Communication scientifique
Session of 24 janvier 2012

Facteur de risque et dépistage du carcinome hépatocellulaire

MOTS-CLÉS : carcinome hépatocellulaire. facteurs de risque.cirrhose du foie
Hepatocellular carcinoma : risk factors and screening
KEY-WORDS : carcinoma, hepatocellular. liver cirrhosis. risk factors

Michel Beaugrand *, Gisèle N’Kontchou **

Résumé

Le carcinome hépatocellulaire est responsable d’environ six mille morts par an en France. Il survient dans 90 % des cas chez des malades atteints de cirrhose. Chez ces derniers, son incidence annuelle est en moyenne de 2 à 4 % par an mais cette incidence varie largement en fonction de facteurs épidémiologiques tels que la cause et la sévérité de la cirrhose, l’âge, le sexe, le poids et de façon additionnelle de multiples polymorphismes génétiques. Le dépistage du carcinome hépatocellulaire s’adresse aux malades atteints de cirrhose et fait appel à une échographie hépatique semestrielle, il permet dans la majorité des cas le diagnostic d’une petite tumeur a un stade curable mais reste peu pratiqué.

Summary

Hepatocellular carcinoma is responsible for around 6 000 deaths each year in France. About 90 % of patients have underlying liver cirrhosis. The annual incidence rate in such patients is estimated at between 2 % and 4 %, but it is largely dependent on the cause and severity of the underlying liver disease, as well as on epidemiological factors such as age, sex, and the body mass index. Multiple genetic polymorphisms are also involved. Screening for hepatocellular carcinoma is indicated for patients with cirrhosis, based on ultrasonographic examination every six months. It allows early diagnosis and curative treatment in most cases but is still under-used.

Les conditions qui amènent à préconiser le dépistage d’une tumeur sont les mêmes qu’elle qu’en soit l’origine. Il faut : — que cette tumeur soit suffisamment fréquente et suffisamment grave au stade symptomatique pour justifier le dépistage, — que la population à risque puisse être facilement caractérisée, — que la ou les méthodes de dépistage soient non vulnérantes, sensibles et peu couteuses, — que l’on dispose de moyens pour confirmer le diagnostic et — enfin que le diagnostic précoce permette un traitement curatif au moins dans une grande majorité de cas alors que la maladie au stade symptomatique est généralement incurable. Ces conditions sont actuellement réunies pour le carcinome hépatocellulaire qui est de très loin la tumeur primitive du foie la plus fréquente en France et dans le monde.

Le carcinome hépatocellulaire (CHC) est une tumeur dont l’incidence a augmenté avec le temps dans les pays occidentaux et elle touche actuellement environ six mille malades par an en France ce qui fait d’elle une tumeur fréquente [1]. Il n’y a aucun doute sur le fait que cette tumeur diagnostiquée au stade symptomatique est mortelle dans presque tous les cas avec une espérance de vie moyenne de quelques mois [2]. Elle a surtout la particularité de survenir sur un foie préalablement malade et le plus souvent cirrhotique ce qui permet de définir facilement la population à risque.

L’épidémiologie est très différente d’une région du monde à une autre en fonction des facteurs de risque et des causes de maladie du foie sur lesquelles nous reviendrons. Mais si à l’échelle du monde, le virus de l’hépatite B, présent en Asie et en Afrique, est de loin la première cause en association avec l’exposition à l’Aflatoxine B1 en Europe et en France en particulier, les deux causes principales sont les hépatopathies alcoolique et virale C qui représentent environ 80 % des cas de CHC suivies par l’infection par le VHB, l’hémochromatose génétique et de façon progressivement croissante les hépatopathies dysmétaboliques [2]. Le fait important est que quelle que soit la cause de la maladie hépatique, celle-ci est habituellement arrivée au stade de cirrhose qui, quand elle est recherchée systématiquement, est présente chez environ 90 % des malades atteints de CHC [4]. Les 10 % des malades restants ayant pour la plupart une maladie fibrosante et souvent même une fibrose significative [4, 5].

