Communication scientifique
Session of 7 février 2006

La genèse de la loi sur la télémédecine

MOTS-CLÉS : aide financiere. obligation de suivi d’information. pratique professionnelle institutionnelle. télémédecine/éthique. télémédecine/législation et jurisprudence
Origins of French telemedicine legislation
KEY-WORDS : duty to recontact. financial support. institutional practice. telemedecine/ethics. telemedecine/legislation and jurisprudence

Louis Lareng

Résumé

Dès la création de l’Institut Européen de Télémédecine le 10 juillet 1989 à l’Université Paul Sabatier de Toulouse, il est apparu qu’une loi serait nécessaire pour pérenniser cette nouvelle pratique médicale. La décision du gouvernement en 1993, de faire de la Région Midi-Pyrénées un terrain expérimental pour créer un réseau de télémédecine gradué et coordonné réunissant l’ensemble des établissements de santé publics, privés et les généralistes, nous incite à gérer la télémédecine à l’image d’un service hospitalier. Il en est résulté la création de systèmes institutionnels adaptés au fonctionnement pluri-établissements nécessitant des dispositions réglementaires particulières, sur le plan des responsabilités des professionnels de santé, du financement, de la sécurité des données ainsi que du recours aux nouvelles technologies de l’information et de la communication. Cela explique l’élaboration d’une loi, pour faciliter la pratique de la télémédecine. Les articles spécifiques à la télémé- decine ont été intégrés dans la loi du 13 août 2004 relative à la réforme de l’assurance maladie.

Summary

After the creation of the european institute of telemedicine on 10 July 1989 at Paul Sabatier university in Toulouse, it became clear that legislation was needed to provide a solid framework for this new medical practice. The french government’s decision in 1993 to create an experimental telemedicine network in the Midi-Pyrenees region, bringing together all public and private healthcare establishments, led us to manage telemedicine in much the same way as a hospital department. This resulted in the creation of institutional systems suited to multicenter networking and requiring particular regulations to govern healthcare professionals’ responsibilities, financing, data security, and the use of new communication and information technologies. Articles specific to telemedicine were integrated into the law of 13 August 2004 relating to the reorganisation of french healthcare insurance.

Je suis très honoré que vous ayez accepté que soit présentée à cette tribune de l’Académie nationale de médecine la genèse de la loi sur la télémédecine, ce qui m’amène à rappeler le fonctionnement du Réseau de Télémédecine Régional MidiPyrénées, dont la référence a été souvent sollicitée par l’Office Parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. Notre collègue le Sénateur JeanClaude Etienne, ainsi que le Député Jean Dionis du Séjour ont animé l’élaboration de la loi sur la télémédecine avec pertinence et détermination.

LE RECOURS PROGRESSIF A LA TÉLÉMÉDECINE

Les bases sont inspirées d’un constat : la santé est un monde en mouvement. Il s’avère nécessaire et important de faire appel à la réflexion collective et à la concertation pluridisciplinaire dans l’exercice de la télémédecine — en matière de stratégies diagnostiques et thérapeutiques — du fait du degré de spécialisation croissant lié à l’évolution des pratiques [1].

Selon la formule de notre collègue Bernard Glorion prononcée en février 2001 : « La pratique médicale évolue du singulier au pluriel ». Un nouveau mode relationnel contemporain de l’évolution de la pratique médicale, de ses progrès techniques et thérapeutiques et des exigences accrues des usagers se développe d’une manière incontournable sur le mode collectif.

De plus, en matière de politique de santé, la loi hospitalière du 31 juillet 1991, les ordonnances du 24 avril 1996, la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, la loi du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie, favorisent la constitution de réseaux et filières de soins créant les SROS, réglementant la coordination et la continuité des soins.

LES MOYENS MIS EN ŒUVRE

Ces moyens sont basés :

sur des équipements de visioconférence et périphériques associés permettant une transmission simultanée en temps réel de la voix, des données et des images.

Les visioconférences permettent un échange interactif convivial (384 Kbit/s à 512 Kbit/s). Les solutions techniques mises en œuvre actuellement s’appuient sur les normes H 320/RNIS et H 233 IP, dans un objectif d’évolutivité vers l’utilisation de réseaux WAN Hauts Débits, supportant les protocoles IP. L’évolution est prévue pour le début 2006.

Les intervenants se voient, se parlent et transmettent en temps réel, toutes informations médicales nécessaires à la pratique médicale à distance :

— transmission d’images médicales animées en temps réel : imagerie (échographie pelvienne, échographie, coronarographie…) séquences d’interventions chirurgicales, — transmission d’images médicales fixes (radiologie, anatomie-pathologie, dermatologie).

