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Session of 8 juin 2010

Historique de l’assurance maladie, de sa création à nos jours

MOTS-CLÉS : assurance maladie/histoire
History of the French healthcare insurance system
KEY-WORDS : insurance, health/history

Gérard Milhaud, Michel Lagrave

Résumé

Alors que l’Assurance maladie traversait la crise la plus grave de son histoire tant dans son organisation que dans son financement le Conseil d’administration de l’Académie nationale de médecine a décidé de créer le groupe de travail sur l’avenir de l’assurance maladie dans sa séance du 26 mai 2003. Les membres du groupe de travail ont jeté un regard neuf sur l’assurance maladie en introduisant dans notre système de soins la dimension de la contrainte économique. Les soins et les besoins de santé remboursés par l’assurance maladie sont perçus par l’assuré social et le médecin, ordonnateur primaire des dépenses, comme gratuits. L’Académie a été la première instance qui se soit penchée sur l’origine du déficit des comptes de l’assurance maladie largement creusé par les prélèvements de l’Etat. En 2008 la Commission « assurance maladie » a été créée. Les déficits se sont accumulés creusant la dette, qui explose actuellement : les Français s’inquiètent enfin. En 2010 la sécurité sociale a un déficit prévu de 30,5 milliards d’euros dont 14,5 milliards pour l’assurance maladie dont les dépenses augmentent de 5 milliards par année. Le Président de la République a annoncé la création d’un groupe de travail sur le pilotage des dépenses de l’assurance maladie. La commission assurance maladie est convaincue qu’une réforme peut être réalisée en conservant les grands principes de notre système actuel : humanisme, liberté, responsabilité et solidarité. Ainsi sera préservé le caractère humaniste de la médecine française sur lequel l’Académie Nationale de Médecine a insisté à plusieurs reprises.

 

Summary

At a time when the French healthcare system was going through its most serious crisis, in terms of both organisation and funding, the board of governors of the National Academy of Medicine decided, at its meeting of May 26, 2003, to set up a workgroup on the future of the health insurance system. The workgroup revisited the concept of health insurance, taking economic constraints into account. Medical care covered by the national health insurance system is considered as ‘‘ free ’’ by both national insurance contributors (patients) and doctors, who are the primary ‘‘ spenders ’’. The Academy was the first organization to examine the reasons for the budget deficit, which is largely due to State with nothings. In 2008, the Academy created a healthcare insurance committee. Deficits piled up, amplifying the debt, which eventually may spiral out of control. The French population finally became concerned at the situation. In 2010, France’s social security budget deficit will reach some 30.5 billion euros, including 14.5 billion for healthcare insurance alone, a figure which is increasing by 5 billion euros each year. The French President recently announced the creation of a workgroup to examine healthcare expenditure. The Academy’s healthcare insurance committee is convinced that reform is necessary and feasible, while preserving the underlying principles of our present system, namely humanism, freedom of choice, responsibility and solidarity.

La médecine française ne se conçoit plus sans l’assurance maladie. L’assurance maladie est l’un des fondements de la cohésion sociale de notre pays, qui contribue à assurer sa pérennité. Cette institution, fondée il y a soixante-cinq ans, semble avoir toujours existé. Elle ne pourra pas traverser la crise actuelle comme elle a surmonté vingt-huit crises en trente-cinq ans.

La commission de l’assurance maladie soumettra à notre compagnie ses travaux, ses constations sur l’état des lieux et ses propositions de réforme en trois lectures, la première résumant à grands traits l’historique de l’assurance maladie de sa création à nos jours.

Le budget de l’assurance maladie est aujourd’hui considérable et s’élève à 43 % du budget de l’État. À titre de comparaison, celui de l’Éducation nationale est de 23 % alors qu’il est le premier employeur de la Communauté européenne avec son million deux-cents mille fonctionnaires. L’hospitalisation représente à elle seule environ la moitié des dépenses de l’assurance maladie. La caisse nationale dispose de cent mille employés, ce qui correspond à environ deux employés par médecin exerçant la médecine générale. Philippe Séguin alors Premier Président de la Cour des comptes, ancien Ministre des Affaires sociales (1986-1988), déclarait : « La Sécurité sociale toujours angoissée par son immense succès, l’énormité de ses budgets et l’insuffisance de mécanismes régulateurs… ».

Deux millions de personnes travaillent en France dans le vaste domaine de la santé.

Aujourd’hui nous sommes confrontés à un déficit insoutenable des comptes de la Sécurité sociale dans son ensemble, déficit qui s’élèvera à trente milliards d’euros en 2010 dont quinze milliards pour la seule branche maladie. Il n’est plus possible ni d’ignorer les dimensions financières et humaines de l’assurance maladie, ni de vivre dans l’illusion de sa pérennité. Désormais la maîtrise des coûts ne pourra plus être éludée.