On dispose donc pour le dépistage d’une population ciblée qui est celle des malades atteints de cirrhose chez qui l’incidence du CHC est estimée en moyenne entre 2 et 6 % par an [6]. Cette incidence varie beaucoup en fonction des causes de maladie hépatique et d’autres facteurs de risque détaillés plus loin. A contrario chez les malades atteints d’hépatopathie non cirrhotique, l’incidence annuelle du CHC est infiniment moins importante, très inférieure dans tous les cas à 0,5 %. Le fait de choisir comme cible du dépistage les malades atteints de cirrhose ou suspects de cirrhose est donc largement admis depuis toujours. Nous verrons plus loin comment cette indication pourrait dans le futur être modulée en fonction des facteurs de risque individuels. Les moyens du dépistage ont également fait l’objet d’un consensus plusieurs fois revisité il est vrai [7, 8]. Ce consensus porte sur l’utilisation périodique de l’échographie hépatique et la périodicité actuellement recommandée est semestrielle. A contrario, les autres moyens d’imagerie en particulier scanner ou IRM ont été récusés en raison de leur coût, des difficultés matérielles de leur réalisation ou du degré d’irradiation qui résulterait de leur usage répété. La périodicité semestrielle de l’échographie a été choisie empiriquement mais validée secondairement par deux études contrôlées [9, 10]. Dans la première, des auteurs ont montré qu’une périodicité annuelle était insuffisante ne permettant un diagnostic au stade utile que dans une minorité de cas mais le doute persistait entre l’intérêt d’une périodicité semestrielle ou trimestrielle. Une importante étude randomisée française a permis de répondre à cette question et de mieux caractériser les performances du dépistage : elle a conclu à une équivalence en terme de résultats entre un dépistage trimestriel et semestriel ceci aussi bien en ce qui concerne la taille des tumeurs au moment du diagnostic que la survie des malades. Cette absence de différence s’explique principalement par le fait que les très petits nodules en pratique inférieurs à un centimètre de diamètre sont extrêmement difficiles à caractériser avec certitude et qu’ils ne s’avèrent être des CHC que dans une minorité des cas. Leur identification précoce amène une multiplication des examens complémentaires mais ne permet pas d’aboutir à un diagnostic de certitude qui permettrait la mise en œuvre d’un traitement : celui-ci demande un suivi ce qui explique l’absence de bénéfice par rapport à une périodicité trimestrielle.

L’intérêt du dosage périodique pour le dépistage de l’AFP sérique a été critiqué pour sa faible sensibilité et surtout non marque de spécificité. Des taux sériques très élevés évocateurs de CHC c’est-à-dire supérieurs à 400ng/ml sont rares en cas de petite tumeur et ont donc une très faible sensibilité en revanche des taux simplement supérieurs à la limite de la normale habituelle fixée aux alentours de 15ng/ml sont fréquemment élevés en cas de cirrhose, la sensibilité reste médiocre et la spécificité est très mauvaise. L’usage d’un tel seuil entrainerait donc la mise en œuvre répétée de procédures diagnostiques de confirmation inutiles. Si l’usage du dosage de l’AFP sérique comme outil de dépistage n’est pas conseillé, ce dosage garde néanmoins sont intérêt pour la caractérisation des classes de risque chez les malades atteints de cirrhose et surtout pour la confirmation du diagnostic [11].

Ce que permet le dépistage échographique périodique, c’est la mise en évidence d’une lésion focale ou du moins d’une image généralement nodulaire suspecte puisque nouvellement apparue. La probabilité a priori qu’il s’agisse d’un carcinome hépatocellulaire dépend de l’échogénicité de l’image, le CHC étant généralement hypoéchogène mais surtout de sa taille une image inférieure à 10mm de diamètre ne se révèle être un CHC que dans 20 à 25 % des cas environ [12], en revanche une image supérieure à 30mm de diamètre est le plus souvent tumorale et maligne, le CHC représentant dans ce contexte plus de 95 % des tumeurs [13].

La confirmation du diagnostic de CHC contrairement à celle de beaucoup de causes ne fait pas appel exclusivement à l’histologie en particulier en situation de dépistage.

