Résumé
Le cancer de la prostate (CaP) est le plus fréquent des cancers de l’homme de plus de 50 ans et sa fréquence augmente avec l’âge. Son incidence croissante est liée au vieillissement de la population. Différentes études épidémiologiques ont observé une agrégation familiale dans 15 à 25 % des cas et une prédisposition génétique de type autosomique dominant ou liée à l’X dans 5 à 10 % des cas. Les aspects cliniques et évolutifs des CaP familiaux restent controversés. Objectifs : Réaliser une étude épidémio-génétique du cancer de la prostate familial : (1) une analyse génétique par la recherche de gènes de prédisposition, (2) une étude épidémiologique de la prévalence des cancers associés dans la généalogie, du modèle de transmission, et (3) une étude clinique. Méthodologie et résultats : (I) à partir d’une collecte nationale (Étude « ProGène ») de familles avec au moins 2 cas de CaP nous avons réalisé une analyse de liaison génétique et identifié PCaP (Prédisposant au Cancer de la Prostate) en 1q42.2-4 3 ; (II) à partir d’une étude généalogique systématique de 691 patients (CaP+), nous avons observé : (1) 14,2 % de formes familiales et 3,6 % de formes héréditaires, (2) une augmentation du risque de cancer du sein chez les apparentées du 1er degré des patients (CaP+) dans les formes familiales par rapport aux formes sporadiques et dans les formes précoces de CaP (< 55 ans) par rapport aux CaP tardifs ([dG] 75 ans), (3) un modèle de transmission autosomique dominant avec dépendance résiduelle frèrefrère, (4) l’absence de particularité clinique et biologique, en dehors d’un âge de survenue précoce dans les formes héréditaires. Conclusion : (1) l’identification d’un locus de prédisposition permet d’envisager le clonage d’un gène prédisposant en 1q42.2-43 afin de proposer à terme un dépistage génétique dans les familles à risque et d’étudier des recherches de corrélations génotype/phénotype ; (2) le modèle de transmission permet d’affiner les études de liaison génétiques ; (3) l’absence de particularité clinique et biologique permet de préciser la prise en charge et le suivi des formes familiales qui apparaissent superposables aux formes sporadiques, hors la survenue précoce (5 à 10 ans plus tôt). Cela nous a conduit à proposer la généralisation d’un dépistage plus précoce de l’affection dans les familles à risque.
Summary
Prostate cancer (CaP) is the most frequent cancer among men over 50 and its frequency increases with age. It has become a significant public health problem due to the ageing population. Epidemiologists report familial aggregation in 15 to 25 % of cases and inherited susceptibility with autosomal dominant or X-linked model in 5 to 10 % of cases. Clinical and biological features of familial CaP remain controversial. Objectives : To perform : (1) Genetic study of familial Cap (mapping of susceptibility genes), (2) epidemiologic study (prevalence, associated cancers in the genealogy, model of transmission), and clinical study of familial CaP. Methodology and results : (I) conducting a nationwide family collection (ProGène study) with 2+ CaP we have performed a genomewide linkage analysis and identified a predisposing locus on 1q42.2-43 named PCaP (Predisposing to Cancer of the Prostate) ; (II) conducting a systematic genealogic analysis of 691 CaP followed up in 3 University departements of urology (Hospitals of Brest, Paris St Louis and Nancy) we have observed : (1) 14.2 % of familial and 3.6 % of hereditary CaP, (2) a higher risk of breast cancer in first degree relatives of probands (CaP+) in familial CaP than in sporadic CaP and in early onset CaP (< 55 years) when compared with late onset CaP ([dG]75 years), (3) an autosomal dominant model with brother-brother dependance), (4) the lack of specific clinical or biological feature (except for early onset) in hereditary CaP when compared with sporadic CaP. Conclusion : (1) The mapping of a susceptibility locus will permit the cloning of a predisposing gene on 1q42.2-43, offer the possibility of genetic screening in families at risk and permit genotype/phenotype correlation studies ; (2) the transmission model will improve parametric linkage studies ; (3) the lack of distinct specific clinical patterns suggest diagnostic and follow up modalities for familial and hereditary CaP similar to sporadic cancer while encouraging early screening of families at risk, given the earlier onset (5 to 10 years earlier) observed.