Sa mise en place s’avérera difficile parce qu’elle devra surmonter la contradiction majeure de préserver la qualité des soins tout en réalisant une réduction intelligente des coûts. L’Académie nationale de médecine est particulièrement qualifiée pour veiller au respect des valeurs de solidarité, de responsabilité, de liberté et d’humanisme, fondement de toute réforme pérenne de l’assurance maladie. L’économie de la santé ne se résume pas à l’économie sur la santé.

Rappel historique

Sous l’inspiration du Général de Gaulle, Président du gouvernement provisoire de la République française, Alexandre Parodi, Ministre du Travail et de la Sécurité sociale confie en 1945 à Pierre Laroque la tâche de réformer les assurances sociales mises en place par les loi de 1928 et de 1930 et d’élaborer l’institution de la sécurité sociale.

Ce projet s’inscrit dans le grand mouvement des idées de transformation de la société française né dans les groupes de la Résistance. Le Professeur Debré conçoit « l’organisation d’une médecine meilleure au service de la nation tout entière » . Dans l’article intitulé «

La médecine française est libre » paru dans Le Médecin français du 25 octobre 1944 il préconise : « Une médecine qui donnera à chaque Français, quelle que soit sa situation de fortune, les soins les plus éclairés ».

En mai 1944, le Conseil national de la Résistance avait adopté « un plan complet de sécurité sociale visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence dans tous les cas où ils sont incapables de se les procurer par le travail, avec une gestion appartenant aux représentant des intéressés et de l’Etat ».

Qui est alors Pierre Laroque ? Nommé en août 1940 Maître des requêtes au Conseil d’État, à l’âge de 32 ans, il est révoqué en décembre 1940, victime des lois antisémites du gouvernement de Vichy. Il entre dans la Résistance, part pour Londres et s’engage dans les forces françaises libres.

À son arrivée à Londres il prend connaissance du « Rapport Beveridge, qui est entré dans l’histoire » lors de sa présentation à la chambre des communes le 18 février 1943. Le professeur Edgard Milhaud, fondateur des annales des l’économie collective, publie à Genève en juin de la même année le premier ouvrage consacré au plan Beveridge, qui marque une date dans l’histoire dans l’humanité. Ce plan entend atteindre deux buts, la libération du besoin et la sécurité sociale.

Pierre Laroque entend le 21 mars 1943 le message radiodiffusé que Winston Churchill, Premier Ministre adresse à la nation anglaise en guerre :

« Vous devez nous considérer, mes collègues et moi comme de chauds partisans de l’assurance obligatoire pour toutes les classes et pour tous les buts, du berceau à la tombe ».

L’emploi est au cœur du plan, qui vise à assurer le travail pour tous. Winston Churchill déclare:

« La meilleure façon de s’assurer contre le chômage est de ne pas avoir de chômage ».

 

Le service national de santé, qui sera créé à la fin de la guerre, devra « être à la disposition des citoyens qui en auraient besoin sans qu’aucune contribution financière leur soit imposée dans les cas individuels ». « Le rétablissement de la santé d’un malade constitue, par-dessus toute autre considération, un devoir de l’Etat en même temps que de la personne atteinte » .

Pierre Laroque débarque en France en juin 1944. Le décret du 9 septembre 1944, signé par le Ministre du Travail et la Sécurité Sociale, est l’acte de naissance du terme « Sécurité Sociale » dans l’administration française.

En octobre Alexandre Parodi, le nouveau ministre du Travail et de la Sécurité sociale nomme Pierre Laroque Directeur général des assurances sociales et de la mutualité et lui confie la mission de créer l’institution de la Sécurité Sociale. Dans la France dévastée, Pierre Laroque se met au travail avec enthousiasme et rédige l’ordonnance du 4 octobre 1945 portant organisation de la Sécurité Sociale :

Article 1er « Il est instauré une organisation de la Sécurité sociale destinée à garantir les travailleurs et leurs familles contre les risques de toute nature susceptibles de réduire ou de supprimer leur capacité de gains, à couvrir les charges de maternité et les charges de famille qu’ils supportent. » « Institution qui ouvre le droit aux soins à tous les travailleurs, à leur famille, qui les garantit contre les aléas du destin, qui protège la famille, qui assure la retraite des vieux travailleurs ».

