Communication scientifique
Session of 2 décembre 2003

La diplopie est-elle un facteur déterminant du choix de la technique de décompression orbitaire au cours de l’orbitopathie dysthyroidienne ?

MOTS-CLÉS : décompression, chirurgie. diplopie. lipectomie.. orbite, maladies. strabisme
Is incidence of diplopia after fat removal orbital decompression a predictive factor of choice of surgical technique for Graves’ophthalmopathy ?
KEY-WORDS : decompression, surgical. diplopia. lipectomy.. orbital, diseases. strabismus

Jean-Paul Adenis*, Philippe Camezind, Pierre-Yves Robert

Résumé

Cet article a pour but d’évaluer l’incidence de la diplopie après décompression orbitaire par lipectomie (DOL) et de préciser les indications chirurgicales en cas d’orbitopathie dysthyroïdienne. Trente cinq patients ont été inclus dans cette étude rétrospective (58 orbites). La DOL (technique d’OLIVARI) était réalisée dans tous les cas (23 interventions bilatérales, 12 unilatérales soit 35 patients dont 12 hommes, 23 femmes). Tous les patients avec une neuropathie compressive (orbitopathie dysthyroïdienne sévère) ont été éliminés car ils ont été opérés d’une décompression osseuse. La motilité oculaire a été examinée avant et après la chirurgie par un bilan orthoptique comportant un test de Lancaster. Le suivi moyen était de 18 mois. Avant la DOL, 7 patients présentaient une diplopie modérée à sévère. La diplopie a persisté dans tous les cas et a pu être traitée avec succès dans tous les cas. Une diplopie post-opératoire est apparue en complication de la DOL dans 32 % des cas : dans ce groupe seulement un patient a eu une diplopie persistante après traitement chirurgical ou par prismes. La diplopie après décompression osseuse apparaît dans 23 à 34 % des cas dans les études de décompression orbitaire pour ophtalmopathie dysthyroidienne modérée comme la notre. La diplopie après lipectomie orbitaire est un risque réel qui apparaît identique dans notre étude à celui encouru lors de la décompression osseuse. Ce risque doit être expliqué à chaque patient avant la décision chirurgicale.

Summary

Dysthroid orbitopathy or Graves ophthalmopathy is a frequent pathologic condition five times more frequent in females than males. The main symptoms are : proptosis, motility disorders related to eye muscles fibrosis, eyelid retraction, lagophthalmos, and finally the more severe ones : compressive optic neuropathy at the apex of the orbit, and corneal exposure. In order to reduce proptosis the classic approach is Bone Removal Orbital Decompression (BROD) either through eyelid skin, coronal ,conjunctival, or endonasal approaches. Recently a new technique has beeen described by Olivari : Fat Removal Orbital Decompression (FROD). The purpose is to evaluate the incidence of diplopia after FROD and improve surgical indications for Graves’ ophthalmopathy. Material and methods : 35 patients were included in this retrospective study (58 orbits). FROD (OLIVARI technique) was performed in all cases (23 bilateral surgery, 12 unilateral ; 12 men, 23 women). All patients with optic neuropathy (severe Graves’ophthalmopathy) were eliminated because bone decompression was always performed. The ocular motility was examinated before and after surgery by orthoptic screening. The average follow up was 18 months. Results and discussion : before FROD, 7 patients complained of moderate or severe diplopia : all remained with diplopia after FROD. After FROD 32 % developped a new diplopia : only one patient remained with diplopia after strabismus surgery or adaptation by prisms glasses. Diplopia after BROD in moderate Graves’ ophthalmopathy (with indications identical to our study) is reported from 23 to 34 % in previous studies. Conclusion : diplopia after FROD is a real risk whose incidence is identical after FROD and BROD and must be explained to each patient before surgical decision.