CANCER DE LA PROSTATE ET FACTEURS DE RISQUE
Le cancer de la prostate (CaP) est le plus fréquent des cancers de l’homme de plus de 50 ans et sa fréquence augmente avec l’âge. Son incidence en France était de 28 300 en 2000 [1]. C’est la deuxième cause de mortalité par cancer chez l’homme aux États-Unis et dans l’Union Européenne (après le cancer du poumon) avec respectivement environ 32 200 (en 1998) et 55 000 (en 1996) décès chaque année (10 000 en France) [2-4]. L’incidence ces dix dernières années a augmenté dans les pays industrialisés passant en Europe de 80 000 en 1980 à 112 000 en 1995 et en France de 13 000 à 28 000 [3]. Ainsi le CaP est devenu une réelle préoccupation de santé publique, avec le risque de retentissement socio-économique marqué étant donné le vieillissement actuel de la population et l’entrée de la génération du Baby-Boom dans l’âge à risque.
Ceci justifie la recherche de facteurs de risques (environnementaux ou constitutionnels) et impose un diagnostic précoce et le dépistage de cette affection à un stade curable. Les seuls facteurs de risque actuellement identifiés avec certitude sont l’âge,
l’origine ethnique et l’existence d’antécédent familial du même cancer. La cause du CaP reste inconnue, mais comme pour la plupart des autres cancers, une succession d’altérations génétiques spécifiques, le plus souvent acquises et parfois en partie héritées, est incriminée dans la carcinogenèse prostatique.
L’étude des aspects génétiques du CaP a un double intérêt, s’appliquant aux formes familiales mais également aux formes sporadiques. Dans les formes familiales (au moins 2 CaP), présentes dans 20 à 25 % des cas [5], les recherches s’orientent vers l’identification des gènes de prédisposition, afin d’identifier les sujets à risque nécessitant un dépistage ciblé de l’affection et de leur proposer un traitement à un stade curatif. La connaissance des loci chromosomiques et secondairement des gènes, permettra la recherche de corrélations entre les aspects génétiques et les caractéristiques cliniques des CaP familiaux (corrélations génotype/phénotype) afin de préciser la prise en charge des patients. Les études sur le mode de transmission de l’affection constituent une aide pour la recherche des gènes de prédisposition et permettent d’évaluer le risque pour les apparentés. Notre groupe de recherche a initié et coordonné une étude nationale « Étude PROGENE, projet français d’analyse génétique du cancer de la prostate familial », et différentes études épidémio-cliniques concernant ce thème.
Dans les formes sporadiques, les études génétiques débouchent sur une meilleure compréhension de la carcinogenèse. Ceci a pour but d’apporter une aide au diagnostic en identifiant de nouveaux marqueurs pronostiques, dont nous avons besoin pour affiner les choix thérapeutiques. L’établissement d’une carte moléculaire du CaP, corrélée à l’histoire naturelle de l’affection, devrait également permettre à terme d’établir de nouvelles armes, notamment pour la phase d’hormonoindépendance, en utilisant les principes de pharmaco-génomique voire de thérapie génique.