L’histoire retiendra le nom de Pierre Laroque, père de la Sécurité sociale. Michel Lagrave, directeur de la Sécurité sociale au ministère du Travail (1987-1994) et Président du Comité d’histoire de la sécurité sociale qualifiera Pierre Laroque de « visionnaire lucide ». L’histoire n’oubliera pas le nom d’Alexandre Parodi. Maître des requêtes au Conseil d’État en 1930, entré dans la résistance en 1941, désigné comme Chef de l’administration clandestine, délégué général du Gouvernement provisoire de la République française pour la France occupée en mars 1944. Il met en place les futurs secrétaires généraux des ministères avec Michel Debré et accueille le Général de Gaulle à Paris le 25 août 1944.

La création de la Sécurité sociale s’avère un immense succès, après avoir surmonté de très fortes oppositions. C’est le type d’une réforme, qui recueille l’assentiment d’une grande partie de la population, qui réalise un projet cohérent et ambitieux, qui est soutenu par des groupes de pression influents, qui bénéficie de l’intervention d’une personnalité charismatique, le Professeur Robert Debré soutenu par le Général de Gaulle, qui survient dans l’enthousiasme de l’évènement immense de la Libération, qui recourt à la procédure rapide de l’ordonnance et qui dispose des moyens financiers pour la mettre en place.

De l’assurance maladie à la couverture maladie universelle

L’assurance maladie de la sécurité sociale se distingue de l’assurance du secteur privé. Celle de la sécurité sociale est fondée sur des cotisations, en fonction des salaires, alors que les primes de l’assurance classique sont établies en fonction du coût des risques. Cette différence fondamentale tient à la nature de la sécurité sociale : « L’organisation de la sécurité sociale est fondée sur le principe de solidarité nationale ». Article 1 — Code la Sécurité sociale.

Ce principe implique que les salariés contribuent en raison de leurs revenus. S’ajoute la contribution des employeurs. On est loin de la « prime » d’assurance, qui est d’autant plus forte que le risque est plus élevé.

Le système a bien fonctionné pendant vingt-deux années de 1945 à 1967 au cours desquelles sa gestion a été confiée aux organisations syndicales et patronales. Mais alors que l’économie française vit le temps des Trentes glorieuses, l’édifice se lézarde sous l’influence du déséquilibre des comptes, d’autant que la France est confrontée à la concurrence de ses partenaires avec l’ouverture sur le marché commun.

La réforme structurelle de Jean-Marcel Jeanneney en 1967

Jean-Marcel Jeanneney, Ministre des Affaires sociales persuade le Général de Gaule, Président de la République, de la nécessité d’une réforme structurelle. Quatre ordonnances promulguées le 20 août 1967, réorganisent le système général de la Sécurité sociale. Elles remplaçent la Caisse nationales de la Sécurité sociale par trois caisses nationales, qui ont un statut d’établissement public :

— Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) — Caisse d’allocation familliales (CNAF) — Caisse nationale de l’assurance vieilliesse des travailleurs salariés (CNAVTS) Cette réforme de bonne administration est d’inspiration gestionnaire: chaque caisse aura ses propres ressources et devra assurer son propre équilibre financier. Une agence centrale des organismes de Sécurité sociale est créée pour gérer la trésorerie de ces trois établissements (ACOSS).

Le « ticket modérateur », la part des dépenses à la charge de l’assuré social, est relevé de 20 à 30 % pour les honoraires médicaux. Les cotisations des salariés sont augmentées pour la première fois depuis 1945. Les conseils d’administration des organismes de Sécurité sociale comportent désormais le même nombre de représentants salariés et patronaux. Les élections sociales sont supprimées et les représentants des salariés sont désignés au sein des syndicats les plus représentatifs. A l’initiative du gouvernement socialiste, ils seront élus en 1983 pour la première et dernière fois. Singulier avatar de la démocratie sociale.

La réforme Jeanneney est la première réforme d’importance nationale. Prise par ordonnances, elle visait à clarifier les comptes. Cette transparence est un préalable à tout rétablissement de l’équilibre des comptes. Mais les évènements de mai 1968 fragilisent la société française. Le trou de la Sécurité sociale se creuse. Le déficit chronique de l’assurance maladie s’installe.

Décision prise par Raymond Barre, Premier Ministre en 1978

Constatant que la croissance des dépenses de l’assurance maladie est plus rapide que l’augmentation du produit intérieur brut, Raymond Barre déclare que cet état de chose ne peut durer. Il se prononce pour que la progression des dépenses de l’assurance maladie suive le rythme de celle du produit intérieur but. Il réforme le financement de l’hôpital en remplaçant le prix de journée inflationniste par le budget global.

