Communication scientifique
Session of 20 mai 2008

Enfants de mères toxicomanes : les aléas de la substitution

MOTS-CLÉS : buprénorphine. comportement de dépendance. nouveau-né. syndrome de sevrage
Infants of drug-addicted mothers : pitfalls of replacement therapy
KEY-WORDS : behavior, addictive. buprenorphine. infant, newborn. substance withdrawal syndrome

Paul Vert, Isabelle Hamon, Claire Hubert, Michel Legagneur, Jean-Michel Hascoet

Résumé

Les toxicomanies maternelles aux stupéfiants sont cause d’une importante pathologie périnatale qui peut obérer l’avenir des enfants, déjà in utéro, puis à la naissance et dans leur développement ultérieur. Elles peuvent concerner au moins 1 % des naissances en France et jusqu’à plus de 10 % aux Etats-Unis. Le contexte médico-social et psychologique rend la prise en charge de ces mères particulièrement difficile. La substitution de l’héroïne par de la buprénorphine a montré ses avantages tant pour stabiliser les patientes que pour prévenir, en partie, les conséquences fœtales ou néonatales. Si de multiples publications font état d’une réduction de l’incidence du syndrome de sevrage chez les nouveau-nés de mères bénéficiant de cette substitution, il y a peu de données pharmacologiques. Dans l’étude prospective présentée, vingt nouveau-nés de mère héroïnomane substituée ont été observés dans les premiers jours de vie avec dosages du taux plasmatique de buprénorphine chez la mère et chez l’enfant. Le rapport taux maternel/taux fœtal est à la naissance de l’ordre de 0,45. L’analyse des résultats montre que les taux de buprénorphine sont, à la naissance, comparables chez les enfants, qu’ils aient présenté ou non un syndrome de sevrage. Chez ceux qui sont asymptomatiques, les taux se négativent en quarante-huit heures. Chez ceux qui ont des signes cliniques, les taux augmentent de plus de 100 % entre la naissance et 48 heures. En l’absence d’allaitement maternel, il ne peut s’agir que d’un relargage de buprénorphine très liposoluble dans les tissus. Le paradoxe de taux plus élevés chez les enfants symptomatiques pourrait s’expliquer par un polymorphisme génétique du métabolisme des xenobiotiques. L’hypothèse d’interactions chez des mères polyintoxiquées (en particulier par le tabac) peut être évoquée. On peut conclure que si le dosage du taux de buprénorphine plasmatique sur sang du cordon permet de vérifier la réalité du traitement proposé aux mères, il ne permet pas d’anticiper l’apparition d’un syndrome de sevrage. Seule l’observation clinique permet de distinguer avec certitude les enfants qui nécessitent un traitement substitutif transitoire. Un contrôle sanguin à quarante-huit heures de vie avec comparaison au taux du cordon permettrait, peut être, de définir des enfants à bas risque pouvant rester auprès de leur mère en maternité, de ceux à haut risque nécessitant une hospitalisation. Cette hypothèse devra être validée, mais quels que soient le traitement et l’accompagnement des mères toxicomanes, il s’agit de naissances à risque qu’il convient de prendre en charge dans des maternités disposant d’un service de néonatologie performant.