AGRÉGATION FAMILIALE DE CANCER DE LA PROSTATE ET GÈNES DE PRÉDISPOSITION
Les formes familiales de CaP sont connues depuis plus de 40 ans [6, 7], et confirmées par diverses études épidémiologiques dans les années 1990. L’étude de ségrégation familiale de Carter et al . [8] a montré pour la première fois en 1992, que 5 à 10 % des
CaP étaient héréditaires, selon un mode autosomique dominant, à forte pénétrance, 88 % à 85 ans. Cela a permis de définir des critères généalogiques devant faire évoquer une forme héréditaire de ce cancer : (1) au moins 3 cas chez des parents du 1er degré ou encore (2) au moins 3 cas sur 3 générations dans la même branche familiale (paternelle ou maternelle) ou enfin (3) 2 cas précoces avant 55 ans. Une transmission liée à l’X ou récessive a également été évoquée [9-11], ce qui conduit à considérer également les familles avec 3 cas du second degré comme potentiellement associées à une forme héréditaire [5]. Dans le cadre de l’étude « PROGENE », une collecte nationale de familles avec au moins 2 CaP a permis :
— d’identifier les familles à forme héréditaire, — de constituer une banque d’ADN constitutionnel après prélèvement sanguin de sujets appartenant à ces familles, — d’effectuer une simulation d’analyse de liaison génétique, en préalable au génotypage microsatellite [12].
À partir de cette étude, en choisissant les 37 familles les plus informatives, complé- tées par 10 familles allemandes, nous avons effectué une analyse de liaison génétique portant sur 47 familles, incluant 122 patients et 72 sujets considérés comme sains après dosage du PSA. Le génotypage a été complété de façon à étudier 364 marqueurs microsatellites répartis sur tout le génome (en moyenne tous les 10 cM).
Les analyses de liaison ont permis l’identification d’un locus sur le chromosome 1q 42.2-43, qui pourrait être porteur d’un gène prédisposant au CaP (bâptisé PCaP).
La localisation primaire a été confirmée par plusieurs marqueurs, en utilisant 3 modèles génétiques différents. De plus, l’étude d’un sous-groupe de 9/47 familles caractérisées par un CaP à début précoce (avant l’âge de 60 ans), a confirmé la très forte probabilité de localisation d’un gène de prédisposition sur le locus 1q42.2-43 pour ces familles (P=0.001) [13].
Ce locus constituait le second locus de prédisposition identifié pour le CaP. En effet, l’équipe de Baltimore aux États-Unis engagée dans cette recherche dès le début des années 1990, venait de publier en 1996 le premier locus de prédisposition pour cette affection [14], également sur le bras long du chromosome 1 (HPC1 : 1q24-25). Notre étude n’a pas retrouvé de liaison pour cette région. La localisation de gènes de prédisposition permettait donc d’envisager à moyen terme, au moins de manière indirecte, l’identification au sein des familles, des sujets ayant hérité de l’anomalie génétique et donc à haut risque de CaP. Dès lors que le dépistage génétique sera utilisable, il sera possible de pratiquer un dépistage ciblé du CaP afin de réaliser un diagnostic le plus précoce possible.
Outre HPC1 et PCaP, 6 autres loci contenant possiblement des gènes de prédisposition ont été publiés à partir d’études de liaison génétique : HPCX (Xq27-28) [15], CAPB (1p36) [16], HPC20 (20q13) [17], HPC2/ELAC2 (17p11) [18], et d’autres loci en 16q23 [19, 20] et 8p22-23 [21]. Parmi ces loci, seuls les gènes ELAC2 et RNASEL ont été identifiés pour les loci HPC2 et HPC1 respectivement [22]. Ces 2 gènes cependant n’apparaissent impliqués que dans une faible proportion de CaP héréditaires [23, 24]. Par ailleurs, il semble que les gènes de prédisposition soient différents selon les populations puisque PCaP est le seul en cause dans les familles d’Europe du sud-ouest [25, 26] alors que les autres paraissent essentiellement impliqués aux États-Unis et en Europe du Nord.
ÉPIDÉMIOLOGIE DU CANCER DE LA PROSTATE FAMILIAL EN FRANCE
Différentes études épidémiologiques ont été publiées essentiellement en Amérique du Nord, concernant la prévalence des formes familiales de CaP (15 à 25 %), mais peu de données étaient disponibles en Europe, notamment en France. Depuis juillet 1994, parallèlement à l’étude ProGène, nous avions initié une étude multicentrique (Services d’Urologie des CHU de Brest, Paris-St Louis et Nancy), comportant une analyse généalogique systématique de tous les patients suivis dans les 3 centres pour CaP.
