Communication scientifique
Session of 23 novembre 2004

Etienne-Jules Marey : l’innovation médicale

Etienne-Jules Marey : medical innovation

Claude Debru

cinquante ans. Professeur au Collège de France, membre et ancien Président de l’Académie des Sciences, de la Société de Biologie, il présida en 1900 l’Académie de Médecine à laquelle il appartenait depuis 1872. C’est de cet homme, si considérable par les hautes fonctions qu’il remplit, mais plus encore par la place qu’il occupe dans la Physiologie française, disons dans la Physiologie mondiale, que j’ai mission de vous parler aujourd’hui : difficile mission, à laquelle je n’ai pas cru cependant devoir me soustraire, par respect pour la mémoire de celui qui fut mon maître et par déférence envers l’Académie qui m’a fait l’honneur de me la confier » [1]. Cent ans après la mort de Marey, son œuvre, dont François-Franck décrivait avec précision les aspects les plus techniques, apparaît comme celle d’un exceptionnel réalisateur et d’un extraordinaire pionnier sur tous les sujets qu’il a abordés. Il est malheureusement impossible d’évoquer l’ensemble d’une œuvre si ample et diverse. Je me contenterai donc d’en présenter certains aspects liés à la médecine, en commentant l’inspiration singulière de cette œuvre qui relie médecine, sciences, techniques et art.

Marey, formé à l’école de la médecine, en a subi l’empreinte [2]. Reçu brillamment premier au concours de l’internat en 1854, il est affecté à l’hôpital Cochin au service du professeur Joseph-Simon Beau, lui-même auteur de travaux de physiologie du cœur et du poumon. Il publie alors sept articles, dont trois dans les Comptes rendus de l’Académie des Sciences et un dans les Comptes rendus de la Société de Biologie, avant de soutenir sa thèse de doctorat en médecine le 4 mars 1859. Ces « Recherches sur la circulation du sang à l’état physiologique et dans les maladies » sont un ouvrage classique rédigé dans une langue admirable, dont la clarté et la maîtrise conceptuelles frappent immédiatement le lecteur. Le candidat de 29 ans est, comme l’a écrit son Président Jules Gavarret, déjà un maître. Il prend possession de son sujet avec une magistrale assurance. Il a décidé de prendre la route de la Physiologie : « la physiologie n’a pris son rôle important en médecine, écrit-il, que depuis qu’elle a entrevu les fonctions intimes de la vie organique… Les bienfaits de la physiologie doivent aujourd’hui s’étendre à toutes les parties de la médecine » [3]. Le jeune savant ne perdra jamais de vue la pratique médicale, qu’il s’agit d’aider dans la conception d’instruments bien adaptés. Pour cela, il se consacre à la recherche physiologique. Le jeune médecin a un jugement sévère et sûr, et un esprit aussi philosophique qu’expérimental. « Toute science, à son début, est nécessairement encombrée d’hypothèses : pour chacun des faits qu’elle découvre elle crée une cause spéciale, une force ou une propriété. Bichat nous a donné l’exemple de cette extrême facilité à se payer de mots qui, pour un esprit sévère, ne sont pas des explications » [3]. Esprit sévère en effet, et profondément original comme inventeur d’une nouvelle instrumentation physiologique apte à saisir toutes les subtilités de la physiologie comme science du mouvement. Marey, dont certains aspects de l’œuvre ne manquent pas d’évoquer Léonard de Vinci pour l’analyse du mouvement animal, ou Harvey qu’il confirme pour les mouvements du cœur, illustre fort bien une remarque de l’historien de la médecine Henry Sigerist : le médecin de l’âge baroque « ne voit pas le muscle, mais sa contraction et l’effet qu’elle produit. Voilà comment naît
l’ anatomia animata , la physiologie. L’objet de cette dernière science est le mouvement. Elle ouvre les portes à l’illimité. Chaque problème physiologique conduit aux sources de la vie et permet des échappées sur l’infini » [4].

