Communication scientifique
Session of 3 février 2004

La cryoablation endocardiaque percutanée dans le traitement des arythmies supraventriculaires

MOTS-CLÉS : ablation percutanée. cryoablation. cryochirurgie. tachycardie supraventriculaire.
Catheter cryoablation for the treatment of supraventricular arrhythmias
KEY-WORDS : catheter ablation. cryoablation. cryosurgery. supraventicular tachycardia.

Louis Guize *, Thomas Lavergne, Claude Sebag, Anne Messali, Mina Ait Said, Olivier Paziaud, Jean-Yves Le Heuzey

Résumé

L’ablation endocavitaire percutanée constitue un traitement radical de divers types d’arythmies à risque ou réfractaires au traitement pharmacologique. La radiofréquence est aujourd’hui la méthode de référence, mais elle comporte quelques limites. La cryothermie qui agit par refroidissement tissulaire présente l’avantage d’avoir des effets plus progressifs, permettant de prédire les conséquences de la lésion avant de la produire. Par ailleurs, les lésions induites sont mieux circonscrites et moins thrombogènes que celles obtenues par radiofréquence. Vingt-deux patients(12 femmes), âgés de 20 à 79 ans, ayant des arythmies supraventriculaires résistantes aux antiarythmiques ont été traités par cette technique. L’ablation a été réalisée au moyen d’un cathéter dont l’électrode distale est refroidie par la détente d’un gaz sous pression (N O). A 2 — 30° C se produit une perte des propriétés électrophysiologiques du tissu, mais réversible ce qui permet de réaliser une cryocartographie (« cryomapping »). Si le site de la lésion tissulaire apparaît efficace et non délétère, le refroidissement est accentué à — 70° C provoquant la cryoablation, indolore. Chez 12 patients qui avaient des tachycardies par réentrée atrio-nodale, un succès immédiat a été obtenu dans la totalité des cas, en règle après une ou deux séquences. Il y a eu toutefois 3 récidives dans les 8 mois de suivi, mais sous forme de tachycardies plus lentes et spontané- ment résolutives ; en revanche aucun bloc auriculo-ventriculaire (complication redoutée avec la radiofréquence) n’a été observé. Chez 2 patients qui avaient une voie de conduction accessoire (faisceau de Kent), la cryoablation a été un succès radical sans complication. Chez 8 autres patients qui avaient une fibrillation atriale avec tachyarythmie très rapide des ventricules non contrôlée, un ralentissement de la conduction nodale a été recherché : un succès immédiat a été obtenu dans 7 cas (3 modulations de la conduction et 4 blocs auriculo-ventriculaires complets), mais seuls 4 patients ont conservé un effet durable, ce qui incite à augmenter les séquences ou à modifier les sites de cryoablation pour tenter

Summary

Catheter ablation is a radical treatment for various severe and drug-refractory arrhythmias. Radiofrequency is the reference energy for ablation, but has some limitations. Cryoenergy gradually freezes myocardial tissue, allowing the consequences to be predicted before inducing the lesion. Furthermore, the lesions are better-circumscribed and less thrombogenic than those induced by radiofrequency. Twenty-two patients (12 women) aged from 20 to 79 years with drug-refractory supraventricular arrhythmias underwent cryoablation. The ablation catheter was cooled by nitrous oxide expansion. The electrophysiological properties of the tissue are reversibly lost at a temperature of — 30° C, allowing cryomapping. When the appropriate target has been located, the temperature is reduced to — 70° C. The cryoablation is painless. The procedure was initially successful in all 12 patients with atrionodal reentrant tachycardias, usually after one or two applications. However, during the 8-month follow-up period, slower, transient tachycardia recurred in 3 patients. We observed no cases of atrioventricular (AV) block, a possible complication of radiofrequency. Cryoablation was successful and safe in two patients with an accessory pathway (Kent). In eight patients with atrial fibrillation and uncontrolled ventricular tachycardia, cryoablation was used with the aim of slowing nodal conduction. Initial success was obtained in 7 cases (3 modulations and 4 complete AV blocks) but only persisted in four cases, suggesting that more applications should be used or different sites targeted. The efficacy and safety of cryoablation make it an attractive option for the ablation of small substrates close to the nodo-Hisian tissue (atrionodal reentries and accessory pathways). New criteria must be developed to define long-term success of cryoablation of the AV node, which is successful in the acute setting.

