie [17-19]. « Tous ceux qui avaient des selles très noires sont morts », écrit Galien. On connaît, en effet, le pronostic particulièrement péjoratif des varioles hémorragiques.

Conclusion

Quoique la description que donne Galien de la peste antonine soit fragmentaire et incomplète, elle permet cependant d’identifier la maladie à la variole, du fait de l’excellente description de l’exanthème. La peste antonine fut donc, en Occident, la première épidémie de variole attestée par l’histoire.

BIBLIOGRAPHIE [1] JULIUS CAPITOLINUS. — Vie de Marc Antonin le Philosophe. In : Histoire Auguste, traduit du latin par André Chastagnol. 1 vol. Laffont éd., Paris 1994.

[2] GILLIAM J.F. — The plague under Marcus Aurelius. American Journal of Philology , 1961 , 82 , 225-251.

[3] LITTMAN R.J., LITTMAN M.L. — Galen and the antonine plague.

American Journal of Philology , 1973, 94 , 243-255.

[4] HÉRODIEN. — Histoire des Empereurs romains : 1 vol. traduit par Denis Roques. Les Belles Lettres éd., Paris, 1990, 1 , 12, p. 35.

[5] OROSE. — Histoires contre les paiens ; traduit du latin par M.P. Arnaud-Lindet. Les Belles Lettres éd., Paris, 1991, VII , 15, 4-6.

[6] MARC AURÈLE. — Pensées : Traduit par E. Bréhier : In : Les Stoïciens, Bibliothèque de la

Pléiade. Gallimard éd., Paris, 1962.

[7] EUTROPE. — Abrégé d’Histoire Romaine : 1 vol., traduit par Joseph Hellegouarc’h. Les Belles Lettres éd., Paris, 2002, 8 , 14, 2, p. 109-110.

[8] RENAN E. — Marc Aurèle ou la fin du monde antique : 1 vol, Le Livre de Poche éd., Paris, 1984, p. 277.

[9] BIRABEN J.-N. — Les maladies en Europe : équilibres et ruptures de la pathocénose. In :Grmek M.D ; Histoire de la pensée médicale en Occident, p. 303. Tome 1. Seuil éd., Paris 1995.

[10] PROCOPE : Histoire secrète . Traduit par Pierre Maraval. 1 vol. Les Belles Lettres éd., Paris 1990, p. 40.

[11] HAAS C. — La Peste de Constantinople, le bubon de Justinien et la disgrâce de Bélisaire.

Thérapeutiques . Nov. 1996, no 16, 51.

[12] ANDRÉ J. — Etre médecin à Rome. Payot éd., Paris 1995.

[13] WALSH J. — Refutation of the charge of cowardice made against Galen. Ann. Med. Hist. , 1931, 3 , 195-208.

[14] HECKER J.F.K. — De peste Antoniniana commentatio, 1 vol., Berlin 1835.

[15] HAESER H. — Lehrbuch der Geschichte der Medicin und der epidemischen Krankheiten, 3e éd., III, Jena 1882 pp. 24-33.

[16] CLAUDII GALENI. — Opera omnia, Leipzig 1821-1833. Edition en 20 tomes et 22 volumes, comportant à la fois le texte grec et sa traduction latine par C.G. Kühn.

[17] LAROCHE C. — Variole. In : PASTEUR VALLERY-RADOT., JEAN HAMBURGER., P. DE GRACIANSKY., R. ISRAEL., C. LAROCHE., F. LHERMITTE : Pathologie Médicale , Tome 3 (pp. 679-689). Flammarion éd., Paris 1951.

[18] TROUSSEAU A. — Variole. In : Clinique médicale de l’Hôtel-Dieu de Paris , Tome 1 (pp. 43-94), J.-B

Baillière et Fils éd., Paris 1873.

[19] BREMAN J.G., HENDERSON D.A. — Diagnosis and management of smallpox. N. Engl. J.

Med., 2002, 346, 1300-1308.

* Membre correspondant de l’Académie nationale de médecine. Tirés à part : Professeur Charles HAAS, 97 boulevard Exelmans, 75016 Paris. Article reçu le 12 avril 2005, accepté le 9 mai 2005.

Bull. Acad. Natle Méd., 2006, 190, nos 4-5, 1093-1098, séance du 30 mai 2006