Ainsi à partir de j uillet 1994, nous avons inclus dans l’étude systématique : 801 patients (tous stades confondus), 110 patients (13,7 %) ont été exclus (refus de participation, âge avancé). Pour les 691 familles étudiées (Brest 29) (11,6 %), 37 (17,1 %) formes familiales au total (moyenne : 14,2 %) et 11 (4,9 %), 6 (2,4 %), 8 (3,7 %) formes héréditaires (moyenne : 3,6 %) (différences entre les centres non significatives) [27]. De plus, l’analyse des résultats en fonction de l’âge au diagnostic du CaP a montré une fréquence de formes familiales (différence significative) et héréditaires (limite de significativité) plus élevée pour les CaP survenant à un plus jeune âge (avant 65 ans). La collection nationale a permis de rassembler un total de 624 formes familiales de CaP dont 236 (37,8 %) formes héréditaires ; 115 familles étant informatives pour étude de liaison génétique.
Ces résultats confirment les données d’études antérieures observant environ 15 à 25 % de formes familiales de CaP, et 5 à 10 % de formes héréditaires. De même, l’étude systématique a confirmé la survenue plus précoce des CaP à prédisposition génétique. Ces données incitent donc à rechercher systématiquement les antécédents familiaux de CaP afin de proposer, dans les familles concernées, un dépistage ciblé des sujets à risque et d’intensifier l’identification des formes héréditaires pour rechercher les gènes impliqués.
ÉTUDES SUR LE MODE DE TRANSMISSION DU CAP HÉRÉDITAIRE EN FRANCE
Aucune étude de ce type n’a été réalisée en France. Après l’étude de Carter et al . [8], observant sur une population Nord Américaine, pour la première fois, un modèle autosomique dominant à forte pénétrance (88 % à 85 ans), d’autres études ont été publiées aux États-Unis [28], en Suède [29] et en Australie, confirmant le modèle autosomique dominant, mais avec des paramètres différents (pénétrance, fréquence du gène altéré) ou en constatant également une transmission récessive ou liée à l’X [11].
Nous avons ainsi réalisé une étude de ségrégation, en éliminant les biais de sélection, portant sur 691 familles françaises et en utilisant un modèle d’analyse plus général
que ceux antérieurement étudiés, prenant notamment en compte les possibilités de dépendance familiale résiduelle et l’âge au diagnostic de l’affection [30]. Nous avons ainsi observé que le modèle le plus probable était de type autosomique dominant à pénétrance élevée, 86 % et 99 % à 85 ans respectivement dans la génération paternelle et dans celle du proposant. La fréquence de l’allèle délétère (0,03 %) était plus faible que celle observée dans les autres études. Nous avons observé également, outre l’effet génération, une dépendance résiduelle frère-frère qui jusque-là n’avait pas été décrite. Ces résultats confirment les travaux antérieurs concluant à l’existence d’un modèle autosomique dominant, mais démontrent l’existence :
— d’une composante génétique complémentaire (possiblement liée à l’X), — ou de facteurs d’environnement, pour expliquer la dépendance résiduelle frèrefrère.
CO-AGRÉGATION DE CANCER DE LA PROSTATE ET D’AUTRES CANCERS DANS LES FAMILLES
Différentes études épidémiologiques ont montré que dans certaines familles il existe une co-agrégation de CaP et d’autres cancers notamment des cancers du sein. Ainsi le risque de cancer du sein serait environ 1,5 fois plus élevé dans les familles à CaP [31]. De même il a été rapporté une augmentation du risque de CaP (RR : 1,5) chez les apparentés de femmes porteuses d’un cancer du sein [31]. Ce lien spécifique entre 2 cancers hormono-dépendants n’a cependant pas été observé dans d’autres études où les cancers associés concernaient davantage les tumeurs cérébrales, du côlon ou des lymphomes avec un RR relativement faible [31].