 

Tableau I. — Critères diagnostiques du carcinome hépatocellulaire (CHC) Diamètre du nodule < 10mm 10-20mm*

> 20mm*

Prévalence du CHC 20 à 30 % 50 % 80 % EASL 2001 Surveillance Biopsie HV (2) trimestrielle HV + AFP>400ng/ml AASLD 2005 Surveillance HV+WO (2) HV + WO (1) trimestrielle HV(1) +AFP>200ng/ml AASLD 2010 Surveillance HV+WO (1) HV + WO (1) trimestrielle HV = hypervascularisation artérielle WO = wash-out ou lavage au temps portal AFP = taux d’AFP sérique ( …) nombre de méthodes requises : IRM ou scanner * la biopsie reste requise quand les critères ne sont pas remplis Des critères dits « non invasifs » ont été définis qui semblent présenter une excellente spécificité mais dont la sensibilité est encore médiocre en particulier par les très petites tumeurs (tableau I).

Le recours à ces critères se justifie par les arguments suivants : s’agissant de petits nodules, la biopsie dirigée présente un risque élevé de faux négatifs environ 30 % même dans des centres experts avec le risque subséquent de laisser évoluer une tumeur maligne dont la curabilité est avant tout fonction de la taille excellente au-dessous de deux centimètres de diamètre [14, 15], elle devient plus aléatoire au-delà de trois centimètres : tout retard au diagnostic peut donc avoir des consé- quences graves. Il faut ajouter que l’interprétation histologique peut être difficile en particulier pour les tumeurs les mieux différenciées et la comparaison avec le foie non tumoral adjacent est souhaitable. La technique qui procure les meilleurs résultats fait appel en fait à deux biopsies, celle du nodule et celle du foie tumoral adjacent associé à la cytologie de la tumeur. L’interprétation exige un anatomopathologiste et un cyto-pathologiste spécialisés et l’acte lui-même de biopsie n’est pas anodin : il existe un risque hémorragique et un risque de dissémination tumorale sur le trajet de ponction, l’un et l’autre assez faibles pour une petite tumeur mais ils augmentent avec la taille, le degré de dédifférentiation de la tumeur et son caractère superficiel [16]. A contrario, les signes radiologiques peuvent être très spécifiques quand il existe une hypervascularisation artérielle et un lavage au temps portal. Ces caractères peuvent être évalués par le scanner avec injection de produit de contraste, l’IRM ou les deux. L’échographie avec injection de produit de contraste semble un peu moins spécifique et n’a pas été retenue. En revanche, le taux sérique de l’AFP peut aider au diagnostic quand il est nettement élevé ou progressivement croissant.

Les critères retenus successivement proposés par l’EASL et l’AASLD ont varié avec le temps (tableau) s’appliquent dans tous les cas exclusivement aux malades atteints de cirrhose qui présentent un nodule de taille supérieure à 1cm de diamètre. En- dessous de cette taille, ces critères sont très difficiles à interpréter, la biopsie dirigée procure des résultats trop aléatoires sur toute la probabilité d’avoir à faire à un carcinome hépatocellulaire est assez faible d’environ 20 %, elle est en revanche supérieure à 80 % pour les nodules de plus de trois centimètres de diamètre. La conduite à tenir varie donc avec la taille du nodule détecté. Elle fait bien sur toujours appel à la biopsie quand les critères non invasifs ne sont pas réunis. Dans les dernières recommandations de l’AASLD [17], l’arbre décisionnel est assez simple :

la découverte d’un nodule de moins de 1cm de diamètre doit entraîner une surveillance rapprochée en pratique tous les trois mois, au-delà de cette taille la biopsie est nécessaire seulement si les examens d’imagerie avec injection de produit de contraste ne mettent pas en évidence l’hypervascularisation artérielle et le lavage au temps portal ce qui est rare pour des tumeurs de plus de 3 cm de diamètre mais fréquent en dessous de cette taille Une vaste étude permettant la validation de ces critères fait encore défaut néanmoins la plupart des tumeurs hors CHC susceptible d’être mise en évidence dans un foie de cirrhose ne présentent pas cette cinétique vasculaire, il s’agit des cholangiocarcinomes, des angiomes et des nodules dysplasiques. Les métastases hépatiques dont certaines pourraient avoir ce comportement sont très rares en cas de cirrhose et ce sont seulement des tumeurs exceptionnelles comme l’angiomyolipome qui pourraient prêter à confusion.