* Membre correspondant de l’Académie nationale de médecine, Service de Cardiologie A, Hôpital Européen Georges Pompidou, 20 rue Leblanc — 75908 Paris cedex 15. Tél : 01 56 09 37 31 Fax :

01 56 09 37 29 E-mail : louis.guize@hop.egp.ap-hop-paris.fr Tirés-à-part : Professeur Louis GUIZE, à l’adresse ci-dessus.

Article reçu le 24 septembre 2003 accepté le 1er décembre 2003
d’améliorer les résultats. L’efficacité et la sécurité apportées par la cryoablation pourraient lui donner une indication sélective pour des substrats de faible volume proches de la voie de conduction nodo-hisienne (réentrées atrio-nodales et faisceaux accessoires). En revanche, la cryoablation du nœud auriculo-ventriculaire, bien qu’efficace en aigu, nécessite la recherche de critères d’efficacité à long terme.

INTRODUCTION

Succédant à la fulguration [1, 2], l’ablation endocavitaire percutanée par courants de radiofréquence constitue actuellement la méthode de référence pour le traitement de certains troubles du rythme cardiaques à risque ou réfractaires aux antiarythmiques [3, 4]. Les indications les mieux validées sont les flutters auriculaires, les tachy-arythmies atriales focales, les tachycardies jonctionnelles par réentrée atrionodale ou impliquant une voie de conduction accessoire auriculo-ventriculaire, les tachycardies ventriculaires monomorphes multirécidivantes. Dans la fibrillation atriale, les résultats s’améliorent avec les avancées techniques ; les formes réfractai-
res avec cadence ventriculaire élevée bénéficient de l’ablation nodo-hisienne. La radiofréquence qui agit par brûlure tissulaire expose toutefois à certaines complications, notamment au bloc auriculo-ventriculaire (BAV) non volontaire lorsqu’elle est appliquée près de la voie de conduction. D’autres agents qui utilisent l’échauffement tissulaire (laser, micro-ondes, ultrasons) ne l’ont pas supplantée.

Cela justifie l’évaluation de nouveaux agents physiques telle la cryothermie, déjà utilisée en chirurgie, dont les effets liés au froid sont plus progressifs, mieux délimités que ceux des courants de radiofréquence et initialement réversibles [5]. En effet, pour un refroidissement modéré on peut obtenir une perte transitoire des propriétés électrophysiologiques du tissu cardiaque, myocardique ou nodal, et connaître les conséquences de la lésion que l’on cherche à provoquer avant de décider de la rendre définitive. Ces caractéristiques laissent espérer une localisation plus précise du substrat à éliminer (cryocartographie ou « cryomapping ») et une plus grande sécurité vis-à-vis des structures à préserver. Par ailleurs, les lésions induites sont moins thrombogènes que celles obtenues par radiofréquence [6]. Afin d’apprécier l’efficacité et la tolérance de cette nouvelle méthode, une série initiale de 22 cryoablations d’arythmies supraventriculaires résistant au traitement médical a été réalisée.

MÉTHODE

Patients

Vingt-deux patients, 12 femmes et 10 hommes, âgés de 20 à 79 ans (moyenne :

49 fi 17 ans), ayant des arythmies supraventriculaires réfractaires ont été sélectionnés.

Quatorze patients avaient des accès récidivants de tachycardies jonctionnelles paroxystiques. Dans 12 cas (8 femmes et 4 hommes, 46 fi 13 ans), il s’agissait de tachycardies par réentrée atrio-nodale avec dualité de conduction, activation anté- rograde par la voie lente et rétrograde par la voie rapide. Deux autres patients avaient des accès de rythme réciproque auriculo-ventriculaire lié à un faisceau de Kent, l’un latéral droit avec aspect de Wolff-Parkinson-White en rythme sinusal (faisceau de Kent perméable dans le sens antérograde, et rétrograde en tachycardie chez une femme âgée de 20 ans), l’autre avec faisceau de Kent antéro-septal caché à conduction exclusivement rétrograde (homme âgé de 31 ans). Ces caractéristiques électrophysiologiques ont été démontrées par stimulation trans-oesophagienne et confirmées lors de l’exploration endocavitaire effectuée dans le même temps que l’ablation.