Il tente de rétablir partiellement la franchise de l’assurance par l’introduction du ticket modérateur d’ordre public pour responsabiliser l’assuré social confronté aux prestations dont il bénéficie. De son côté, le budget global ne s’avère pas exempt d’inconvénients. Sous la pression de la mutualité il doit y renonçer.

Après Raymond Barre, le rétablissement de l’équilibre des comptes reste une préoccupation, mais seuls Philippe Séguin et Martine Aubry réussissent à les rééquilibrer à court terme.

La fiscalisation de l’assurance maladie : l’extension de la réforme par Michel Rocard, Premier Ministre, en 1991

Le financement de l’assurance maladie a changé de nature, insidieusement, avec l’introduction de la contribution sociale généralisée (CSG) qui a ultérieurement changé d’affectation. Michel Rocard voulait en faire une opération purement sociale, neutre financièrement. Par un système de vases communicants le montant de la CSG était transféré à la branche vieillesse pour abonder la cotisation patronale, ce qui permettait de réduire la cotisation individuelle à coût constant. Celle-ci, plafonnée, pèse davantagesurlesbassalairessituéssousleplafond.L’objectif visaitàprivilégierlesbas salaires, pour éviter de les augmenter. C’était donc une opération bas salaire.

Le gouvernement Balladur change de position et affecte le produit de la CSG à l’assurance maladie.

La CGS est une « imposition de toute nature » proportionnelle aux revenus et son assiette repose à 78 % sur les salaires.

La réforme d’Alain Juppé, Premier Ministre, en 1996

Les considérations générales sur la réforme.

Préoccupé à juste titre par l’ampleur du déficit de l’assurance maladie et par la dette abyssale qui ne cesse de se creuser, il soumet à l’Assemblée Nationale une réforme institutionnelle de l’assurance maladie, prise par ordonnances, qui comportait quatre importantes avancées. Le vote du budget de l’assurance maladie par le parlement. Il ne s’agissait pas d’une loi de finance classique, mais plus modestement d’un objectif national de dépenses de l’assurance maladie (ONDAM). L’ONDAM n’a pas de caractère contraignant et son dépassement, qui a été pratiquement la règle depuis son institution, sauf en 1997 année de la hausse brutale de la CSG, entraîne l’adoption d’aucune loi rectificative. Le Parlement prend acte du dépassement et vote un nouvel ONDAM qui ne sera pas davantage respecté.

L’ONDAM permet de prélever subrepticement sur le budget de l’assurance maladie des dépenses qui ne la concerne pas et de détourner de l’assurance maladie des sommes qui devraient lui être versées.

 

L’ONDAM ne permet donc pas de réaliser la transparence des comptes de l’assurance maladie.

Alain Juppé décide aussi de mettre en place un dispositif destiné à éponger la dette cumulée de l’assurance maladie, qui grossit d’année en année. Il introduit un nouvel impôt, la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) qui complète la CSG, au taux de 1,5 % de l’ensemble des revenus. Cet impôt, qui devait être aboli en 2007, a un bel avenir devant lui.

La fiscalisation du financement de l’Assurance maladie déresponsabilise l’assuré et le démotive d’adopter un comportement de père de famille relativement à ses dépenses de santé.

Il crée les agences régionales d’hospitalisation, dont le rôle consiste à veiller à l’équilibre financier et à planifier les réseaux hospitaliers.

Alain Juppé est longuement ovationné par les parlementaires debouts à l’Assemblée nationale. Mais l’euphorie fut de courte durée : une grève dure jeta les Français dans la rue et bloqua le pays parce que la réforme touchait aux régimes spéciaux de retraite et parce qu’elle mécontentait gravement les personnels médicaux, en imposant des sanctions collectives aux médecins en cas de dépassements des objectifs fixés par l’ONDAM. Cette mesure se fondait sur le raisonnement selon lequel la convention médicale liant l’ensemble des médecins signataires, les sanctions devraient s’appliquer collectivement. Ce raisonnement péchait par deux défauts : la sanction collective est contraire à l’esprit de la démocratie et au principe du droit français. De surcroît elle génère des comportements dépensiers individuels pervers, puisque le médecin ne peut que subir les conséquences des actes des confères coupables d’infractions.

Les avantages de la réforme Cette réforme bénéficiait pourtant de trois avantages majeurs :

Ses projets étaient cohérents et ni l’intervention du parlement, ni la contribution au remboursement de la dette sociale, ni le principe de la création des agences régionales d’hospitalisation n’ont été remis en cause ultérieurement.

— Elle survenait au lendemain de l’élection du Président de la République, Jacques Chirac en 1995.

— Elle recourait à la procédure de l’ordonnance, dont nous avons souligné l’intérêt de sa rapidité législative.