Les résultats du dépistage en terme de taille et de curabilité des lésions détectées sont connus grâce à une étude française récente. Au moment du diagnostic, la taille médiane des nodules est d’environ deux centimètres de diamètre. Dans un quart des cas environ il existe deux voire trois localisations témoignant d’un processus de carcinogénèse multiple. Dans plus de deux tiers des cas un traitement à visée curative peut être entrepris qu’il s’agisse de la transplantation, de la résection ou des traitements percutanés en particulier par radiofréquence [18].

Le développement de cette dernière a beaucoup réduit les indications de résection en particulier pour les tumeurs de moins de deux centimètres mais il a surtout permis d’étendre les indications d’un traitement curatif a de nombreux malades qui pré- sentaient des contrindications au traitement chirurgical jusqu’à environ 70 % dans des séries anciennes [19].

En terme de survie, l’influence du dépistage n’a pas pu être évaluée en occident pour des raisons éthiques. Elle l’a été seulement en Chine chez des malades porteurs de l’Ag HBs avec un résultat positif malgré une compliance médiocre [20]. A cinq ans le risque de décès paraissant diminué d’environ 40 %. Ce résultat doit être interprété non seulement en fonction de la compliance mais en fonction des autres facteurs de mortalité présents chez ces malades : la progression de la maladie hépatique et la survenue d’autres CHC dont l’incidence annuelle chez les malades atteints de cirrhose et ayant déjà présenté un CHC est d’environ 15 % par an.

En occident, on dispose d’études cas témoin faisant état de comparaisons historiques qui suggèrent toutes une amélioration du pronostic avec la mise en œuvre du dépistage [21].

 

L’avènement de traitements efficaces vis-à-vis du VHB et du VHC, la possibilité de traiter les récidives à distance correspondent le plus souvent à la survenue de nouvelles tumeurs par les méthodes percutanées devraient encore améliorer ces résultats.

Le dépistage du CHC chez les malades atteints de cirrhose a donc déjà fait l’objet d’un consensus et d’une évaluation mais sa mise en pratique se heurte a des difficultés et ses modalités elles mêmes sont perfectibles.

La mise en œuvre du dépistage exige que l’on ait préalablement établi le diagnostic de cirrhose et que les recommandations académiques soient largement diffusées et suivies. Parmi les cas de CHC diagnostiques en France près de 50 % surviennent en l’absence de diagnostic préalable de cirrhose. Ceci est particulièrement vrai pour les alcooliques et encouragerait au dépistage de la cirrhose dans la population générale de plus de quarante-cinq ans ou sa prévalence est généralement estimée aux alentours de 0,7 %. Ce dépistage semble possible avec une très bonne spécificité grâce au Fibroscan®, un appareil dont le fonctionnement repose sur l’élastométrie impulsionnelle et qui permet la mesure de l’élasticité autrement dit de la dureté du foie.

Des valeurs supérieures à 10 KP témoignent soit d’une cirrhose, soit d’une fibrose mutilante et la mesure peut être effectuée dans un temps court par un personnel non médical, elle est non vulnérante, non douloureuse et bien acceptée [22].

Le dépistage échographique chez les malades atteints de cirrhose a été évalué aux Etats-Unis ou elle est très médiocre, faute de sensibilisation des médecins généralistes elle est médiocre également bien que non évaluée en France. Ce point devrait être corrigé si on veut améliorer la survie des malades atteints de cirrhose chez qui le CHC est maintenant la principale cause de mort bien avant d’autres complications comme les hémorragies digestives qui ont bénéficié d’un traitement préventif et curatif efficace.

Enfin les modalités techniques du dépistage pourraient dans les années à venir être améliorées et modulées en fonction de facteurs de risque individuels qui sont d’une grande valeur prédictive. Il est clair que l’échographie a des limites : certaines tumeurs ne sont pas visibles en échographie soit en raison de leur localisation, de leur caractère isoéchogène ou de la morphologie du malade qui ne permet pas une bonne exploration du foie néanmoins les autres méthodes d’imagerie ont été récusées pour le dépistage en raison en particulier d’un rapport coût/efficacité peu favorable.