La passion de comprendre les conditions, mécanismes et allures des mouvements vitaux a saisi Marey. Sa thèse expose des recherches originales sur l’élasticité et la contractilité des vaisseaux. Le raisonnement du physicien s’exerce sur des modèles artificiels, des tubes élastiques dans lesquels il injecte un liquide d’une manière intermittente, imitant ainsi l’intermittence de l’afflux du sang dans la circulation. Il adjoint à ce système deux appareils de mesure, un manomètre qu’il construit lui-même pour donner les tensions moyennes et un sphygmographe, version amé- liorée de l’appareil construit par Karl Vierordt à Tübingen en Allemagne pour enregistrer le pouls. Le sphygmographe mesure la forme de l’ondée sanguine en des points plus ou moins éloignés. Trois manomètres et trois sphygmographes sont situés à des distances différentes sur le tube élastique, en vue, comme l’explique Marey, de « recueillir les indications graphiques du mouvement dans plusieurs points à la fois, et de manière à voir, du premier coup d’œil, ce qui pour chaque tracé correspond à un même instant » [5]. Le jeune Marey est dans la course, et même en tête de la course de la médecine européenne sur la circulation du sang, où des physiologistes comme Carl Ludwig, Alfred Wilhelm Volkmann, Karl Vierordt s’activent. Marey s’impose par son ingéniosité. Son problème, il l’a bien vu, n’est pas seulement de mesurer ou d’enregistrer, il est d’enregistrer sans troubler le phénomène. Il est donc de saisir les moindres pulsations de la vie, par le dialogue novateur et exemplairement mené de la physique et de la clinique. Marey comprend mieux le rôle actif de l’élasticité, propriété physique, dans la circulation. Il va encore mieux comprendre celui de la contractilité, propriété vitale qui aide à régler la circulation des vaisseaux — problème pour lequel il se prend lui-même comme sujet d’expériences diverses. La contractilité modifie l’élasticité sans lui faire perdre son rôle dans l’écoulement. Les découvertes de Claude Bernard sur l’action vasomotrice du système sympathique sont naturellement mises à profit. Marey ne cessera par la suite d’explorer par la mesure les divers phénomènes de la pression artérielle et d’identifier les procédés de mesure les plus pertinents. En 1878, il en fixera les règles, montrant la nécessité d’établir aussi bien le minimum que le maximum et laissant à ses collègues le soin de construire les appareils correspondants.

Marey produit bientôt une explication à la fois physique et anatomique du pouls dicrote, observé à l’hôpital Cochin dans le service de son maître Joseph-Simon Beau, qui a découvert que le dicrotisme ne s’observe pas dans les membres infé- rieurs. Esprit assuré et indépendant, au raisonnement le plus souvent impeccable, Marey dans sa thèse ne se montre pas toujours en plein accord avec les vues de Beau.

Il n’est pas non plus d’accord avec celles du Chef des travaux d’anatomie et de physiologie à l’École impériale vétérinaire de Lyon, Jean-Baptiste Auguste Chauveau, qui étudie le pouls artériel des chevaux. Face à d’autres critiques, vitalistes, Marey fait preuve d’une logique sans faille et d’une ironie mordante qui rappelle Louis Pasteur. En 1860, Marey présente à la Société de Biologie ses « Recherches sur
le pouls au moyen d’un appareil enregistreur, le sphygmographe », le dernier né d’une série d’instruments destinés à enregistrer le pouls. L’avant-dernier, celui de Vierordt ne donne que le nombre des pulsations, leur régularité et leur amplitude. Le sphygmographe de Marey, beaucoup plus léger et portable, établi sur un brassard à l’avant-bras, sensible et réglable quant à la pression exercée sur l’artère, ne donne pas seulement la forme variable du pouls, mais contient également des indications sur la tension artérielle, par la forme des pulsations comparée à la forme des pulsations révélées par le sphygmographe appliqué à un système artificiel de tube élastique soumis à des tensions données. La forme du pouls, conclut Marey, « est donc, en général, un moyen suffisant pour apprécier l’état de la tension artérielle » [6]. Marey reviendra plus tard sur l’utilisation directe, trop répandue, du sphygmographe pour mesurer la pression artérielle, utilisation erronée dans son principe. Pourtant le sphygmographe illustre à quel point le modèle physique et la recherche physiologique se répondent et s’éclairent mutuellement. La physiologie est une physique pénétrée de propriétés vitales dont, selon la philosophie positiviste qui est celle de Marey, on doit rechercher les conditions sans pénétrer les causes inaccessibles.