La réforme Juppé d’intérêt national comportait quatre insuffisances :

— L’absence de constat partagé d’une crise grave, qui recueille l’assentiment d’une grande partie des intéressés : le trou de l’assurance maladie n’inquiétait plus personne.

— L’absence de groupes de pression, les uns favorisant une évolution, les autres déterminés à engager une réforme radicale associée à l’hostilité des médecins.

— L’absence d’intervention d’une personnalité réformatrice charismatique.

— L’absence de mobilisation de moyens financiers à la hauteur du changement proposé en raison des déficits et de la dette.

Avec l’échec de la réforme d’Alain Juppé, les sanctions passent à la trappe. Mais l’ONDAM et la CRDS demeurent et les déficits de l’assurance maladie deviennent abyssaux en 2003.

Appel du Président de la République du 12 juin 2003

Après la première réforme des retraites, Jacques Chirac décide d’intervenir lors du 37e Congrès de la Mutualité :

« L’ampleur des déséquilibres financiers un moment masqué par la croissance économique, nous invite à agir ensemble. La crise financière est si grave que l’avenir de l’assurance maladie est menacé. C’est maintenant qu’il faut y penser (à la réforme) et qu’il faut agir, pour que la France reste un pays fort et solidaire, pour que les Français soient un peuple soudé et fraternel, pour offrir à nos enfants un avenir ouvert au lieu de léguer nos dettes, une protection sociale affaiblie et une économie endormie. Nous ne pouvons assujettir l’avenir des jeunes à la satisfaction de nos seuls et immédiats besoins » .

La parole présidentielle, a un grand retentissement tant dans notre Compagnie que chez le Ministre de la santé, de la famille et handicapés.

Élaboration de la loi relative à l’assurance maladie du 13 août 2004, la réforme de Jean François Mattei

Jean François Mattei, Ministre de la Santé, de la famille et des personnes handicapées se met immédiatement à l’œuvre après l’intervention du Président de la République.

Le Haut conseil pour l’avenir pour l’assurance maladie

Jean-François Mattei le crée en date du 7 octobre 2003 et désigne Bertrand Fragonard, Président de chambre à la Cour des comptes pour le présider. Il est composé de 55 membres, dont six médecins impliqués dans les activités syndicales et les principaux acteurs ayant pris part à la gestion de l’assurance maladie. Les travaux sont menés tambour battant et font l’objet d’un rapport consensuel de 153 pages publiés le 23 janvier 2004.

Un large consensus se dégage sur le constat des dysfonctionnements de l’assurance maladie et sur l’ampleur du déficit parmi les membres du Haut Conseil.

N’est-il pas surprenant que le Haut Conseil présidé par un membre éminent de la Cour des comptes ne fasse pas la lumière sur les charges étrangères à l’assurance maladie et sur les ressources qui lui sont destinées mais qui alimentent d’autres budgets ?

N’est-il pas surprenant qu’il renonce à s’intéresser à l’hospitalisation, qui génère plus de la moitié des dépenses ?

 

Par un singulier chassé-croisé, le groupe de travail pour l’avenir de l’assurance maladie de notre Compagnie empruntera une démarche inverse, en s’attachant logiquement à rétablir la transparence des comptes de l’Assurance maladie.

Élaboration de la Loi relative à l’assurance maladie du 13 août 2004

Philippe Douste-Blazy est nommé Ministre de la Santé et de la protection sociale au printemps 2004.

Il reprend le chantier de la réforme de l’assurance maladie, assisté de Xavier Bertrand, secrétaire d’État à l’Assurance maladie. Il s’attèlent à cette tâche, qui apparaît à beaucoup comme celle de la dernière chance.

Deux voies s’offrent à eux. La première voie est celle d’une grande réforme, qui rétablisse durablement l’équilibre des comptes en préservant les principes fondateurs de l’institution, portée par une vision de l’avenir. La deuxième voie propose une réforme, qui ménage les intérêts des groupes de pression en renonçant à rétablir durablement un fonctionnement efficace de l’assurance maladie dans la transparence des comptes.

Dans le passé toutes les réformes majeures de l’assurance maladie ont pris la forme d’ordonnances. Il est surprenant que le gouvernement ait choisi la voie parlementaire de l’Assemblée Nationale plutôt que celle de l’ordonnance.

La loi relative à l’assurance maladie du 13 août 2004 est un document de 44 pages, dont la lecture est ardue. Elle a pour objectif clairement énoncé l’amélioration de la qualité des soins en minimisant la crise financière qui menace l’assurance maladie d’implosion.