Nous avons étudié la survenue de cancers gynécologiques chez les apparentées du premier degré de 691 patients atteints d’un CaP [32]. Nous avons ainsi observé une augmentation du risque du cancer du sein dans les formes familiales de CaP par rapport aux formes sporadiques (RR=2.3). Le risque était significativement élevé chez les mères et les sœurs des proposants (RR=1,5 et 1,7 respectivement). Le risque de survenue d’autres cancers que le cancer du sein n’était pas significativement augmenté. De plus, nous avons montré pour la première fois, que le risque de cancer du sein était significativement accru lorsque les proposants avaient un CaP de survenue précoce (inférieur à 55 ans) (RR=5.5) par rapport aux formes de survenue plus tardive (supérieur ou égal à 75 ans). Cette observation suggère un lien entre CaP à prédisposition génétique et cancer du sein. De plus le risque de cancer du sein pour la mère d’un proposant atteint avant 55 ans était 30 fois plus élevé que si le proposant était atteint après 75 ans (p=0.003).
Ces résultats suggèrent de réaliser un dépistage de cancer du sein dans les familles présentant au moins 2 cas de CaP , a fortiori s’ils sont de survenue précoce. Sur le plan fondamental ils incitent à rechercher des gènes de prédisposition spécifiques dans les familles présentant une co-agrégation de CaP et de cancers du sein.
ASPECTS CLINIQUES DU CANCER DE LA PROSTATE FAMILIAL
La particularité clinique des CaP héréditaires est la survenue plus précoce (5 à 10 ans) retrouvée dans plusieurs études. Cependant l’agressivité et le pronostic des formes familiales de CaP restent controversés. En effet la majorité des études n’ont observé aucune différence dans la sévérité de la maladie au diagnostic, mais elles portaient sur des CaP localisés ayant bénéficié d’une prostatectomie radicale, donc sélectionnés selon le stade et non représentatifs de l’ensemble des CaP. Une étude dont l’interprétation est discutée, a observé des formes plus avancées et moins différenciées au diagnostic pour les CaP héréditaires liés au locus de prédisposition HPC1 [33], mais elle porte sur une série de patients hétérogènes dont la majorité n’a pas bénéficié de dosage du PSA et n’est donc pas superposable aux CaP actuels.
Nous avons comparé les modalités diagnostiques, âge, le stade clinique, le taux de PSA et le grade tumoral au diagnostic de 45 CaP héréditaires (HR), 85 CaP familiaux ne respectant pas les critères héréditaires (FNH) et 137 CaP sporadiques informatifs (IS) [34]. En analyse multivariée, le seul paramètre significativement associé au statut familial était l’âge au diagnostic : 65,3 ans (HR), 67 ans (FNH) et 70,9 ans (IS). Ainsi aucune différence significative n’a été observée concernant le stade au diagnostic, le taux de PSA et le grade tumoral. Les circonstances de diagnostic (CaP dépistés vs CaP symptomatiques) étaient comparables dans les 3 groupes. Ces résultats confirment la survenue plus précoce des CaP héréditaires et familiaux. Bien que les aspects cliniques et évolutifs restent controversés, l’absence de différence observée suggère une agressivité comparable des CaP héréditaires et familiaux. Des études de corrélation génotype/phénotype, initiées dans notre laboratoire, étudiant chacun des différents loci de prédisposition connu, incluant par ailleurs les circonstances de découverte des CaP, devraient permettre de préciser l’histoire naturelle des CaP héréditaires liés à chaque locus.