L’indication du dépistage en cas de cirrhose est fondée sur le risque sur le risque moyen observé chez les malades atteints de cirrhose, risque compris entre 2 et 6 % par an dans des études prospectives surtout européennes et japonaises. On sait aujourd’hui que ce risque est modulé par de nombreux facteurs y compris des facteurs épidémiologiques et clinico-biologiques simples utilisables en pratique clinique (tableau II). L’intégration de ces facteurs combinés permet de classer les malades atteints de cirrhose en classes de risque allant d’une incidence prévisible de moins de 0,5 % par an à plus de 15 % [22]. Les principaux facteurs de risque sont

Tableau II. — Facteurs épidémiologiques et clinico-biologiques prédictifs de la survenue du carcinome hépatocellulaire chez les malades atteints de cirrhose — Cause de la cirrhose HCV > Alcool — Age avancé — Sexe masculin — Poids élevé, diabète de type 2 ou insulino-résistance — Taux sérique élevé de l’alpha-fœtoprotéïne — Sévérité de la maladie hépatique • plaquettes basses • présence de varices oesophagiennes • taux de prothrombine bas • élastométrie élevée communs à toutes les causes de maladie du foie encore que leur poids respectif puisse varier en fonction de l’agent causal de la maladie hépatique. Ils figurent au tableau et ont été validés pour la plupart dans des populations diverses par leur origine géographique, leur ethnicité et par les causes de maladies hépatiques. Ces causes elles mêmes modulent le risque de cancer, l’infection par le VHC s’accompagne du risque le plus élevé en terme d’incidence annuelle suivie par l’infection par le VHB et par l’alcool, les autres maladies hépatiques présentant une incidence plus faible. Il faut noter cependant l’importance croissante de l’obésité et du syndrome de résistance à l’insuline qui peut être responsable de CHC comme cause de maladie hépatique ou comme cofacteur [23]. Les facteurs prédictifs du CHC peuvent être définis également par l’histologie et la biologie moléculaire. Contrairement aux facteurs précédents, ces derniers sont largement dépendants de la cause de la maladie hépatique. Les signes histologiques figurent au tableau III, ils sont difficiles à utiliser en pratique clinique car ils réclament une lecture fine de la biopsie hépatique. En revanche, la biologie moléculaire a déjà produit des résultats très prometteurs qui portent avant tout sur les polymorphismes fonctionnels de gènes impliqués dans le stress oxydant et la croissance cellulaire (tableau IV). De nombreux autres polymorphismes sont en cours d’étude en particulier ceux concernant les cytokines pro-inflammatoires [24-28]. Ces polymorphismes jouent un rôle diffé- rent d’une maladie hépatique à l’autre mais permettent déjà pour ce qui est des deux causes les plus fréquentes de cirrhose en France l’alcool et l’infection par le VHC de raffiner la prédiction déjà excellente fournie par l’étude des facteurs épidémiologiques et biologiques. Le CHC est certainement la tumeur pour laquelle le risque individuel peut le mieux être cerné. L’étude de ces facteurs a permis de mieux comprendre la carcinogénèse hépatique, de suggérer des moyens de prévention, elle devrait permettre dans un futur proche de moduler les modalités du dépistage.

Certains patients a risque très faible pourraient ne pas être éligibles pour le dépistage, certaines méthodes comme l’IRM récusée en raison de son coût pourrait retrouver une justification chez les malades à très haut risque.

 

Tableau III. — Signes histologiques prédictifs de la survenue du carcinome hépatocellulaire en cas de cirrhose (études prospectives) Cause de maladie hépatique

Dysplasie à petites cellules diverse Dysplasie à grandes cellules diverse Surcharge hépatique en fer alcool Index prolifératif élevé (PCNA) HCV Densité accrue des microvaisseaux HCV Régénération « irrégulière » VHB Hypertrophie nucleolique VHB Surexpression de l’Ag NOR VHB Foyers de cellules intermédiaires VHC CK7 CK19 + Tableau IV. — Principaux polymorphismes génétiques fonctionnels prédictifs de la survenue du carcinome hépatocellulaire en cas de cirrhose (études prospectives) Gène concerné

Cause de la maladie hépatique

MnSOD alcool GPX alcool Myéloperoxydase Alcool / VHC Catalase VHC EGF VHC PNPLA alcool 3 BIBLIOGRAPHIE [1] Remontet L., Buemi A., Velten M., Jougla E., Estève J. — Evolution de l’incidence et de la mortalité par cancer en France de 1978 à 2000. Saint-Maurice : Institut de veille sanitaire, 2003.