Comment saisir les mouvements vitaux si l’on n’en construit pas des équivalents mécaniques ? Tuyaux élastiques et sphygmographes le permettent.

Marey ne s’arrête pas en si bon chemin. Grâce à Chauveau, il passe de la circulation vasculaire à la motricité cardiaque. Les critiques faites à Chauveau dans la thèse de Marey ne vont pas empêcher que s’établisse entre les deux hommes, qui ont à peu près le même âge, une sympathie manifeste et une collaboration remarquable. Leur rencontre est favorisée par le physiologiste hollandais Frans Cornelius Donders qui voue une grande admiration au jeune Marey. La rencontre a lieu en 1859 à l’Ecole vétérinaire d’Alfort. Entre 1855 et 1857, Chauveau avait étudié les mouvements et bruits du cœur des chevaux. La méthode graphique de Marey va apporter à Chauveau de nouveaux instruments pour l’étude des mouvements du cœur. Les deux chercheurs se lancent donc dans une collaboration intense en cardiographie, dont témoignent une série de remarquables publications échelonnées entre 1861 et 1864, parmi lesquelles un important travail publié dans les « Mémoires de l’Acadé- mie Impériale de Médecine » en 1863 : « Appareils et expériences cardiographiques.

Démonstration nouvelle du mécanisme des mouvements du cœur par l’emploi des instruments enregistreurs à indications continues ». Chauveau et Marey décrivent le cardiographe, formé du couplage de sphygmographes enregistreurs des mouvements de l’oreillette, du ventricule et du choc du cœur. Ces trois sphygmographes sont réunis à un appareil enregistreur. Une innovation particulièrement importante est le cathétérisme, l’introduction dans l’oreillette et le ventricule droits, par la veine jugulaire, de sondes représentées par des ampoules de sphygmographes destinées à transmettre le mouvement, la troisième ampoule étant insérée dans la poitrine à l’endroit où le choc du cœur est le plus apparent [7]. Cet appareillage est utilisé sur le cheval. L’enregistrement simultané des trois ordres de mouvements sous la forme de tracés permet de résoudre d’importantes questions sur le cours temporel des mouvements cardiaques. La pulsation cardiaque correspond à la contraction ventricu-
laire, et non à la dilatation, comme le pensait Beau, pour qui le cœur bat quand il se relâche. La controverse qui s’ensuivit entre l’ancien maître et l’ancien élève occupa l’Académie de Médecine pendant environ une année, de 1863 à 1864. Chauveau et Marey se tenaient à l’écart des discussions, qui mettaient aux prises en particulier Beau et Bouillaud. Ces orateurs passionnés n’hésitaient pas à se lancer dans de violentes diatribes, aujourd’hui passées de mode dans les Académies. Jules Gavarret, qui avait présenté avec baucoup d’enthousiasme le mémoire de Chauveau et Marey dans la séance du 21 avril 1863, concluait la controverse le 12 juillet 1864. La cardiographie physiologique de Chauveau et Marey illustrait et complétait la théorie de Harvey des mouvements du cœur.