Les 8 autres patients, 3 femmes et 5 hommes (65 fi 13 ans), avaient une fibrillation atriale, permanente dans 7 cas, avec réponse ventriculaire rapide, non contrôlée par les médicaments, avec cardiopathie dilatée à fonction systolique altérée (fraction
d’éjection ventriculaire gauche = 26 fi 3 %). La cadence ventriculaire a été évaluée par un enregistrement Holter-ECG de 24 heures, déterminant la fréquence ventriculaire moyenne et maximale au repos, ainsi que par une épreuve d’effort avec mesure de la fréquence maximale à l’effort.

Procédure de la cryoablation

L’ablation est réalisée à l’aide d’un cryocathéter 7F (deflectable Freezor Cryocath@) , avec une électrode distale de 4 ou 6 mm, relié à une console Cryocath@ contenant du protoxyde d’azote (N O). La détente brutale de ce gaz dans l’extrémité 2 distale fermée du cathéter produit un abaissement contrôlé de la température, pendant une durée programmée. A partir de —20° C, la formation d’un glaçon à l’interface cathéter-endocarde provoque l’adhérence du cathéter et facilite la stimulation endocavitaire utilisée lors du « cryomapping » . Celui-ci vérifie le bon positionnement du cathéter en objectivant la suppression transitoire des propriétés rythmiques du substrat à éliminer. Il s’effectue à —30° C, pendant un maximum de 60 secondes. Si le cryomapping ne montre pas d’effet rythmique ou entraîne un effet indésirable (tel un BAV non souhaité), le cathéter est repositionné après réchauffement. Si l’effet recherché est atteint, le refroidissement à —70° C pendant 2 à 5 minutes produira la lésion définitive (cryoapplication).

Les sondes d’électrophysiologie et le cathéter d’ablation sont introduits par voie veineuse fémorale. Une sonde quadripolaire est placée en regard du tronc du faisceau de His et une autre dans le sinus coronaire pour les tachycardies jonctionnelles. Les signaux endocavitaires sont enregistrés sur une baie d’électrophysiologie (Prucka) .

Critères de succès de l’ablation

Les objectifs des ablations étaient définis selon les mêmes critères qu’en radiofré- quence :

— non-inductibilité de tachycardie par réentrée, au maximum un écho sur la voie lente, pour les tachycardies atrio-nodales [7] — non-inductibilité de rythme réciproque, avec perte de la conduction sur la voie accessoire, rétrograde et antérograde avec disparition de la préexcitation pour les syndromes de Wolff-Parkinson-White [8] — ralentissement de la fréquence ventriculaire en fin de séance, inférieure à 70/minute et cycle R-R maximal inférieur à 600 ms, pour la fibrillation atriale, soit par modification de la voie atrio-nodale postérieure (modulation de la conduction nodale), soit (en cas d’impossibilité) par création d’un BAV complet.

Suivi des patients

Tous les patients ont eu une surveillance électrocardiographique monitorisée de 48 heures puis un Holter-ECG de 24 heures ainsi qu’une échographie cardiaque de
contrôle. Un écho-doppler de la voie d’abord a été effectué en cas de signes cliniques.

Les patients qui avaient des tachycardies jonctionnelles ont eu au 4ème jour une stimulation trans-oesophagienne vérifiant la non-inductibilité du rythme réciproque. Les patients avec fibrillation atriale ont eu une épreuve d’effort au 4ème jour. Le suivi, de 3 à 16 mois (moyenne 8,8 fi 4,1 mois), était ensuite assuré par des consultations cardiologiques avec ECG et Holter.