INTRODUCTION

L’orbitopathie dysthyroidienne (OD) se manifeste de façon variée : exophtalmie, rétraction palpébrale, lagophtalmie, diplopie [1], augmentation de la tension oculaire [2] ou parfois de façon plus sévère : neuropathie optique, exophtalmie majeure avec ou sans ulcération cornéenne chez 3 % à 5 % des patients atteints d’hyperthyroïdie [3]. Pour de nombreux patients leur apparence cosmétique est inacceptable, certains trouvent même leur aspect grotesque. La symptomatologie de l’orbitopathie dysthyroidienne est soit liée au déséquilibre entre le volume du contenant osseux et l’augmentation de volume du contenu intraorbitaire [4], soit à la fibrose des tissus intraorbitaires. L’usage de la corticothérapie par voie générale est reconnu comme efficace par tous les auteurs à la période inflammatoire de la maladie. Récemment une étude en double aveugle et contre placebo sur l’efficacité de la radiothérapie au cours de l’OD n’a pas montré de différences cliniques ou statistiques entre le groupe traité et non traité [5]. Différentes techniques chirurgicales, associées ou non à un traitement conservateur ont été décrites pour augmenter le volume du contenu osseux orbitaire. La décompression osseuse orbitaire (DOO) est réalisée depuis de nombreuses années avec de nombreux avantages et quelques inconvénients (anes-
thésie du nerf infra-orbitaire, aggravation de la motilité oculaire, hypoglobe avec ou sans hypotropie). En 1988, Olivari [6, 7] a montré qu’une réduction importante de l’exophtalmie pouvait être obtenue par la Décompression Orbitaire par Lipectomie (DOL). Après Olivari, de nombreux auteurs ont utilisé la DOL [8] ou la DOO combinée à la DOL [9, 10, 11, 12] dans le traitement de l’OD. Dans notre étude nous avons analysé la diplopie pré et post-opératoire, dans un groupe de 35 patients (58 DOL) afin d’évaluer le rôle de l’opération dans l’évolution post-opératoire de ce symptôme.

MATÉRIEL ET MÉTHODES

Les patients

Entre septembre 99 et novembre 99, 81 DOL ont été réalisées dans le service d’ophtalmologie du CHU Dupuytren. Toutefois seulement un nombre plus limité de 58 DOL a été retenu dans notre étude pour satisfaire aux critères de suivi pré et post-opératoire de l’étude : ces 58 lipectomies (suivi moyen de 18 mois) ont été réalisées chez 35 patients (12 hommes et 23 femmes), âgés de 27 à 77 ans (âge moyen de 50 ans lors de la DOL). Le délai moyen entre le début de l’OD et la chirurgie était de 7 ans (de 1 à 40). Tous les patients étaient équilibrés ou en euthyroïdie depuis au moins six mois avant la chirurgie. Tous les patients présentant une neuropathie optique ont été exclus de cette étude rétrospective car ils ont été tous opérés à cette période de DOO. La DOL a été réalisée de façon unilatérale chez 12 patients, bilatérale chez 23 patients. Les éléments étudiés en pré et post-opératoire ont été la mesure de l’exophtalmie (Hertel), de l’acuité visuelle, de la pression intraoculaire, de la rétraction palpébrale et l’imagerie tomodensitométrique et par résonance magné- tique (IRM). Un diagramme a été réalisé pour tous les malades et à chaque fois en pré et post-opératoire (une semaine, deux semaines et deux mois) à l’appareil de Lees Lancaster afin de permettre une comparaison des troubles de la motilité. La motilité oculaire a été analysée en position primaire et dans les différentes positions du regard par examen orthoptique avant l’opération et une semaine, deux semaines et deux mois après la DOL. En pré-opératoire 7 patients avaient une diplopie permanente (en position primaire et dans le regard vers le bas), 28 n’avaient pas de diplopie. La comparaison entre les mesures à l’appareil de Hertel effectués par les auteurs et les résultats de l’IRM n’a pas été possible car les examens IRM ont été réalisés dans des centres variés. Toutefois des études de mesure des volumes orbitaires par IRM sont en cours pour un plus petit nombre de patients.