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DISCUSSION

M. Bernard LAUNOIS

Y a-t-il une prévention de HCC dans l’hépatite C ? Y a-t-il, pour vous, des indications chirurgicales ? Si oui, quelles sont-elles ?

Il y a une prévention possible du CHC en cas d’infection par le VHC c’est l’éradication de l’infection virale. Cette éradication va pratiquement supprimer le risque quand la maladie n’a pas atteint le stade de cirrhose et le réduire de plus de 80 % en cas de cirrhose constituée. Toutefois dans ce dernier cas, le risque n’est pas aboli surtout s’il existe des comorbidités telles que l’alcoolisme, l’obésité et le syndrome de résistance à l’insuline :

jusqu’à preuve du contraire, le dépistage reste justifié chez ces malades. En dehors de l’éradication du virus, on dispose d’arguments forts pour soupçonner le rôle préventif de deux molécules, la metformine et le propranolol qui seraient également préventives du cancer du sein chez la femme. En cas de diabète de type II, et ceci concerne environ 30 % des malades atteints de cirrhose virale C, la prescription de metformine semble réduire le risque de cancer d’environ 75 %, ceci aussi bien en cas d’infection par le VHC que le VHB. Dans quelle mesure cet effet préventif s’exercerait chez les malades atteints de syndrome d’insulino-résistance sans diabète ou même chez tous les malades reste inconnu. Le propranolol semble avoir un effet préventif de même ampleur mais plus mal documenté. Son mode d’action pourrait passer par un effet anti-oxydant intracellulaire et un effet anti-antiogénique propre à la molécule. Les études randomisées indispensables pour confirmer l’action de ces deux molécules sont difficiles à mettre en place en raison de l’absence de soutient de l’industrie. Enfin une troisième molécule, l’acide transrétinoïque a fait dans le passé l’objet d’un essai randomisé positif concernant la prévention secondaire mais la toxicité potentielle de cette molécule a jusqu’à présent empêché sa commercialisation. Concernant la deuxième et la troisième question, il faut bien sur distinguer les indications de résection hépatique et celles de transplantation. Concernant la résection, même si les indications varient d’un centre à un autre en fonction de l’expertise des chirurgiens et des radiologiques interventionnels, on doit constater que dans le cadre du dépistage la résection n’occupe qu’une place faible dans l’arsenal thérapeutique curatif. Du temps des premières études de dépistage, il y a plus de vingt ans, 20 à 30 % en moyenne des malades chez qui on établissait un diagnostic de CHC étaient l’objet d’une résection chirurgicale alors qu’il n’y avait aucune alternative curatrice.

Aujourd’hui on dispose de nombreuses méthodes de traitement percutané : radiofré- quence monopolaire ou multipolaire ou micro-ondes qui permette l’inactivation complète des nodules de moins de deux centimètres pour les techniques monopolaires davantage pour les techniques multipolaires. Dans le cadre du dépistage chez les malades atteints de cirrhose, les indications de la résection paraissent restreintes aux malades ayant un nodule unique de plus de deux centimètres (on peut tabler sur la guérison des nodules inférieurs à cette taille par les méthodes percutanées) développé sur une cirrhose Child-Pugh A sans signes d’hypertension portale. Et si l’âge avancé n’est pas une contrindication absolue, de multiples comorbidités le sont. On conçoit que les indications de résection sont de plus en plus limitées aux yeux des hépatologues si on veut bien considérer que 25 % environ des nodules sont multiples, que plus de 50 % des nodules dépistés font moins de 2 cm de diamètre et que l’hypertension portale qui est en soi un facteur prédictif de la survenue du cancer est présente dans la majorité des cas de CHC développé sur foie cirrhotique. Le problème de la transplantation est tout autre c’est généralement l’hépatologue qui est demandeur mais vous connaissez les obstacles.