RÉSULTATS

Tachycardies jonctionnelles

Le taux de succès immédiat des cryo-ablations pour réentrées atrio-nodales a été de 100 %. Cependant l’inductibilité d’un rythme réciproque bref et peu rapide a été observée chez 3 patients au 4ème jour. Ces 3 patients ont eu une récidive de tachycardie, dont deux en cours d’hospitalisation et une plus tardive, mais sous forme de tachycardie plus lente et brève (spontanément résolutive en moins d’une minute). Lors du suivi, aucune autre récidive n’a été observée.

Le nombre d’applications de —70° C durant 4 mn a été de 2,1 fi 1,7. Une seule séquence a été utilisée chez la moitié des patients. Le cryomapping a localisé la voie lente chez 11 patients. Le blocage de la voie lente a été montré soit par stimulation atriale à fréquence croissante ou extra-stimulus (figure 1), soit par interruption du rythme réciproque lors du refroidissement. Un autre test utilisé a été la perte de l’inductibilité du rythme réciproque, sans survenue nécessaire de bloc complet sur la voie lente. Au cours du cryomapping , quatre épisodes de BAV de quelques secondes ont été observés : deux allongements de la durée atrio-hisienne de plus de 50 %, un BAV 2/1, un BAV de haut degré. Ils ont été rapidement réversibles au réchauffement.

Aucun BAV permanent n’est survenu. Un seul accès de rythme jonctionnel actif a été noté au cours des ablations.

Une complication de la voie d’abord a été observée (thrombus veineux fémoral, compliqué d’une embolie pulmonaire segmentaire sans séquelle).

Les faisceaux de Kent ont été éliminés en 1 et 3 séquences, sans récidive à 5 et 9 mois de suivi. Le cryomapping utilisé pour le Kent antéro-septal caché a montré la perte de sa conduction rétrograde (figure 2).

Tachy-arythmies par fibrillation atriale

La modification du nœud auriculo-ventriculaire (modulation de la conduction avec ralentissement de la fréquence ventriculaire entre 55 et 70 par minute) a été efficace chez 3 patients, avec une moyenne de 20,6 fi 14,3 applications et en 2 séances chez un des patients.

FIG. 1. — Exemple de cryomapping : l’extrastimulus (quatrième complexe) qui déclenche le rythme réciproque par réentrée nodale (tracé a) est bloqué sur la voie lente au cours du refroidissement (tracé b).

Un BAV complet a été obtenu chez 4 autres patients, avec en moyenne 8,8 fi 4,1 applications à —70° C. La cadence ventriculaire de ces 4 BAV a été de 40, 45, 55 et 59 par minute.

Le seul échec a été dû à l’impossibilité de provoquer un BAV persistant au-delà de quelques minutes. Le taux de succès global immédiat a donc été de 88 %.

A long terme, les 3 modulations de la conduction se sont maintenues, tandis qu’un seul BAV complet a persisté avec un an de suivi, les autres patients ayant dû être traités par une nouvelle séance de cryoablation (1 cas, au 2ème mois) ou par radiofréquence (2 cas, aux 10ème et 45ème jours).

DISCUSSION

Le taux de succès des réentrées nodales est très satisfaisant et comparable, sur des populations encore restreintes, aux résultats de la radiofréquence [9-13]. La série de cryoablations de Skanes en 2000 [11] montrait un succès de 94 % (17/18 patients), en 8,2 fi 8,8 applications de 4 minutes. La série récente de Riccardi [12] rapporte 96 % de succès (31 sur 32 patients) en 2,6 fi 1,0 applications.

FIG. 2. — (tracé a) arrêt du rythme réciproque auriculo-ventriculaire en cours de cryomapping témoignant du bon positionnement du cathéter d’ablation ; (tracé b) disparition de la conduction rétrograde sur la voie accessoire, vérifiée pendant la cryoapplication au même site.

Dans la série de Skanes, le nombre d’applications, supérieur au nôtre, peut s’expliquer en partie par la délivrance systématique d’une deuxième application à —70° C au site d’efficacité de l’ablation. Chez l’animal le renouvellement du cycle gel/dégel au site de l’ablation permet en effet d’augmenter la taille des lésions [14]. Cette application supplémentaire a pu participer à l’absence de récidive dans leur série, sur un suivi de 4,9 fi 1,8 mois, alors que nous avons observé trois récidives chez nos patients, sous une forme mineure toutefois, n’empêchant pas l’amélioration clinique. Nous avons par ailleurs constaté, comme Skanes, que si la survenue d’un rythme jonctionnel actif transitoire durant l’ablation est un critère de réussite avec la radiofréquence [15-17], il ne semble pas s’appliquer obligatoirement à la cryoablation. Un tel rythme jonctionnel n’a en effet été observé qu’une seule fois dans notre série, et à deux reprises dans la série de Skanes, mais après induction d’un BAV transitoire du 1er ou 2ème degré au cours du cryomapping .