Technique chirurgicale

La graisse orbitaire a été réséquée sous anesthésie générale selon la technique d’Olivari [4, 5] et avec l’aide de deux assistants. La seule modification était l’usage du microscope opératoire muni d’une focale finale de 275 mms [11]. Les patients ont
reçu des bolus intraveineux de 240 mg de methylprednisolone IV pendant trois jours consécutifs, et débutés la veille de l’opération. L’intervention chirurgicale a été faite par le même opérateur (JPA). Après suture des paupières une incision est réalisée dans le pli palpébral supérieur, accompagnée d’une résection cutanée si nécessaire.

Le muscle orbiculaire est incisé au bistouri électrique jusqu’au septum orbitaire permettant de voir par transparence l’aponévrose du muscle releveur. Le septum est incisé et la graisse orbitaire est mise en traction vers le bas pour la détacher en haut de ses adhérences avec le rebord orbitaire et tractée vers le haut pour la détacher de ses adhérences avec l’aponévrose et le releveur. Le globe et l’aponévrose sont ensuite repoussés vers le bas avec des écarteurs plats. La diathermie bipolaire est utilisée pour la résection au fond de l’orbite et pour l’hémostase. Dans la partie antérieure de l’orbite la graisse extraconique est enlevée ‘‘ en bloc ’’, dès lors que les septa du tissu conjonctif sont libérés de leurs adhérences avec la périorbite et les muscles sans endommager ceux-ci. La graisse intraconique est enlevée par morceaux plus petits parfois de simples petits lobules entre les muscles oculomoteurs et le globe protégés par des écarteurs. En paupière supérieure il y a deux poches graisseuses l’une centrale, l’organe en rouleau et la poche médiale. Les repères importants à identifier et à éviter durant la dissection sont la glande lacrymale latéralement, le muscle oblique supérieur et le droit médial en nasal, enfin le nerf supraorbitaire et le plafond orbitaire vers le haut. Le septum est laissé ouvert et la peau est fermée au prolène 6-0, après réfection du pli palpébral supérieur. La paupière inférieure est incisée 2 à 4 mms au-dessous de la bordure ciliaire. Puis on sépare au bistouri électrique et aux ciseaux l’espace entre la lamelle antérieure myocutanée et le septum vers l’arrière jusque vers le rebord orbitaire. Trois poches graisseuses sont individualisées en paupière inférieure : la poche médiane est séparée en dedans de la poche inféro-interne par l’oblique inférieur et en dehors de la poche inféro-latérale par le ligament arqué. La poche latérale est la moins saillante mais c’est là que l’on retire le maximum de graisse et elle est traitée en premier. La peau est suturée au prolène 6-0. Les principaux dangers en paupière inférieure sont l’oblique inférieur et les muscles droits médial, inférieur et latéral. En cas d’atteinte bilatérale chaque orbite est traitée séparément à un ou deux jours d’intervalle.

RÉSULTATS

La réduction moyenne de l’exophtalmie après mesure à l’appareil de Hertel était de 4,5 mm (de 1,0 à 8,5 mm).Tableau 1.

Le volume moyen de graisse enlevée était de 7,2 ml (de 4,0 à 10,8 ml).

La réduction moyenne de la pression intraoculaire (PIO) était de 4,2 mm Hg.

L’acuité visuelle est restée identique pour tous les patients après l’opération de la lipectomie.

La réduction moyenne de la rétraction palpébrale supérieure était de 0.7 mm et de 0.2 mm en paupière inférieure après la chirurgie.

TABLEAU 1. — Répartition de la diplopie en pré et post opératoire de DOL.

cas sex age Unilat Bilat. diplopie diplopie diplopie Délai diffé- Volume avant après après début rence de

DOL DOL chir.