Le patient peut également participer à une consultation spécialisée à distance, que ce soit pour un diagnostic clinique (visualisation d’une lésion), pour réaliser et transmettre un examen paraclinique (échographie…), ou pour discuter avec le patient ou la famille en vue de la prise de la décision quant à une indication, ou une conduite thérapeutique.

Les équipements de visioconférence et périphériques associés correspondent au mode adapté pour permettre les échanges médicaux interactifs avec un domaine d’application pluridisciplinaire :

— en matière de consultation à distance : transmission des images médicales animées (échographies, coronarographies, interventions chirurgicales) et fixes, possibilité de participation du patient notamment pour la visualisation d’un examen clinique, — en matière de réunions interactives de concertation sur dossiers entre équipes médicales distantes (téléstaffs), — en matière de formation continue : à noter ici la possibilité d’organiser des séances de télémédecine multisite (téléstaff, téléformations) via un pont multipoint.

sur des équipements dédiés à la transmission d’images médicales fixes ( radiologie, anatomo-cytopathologie) et données associées qui sont adaptés au mode de consultation à distance.

La transmission d’images fixes par les stations de travail informatiques équipées pour assurer les fonctions d’acquisition, numérisation, stockage et transmission des images médicales, permet aux correspondants d’émettre des images et données d’un dossier médical de façon immédiate après saisie ou de façon différée : transmission d’images radiologiques, anatomo-cyto-pathologiques.

Différentes solutions techniques sont adaptées pour acquérir l’image médicale radiologique :

— soit directement (standard Dicom V3.0) à partir des sources d’images numé- riques (scanner, IRM), — soit à partir d’un scanner conçu pour les clichés radiologiques/numériseur de film.

Pour les liens inter-établissements sont utilisées aujourd’hui des liaisons RNIS 128 Kbit/s. Le temps de transmission de quarante images via les liens RNIS est d’environ vingt minutes ; le temps est réductible par compression adaptée.

Nos travaux en cours au sein de notre réseau visent notamment à l’évolution du réseau télécommunication aujourd’hui basé sur le RNIS pour une migration sur réseau hauts débits en environnement sécurisé. Ceci permettra de réduire de cinq à quinze fois ou plus (selon les débits mis en œuvre pour l’établissement concerné) le temps de transmission précité.

DÉVELOPPEMENT DU RÉSEAU TÉLÉMÉDECINE RÉGIONAL MIDIPYRÉNÉES

Partant d’un noyau de cinq hôpitaux (Lourdes, Rodez, Toulouse, Cahors et Pamiers) en 2002 sur lesquels nous avons eu recours à la télémédecine, le gouvernement a déclaré notre Région Midi-Pyrénées « site expérimental ». Une telle décision a reçu le label de la Région Midi-Pyrénées. Des liaisons sont également réalisées sur le plan national, européen et international et nous effectuons des travaux de recherche en particulier en robotique [2].

A l’heure actuelle sont équipés en visioconférence et périphériques associés 37 établissements du RTR Midi-Pyrénées représentant 45 sites hospitaliers et 74 configurations :

— 23 établissements de santé publics avec 62 configurations — 13 établissements de santé privés avec 13 configurations — 5 cabinets libéraux Le développement se poursuit durant la période 2005-2008. De façon à donner un accès égal à des soins de qualité en tout point du territoire le réseau télémédecine régional Midi-Pyrénées doit conjuguer le développement de partenariats avec les professionnels libéraux et notamment des médecins de famille, dans un objectif de continuité des soins, du domicile jusqu’aux plateaux techniques hospitaliers spécialisés. [3] Ce partenariat sera notamment privilégié au niveau des hôpitaux locaux qui accueilleront les professionnels de santé libéraux de proximité souhaitant recourir à la télémédecine. Par ailleurs, est prévu l’équipement de vingt nouveaux cabinets libéraux (équipements de visioconférence et périphériques associés) répartis sur le territoire régional. Seront ici privilégiés les sites isolés en zone rurale ou montagneuse. Rappelons que l’équipement télémédecine des UCSA constitue également un axe prioritaire du RTR Midi-Pyrénées.

A la fin de l’année nous pensons que seront équipés :

— 62 établissements / avec 64 sites hospitaliers et 113 configurations — 40 établissements de santé publics / 61 sites — 22 établissements de santé privés / 22 sites — 25 cabinets libéraux

Le nombre de spécialités ayant recours à la télémédecine s’agrandit.