Un autre moyen d’évaluer les particularités cliniques des CaP familiaux concerne l’étude de l’évolution des CaP après prostatectomie radicale. En effet l’analyse histologique de la pièce opératoire permet une meilleure définition du stade initial de l’affection et permet de comparer ensuite l’évolution pour des patients à stade égal. Nous avons ainsi comparé les paramètres préopératoires (âge moyen, stade clinique, PSA moyen et score de Gleason moyen au diagnostic) et postopératoires (pT, pN, score de Gleason) de 85 CaP sporadiques et de 37 CaP familiaux, pour des tumeurs cliniquement confinées à la glande, ayant bénéficié d’une prostatectomie radicale, avec un suivi moyen de 32,3 mois (3-120) et 26,1 mois (3-72) respectivement [35]. Aucun paramètre préopératoire ni postopératoire n’était significativement associé aux formes familiales. Les courbes de survie sans progression biologique ne montraient aucune différence entre les 2 groupes. Ces résultats suggèrent une évolution comparable dans les formes sporadiques et dans les cas familiaux. Ainsi l’histoire naturelle de l’affection ne semble pas modifiée lorsqu’une prédisposition génétique est à l’origine de l’affection.
PERSPECTIVES
Les résultats de nos travaux ont des retombées importantes car ils ont permis de mieux caractériser le CaP familial en France et surtout de mettre en évidence un locus de prédisposition : PCaP. Ce dernier semble le plus fréquemment impliqué en Europe du Sud-Ouest. Lorsqu’il sera identifié, des recherches de mutations seront alors réalisables pour préciser dans les familles concernées les individus à haut risque, nécessitant un dépistage précoce et une surveillance attentive. Les études épidémio-génétiques nous ont par ailleurs permis d’identifier des généalogies de patients porteurs de CaP au sein desquelles des études prospectives de dépistage de l’affection chez les apparentés sont en cours. Ceci devrait permettre, à terme, de proposer des recommandations sur les modalités de dépistage. Enfin sur le plan clinique, il ne semble pas exister de particularités pour les formes familiales de CaP en dehors de la survenue plus précoce. Néanmoins seules des études de corrélation génotype/phénotype permettront réellement de préciser si l’histoire naturelle de l’affection est comparable dans les formes héréditaires et dans les formes sporadiques.
REMERCIEMENTS
Nous remercions les patients et leurs familles qui ont bien voulu participer à cette étude.
De même cette étude n’aurait pu être réalisée sans la collaboration étroite avec de nombreux urologues français (membres de l’Association Française d’Urologie) et allemands, des oncologues et des médecins généralistes. En France ce projet a bénéficié de subventions attribuées par l’Association Française d’Urologie, les laboratoires Zeneca, l’Association pour la Recherche sur le Cancer, la Fondation pour la Recherche Médicale, la Ligue de Paris contre le Cancer, la Ligue de Bretagne contre le Cancer, l’Association pour la Recherche sur les Tumeurs de la Prostate, et Genset.
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[35] Azzouzi R., Valeri A., Cormier L., Fournier G., Mangin P., Berthon P., et al. — Familial prostate cancer undergoing radical prostatectomy do not show any specific aggressiveness when compared to sporadic cases. Submitted Brit J Urol , 2001.
DISCUSSION
M. Adolphe STEG
D’après ce que j’ai compris, les informations sur le caractère familial d’un cancer de la prostate ont, dans votre série, été recueillies par réponses à un questionnaire écrit. On peut s’interroger sur la fiabilité de telles données. En effet un travail récent de Terri King (Urology , 2002) a montré que dans les cas où un antécédent de cancer familial était signalé dans le questionnaire : d’une part, on ne disposait de document de confirmation que dans 69 % des cas, d’autre part, même dans les cas où on disposait de ces documents (dossier médical, compte rendu histologique, certificat de décès), 18 % n’avaient pas de cancer, mais un banal adénome de la prostate.
La confirmation des cas de cancers dans la généalogie est un point essentiel de ce type d’étude. Pour cette raison, pour chaque cas de cancer prostatique (CaP) cité dans les
questionnaires, nous avons demandé une confirmation histologique, auprès de l’urologue ou du médecin traitant en charge de l’apparenté déclaré atteint. Les données médicales ont été en général faciles à obtenir pour les frères, mais parfois plus difficiles à la génération du père. Du fait de la confusion possible, dans l’esprit des patients entre CaP et adénome prostatique, un certain nombre de familles présentées initialement comme formes familiales de CaP ont été ensuite reclassées comme formes sporadiques. Tous les cas familiaux apparaissant dans les résultats de notre étude ont été définis comme tels après vérification des données médicales des apparentés, témoignant de la rigueur méthodologique utilisée dans ce travail.