OD/ HERTEL graisse strachirurgie préopbisme postop enlevé œil œil D/G D/G 1 H 64 – + + + – 37 6/7 6,5/6,5 2 H 59 – + + + – 2 2/1 6,25/4 3 F 64 + – + + – 2 5 5 4 F 44 – + + + – 2 3/2,5 5/5 5 H 55 + – + + – 2 6 9 6 F 73 – + + + – 2 3,5/2 7/7 7 F 46 – + + + – 6 1/2 8,25/6,75 8 F 64 + – – + – 24 1,5 ?

9 F 27 – + – + – 2 5/3 5,75/8 10 H 61 + – – + – 3 8,5 9,5 11 H 68 – + – + – 1,5 6/6,5 10/9,5 12 F 47 – + – + + 5 3/7 6,25/5,5 13 F 40 – + – + Perdu 5 ?

7,1/7,8 de vue 14 F 29 – + – + – 5 4/6,5 7,25/7 15 F 50 – + – + – 4 ?

7,25/6 16 F 46 – + – + – 5 ?

6,5/7,25 17 F 54 + – – – 7 5,5 7 18 F 32 + – – – 1 1 5,25 19 H 46 + – – – 13 3,5 8,5 20 F 54 + – – – 1 3 6,5 21 F 42 – + – – 3 4/4 8/7 22 F 58 – + – – 1 6,5/6,5 9/9 23 F 43 + – – – 15 5 6,25 24 F 35 – + – – 5 8/3 10/10,75 25 H 49 + – – – 0,5 7,5 12 26 F 41 – + – – 16 5/3,5 7,5/7,25 27 F 70 – + – – 6 4/4 5/3 28 H 29 – + – – 5 ?

6,5/8,25 29 H 34 – + – – 6 ?

?/11 30 F 38 – + – – 1 7/6 8,25/9,25 31 F 33 – + – – 9 3/3 5,25/5,25 32 M 60 – + – – 16 2,5/1 7,5/9 33 H 77 + – – – 40 ?

6,5 34 F 56 + – – – 2 5 6 35 H 72 – + – – 6 4,5/5 6/6,25

H = homme, F = femme, Age = années, unilat = DOL unilatérale, bilat = DOL bilatérale, diplopie après chir strabisme = dipoplie après traitement ou prismatique du strabisme, OD = orbitopathie dysthyroïdienne, Délai OD/Chirurgie = délai moyen (années) entre l’orbitopathie dysthyroïdienne et la DOL, différence HERTEL preop-postop œil D/G =différence entre les mesures à l’appareil de HERTEL (mm) entre l’œil droit et l’œil gauche.

FIG. 1.

FIG. 2. — Répartition de la diplopie en fonction du sexe et de l’état pré et postopératoire.

Sept patients présentaient une diplopie en position primaire (regard de face) avant la lipectomie, et ont gardé cette diplopie après la lipectomie orbitaire. Deux ont subi une DOL unilatérale et cinq une DOL bilatérale. La moyenne d’âge était de 57,8 ans (de 46 à 73). Les opérés étaient répartis : trois hommes et quatre femmes. Le volume moyen de graisse enlevé était de 6,3 ml. Le délai moyen de survenue entre l’OD et la chirurgie était de 7,6 ans. Après la lipectomie une correction de la diplopie par chirurgie du strabisme a été réalisée pour les sept patients qui ont tous été corrigés de leur diplopie par l’opération (Fig. 1 et 2). Dans le groupe des 28 patients qui ne présentaient pas de diplopie en position primaire avant la lipectomie orbitaire, neuf ont présenté une diplopie après la DOL. Dans le groupe des neuf patients présen-
tant une diplopie post-opératoire la moyenne d’âge était de 48 ans (de 27 à 68) avec 2 hommes, et 7 femmes. Dans ce groupe 2 patients ont subi une lipectomie unilaté- rale et 7 une bilatérale. Le volume moyen de graisse enlevé était de 7,4 ml. Le délai entre la survenue de l’OD et la lipectomie était de 6 ans. Quatre patients ont été traités avec succès par des prismes. Quatre patients ont été opérés de strabisme : trois de façon favorable et un échec même après le port de prismes. Un patient a été perdu de vue. Dans le groupe des 19 patients qui présentaient une absence de diplopie après la lipectomie. La répartition des sexes se faisait en 7 hommes et 12 femmes. La moyenne d’âge était de 48,6 ans (de 29 à 77). Huit patients ont eu une DOL unilatérale, 11 une bilatérale. Le volume moyen de graisse enlevé était de 7,5 ml, le délai moyen entre la survenue de l’OD et la lipectomie était de 8,1 ans.