Le cryomapping a aidé à localiser la voie lente atrio-nodale chez 11 patients. En plus des critères anatomiques et électrophysiologiques habituels approchant la voie lente [7,18,19], le cryomapping démontre que celle-ci sera touchée par la future lésion, puisqu’elle perd ses propriétés conductives et arythmogènes pendant le refroidisse-
ment temporaire à —30 %. Il permet donc d’éviter ou de limiter des lésions inutiles voire délétères : aucun BAV persistant n’a été constaté, en dépit de la survenue de BAV accidentels lors du cryomapping , et cela grâce aux effets transitoires du froid (-30 %). La radiofréquence accuse quant à elle, encore 1 % de BAV complets [9,10 ,20]. Les réentrées atrio-nodales semblent ainsi pouvoir être traitées avec plus de sécurité par la cryoablation que par la radiofréquence. Le cryomapping pourrait aussi faire reconsidérer le site optimal pour l’ablation.

Dans cette expérience clinique initiale, notre série n’a inclus que deux patients ayant une voie de conduction accessoire (faisceau de Kent) : l’un pour la proximité de celui-ci avec la voie hisienne, l’autre pour intolérance (douleur) et échec d’une tentative d’ablation précédente par radiofréquence. La cryoablation est actuellement surtout évaluée pour les faisceaux de Kent septaux proches de la voie de conduction normale [21-23]. En effet, dans ces localisations, l’ablation par courants de radiofréquence, bien qu’associée à un taux de succès initial élevé, s’accompagne de récidives plus fréquentes et d’un risque de BAV plus important [24-27]. La cryoablation permet des succès en peu d’applications (une à trois), avec cryomapping localisant la voie accessoire en objectivant la disparition de la préexcitation ventriculaire lorsqu’elle existe et la perte de la conduction (rétrograde et antérograde) dans le faisceau accessoire [21-23]. L’adhérence du cathéter par le froid diminue le risque de son déplacement accidentel lors des changements de rythme (arrêt d’un rythme réciproque), ou d’une stimulation endocavitaire appliquée pour vérifier la bonne conduction nodale et hisienne lors du refroidissement. Elle apparaît être particulièrement utile pour des situations anatomiques rendant le cathéter instable.

En raison de la faible profondeur des lésions créées avec les cathéters utilisés actuellement, la localisation épicardique des faisceaux accessoires se prête peu à la cryoablation, mais la mise au point de nouveaux cathéters pourrait venir à bout de cette difficulté [28, 29].

La modification de la conduction nodale par cryoablation pour ralentir la cadence ventriculaire est moins convaincante, du moins dans le suivi. Seuls 3 patients sur 8 ont eu une modulation satisfaisante de la réponse ventriculaire à la fibrillation atriale, avec un nombre d’applications important. Un BAV complet a été obtenu chez 4 autres patients. En per-ablation, nous avons observé que les BAV persistant après réchauffement étaient ceux qui étaient apparus précocement après le début de l’application (moins de 30 secondes). Leur évolution a ensuite été variable entre le maintien d’une conduction nodale ralentie et la récupération d’une conduction aussi rapide qu’initialement. Dubuc a obtenu dans sa série de cryoablations du nœud auriculo-ventriculaire un BAV complet chez 10 patients sur 12 [30], avec 2 récidives sur 6 mois de suivi. La modification du nœud auriculo-ventriculaire semble donc être une procédure malaisée, et son ablation mériterait la recherche de critères prédictifs de maintien à long terme. La radiofréquence obtient en effet 100 % de succès pour l’ablation du nœud auriculo-ventriculaire, avec 2 à 5 % de récidives [9,10]. L’apport de la cryothermie par rapport à la radiofréquence pouvait être l’obtention d’un BAV avec rythme de relais jonctionnel plus rapide (>40/min) que
celui observé à la fin des ablations [31, 32]. Cependant les patients qui ont récupéré une conduction rapide et subi une 2ème procédure n’avaient pas d’échappement ventriculaire après la 2ème séance, ce qui limite le bénéfice de cette technique dans cette indication.