A partir de 1863, Marey, encouragé par le triomphe reçu avec son ami Chauveau, se met à construire des cœurs artificiels et des appareils circulatoires. Son ouvrage Physiologie médicale de la circulation du sang basée sur l’étude graphique des mouvements du cœur et du pouls artériel avec application aux maladies de l’appareil circulatoire , publié en 1863, se donne précisément pour but « l’étude des diverses formes du mouvement dans les fonctions de la vie » [8]. Ce serait, déclare Marey, « pour la médecine un infériorité réelle de ne pas profiter de ces découvertes », celles qui portent sur les appareils enregistreurs à indications continues [8]. Le mouvement « n’a plus de mystères pour le physicien » qui l’enregistre et l’analyse. Mais l’analyse ne suffit pas à établir la réalité des mécanismes physiologiques recherchés. Pour cela, la « contre-épreuve synthétique » est nécessaire, par la construction non plus d’appareils enregistreurs, mais producteurs. Marey construit donc un appareil imitant la disposition du cœur gauche, la contraction ventriculaire étant produite par un système pneumatique actionné à la main [8]. Cette « reproduction synthétique » de l’action du cœur est destinée à « nous faire comprendre la cause des signes extérieurs qui sur l’homme sain ou malade révèlent la circulation cardiaque ». De la sorte, on peut coupler la connaissance des phénomènes qui se passent dans le cœur avec celle de leurs signes extérieurs, et donc, par l’étude des signes, inférer l’accomplissement des fonctions à l’état normal et pathologique. Dans la construction de ces appareils, dans les variations et raffinements qu’il ne cesse d’y introduire, Marey déploie une extraordinaire virtuosité. Il maîtrise la physiologie comme en se jouant.

Comme le cœur gauche, la circulation artérielle est l’objet d’un superbe schéma [8].

Les bruits, souffles, rétrécissements n’ont plus de secrets. La physiologie et la pathologie sont expliquées par la simulation.

Impliqué dans bien d’autres recherches sur la motricité en général, dans le développement de la méthode graphique, plus tard de la chronophotographie appliquée à toutes sortes de problèmes, Marey ne cessera pourtant pas de compléter ses premiè- res études. La Méthode graphique dans les sciences expérimentales et pricipalement en physiologie et en médecine , somme inégalée de méthodes, de découvertes et d’applications publiée en 1878, expose également les travaux sur la circulation, le cœur et la pression artérielle. Son grand ouvrage, La circulation du sang à l’état physiologique et dans les maladies , publié en 1881, reprend et amplifie sa Physiologie médicale de la circulation du sang de 1863. Des modifications des appareils existants sont introdui-
tes, pour mieux reproduire la pulsation et les bruits du cœur. Le plus remarquable est sans doute l’invention d’un système artificiel de double circulation, destiné à « reproduire la forme de la pulsation du cœur et les variétés qu’elle présente, suivant l’état de la tension artérielle ou veineuse, suivant la force du cœur, l’amplitude de ses mouvements, l’état de ses orifices ou de ses valvules » [9]. « En construisant cet appareil après des tâtonnements sans nombre, je n’ai pas cédé à la puérile préoccupation de faire une sorte d’automate ; j’ai pensé que la connaissance de la circulation gagnerait en clarté par ce contrôle expérimental… Mon attente n’a pas été trompée » [9]. Ce n’est pourtant pas tout. Dans son ouvrage Le mouvement , publié en 1894,

Marey applique la chronophotographie aux mouvements du cœur, utilisant pour cela un cœur de tortue détaché de l’animal et placé en circulation artificielle ; « il s’établit une circulation énergique dont la durée varie de six à dix heures, et même davantage, suivant la saison » [10]. Les images ainsi obtenues, à la fréquence de dix par seconde, permettent de décrire chaque phase et de déduire sa durée. La méthode cardiographique était indirecte. La méthode chronophotographique est directe, mais malheureusement intermittente. Pour mieux voir, et selon un procédé déjà utilisé pour photographier le mouvement, Marey peint en blanc le cœur de tortue, ce qui lui permet, par un jeu de lumière et d’ombre, de mieux saisir les changements de forme des parties du cœur. Le dernier chapitre de l’ouvrage est consacré à la chronophotographie microscopique, c’est-à-dire à ce qui va devenir le microcinéma, qui aura de vastes applications en recherche médicale [10]. Physiologie, technique, art s’entremêlent. Un domaine quasiment illimité s’est ouvert, comme l’avait pressenti Henry Sigerist.

Marey vivait dans une époque de pionniers. Parmi les pionniers, il était à l’avantgarde et donnait prise aux controverses. Celle avec Beau sur les mouvements du cœur, qui eut lieu à l’Académie de médecine en 1863-64 ne fut pas la seule. En 1878, Colin ne ménage pas plus Marey et sa méthode graphique qu’il ne ménage Pasteur.