DISCUSSION

Les troubles oculomoteurs sont très fréquents dans l’OD. Il est établi désormais que cette maladie entraîne fréquemment une augmentation de volume des muscles oculomoteurs en relation avec un œdème inflammatoire qui aboutit à une myopathie cicatricielle et restrictive et à un strabisme [13].

Après la décompression orbitaire, une diplopie transitoire est courante dans les premiers jours. La possibilité d’une diplopie persistante après une décompression orbitaire est une complication moins fréquente mais réelle dont la fréquence justifie la nécessité d’explications préopératoires au patient. La survenue d’une diplopie en complication d’une DOL ou d’une DOO a été un argument pour certains chirurgiens pour porter des indications restreintes de décompression orbitaire réservées aux seules neuropathies optiques compressives et ulcérations cornéennes.

Les complications oculomotrices après DOL, ésotropie [14] ou hypoglobe [15], ont été décrites par de nombreux auteurs. Celles-ci sont liées soit aux modifications déficitaires volumétriques après lipectomie, soit à l’atteinte des fascias de support des muscles oculomoteurs. Plusieurs études ont tenté de trouver une différence dans l’incidence des diplopies induites par la DOL, sans résultats probants : Paridaens et al [16], dans une étude comportant 81 patients (dont 11 avec neuropathie optique), conclut que la diplopie induite par tous les types de décompression orbitaire mérite d’être analysée selon un protocole orthoptique standardisé pour toutes les décompressions analysées, plus strict et qui est à développer. Goldberg et al [17], dans une étude portant sur 32 patients a montré que l’ablation de la paroi latérale aboutit à un taux inférieur de diplopies induites que la combinaison ablation de la paroi médiale et latérale pour l’OD. Nunery et al [18], dans une série de 58 patients atteints d’OD, a tenté de déterminer un facteur prédictif de diplopie induite après DOO en divisant les patients en deux groupes ayant ou non une diplopie en préopératoire. Sa conclusion est que les complications oculomotrices induites après une décompression deux parois sont rares chez les patients n’ayant pas de trouble oculomoteur
avant l’intervention mais survient dans 61 % des cas si la diplopie est pré-opératoire dans une aire de 20° autour de la position primaire du regard.

L’incidence de la diplopie induite après décompression orbitaire est variable selon les études en premier lieu en raison de groupes de patients non homogènes au départ. Paridaens et al [16] rapportent que 12 % des patients indemnes de troubles oculomoteurs avant la décompression présentent une diplopie induite par une DOO effectuée par voie coronale.

Garrity et al [4], dans une série de 428 patients atteints d’OD, rapporte une fréquence de 64 % de diplopies induites dans le groupe de 116 patients n’ayant pas de diplopie en position primaire avant la DOO. Toutefois, la série comportait beaucoup de formes sévères puisque 51 % des patients avaient une neuropathie optique et 73 % des patients présentaient une diplopie avant la DOO. De ce fait, cette étude ne peut pas être comparée à la nôtre qui ne comporte aucun cas de neuropathie optique et dont le taux de diplopie pré-opératoire est bien plus faible.