Parmi les avantages de la cryoablation, il est important de souligner le caractère totalement indolore de l’application de cette énergie, ce qui peut ainsi la faire préférer à la radiofréquence, particulièrement dans une population éventuellement pédiatrique comme celle du syndrome de Wolff-Parkinson-White. Un autre avantage est l’absence d’interférence avec les stimulateurs cardiaques, à l’inverse de ce qui est parfois observé avec la radiofréquence [33, 34].

CONCLUSION

L’efficacité de la cryothermie apparaît démontrée pour l’ablation des substrats de faible volume, comme les réentrées atrio-nodales ou les voies accessoires. Les propriétés localisatrices du cryomapping ainsi que la sécurité apportée par ses effets réversibles constituent une supériorité par rapport à la radiofréquence, faisant de la cryoablation une alternative préférentielle pour l’élimination de substrats arythmogènes proches de la voie de conduction nodo-hisienne. La cryoablation du nœud auriculo-ventriculaire destinée à la modulation ou le blocage de la conduction, efficace en aigu, est en revanche associée à un taux de récupération de la conduction important, et semble nécessiter pour se développer l’élaboration de critères prédictifs de maintien à long terme.

Cette nouvelle technique d’ablation endocavitaire représente ainsi une avancée intéressante en raison de sa plus grande sécurité qu’avec la radiofréquence (lésions progressives, initialement réversibles, mieux limitées et moins thrombogènes) et de son caractère totalement indolore. Toutefois, son efficacité aujourd’hui moindre pour l’ablation de substrats importants, ainsi que son coût supérieur n’incitent pas à l’utiliser systématiquement. Les indications de la cryoablation sont actuellement les tachycardies jonctionnelles par réentrée atrio-nodale et celles impliquant une voie de conduction auriculo-ventriculaire accessoire proche de la voie de conduction normale, cela afin de réduire le risque de bloc auriculo-ventriculaire involontaire. Les progrès technologiques permettront sans doute d’en élargir grandement les indications, y compris dans la fibrillation atriale où les évaluations sont en cours.

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DISCUSSION

M. Yves GROSGOGEAT

Quel est le matériel précisément responsable de la multiplication par deux du coût de la technique ? A-t-on expérimenté la cryoablation pour la prévention de la fibrillation auriculaire en visant la terminaison des veines pulmonaires ?

C’est essentiellement le cathéter, car ce matériel à usage unique est sophistiqué, résistant et sécurisé. Orientable dans sa partie terminale au moyen d’un câble interne, il contient un micro tube pour l’admission du protoxyde d’azote liquéfié sous forte pression, une chambre d’expansion située dans l’électrode distale, un conduit pour la récupération et l’évacuation des vapeurs gazeuses. En outre il y a des fils conducteurs et quatre électrodes destinés aux études électrophysiologiques. Oui, plusieurs études concernant la prévention de la fibrillation atriale ont été présentées, notamment par F. Gaïta, M. Arruda, J.

Vogt et d’autres, avec des résultats très encourageants. L’utilisation de nouvelles sondeslasso apparaît efficace.

M. Jean-Paul BOUNHOURE

Cette technique a-t-elle un avenir dans le traitement des tachycardies ventriculaires, dans les zones d’anévrysmes ventriculaires ou de plaques cicatricielles akinétiques ? Quelques chirurgiens semblent l’utiliser à thorax ouvert.

Contrairement aux techniques utilisées par les chirurgiens, qui peuvent créer des ablations assez profondes, par voie endocardique ou épicardique, la cryoablation par cathéter provoque des lésions sous-endocardiques limitées souvent insuffisantes pour ce type d’arythmies ventriculaires. La radiofréquence endocardiaque peut elle-même être en échec et l’on doit recourir à la fulguration à basse énergie mise au point par G. Fontaine et coll.