En 1883 et 1884, le saut de l’homme, le vol des oiseaux mettent aux prises Marey et Marc-Antoine Giraud-Teulon. Les études sur le vol des oiseaux mènent tout droit à l’aviation, par l’intermédiaire de l’oiseau artificiel, testé dans le laboratoire de Marey. On comprend que Marey ait été comparé à Léonard de Vinci. Leur inventivité commune, leur caractère visionnaire rapproche le scientifique, le technicien et l’artiste. Le graphisme de Marey a directement influencé certaines écoles futuristes de l’art moderne. On s’est souvent interrogé sur le mystère de la créativité de Marey.

Marey a développé au plus haut point la capacité d’analyse visuelle, spatiotemporelle, de l’homme. Scrutant le réel, il y a vu également le possible, et a compris leur étrange affinité. L’analyse, le développement du réel conduisent à la réalisation du possible. Analyser les mouvements du cœur mène au cœur artificiel. Analyser le vol des oiseaux mène à l’aviation. Marey fut à la fois un grand visuel et un visionnaire dont l’œuvre continue à nous parler.

REMERCIEMENTS

Je remercie le Professeur Jacques-Louis Binet, Secrétaire perpétuel de l’Académie nationale de médecine, pour son invitation. Je remercie également Madame Laurence Camous, Conservateur, et Madame Marie Davaine, de la Bibliothèque de l’Académie nationale de médecine, ainsi que Monsieur Guy Cobolet, Conservateur de la Bibliothè- que Interuniversitaire de médecine, pour leur aide.

BIBLIOGRAPHIE [1] FRANÇOIS-FRANCK Ch. A. —

Marey 1830-1904. Eloge prononcé à l’Académie de Médecine dans sa séance annuelle du 17 décembre 1912 par Ch.-A. François-Franck, Membre de l’Académie, Professeur au Collège de France (Paris, Masson) s.d., p. 1. Sur les travaux de Marey en cardiologie, cf. SNELLEN H. A. —

E.J. Marey and Cardiology : physiologist and pioneer of technology, 1830-1904 ; selected writings in facsimile with comments an summaries, a brief history of life and work, and a bibliography (Kooyker Scientific Publications, Rotterdam), 1980 ;

également

La méthode graphique et l’exploration cardiovasculaire : Etienne-Jules Marey (1830- 1904) , Huitième Congrès Européen de Cardiologie, Paris, juin 1980.

[2] FRANÇOIS-FRANCK CH. A. — op. cit., p. 44.

[3] MAREY E.J. — Thèse pour le doctorat en médecine présentée et soutenue le 4 mars 1859 (…)

Recherches sur la circulation du sang à l’état physiologique et dans les maladies (Paris, Rignoux,

Imprimeur de la Faculté de Médecine), 1859, p. 10.

[4] SIGERIST H. — Introduction à la médecine (Paris, Payot), 1932, p. 41.

[5] MAREY E.J. — op. cit., p. 30.

[6] MAREY E.J. — Recherches sur le pouls au moyen d’un appareil enregistreur le sphygmographe présenté à la Société de Biologie par le Docteur J. Marey (Paris, E. Thunot et Cie), 1860, p. 7.

[7] CHAUVEAU A. et MAREY E.J. — Appareils et expériences cardiographiques. Démonstration nouvelle du mécanisme des mouvements du cœur par l’emploi des instruments enregistreurs à indications continues, Mémoires de l’Académie de Médecine , 1863, 26 , 281-285.

[8] MAREY E.J. —

Physiologie médicale de la circulation du sang basée sur l’étude graphique des mouvements du cœur et du pouls artériel avec application aux maladies de l’appareil circulatoire (Paris, Adrien Delahaye), 1863, p. 11, 13, 42, 164.

[9] MAREY E.J. —

La circulation du sang à l’état physiologique et dans les maladies (Paris, Masson) 1881, p. 710, 712.

[10] MAREY E.J. — Le mouvement (Nïmes, Editions Jacqueline Chambon), 2002, p. 279, 292.

[11] MANNONI L. — Étienne Jules Marey, la mémoire de l’œil, Mazzota, la Cinémathèque française , 1999, p. 160-163 et p. 350-351.