Morax et al [19], dans une étude portant sur 54 patients atteints d’OD, n’a rencontré aucun cas de diplopie après la DOO dans le groupe des patients n’ayant pas de diplopie avant. Shorr et al [13], dans une série de 50 patients consécutifs opérés de DOO, trouve 34 % de diplopie post-opératoire dans le groupe des 32 patients n’ayant pas de diplopie en position primaire avant l’intervention.

Georges [20], dans une étude rétrospective de 44 patients (76 orbites) au cours d’une OD, décrit une incidence de 23,6 % de diplopie post-opératoire après une DOO effectuée par voie palpébrale antérieure. Les facteurs favorisants étaient l’âge et l’amblyopie tandis que l’amplitude de correction de l’exophtalmie et la radiothérapie ne l’étaient pas. Il a trouvé que l’absence de restriction de la motilité ne prévenait pas la diplopie mais réduisait sa fréquence. Dans cette étude, 13 patients ont été opérés pour une inflammation orbitaire sévère ou une neuropathie optique et 31 ont été opérés pour une réhabilitation cosmétique. De plus, 32 patients ont subi une chirurgie bilatérale, et 12 unilatérale. Six patients présentaient une diplopie avant la DOO, 38 n’avaient pas de diplopie après la chirurgie. Après la DOO, 23,6 % des patients avaient une diplopie post-opératoire.

Olivari et al [21], dans une étude rétrospective de 697 patients (1362 orbites) opérés entre 1985 et 1998, rapporte une fréquence de 8,5 % de diplopies postopératoires après DOL, avec un volume moyen de graisse enlevé de 6,2 ml. Dans son étude 235 patients étaient en orthophorie en position primaire du regard avant la DOL.

Dans toutes les études déjà citées, comme dans la nôtre, tous les patients ayant une diplopie avant la DOL continuent à avoir une diplopie après la chirurgie. La chirurgie du strabisme permet une solution satisfaisante dans tous les cas.

Dans notre groupe de patients n’ayant pas de diplopie avant la décompression orbitaire, 32 % vont développer une diplopie post-opératoire qui trouvera une solution satisfaisante soit par les prismes soit par la chirurgie comme dans l’étude de

Shorr [13]. Nous n’avons pas trouvé de facteur permettant de prévoir la survenue de la diplopie post-opératoire après la DOL.

L’étude de Garrity [4] ne peut être comparée à la nôtre, car les signes orbitaires sont bien plus sévères que dans notre étude.

Au total notre étude est similaire à celle de Spielmann et George [20] et de Shorr [13] pour ce qui est de la sévérité de l’atteinte orbitaire et similaire aussi en ce qui concerne la fréquence des diplopies post-opératoires. Ainsi la technique DOL ou DOO ne semble pas intervenir dans la fréquence de survenue de la diplopie postopératoire pour les décompressions orbitaires au cours de l’OD.

CONCLUSION

La décompression orbitaire par lipectomie est une bonne technique pour réduire l’exophtalmie au cours de l’OD [1]. La fréquence de la diplopie post-opératoire après DOL est comparable avec celle observée après DOO : sept patients présentaient une diplopie en position primaire (regard de face) avant la lipectomie, et ont gardé cette diplopie après la lipectomie orbitaire.

Après la lipectomie une correction de la diplopie par chirurgie du strabisme a été réalisée pour les sept patients qui ont tous été corrigés de leur diplopie par l’opération.

Dans le groupe des 28 patients qui ne présentaient pas de diplopie en position primaire avant la lipectomie orbitaire, neuf ont présenté une diplopie après la DOL.

Quatre patients ont été traités avec succès par des prismes. Quatre patients ont été opérés de strabisme : trois de façon favorable et un échec même après le port de prismes. Un patient a été perdu de vue. Au total le pourcentage de 32 % de diplopies induites par la DOL est similaire aux 23 % à 34 % de diplopies induites par la DOO dans la littérature.

La diplopie après décompression orbitaire quelque soit la technique utilisée est un risque réel qui doit être bien explicité à chaque patient avant l’acte chirurgical.