Le nombre des professionnels de santé participant au réseau pour la formation continue est en expansion.

Pour assurer un suivi et une traçabilité des échanges, les travaux en cours visent par ailleurs à la mise en place d’un système d’information et de gestion. A ce point de notre phase charnière, il apparaît nécessaire de recourir à une société conseil afin de disposer d’un dispositif d’évaluation adapté et validé. Nous avons sollicité à cet effet la société AREMIS, société conseil en économie de la santé qui dispose d’une longue expérience dans l’ingénierie et l’évaluation des réseaux de santé.

La synthèse et le rapport final de juin 2005 comportent les propositions d’action.

INSTITUTIONNALISATION DU RÉSEAU

Cette nouvelle pratique médicale quotidienne en réseau gradué et coordonné exige une pérennité de son fonctionnement que seule peut garantir une institutionnalisation. Il faut en effet veiller à la qualité des infrastructures, à la sécurité du réseau, aux procédures organisationnelles adaptées, à la traçabilité des échanges par un système d’information et de gestion, à la qualité du service médical, à l’évaluation, à la définition des aspects déontologiques et réglementaires, à la prise en compte des aspects financiers.

Un certain nombre d’étapes clefs sillonnent notre démarche de mise en place de ce réseau dans le système de santé de notre pays.

ÉTAPES • Le 10 juillet 1989 création de l’Institut Européen de Télémédecine par l’Université Paul Sabatier au sein du CHU de Toulouse, • Le 30 octobre 1991 création de la Société Européenne de Télémédecine, • 10 juillet 1992 premières liaisons de télémédecine :

— CHU de Toulouse/CH de Rodez — CHU de Toulouse/CH Territorial de Nouméa, • En 1993 décision du Gouvernement de faire de la Région Midi-Pyrénées un territoire expérimental pour le développement de la télémédecine, • Labellisation par le conseil régional Midi-Pyrénées, • De 1996 à 1998 constitution du noyau du réseau télémédecine régional MidiPyrénées (Contrat de plan État-Région), • Constitution du premier groupement de coopération sanitaire dénommé réseau télémédecine régional / GCS RTR :

Arrêté d’approbation du directeur de l’ARH : 14/09/1998
• Transformation en groupement d’intérêt public réseau télémédecine régional Midi-Pyrénées / GIP RTR Midi — Pyrénées :

Arrêté préfectoral du 29 / 11/ 2002, • Le 10 mai 2004 création d’un service télémédecine au CHU de Toulouse par le conseil d’administration du CHU de Toulouse, • En novembre 2004 mise en place d’une délégation télémédecine par décision des instances de l’établissement, sur proposition de la commission de périmètre des pôles et à la demande du conseil stratégique, • Dispositions de la loi no 2004-810 du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie reconnaissant la télémédecine et visant à aider à son développement.

L’élaboration de la loi s’est en particulier appuyée sur l’ensemble de ces travaux. La représentation nationale en a confirmé le bien fondé par la législation.

APPLICATIONS DE LA LOI • elle précise que la télémédecine est un acte médical et non un outil, • les schémas régionaux d’organisation sanitaire intègrent la télémédecine, • le financement pourra se faire en réseau grâce à la mission régionale de santé, • la responsabilité du médecin référent par rapport au médecin appelant est mieux adaptée, • la transmission d’une ordonnance par courriel est rendue possible, • la création d’un identifiant qui sera celui du DMP est décidée, • la création d’un label santé pour les sites par la haute autorité de santé est prévue, • la protection du dossier médical est confortée.

FINANCEMENT DES PROFESSIONNELS ET DES STRUCTURES INCLUS DANS LE FINANCEMENT DU SYSTÈME DE SANTÉ

Il nous reste à montrer que la « plus-value télémédecine » pratiquée par les professionnels de santé mérite salaire. C’est la dernière condition à laquelle nous travaillons sur un système de cotation innovant par rapport aux systèmes de financement actuels. Il est modulable. Il a reçu un préjugé favorable au niveau de la CNAM.

Par une subvention octroyée par la dotation régionale des réseaux nous l’avons expérimenté dans notre région. Nous attendons sa validation.

Cet ensemble de problèmes résolu, il sera fait appel à cette nouvelle pratique médicale, chaque fois que les professionnels de santé jugeront que la plus-value apportée par la télémédecine, facilitera l’exercice de leur profession, tout en garantissant aux malades un accès à des soins de qualité en tous points du territoire.

BIBLIOGRAPHIE [1] BASHSHUR R. — Digital divide, concept, measurement and implications.