M. Michel BOUREL
Compte tenu de la proximité histologique de la prostate et des glandes salivaires, avez-vous trouvé, dans la littérature, une association pathologique ou repéré des anomalies chromosomiques dans les glandes salivaires ?
Les cancers ayant une prévalence significativement augmentée chez les apparentés de patients atteints de CaP concernent essentiellement le sein, le système nerveux central et l’estomac, selon les études et les populations analysées. Dans notre travail seul les cancers du sein étaient significativement plus fréquents dans les généalogies des formes familiales par rapport aux formes sporadiques.
M. Christian CHATELAIN
Dans l’état actuel des connaissances, avez-vous suffisamment d’arguments pour informer toute une famille des risques encourus malgré les réactions anxieuses que cela ne manquera pas de susciter ? Proposer un diagnostic génétique à certains de ses membre ? Inciter à un certain nombre d’examens ?
Dans les familles correspondant à l’évidence à une forme héréditaire de CaP (au moins 3 CaP chez des parents du 1er ou 2ème degré, ou encore 2 cas précoces avant 55 ans), il faut informer le patient du caractère héréditaire de l’affection. Il faut également préciser qu’il est recommandé aux apparentés du 1er degré des sujets atteints d’effectuer un dépistage avant l’âge de 50 ans, donc plus tôt que dans la population générale, du fait de la survenue plus précoce de l’affection (5 à 10 ans) dans les formes héréditaires. Il est par ailleurs important de signaler que tous les hommes de la famille n’héritent pas obligatoirement de la prédisposition. La question qui se pose dans ces familles est de savoir si le dépistage doit commencer dès l’âge de 40 ans ou si débuter à 45 ans est suffisant. « L’Étude Française sur le dépistage du cancer de la prostate dans les familles à risque » que nous coordonnons depuis 1998, devrait permettre à terme de répondre à cette question. Il faut informer du risque et de l’intérêt du dépistage sans pour autant générer un stress pathologique chez l’individu. Dans les familles comportant simplement 2 CaP (non précoces), l’origine de l’agrégation familiale du cancer est difficile à déterminer et peut correspondre, soit à une forme héréditaire masquée (petite taille de la famille, peu d’hommes dans la fratrie …), soit simplement au hasard. On peut signaler au patient qu’il existe un risque pour les apparentés plus élevé sans que le caractère héréditaire soit certain. Par prudence il est souhaitable de dépister les apparentés avant 50 ans. En ce qui concerne le dépistage génétique (recherche de prédisposition), la recherche directe de mutation, à partir d’une simple prise de sang, n’est possible que pour 2 des 8 loci de
prédisposition. En effet seuls HPC2/ELAC2 et HPC1 (Ribonucléase L) ont été séquencés et proposés comme gènes candidats pour ces loci, mais ils ne paraissent pas être des gènes majeurs de prédisposition et sont donc rarement impliqués. Pour les autres loci, seul un dépistage génétique indirect (analyse de liaison) est réalisable dans certaines familles, dès lors que les fratries sont suffisamment grandes pour être informatives et qu’un locus soit lié à la maladie dans la famille. Nos travaux concernant la qualité de vie ont montré que la notion de prédisposition génétique était associée à une anxiété de faible amplitude, et que les apparentés témoignaient un intérêt certain concernant la possibilité de dépistage génétique. L’identification des sujets à risque pourrait permettre d’envisager un traitement préventif de la maladie, si les travaux en cours sur la chimioprévention du CaP s’avèrent concluants.
M. Raymond ARDAILLOU
Le gène PCaP a-t-il été cloné ? Si oui, quelle est sa fonction ?
Le gène PCaP n’a pas encore été cloné, ni séquencé et donc sa fonction est inconnue. Il est probable, comme pour la majorité des gènes de prédisposition aux cancers, que ce soit un gène suppresseur de tumeur, mais cela reste à prouver.