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DISCUSSION

M. Henry HAMARD

Quelles sont les indications de la lipectomie chez les patients qui n’ont ni diplopie, ni compression du nerf optique mais seulement une disgrâce esthétique majeure ?

Si la disgrâce esthétique est majeure, rendant l’aspect du visage grotesque ou si l’aspect inesthétique retentit sur la vie professionnelle ou sociale du patient, il nous paraît légitime de recourir à une décompression orbitaire même en l’absence de retentissement visuel. Il est important dans ces cas encore plus que dans les cas de pathologie complexe, de prévenir le patient des risques éventuels de l’opération.

M. Yves POULIQUEN

Vous n’avez pas évoqué les complications vasculaires susceptibles d’entraîner une amaurose définitive, complications qui malgré la délicatesse des dissections opérées en ce milieu anatomique, demeurent redoutables. Celles-ci sont-elles plus fréquentes que dans les suites des décompressions osseuses ?

Le risque de complications à type d’amaurose après lipectomie est très faible. Sa fréquence est mal évaluée car le nombre de lipectomies rapportées dans la littérature est au mieux de 2000 et le risque estimé est de l’ordre de 1 sur 20000. Il ne semble pas pour l’instant que ce risque soit plus élevé dans les lipectomies que dans les décompressions osseuses. Je ne pourrai toutefois vous répondre de façon scientifique que dans de nombreuses années.

M. René MORNEX

Pensez-vous que l’apparition de la diplopie soit liée au déséquilibre des pressions révélant les conséquences des rétractions ? Avez-vous opéré après une radiothérapie et quel délai imposez-vous ? Quelles constatations histologiques ont-elles été faites sur le tissu graisseux enlevé ? Quel délai imposez-vous après lipectomie pour réaliser la rétroposition musculaire ?

Le risque de diplopie me paraît lié pour une faible part à un déséquilibre de l’anatomie orbitaire et pour la partie la plus importante à la fibrose des muscles oculomoteurs et de leurs fascias sous l’influence des myofibroblastes. La lipectomie après radiothérapie est tout à fait possible et je l’ai faite de nombreuses fois. On doit s’attendre dans ces cas à une veine ophtalmique dilatée et à un saignement un peu accru. La coagulation bipolaire doit donc être prête. Le tissu est le siège au début d’une infiltration lymphoplasmocytaire, d’un œdème, puis dans le deuxième stade on assiste à une fibrose majeure du tissu conjonctif des muscles et de la graisse avoisinante mais pas des cellules musculaires elles-mêmes. Il est prudent d’attendre un délai d’au moins deux mois pour réaliser une chirurgie du strabisme après une lipectomie.

M. Jean-Luc de GENNES

Que peut-on faire comme chirurgie sur les diplopies durables, souvent liées à une rétraction de certains muscles dans l’orbite ?

La chirurgie est bien codifiée, plus difficile que dans le strabisme de l’enfant et consiste en un recul majeur dit anatomique permettant de remettre le globe en quasi rectitude sur la table d’opération. Il est formellement contre-indiqué de faire des résections musculaires puisque nous avons à faire face à un processus de fibrose.

M. Christian NEZELOF

Trouve-t-on, en proportions accrues, des récepteurs pour les hormones thyroïdiennes ou TSH ?

Les récepteurs ne voient pas leur nombre changer mais leur qualité entraînant alors la réaction auto-immune.


* Service d’Ophthalmologie, CHU Dupuytren, 2 Avenue Martin Luther King — 87042 Limoges, France e mail : pradenis@ unilim.fr. Tirés-à-part : Professeur Jean Paul ADENIS, à l’adresse ci-dessus. Article reçu le 31 mars 2003, accepté le 19 mai 2003.

Bull. Acad. Natle Méd., 2003, 187, no 9, 1649-1660, séance du 2 décembre 2003