M. Jacques ROUËSSÉ

Quelle sera l’incidence de l’insuffisance en France de la vaccination de l’hépatite B sur les carcino-hépato-cellulaires ?

La réponse à cette question tient en trois chiffres. Sur six mille cas annuels de CHC environ 10 % à 12 %, soit six à sept cents sont dûs à une infection par le VHB. Sur ces six cents cas, les trois-quarts au minimum surviennent chez des migrants généralement originaires d’Afrique ou d’Asie. Il y a donc au maximum deux cents cas par an de CHC qui surviennent chez des malades nés en France généralement à une époque où la vaccination n’existait pas. Malgré l’insuffisance de la couverture vaccinale ces cas ne vont pas augmenter. Quand au rôle de cofacteur d’une infection passée par le virus B dans la carcinogénèse hépatique au cours de cirrhoses d’autre étiologie, il est possible mais non démontré et par conséquent difficile à évaluer.

M. Daniel COUTURIER

Le dépistage du CHC chez les sujets à risque (les cirrhotiques) a une efficacité démontrée.

La mobilisation de l’ensemble des généralistes est nécessaire à son développement. Les autorités sanitaires nationales ont-elles mené les actions nécessaires pour informer et motiver l’ensemble des médecins ?

A ma connaissance, le rapport de l’HAS sur la prise en charge des malades atteints de cirrhose recommande le dépistage échographique semestriel mais qui lit les rapports de l’HAS ? en tout cas, pas les généralistes. Le dépistage reste peu pratiqué et surtout par les hépatologues hospitaliers. Cela me parait être le rôle de l’Académie de médecine d’invigorer les recommandations émises par les spécialistes.

 

M. Jean-Luc de GENNES

A côté du facteur alcool, dans les cancers hépatiques, vous avez cité l’insulinorésistance, le diabète etc. Mais pourquoi n’avez-vous pas cité le rôle de la stéatose hépatique qui est constante dans le syndrome métabolique, facteur associé constamment à l’hyperglycéridé- mie, composante majeure du syndrome métabolique, avec la baisse de HO<- cholestérol, l’hypercholestérolémie étant en deuxième zone ?

Le rôle favorisant pour la survenue du CHC de l’obésité du diabète de type II, ou mène l’hyperinsulinisme ou de l’insulino-résistance est très bien documenté au cours des cirrhoses de différentes étiologies, pas seulement les cirrhoses dysmétaboliques. En revanche, le rôle propre de la stéatose est incertain. En cas de cirrhose constituée, la présence ou l’importance de la stéatose ne sont pas prédictives de la survenue du CHC.

Ceci n’exclut pas nécessairement son rôle car la stéatose diminue quand la cirrhose progresse et la sévérité de la cirrhose est en soi un facteur favorisant de la survenue du CHC : il peut donc s’agir d’un facteur confondant.

M. André VACHERON

La vaccination contre l’hépatite B qui a fait la preuve de son intérêt dans la prévention du carcinome hépatocellulaire dans des pays comme Taiwan, a été stoppée en France par décision du Ministre de la Santé, il y a quelques années, en raison d’un doute sur son rôle favorisant l’apparition de la sclérose en plaques. Même si l’hépatite B occupe une place étiologique faible (9 à 10 %) dans le carcinome hépato-cellulaire, la vaccination est certainement utile. Est-elle reprise dans notre pays ?

La vaccination contre le VHB est utile, la crainte d’effets secondaires neurologiques n’a jamais pu être confirmée et il est regrettable que cette crainte ait prévalu en France sur les bénéfices de la vaccination. Néanmoins la mauvaise couverture vaccinale ne va pas à priori influencer grandement l’incidence des CHC en France (voir question 2). Mon sentiment est que la crainte des effets secondaires s’estompe avec le temps dans la population, en revanche le non remboursement du vaccin est un problème réel.

 

<p>* Hépatologie, Hôpital Jean Verdier — 93 143 Bondy ; e-mail : michel.beaugrand@jvr.ap-hp-paris.fr ** UFR Léonard de Vinci — Paris XIII Tirés à part : Professeur Michel Beaugrand, même adresse Article reçu le 19 janvier 2012, accepté le 23 janvier 2012</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2012, 196, no 1, 85-96, séance du 24 janvier 2012