M. Pierre MAURICE

Quel traitement doit-on appliquer à une crise de tachycardie régulière survenue dans les heures précédentes ? Que reste-t-il des techniques vagales, respiratoires ou de compression ?

Les méthodes de stimulation vagale restent prioritaires, mais on préfère la manœuvre de Valsalva ou le massage du sinus carotidien à la compression oculaire qui est douloureuse et peut provoquer des lésions locales. Si elles échouent, la striadyne en milieu hospitalier, l’amiodarone, les bêtabloquants et les antiarythmiques de classe 1 peuvent être utilisés. Il est rare d’avoir besoin de recourir à la stimulation atriale ou au choc électrique. Ces crises de tachycardies jonctionnelles peuvent être gênantes voire invalidantes, mais elles sont habituellement bénignes. C’est pourquoi l’ablation doit faire appel à une technique sûre, comme l’est la cryothérapie.

M. André VACHERON

Dans les 4 cas d’apparition d’un bloc auriculo-ventriculaire en cours de procédure, quel a été le délai de disparition du bloc ? La cryoablation sera-t-elle préférée à la radiofréquence pour la destruction des faisceaux de Kent quand son coût diminuera ? Donnera t-elle des résultats aussi définitifs ?

Ce délai a été très bref après le réchauffement, de quelques secondes, qu’il y ait eu bloc du 1er, du 2ème ou du 3ème degré. Il est possible que la plupart des faisceaux de conduction accessoires soient dans le futur éliminés préférentiellement par cryoablation, avec des résultats aussi définitifs qu’avec la radiofréquence et plus de sécurité. La voie transveineuse coronaire a été testée avec succès. Cependant, pour espérer obtenir des résultats identiques à ceux de la radiofréquence, il faudra pouvoir utiliser des cathéters permettant de réaliser des lésions plus étendues et plus profondes qu’actuellement. Certains faisceaux de Kent distants résistent même à la radiofréquence, parfois aussi malgré l’utilisation de cathéters irrigués.

M. Jean-Daniel SRAER

Dans les récidives après cryoablation, existe t-il une réparation des lésions et, si tel est le cas, par quel type de cellules ? (cellules souches !)

Les récidives après cryoabation sont en règle précoces, dans les jours ou les semaines qui suivent. Elles apparaissent liées à l’évolution cicatricielle d’une lésion provoquée insuffisante. Ce délai semble plutôt correspondre à une récupération électrophysiologique des cellules existantes qu’à une réparation à partir de cellules souches, mais cela demande à être étudié.

M. Daniel LOISANCE

Quelle est l’évolution de la fonction mécanique des oreillettes après cryoablation dans la fibrillation auriculaire ?

Cela ne semble pas avoir été analysé lors des études qui ont évalué la cryoablation endocardiaque par cathéter. En revanche des travaux se sont intéressés à ce problème après cryothérapie chirurgicale ou après ablation par radiofréquence. L’altération mécanique est fonction de l’étendue des zones auriculaires exclues ou désynchronisées.

M. Jacques BATTIN

L’équipe bordelaise a essayé, puis abandonné la cryothérapie au profit de l’ablation par radiofréquence qui a été perfectionnée au point de réduire les sténoses et thromboses des veines pulmonaires. Que pensez-vous donc de l’avenir de la cryothérapie dans la fibrillation auriculaire ?

Les Bordelais sous l’impulsion de M. Haïssaguerre ont été novateurs dans le traitement de la fibrillation atriale et ont une expérience renouvelée considérable. Aussi ne
saurait-on trop la discuter. La cryoablation endocardiaque est une technique actuellement plus longue que la radiofréquence, y compris avec les nouveaux cathéters disponibles, mais on peut espérer des progrès technologiques. Sans risque de sténose veineuse et comportant une incidence moindre de thrombose (on se situe dans l’oreillette gauche avec la crainte d’embolie cérébrale), la cryoablation pourrait devenir la technique de référence.

Bull. Acad. Natle Méd., 2004, 188, no 2, 219-232, séance du 3 février 2004