Communication scientifique
Session of 14 février 2017

Évaluation de deux interactions médicamenteuses faisant intervenir une enzyme distincte et de leurs conséquences sur la morbi-mortalité

MOTS-CLÉS : CLOPIDOGREL. CYP2C19. CYP2D6. INTERACTIONS MÉDICAMENTEUSES. POLYMORPHISME GÉNÉTIQUE. TAMOXIFÈNE
Assessment of two drug interactions involving a distinct enzyme and their consequences on morbi-mortality
KEY-WORDS : CLOPIDOGREL. CYP2C19. CYP2D6. DRUG INTERACTIONS. GENETIC POLYMORPHISM. TAMOXIFEN

Béatrice SAINT-SALVI*

L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêt en relation avec le contenu de cet article.

Résumé

Deux interactions pharmacocinétiques ayant pour mécanisme d’action l’inhibition de la formation d’un métabolite actif sont discutées. L’une concerne le clopidogrel, un antiagrégant plaquettaire, l’autre, le tamoxifène, un anti-estrogène. Le clopidogrel est utilisé pour réduire la morbi-mortalité cardiovasculaire chez les patients à risque d’infarctus coronaire ou d’AVC, le tamoxifène est utilisé en prévention des récidives du cancer du sein. L’efficacité repose sur le métabolite actif issu de la biotransformation du produit parent. Les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) diminuent la formation du métabolite actif du clopidogrel en inhibant l’enzyme CYP2C19 nécessaire à sa formation, ce qui pourrait exposer le patient à une réduction de l’effet cardioprotecteur. La fluoxétine et la paroxétine diminuent la formation du métabolite actif du tamoxifène en inhibant l’enzyme CYP2D6 nécessaire à sa formation, ce qui pourrait exposer à une majoration du taux de récidives. Comme pour l’efficacité, l’évaluation de ce type d’interaction fait appel à des critères intermédiaires ainsi qu’à des études de morbi-mortalité, mais s’appuie aussi sur la pharmaco-épidémiologie. L’interaction entre le clopidogrel et les IPP, initialement retenue puis finalement non validée, a confronté la communauté scientifique à des résultats nombreux, contradictoires, utilisant des approches variées, de méthodologie peu adaptée au contexte clinique, et qui ont été à l’origine de l’ampleur et de la durée du débat. À l’inverse, l’interaction entre le tamoxifène et la paroxétine ou la fluoxétine a été rapidement validée, car les premières études, utilisant un critère intermédiaire et des plans expérimentaux appropriés, ont montré des résultats convergents qui ont été confirmés par la suite dans des études rétrospectives de plus large effectif. Les principales étapes sont relatées de façon chronologique et font l’objet d’une analyse critique. Les résultats, notamment contradictoires, sont discutés à la lumière des spécificités métaboliques des substrats et des inhibiteurs, des critères intermédiaires retenus et des études cliniques dédiées ou non à la question posée, afin d’expliquer en quoi ces deux interactions, en dépit d’un mécanisme d’action similaire, sont alors apparues d’inégale pertinence. Une étude rétrospective récemment publiée remet en question la réalité de l’interaction entre le tamoxifène et les inhibiteurs du CYP2D6 qui faisait consensus depuis près de sept ans. Cette interaction pourrait avoir une traduction clinique dans la sous-population de patientes non ménopausées répondeuse au tamoxifène. Une augmentation des doses de tamoxifène, pour compenser la réduction d’endoxifène, est proposée à titre conservatoire dans deux situations précises, l’une étant directement liée à l’ordre d’introduction des traitements. Ces deux exemples d’interaction dont l’enjeu est la survie se rejoignent sur la nécessité d’études contrôlées. Ils illustrent deux cas de figure: la mise en garde vis-à-vis d’une interaction considérée cliniquement pertinente d’après les données disponibles, avec un recours possible à des alternatives thérapeutiques aussi efficaces; et une interaction retenue sur des critères disparates, peu prédictifs et contradictoires, à l’origine d’une perte de chance en l’absence d’alternatives d’efficacité comparable. À partir des difficultés rencontrées, des propositions sont faites afin d’éviter des extrapolations à l’origine de mises en garde non justifiées.

Summary

Two pharmacokinetic interactions the mechanism of action of which consists in the enzymatic inhibition of the formation of an active metabolite are discussed. They concern the antiplatelet agent clopidogrel and the antihormone agent tamoxifen. Clopidogrel is used to reduce cardiovascular morbi-mortality in at-risk patients with coronary diseases or history of stroke. Tamoxifen is given as a hormonal adjuvant to reduce the relapses of breast cancer. Their efficacy relies on the active metabolite stemming from the biotransformation of the parent drug. Proton pump inhibitors (PPI) decrease the formation of the active metabolite of clopidogrel by inhibiting the enzyme CYP2C19 required to its formation, which could expose the patient to a reduced cardioprotective effect. Fluoxetine and paroxetine decrease the formation of the active metabolite of tamoxifen by inhibiting the enzyme CYP2D6 required to its formation, which could expose the patient to an increased risk of relapses. As for efficacy, such interactions are assessed through surrogates as well as morbidity and mortality studies, but also relies on pharmacoepidemiology. The interaction between clopidogrel and PPI, initially retained and finally not validated, has confronted the scientific community to numerous and contradictory results using various approaches and poorly appropriate methodology given the clinical context, that may have explained the magnitude and the duration of the debate. Conversely, the interaction between tamoxifen and fluoxetin or paroxetin could be rapidly validated, as the first studies using appropriate surrogate and design have shown converging results further confirmed through retrospective, large size studies. The main steps are chronologically related and critically analysed. The results, especially contradictory, are discussed in the light of the metabolic specificities of the substrates and inhibitors, the chosen surrogates and the clinical studies dedicated or not to the issue, in order to explain on which basis these two interactions, despite a similar mechanism of action, have appeared of uneven relevance at that time. Recently, a retrospective study questions the clinical relevance of the interaction between tamoxifen and CYP2D6 inhibitors which has been internationally admitted for almost seven years. This interaction could be clinically meaningful in a subpopulation of premenopausal patients responsive to tamoxifen. As a conservative approach, an increase of tamoxifen dose, in order to compensate endoxifen decrease, is proposed in two specific situations, one of them being directly related to the order of initiation of treatments. These two examples of interaction the issue of which is survival go along with the need of controlled studies. They illustrate two situations: the warning towards an interaction considered as clinically meaningful in view of the available data, and allowing switch to equally efficient therapeutics, and an interaction retained from disparate, poorly predictive and contradictory criteria leading to a loss of chance in case, as effective alternative drugs are lacking. From the encountered difficulties, proposals are made in order to avoid extrapolations leading to unwarranted warnings.

* Agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé (ANSM), 143-147 bd Anatole France 93200 St Denis

Bull. Acad. Natle Méd., 2017, 201, nos 1-2-3, 359-379, séance du 14 février 2017