Réunion Scientifique de la Société Européenne de Télémédecine , 26 janvier 2004.

[2] COMYN G. — Recherche et développement en télémédecine.

Réunion scientifique de la société européenne de télémédecine , 31 janvier 2005.

[3] LARENG L. — La télémédecine, point fort pour accompagner l’aménagement du territoire.

Réunion scientifique de la société européenne de télémédecine , 26 septembre 2005.

DISCUSSION

M. Gabriel RICHET

Les deux maillons fragiles de la télémédecine me semblent être la qualité de l’examen médical du médecin appelant et le partage parfait du vocabulaire. D’où la formation clinique initiale et la nécessité d’un lexique médical comportant l’explication des sigles dont la signification devient vite imprécise. Insister sur ces deux points est une nécessité.

La qualité de la télémédecine dépend de l’observation formulée par Gabriel RICHET. Il appartient au « médecin référent » de juger s’il est en possession des données suffisantes et appropriées (en nombre et en qualité) lui permettant de se prononcer. Il doit refuser de donner son avis, non seulement s’il n’a pas les compétences mais également les informations ou les données suffisantes concernant le patient. Ceci exige pour le « médecin appelant » une formation clinique initiale de qualité ainsi que le recours pour le « médecin appelant et référent » à un lexique médical comportant l’explication des sigles.

M. Maurice CARA

Madame ESPER a employé le terme de praticien pour qualifier l’appelant. Ce terme mérite d’être précisé. Pour moi, l’appelant peut être, soit un membre d’une profession médicale, généralement un docteur en médecine, soit un auxiliaire médical relevant d’un docteur en médecine, soit un bénévole. Quelle est la responsabilité de chacune de ces trois personnes ?

Pour commenter l’analyse de Madame ESPER, il est évident qu’en votant la loi du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie, la représentation nationale a résolu cette question de responsabilité. Il est dit que la télémédecine permet entre autres, d’effectuer des actes médicaux dans le strict respect des règles de déontologie, mais à distance, sous le contrôle et la responsabilité d’un médecin en contact avec le patient par des moyens de communication appropriés à la réalisation de l’acte médical. Cela pose une lecture adaptée de la déontologie à laquelle le conseil national de l’ordre prête attention ainsi qu’il a bien voulu m’en informer, car en fonction de la loi précitée, l’appelant peut ne pas être un médecin.

M. Jean CIVATTE

Peut-il y avoir obligation, pour le médecin, de proposer l’usage de la télémédecine si celle-ci est possible ? Si un acte de télémédecine est réalisé, doit-il donner lieu à un enregistrement ?

Si oui, qui le conservera ? En cas de désaccord sur la qualité des images transmises entre le télé-expert et le demandeur, qui tranchera ? des experts officiels ?

Le médecin a obligation de proposer l’usage de la télémédecine s’il le juge utile. Les médecins cependant restent libres de recourir ou non à la télémédecine. L’ensemble des informations est remis dans une lettre au patient. En cas d’urgence, l’information est donnée a posteriori. Le réseau télémédecine régional Midi-Pyrénées a mis en place les mesures nécessaires afin de garantir la protection et la sécurité des informations recueillies au sein du réseau et ce notamment en application de la loi relative à l’informatique et aux libertés. Le « médecin référent » conservera utilement une trace de l’avis donné au « médecin appelant ». Ce dernier conserve l’avis donné par le « médecin référent » dans le dossier médical du patient. En ce qui concerne le « médecin appelant » il est responsable de la pertinence des données recueillies auprès du patient et de celles transmises au « médecin référent ». Ce dernier juge s’il est en possession des données suffisantes et appropriées (en nombre et en qualité) lui permettant de se prononcer. Le « médecin appelant » reste responsable du diagnostic et du traitement qu’il délivre à son patient. En fonction da la loi du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie, la situation est différente car il se peut que l’appelant ne soit pas un médecin. Il devient alors le seul responsable. Bien entendu, l’appel à des experts officiels est toujours possible. La pratique de la télémédecine conduit à un cumul des responsabilités individuelles et non pas à une exonération de celles-ci, conformément aux dispositions des articles 64 et 69 du code de déontologie médicale.


* Institut Européen de Télémédecine, CHU de Toulouse, Hôtel Dieu Saint Jacques, 2 rue Viguerie, TSA 80035 — 31059 Toulouse Cedex 9. Tirés à part : Professeur Louis LARENG, même adresse. Article reçu et accepté le 6 février 2006.

Bull. Acad. Natle Méd., 2006, 190, no 2, 323-330, séance du 7 février 2006