Membre de l’Académie des sciences d’Outre-mer, de l’Académie vétérinaire de France et membre correspondant de notre Compagnie, François Rodhain a effectué la plus grande partie de sa carrière à l’Institut Pasteur de Paris où il a dirigé une unité de recherche consacrée à l’Ecologie des systèmes vectoriels.
À la veille de la tenue à Paris de la grande réunion internationale dite COP21, il a publié avec à propos, cet ouvrage. Celui-ci analyse un domaine de l’actualité sanitaire mondiale, résultante des interfaces homme-animal-environnement, qui englobe la quasi-totalité des maladies infectieuses et parasitaires dites émergentes.
Trop modestement qualifié d’essai, ce livre est à la fois une somme d’informations factuelles, d’analyses nourries par la longue expérience de l’auteur et de propositions pertinentes visant à orienter des actions propres à prévoir et à maîtriser l’émergence de ces dangers. Adressé aux communautés médicale, vétérinaire et gestionnaire de l’environnement, il enrichit la bibliothèque consacrée au concept « un seul monde, une seule santé ».
Sa première partie, intitulée « les Arthropodes, les agents infectieux et l’Homme, leurs inter-relations dans la biosphère » permet la présentation, indispensable, des principaux acteurs. D’une lecture inévitablement un peu aride, elle passe successivement en revue les « vecteurs », essentiellement des Arthropodes et les microbes, ainsi que leurs relations. Elle nous révèle l’extrême banalité de l’état de parasitisme qui permet à un organisme, durant au moins une partie de son cycle vital et généralement de manière obligatoire, de vivre aux dépens d’un autre organisme – hôte. Selon les propres termes de l’auteur, la notion même de parasite (qui concernerait environ 50 % des espèces animales) est un concept d’ordre écologique.
La deuxième partie, consacrée à « l’Entomologie médico-vétérinaire et à l’Epidémiologie des maladies à vecteurs » nous fait entrer dans ces systèmes, souvent plus complexes qu’on ne l’aurait cru, que sont les relations entre couples vertébrés-vecteurs, parasites-vecteurs et parasites-vertébrés. Leur structure et leur fonctionnement y sont minutieusement analysés. Etonnamment évolutives, leur plasticité, sous la dépendance de nombreuses interventions extérieures qui commandent au degré de co-adaptation entre l’agent infectieux et le vecteur, accentue encore la complexité de ce que l’auteur nomme la compétence vectorielle. «A l’évidence, écrit-il, un vecteur n’a rien à voir avec une seringue ».
Comme on pouvait s’y attendre, la génétique occupe une large place dans la plasticité de ces systèmes. La facilité des déplacements des espèces parasites et de leurs vecteurs, les changements climatiques et leurs conséquences, sont autant de paramètres qui commandent à leur bio-géographie et aux mouvances de la bio-nosologie.
Cette deuxième partie se conclut avec le chapitre essentiel de la « prévention des maladies à vecteurs et du concept de lutte anti-vectorielle ». Prévention, surveillance épidémiologique, contrôle de la transmission vectorielle: leurs méthodes et les difficultés rencontrées dans leur mise en œuvre, notamment dans certaines régions exposées et mal armées, sont analysées avec compétence et clairvoyance. L’éternelle distance entre chercheurs et opérateurs de terrain, tout comme l’éloignement des décideurs publics, sont autant de risques de retard dans la mise en œuvre des mesures de contrôle, voire de leur absence totale.
Cette problématique débouche logiquement sur la troisième et dernière partie consacrée à « L’entomologie médico-vétérinaire aujourd’hui et demain ».
Tout au long de l’ouvrage, santé de l’Homme et santé des Animaux sont étroitement associées. Les maladies à vecteurs sont en effet, très généralement, des « zoonoses » (raccourci commode mais incomplet du terme anthropozoonose créé par Virchow et de son symétrique zooanthroponose). Leur complexité est faite de « systèmes inextricables d’inter-relations mettant en jeu le milieu physique, les climats, l’accès à l’eau et sa qualité, … ». Elle doit prendre en compte les modes de vie des populations, l’habitat, la proximité avec le bétail mais aussi avec les biotopes, la faune sauvage et ses comportements. Et aussi, bien entendu, « le développement économique des populations exposées, leur niveau culturel, les modes de pensée et l’état sanitaire des individus qui, face à ces maladies, offrent le plus souvent un terrain déjà miné par la malnutrition et le manque d’hygiène ».
Aux actions de prévention classiques et souvent complexes, diligentées généralement par les grands organismes internationaux (OMS, OIE, FAO), doivent nécessairement être associées la recherche et ses structures : systèmes d’alertes précoces, détection et évaluation des risques sanitaires, bio-écologie génétique des vecteurs, taxinomie bien sûr, qui revêt une importance capitale à toutes les étapes de la recherche entomologique (et qui, longtemps négligée, doit renaître sur les bases nouvelles de la génétique); indispensable transdisciplinarité enfin, portant notamment sur une recherche dans le domaine des systèmes biologiques complexes.
Face à une situation de crises sanitaires sans cesse renouvelées, les recherches doivent mêler étroitement le travail de laboratoire aux expériences de terrain, renforcer considérablement les liens entre santé humaine, santé animale et gestion de l’environnement, accentuer plus classiquement leurs efforts dans les domaines de la génétique, de la chimiothérapie et des vaccins.
La très vaste expérience de l’auteur apparaît enfin à travers les 33 annexes qui vont de l’austère classification des Hexapodes à « Quelques exemples des difficultés rencontrées dans les relations avec les populations », en passant par « Bio-écologie des primates non-humains et circulation du virus de la fièvre jaune ».
Ouvrage de chercheur, d’enseignant et de praticien de terrain, ouvrage d’érudition et de réflexion, le livre de François Rodhain vient à point pour servir de référence à une des grandes questions de l’actualité sanitaire.
Bull. Acad. Natle Méd., 200, no 6, 1259-1262