La réforme a suscité peu de protestations et elle n’a provoqué aucune manifestation de rue, parce qu’elle a évité d’aborder les questions qui fâchent et parce qu’elle a ménagé les corporatismes.

À titre d’exemple, elle s’est désintéressée de l’hospitalisation, comme l’avait fait le Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie. Or l’hospitalisation est en crise morale et financière, le personnel médical et paramédical est démotivé.

La Haute autorité de santé

Elle a été créée par la loi du 13 août 2004, qui dispose : « La Haute autorité de santé, autorité publique indépendante à caractère scientifique dotée de la personnalité morale, dispose de prérogatives qui recouvrent la totalité du domaine de la santé en France ». Son caractère scientifique est affirmé dans le texte de loi. Cette Autorité donne des avis qui ne sont pas susceptibles de recours. Elle ne détient pas de pouvoir de décision.

 

La gouvernance de l’assurance maladie

Elle est complexe et doit être clarifiée dans un but didactique.

 

Le pouvoir absolu est exercé par le Directeur général, nommé pour cinq ans. Il dirige la Caisse nationale d’assistance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) et l’Union nationale des caisses d’assurance maladie (UNCAM). Il nomme les directeurs et les agents comptables. Il traite avec l’Union régionale des caisses d’assurance maladie (URCAM) et les caisses primaires de l’assurance maladie.

En conférant au Directeur général la plénitude des pouvoirs de gestion, l’État se replace au centre du dispositif, ce qui ne va pas sans risques. Les partenaires sociaux sont marginalisés, alors que l’ordonnance de 1945 leur conférait la responsabilité sans partage de la gestion, principe même de la démocratie sociale.

La couverture maladie universelle (CMU)

Créée par la loi du 27 juillet 1999 la CMU doit se distinguer de l’assurance maladie universelle prévue par le plan Juppé. Ce projet proposait de créer un seul régime, avec les prestations et le même effort contributif des assurés. Ce projet a été abandonné. La CMU a un objectif délimité. Elle ne supprime aucun des régimes existants. Elle est subsidiaire des régimes existants et offre une couverture de base à ceux qui en étaient dépourvus, par leur rattachement à la caisse du régime général de leur résidence. Elle accorde la gratuité uniquement aux bas revenus, grâce à la CMU complémentaire. La CMU se fonde sur le critère de la résidence en France et non sur un critère socio-professionnel. Elle entérine la disparition de l’assurance personnelle, ancienne assurance maladie.

La CMU s’inscrit dans le mouvement de la généralisation de l’Assurance maladie annoncé dès l’ordonnance fondatrice de 1945. C’est ainsi que les exploitants agricoles ont été couverts par la loi de 1961 et les travailleurs non salariés, non agricoles (artisans, commerçants, professions libérales) par la loi du 12 juillet 1966, complétée par la loi de 1970 prise à l’initiative de Robert Boulin, Ministre de la Santé. La CMU comble la dernière lacune.

L’inculture des comptes

Madame Nicole Questiaux, Ministre de la Solidarité nationale, déclarera péremptoirement en 1981 « Je ne serai pas le Ministre des comptes ». Puis 1995, Madame

Élisabeth Hubert, Ministre de la Santé publique et de l’Assurance maladie, adopte la même attitude. En 2005, Philippe Douste-Blazy, Ministre de la Santé et de la Protection sociale commente la loi relative à l’assurance Maladie du 13 août 2004 dans le Journal du dimanche du 27 février 2005 en ces termes : « le Marché de la santé n’est plus celui de l’assurance automobile. Je ne laisserai personne torpiller la réforme pour de basses réformes financières ». On l’aura compris : la santé n’a pas de prix, peu importe son coût !

Les Français sont tenus dans l’ignorance des contraintes financières, parce que le gouvernement incite à la consommation par la carte vitale gratuite et dépourvue de la photographie d’identité du titulaire jusqu’en 2009, qui permet la délivrance « gratuite » de médicaments. Par la couverture médicale universelle beaucoup plus laxiste que l’assistance médicale gratuite d’État imposant des justificatifs.

Les Français vivent dans l’illusion de la pérennité de l’institution. Ils sont habitués à entendre l’annonce de crises financières à répétition frappant l’institution, suivie de réformes, 28 depuis 1980. On proclame : « L’assurance maladie, ça craint . »

L’effet d’annonce modère la consommation de soins. L’effet d’annonce passé, les dépenses reprennent leur envol. Rien ne change.