M. Roger HENRION
Vous avez montré une liaison entre les cancers de la prostate d’origine familiale et les cancers du sein. S’agit-il électivement de cancers du sein d’origine familiale ? Préconisezvous le dépistage des cancers du sein dans les familles où existent plusieurs cancers de la prostate et réciproquement le dépistage des cancers de la prostate dans les familles où l’on a découvert plusieurs cancers du sein ?
L’augmentation du risque de cancer du sein dans les généalogies à forme familiale de CaP, que nous avons étudiées, ne concerne pas uniquement des cancers du sein familiaux.
En effet dans certaines familles existaient plusieurs cas de CaP et un seul cancer du sein.
Cependant nous avons parfois observé la survenue, dans la même généalogie, de forme familiale de CaP et de forme familiale de cancer du sein. Une des explications de cette co-agrégation familiale des deux cancers est l’existence d’une prédisposition génétique commune. Par ailleurs, différentes études font état d’altérations génétiques portant sur les gènes BRCA1 et BRCA2 prédisposant au cancer du sein, chez des patients atteints de CaP. Cependant, aucune étude de liaison génétique portant sur plusieurs familles n’a permis de localiser avec certitude le(s) gène(s) candidat(s). Sur le plan pratique la question se pose de savoir si une histoire familiale de CaP nécessite un dépistage ciblé du cancer du sein chez les apparentées et à partir de quel âge et inversement un dépistage de CaP dans les formes familiales de cancer du sein. Aucune étude prospective concernant ces 2 aspects de dépistage n’est disponible dans la littérature. Cependant, certains auteurs suggèrent en clinique courante, pour évaluer le risque de cancer du sein d’une femme, de rechercher outre les antécédents de cancer du sein dans la famille, les antécédents de CaP.
Les résultats de notre étude confortent cette attitude et nous suggèrent de recommander le dépistage des cancers du sein et de la prostate dans les familles concernées, et ce dès l’âge de 45 ans pour le CaP.
M. Christian NEZELOF
Avez-vous observé une augmentation de l’incidence d’adénomes dans les formes familiales d’adénocarcinomes de la prostate ?
Ceci n’a pas été étudié précisément dans notre travail. Il est peu probable qu’il existe une association entre ces deux affections qui peuvent coexister de façon indépendante au sein de la glande prostatique. Il existe par ailleurs des formes familiales d’adénomes prostatiques.
M. Maurice TUBIANA
N’existe-t-il pas un risque de sur diagnostic qui risque d’introduire un biais ? La mammographie pour le cancer du sein, le dosage du PSA pour les cancers de la prostate découvrent des cancers qui auraient pu rester méconnus pendant toute l’existence. Certaines familles ne sont-elles pas de ce fait exposées à un sur diagnostic ?
En ce qui concerne le CaP, le risque de sur traitement n’existe que lorsque l’espérance de vie est inférieure à 10 ans. En effet dans ce cas, le patient a une grande probabilité de décéder d’une autre cause que son CaP, du fait d’une progression en général lente de ce cancer (surtout dans les formes bien et moyennement différenciées). Néanmoins ceci ne s’applique pas aux CaP héréditaires. En effet, ils surviennent en moyenne 5 à 10 ans plus tôt que dans la population générale, donc souvent avant 65 ans, parfois avant 55 ans, chez des hommes ayant une espérance de vie élevée, et de ce fait un risque de décès par CaP élevé en l’absence de traitement curatif.
* Lauréat de l’Académie nationale de médecine, Prix Paul Mathieu 2001 Service Urologie, Hôpital de la Cavale Blanche — 29609 Brest cedex. Tirés-à-part : Docteur Antoine Valéri, à l’adresse ci-dessus. Article reçu le 12 mars 2002, accepté le 18 mars 2002.
Bull. Acad. Natle Méd., 2002, 186, no 4, 779-791, séance du 30 avril 2002