DISCUSSION

M. Gabriel RICHET

La vocation de physiologiste du mouvement de Marey tient sans doute à son intérêt pour la mécanique. Il voulut être ingénieur et il a cédé à son père qui voulait qu’il étudie la médecine.

Alors que Ludwig, autre apôtre de l’inscription graphique, était aussi un « technique » mais il s’est orienté vers la fonction de différents organes, le rein entre autres. Pour Marey, ce fut le mouvement. A la fin de sa vie, il se consacra à construire l’Institut Marey qui, jusqu’à 1970, fut un temple de la physiologie, basée sur des techniques nouvelles, parfois originales.

Les premières publications de Marey montrent ses talents de physicien, alliés à la recherche de précision de la clinique médicale. C’est pour cette raison qu’il a pu devancer l’école allemande pionnière de l’instrumentation physiologique, et connue pour être particulièrement bien équipée. La tradition de physique biologique qu’il a fondée a été particulièrement illustrée par l’Institut Marey après la seconde guerre mondiale. Grâce à l’impulsion donnée par Alfred Fessard et Denise Albe-Fessard, l’Institut est devenu le plus important centre français pour la recherche neurophysiologique, ainsi que l’un des principaux centres mondiaux.

M. Roland ROSSET

Je voudrais apporter un petit complément à la communication de Claude Debru pour montrer combien l’innovation peut évoluer lentement. 1863 : « Expérience » de A. Chauveau et J.E. Marey sur le cathétérisme du cœur de cheval. Silence médical ! 1929 : Werner Forssmann, médecin allemand, introduit dans sa propre veine, au niveau du coud, un cathéter urétral qu’il fait progresser jusqu’au cœur. Il fait une radiographie. Ignorance de son entourage et plaisanteries ! Forssmann abandonne la médecine et s’établit bûcheron ! 1940 (vers) : deux médecins en Amérique, André Cournand et Dickson W. Richards découvrent le travail de Forssmann et le développent. 1956 : Le Nobel de médecine et physiologie est attribué aux deux américains et… au bûcheron Forssmann. Et depuis, voie ouverte à la cardiologie et à la chirurgie cardiaque moderne.

Je vous remercie vivement de ces précisions bien utiles. Cela montre à quel point la recherche en physiologie expérimentale sur l’animal restait à l’époque des pionniers comme Claude Bernard et Marey encore éloignée dans ses conséquences de la médecine.

Il est pourtant indéniable que l’instrumentation graphique de Marey a fait progresser la clinique.

M. Daniel LOISANCE

Il faudra attendre plusieurs années pour que les chirurgiens cardiaques prennent totalement la mesure de la contribution de Marey en chirurgie cardiaque : la « peur » du chirurgien de s’intéresser au cœur en est probablement la raison. Billroth n’avait-il pas dit « le chirurgien qui osera porter le bistouri dans un cœur devra être banni par ses pairs ». En fait, c’est Alexis

Carrel, chirurgien vasculaire, qui le premier montrera, chez l’animal, la faisabilité du cœur artificiel.

Merci pour ces précisions qui montrent, là encore, l’avance de Marey.

M. René MORNEX

Quelle était la vitesse de prise de vue ?

Les choses ont varié. Dans son ouvrage très complet [11] (Etienne-Jules Marey, La mémoire de l’œil, Mazzotta, Cinémathèque française, 1999, p. 160-163 et p. 350-351), Laurent Mannoni rappelle qu’en 1882 Marey était en possession d’un fusil chronophotographique qui pouvait prendre douze images par seconde, avec un temps d’exposition d’1/720° de seconde. En 1900, une nouvelle version de l’appareil permet des prises de vues au rythme de quinze à vingt par seconde. La question de la résolution temporelle est extrêmement importante, et je remercie M. Mornex de la poser. Depuis les années 1850, des dispositifs électromécaniques permettaient aux physiologistes (aux psychophysiologistes, essentiellement) de décrire des phénomènes à l’échelle de la milliseconde.

Bull. Acad. Natle Méd., 2004, 188, no 8, 1413-1421, séance du 23 novembre 2004