La réforme proposée par l’Académie nationale de médecine

Par un singulier concours de circonstances, son Conseil d’administration avait décidé de créer le groupe de travail pour l’avenir de l’assurance maladie dans sa séance du 26 mai 2003 à la demande de la IVe Division exerçant son rôle d’observation et de vigilance dans le domaine de la médecine sociale, conformément à sa capacité réglementaire « D’informer le Conseil d’administration des événements ou sujets d’actualité dont il conviendrait que l’Académie se saisisse » article 24 II paragraphe 4 et 5.

Il s’agissait alors de la crise la plus grave que traversait l’institution, tant dans son organisation que dans son financement.

Le groupe de travail pour l’avenir de l’assurance maladie prend connaissance de l’intervention du Président de la République avec le plus vif intérêt, considérant que cette volonté exprimée par la plus haute autorité de l’Etat, était le plus puissant des encouragements.

Il se met immédiatement à l’œuvre. Il réunissait les compétences permettant d’aborder la réforme de l’assurance maladie avec un regard neuf en prévision de la réforme de l’assurance maladie qui allait faire l’objet de la loi du 13 août 2004.

En trente-deux séances le groupe de travail a entendu les vingt et un responsables politiques, administratifs, Hauts fonctionnaires, Médecins, Assureurs impliqués dans l’assurance maladie, dont deux premiers Ministres Michel Rocard, qui a créé la contribution sociale généralisée et Alain Juppé qui a créé la contribution au remboursement de la dette sociale, modifiant radicalement le financement de l’assurance maladie, dont cinq Ministres, Claude Evin, Jacques Barrot, Xavier Bertrand, Bernard Debré, Henri Nallet. Ces auditions ont permis de proposer une nouvelle architecture du système de l’assurance maladie.

L’Académie nationale de médecine consacre la séance thématique du 10 février 2004 à l’avenir de l’assurance maladie, au cours de laquelle le groupe de travail expose ses travaux. Il constate que le déficit de l’assurance maladie ne cesse de se creuser imposant d’urgence une réforme Il considère que tout doit être fait pour maintenir notre système d’assurance maladie, qui a le mérite d’allier la liberté à la solidarité.

 

Il estime que l’équilibre financier de l’assurance maladie peut être rétabli et maintenu, sans mettre en cause la qualité des soins, grâce à des mesures concernant le comportement des assurés sociaux, des personnels de santé et du personnel administratif, l’organisation et le fonctionnement des établissement de soins, qui génèrent plus de la moitié des dépenses, la politique du médicament, le contrôle médical et la transparence des comptes.

L’Académie nationale de médecine publie le communiqué suivant, adopté à l’unanimité dans sa séance plénière du 6 avril 2004

Il déclare qu’une réforme de l’assurance maladie pouvait être réalisée en conservant les grands principes de notre système actuel : humanisme, liberté, responsabilité et solidarité. Ainsi on aura préservé le caractère humain de la médecine française sur lequel l’Académie nationale de médecine a insisté à plusieurs reprises. Mais ceci n’est possible que si le comportement des assurés sociaux se modifie et s’ils prennent vraiment en charge la responsabilité financière de leurs soins, s’ils se montrent économes dans leurs dépenses d’assurance maladie comme s’il s’agissait de leurs propres deniers.

Les membres du groupe de travail ont jeté un regard neuf sur l’assurance maladie en introduisant dans notre système de soins la dimension de la contrainte économique, alors que les soins et les besoins de santé actuellement remboursés par l’assurance maladie, sont perçus par l’assuré social et par le médecin ordonnateur primaire des dépenses, comme gratuits.

Il en résultera l’indispensable transparence dans les comptes de l’assurance maladie, qui ne subira plus les prélèvements indus et les détournements furtifs de sommes qui lui étaient dues pour financer d’autres chapitres du budget de l’Etat.

Les amendements de l’Académie nationale de médecine

Au cours des discussions parlementaires de l’été 2004, le groupe de travail pour l’avenir de l’Assurance maladie a résumé ses propositions en cinq amendements, qui ont été présentés aux Présidents des Commissions des affaires culturelles de l’Assemblée nationale et du Sénat. Ils visaient notamment à rétablir la transparence des comptes en remplaçant l’ONDAM par une loi organique de finances sociales, par l’obligation pour la Haute autorité de santé de tenir compte de la politique du Gouvernement décidée dans le domaine de l’industrie nationale stratégique du médicament et par la création du service médical national de l’assurance maladie.

Aucun de ces amendements n’a été retenu, le dernier ayant de plus été rejeté en Commission paritaire à la demande du Ministre de la Santé, cédant aux pressions de la mutualité sociale agricole.

La loi minimise la crise financière de l’assurance maladie au profit de l’amélioration des soins et de la maîtrise médicalisée, dont les multiples réformes du passé ont établi la totale inefficacité. La réforme financière est remise à des jours meilleurs.

 

En résumé, la loi relative à l’assurance maladie impose des mesures d’économie aléatoires, alors que les dépenses sont bien réelles et s’élèvent à huit milliards d’euros. La diminution du déficit est largement due à la hausse des prélèvements obligatoires plutôt qu’à des économies réelles. La durée du remboursement de la dette n’est pas précisée, ce qui rejette son remboursement sur les générations futures.

La gestion de l’institution, créée dans l’euphorie de la reconstruction de la France, du plein emploi et de l’expansion, a été masquée par l’irresponsabilité dans le domaine de la maîtrise des dépenses. Elle est devenue apparente avec sa totale inadaptation à la crise. Désormais il n’est plus possible d’ignorer la maîtrise des coûts.

La réforme du Président Obama

L’actualité nous incite à l’évoquer. Elle a été adoptée définitivement en mars 2010.

Rappelons que le Président Roosvelt avait présenté l’équivalent d’un plan Beverigde au Congrès sous forme d’une « Déclaration des droits » qui a été qualifiée de plan Beverigde américain. Il a été défendu le 8 mars 1943 par Wallace, Vice président des Etats-Unis. Il aura fallu 77 ans et de nombreux avatars pour que l’Amérique adopte un plan visant à l’universalité de l’assurance maladie, conformément aux principes fondateurs de l’assurance maladie française, mais adaptée à leurs conditions sociales et aux mesures de sécurité sociale préexistantes. Le projet américain comporte l’instauration universelle d’une assurance maladie personnelle fondée sur des assurances privées, complétant les organismes de « medicare » pour les indigents et de « medicaid » pour les personnes âgées. La maîtrise des coûts, cette grande absente dans la création de l’assurance maladie française, a été au centre des préoccupations du Congrès pour l’élaboration de l’institution américaine.

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CONCLUSION

Le plan français de sécurité sociale de 1945 fixait trois objectifs à l’institution de l’assurance maladie, cette grande réforme d’importance nationale : l’unité, l’universalité et l’uniformité des prestations. Ces objectifs sont actuellement tous atteints :

l’unité est réalisée dans les faits malgré la co-existance de plusieurs régimes, grâce à la compensation démographique de 1974. L’universalité est achevée avec l’introduction de la CMU et de son complément. L’uniformité des prestations est acquise.

L’adoption du système de couverture sociale américain est la preuve éclatante du rayonnement de notre institution, que l’Organisation Mondiale de la Santé a classée comme la meilleure au monde en 2002. Mais force est de constater qu’elle est menacée dans sa pérennité par les déficits croissants qu’elle engendre et subit et qui rendent inéluctables la maîtrise des coûts.

 

En 1948 Alexandre Parodi me rapportait cette observation de Pierre Laroque :

« Nous avons créée un organisme si complexe que personne à l’avenir pourra le réformer ». Cette prédiction s’est vérifiée depuis 65 ans. Elle s’applique à la loi relative à l’Assurance maladie du 13 août 2004. La réforme proposée par l’Acadé- mie nationale de médecine a l’ambition de la prendre en défaut.

RÉFÉRENCES — Au service de l’homme et du droit — Souvenirs et réflexions (Pierre Laroque.

Comité d’histoire de la sécurité sociale — 1993 — Hommage à Pierre Laroque — Janvier 2003 (Comité d’histoire de la sécurité sociale) — Culture, valeurs et éthique de la sécurité sociale. Colloque du centre national d’études supérieures de la sécurité sociale — 20/21 octobre 1992.

— L’esprit de réforme dans la sécurité sociale à travers son histoire. Colloque du 16 novembre 2005. Comité d’histoire de la sécurité sociale — avril 2006 — Bulletin d’histoire de la sécurité sociale pour le 60e anniversaire de la sécurité sociale — No 2005-2006 — Édition Janvier 2007 — Plan Juppé — droit social No 3 — Mars 1996 — Rapport annuel de la sécurité sociale de la Cour des Comptes — dernière édition — septembre 2009 — Droit de la Sécurité sociale — Jean Jacques Dupeyroux — 12e édition. Dalloz 2008.

— Évaluation de la loi CMU- Juillet 2009. Fonds de financement de la protection complémentaire de la couverture universelle du risque maladie — Jean-François Chadelat — Tour Onyx — 10 rue Vendrezanne — 75013 Paris

<p>* Membre de l’Académie nationale de médecine, e-mail : g.milhaud@chusa.jussieu.fr ** Membre correspondant de l’Académie nationale de médecine Tirés à part : Professeur Gérard Milhaud, même adresse.</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2010, 194, no 6, 1123-1136, séance du 8 juin 2010