Summary

Maternal drug addiction can cause problems for the fetus and the newborn, and hamper long-term development. The prevalence of drug addiction during pregnancy varies from 1 % to more than 10 % depending on the country and the maternity unit. Management of these mothers can be further complicated by medical, social and psychological problems. Compared to methadone, heroin replacement therapy with buprenorphine provides better stabilization of the mother and causes fewer withdrawal symptoms in the newborn. Despite numerous publications on the effects of this partly preventive medication, data on buprenorphine pharmacology at birth are scarce. In this study, 20 newborns of mothers using oral buprenorphine were observed until the end of the withdrawal syndrome, when present. Buprenorphine plasma levels were determined with HPLC and mass spectrometry in the mother at delivery and in the newborn at birth (cord blood),| 24 and 48 hours. Fifteen newborns were born at term (mean fi SD birth weight 3029 fi 273 g), and the other five between 32 and 36 weeks. All Apgar scores were ≥ 7. Withdrawal symptoms were observed in 8 of the 15 infants born to mothers taking buprenorphine alone, and lasted between 5 and 35 days. The newborns were classified in three groups. Groups I (N8) and II (N7) comprised newborns with and without withdrawal symptoms, respectively. In group III (N5), the mothers were polyintoxicated (as shown by urinary drug or neurotropic substance screening) and the newborns were symptomatic for 1 to 69 days. Buprenorphine plasma levels in the mothers ranged from 0 to 2.9 μ g/L, suggesting large differences in adherence. At birth there was no significant difference in the mean plasma buprenorphine level between newborns with and without withdrawal symptoms ; the respective values were 0.7 (0.4-1.3) and 0.5 (0-0.6) μ g/L. In asymptomatic newborns (group II), buprenorphine was no longer detectable at 48 h, whereas in symptomatic newborns (group I), the mean level rose from 0.7 μ g/l at birth to 1.5 μ g/L at 48 h (+114 %). In the absence of breastfeeding, this increase appears to be related to tissue release of this strongly lipophilic compound. The difference in plasma buprenorphine kinetics between groups I and II might be explained by genetic polymorphism of drug-metabolizing enzymes. The paradoxically high plasma buprenorphine levels at 48 hours in infants with withdrawal symptoms are intriguing. One possibility is that the mothers missed one or several doses of buprenorphine around the time of delivery, in the same way that smoking mothers tend to cut down during the last days of their pregnancy. If buprenorphine plasma levels at birth appear to reflect maternal adherence, cord blood levels do not predict the risk of a withdrawal syndrome. In contrast, the level at 48 h might help to discriminate between high- and low-risk newborns. Pregnant women on opiate replacement therapy must be delivered in maternity units with adequate neonatal facilities. Les toxicomanies maternelles sont responsables d’une importante pathologie périnatale qui peut souvent obérer l’avenir des enfants tant à la naissance que dans leur développement ultérieur. Une très abondante littérature faite d’études épidémiologiques, de recherches physiopathologiques, cliniques et thérapeutiques tend à situer la nature des problèmes médicaux et sociaux dans le domaine de la santé publique. Si de nombreux points communs permettent de décrire un ensemble de phénomènes liés à l’intoxication maternelle par des stupéfiants, des différences apparaissent selon la nature des toxiques. Pour tenter de minimiser les risques encourus tant par les mères, qu’il est impossible de sevrer de façon rapide et efficace en cours de grossesse, que par l’enfant à naître, des traitements de substitution sont proposés aux mères héroïnomanes soit par de la méthadone [1] soit, plus récemment, par de la bupré- norphine haute dose ou Subutex® [2]. Ce dernier dérivé, introduit en France en 1996, est un agoniste partiel- antagoniste des récepteurs μ et antagoniste partiel des récepteurs Κ. Il est réputé donner de meilleurs résultats que la méthadone, en particulier moins de syndromes de sevrage [3-5] Le Subutex® a été inscrit à la pharmacopée et mis à disposition des médecins généralistes pour essayer de pallier les insuffisances médico-sociales du traitement par méthadone. En effet, le fait que ce dernier soit dispensé uniquement dans des centres agréés s’est révélé un obstacle à la prise en charge de nombreux patients. La psychologie des patients toxicomanes les rend souvent réfractaires à l’idée de devoir passer par un centre structuré trop rigide dans ses modalités de prise en charge. Ces patients se sont retrouvés, de fait, exclus de toute prise en charge médico-sociale. Or, celle-ci est au moins aussi importante que le traitement médicamenteux [6]. En effet, si le développement anténatal des enfants de mères toxicomanes peut être différemment affecté selon le type d’intoxication, avec des risques de mort in utero augmentés et un taux de prématurité atteignant jusqu’à 34 % des grossesses, une prise en charge médico-psychosociale adaptée peut ramener ce taux à 12 % voire 9 % pour des mères bien accompagnées [6, 7]. Dans les heures qui suivent la naissance, un ensemble de troubles non spécifiques liés à la prématurité et à l’hypotrophie éventuelle peuvent se manifester : détresse respiratoire ou hypoglycémie par exemple. Le syndrome de sevrage, ou d’abstinence, consécutif à l’intoxication suivie de la privation peut n’apparaître qu’au bout de quelques jours. C’est un tableau à dominante neurologique : agitation, pleurs, myoclonies pouvant aller jusqu’à des convulsions, sudations, tachypnées, tachycardies, difficultés de succion et de déglutition, vomissements pouvant conduire à la déshydratation [8, 9] Indépendamment de la prise en charge des anomalies de l’adaptation néonatale des enfants prématurés ou hypotrophes, le syndrome de sevrage suppose la mise en œuvre d’un traitement médicamenteux guidé par différents scores, de Finnegan ou de Lipsitz [10], et impose une hospitalisation. Celle-ci entraîne une séparation qui est une gêne à l’établissement des liens mèreenfant, pourtant essentiels dans cette situation précaire. Dans une période où la sortie précoce de maternité est en passe de devenir la règle, la recherche des situations à bas risque médical est un enjeu de santé publique [11]. Le risque pour ces enfants est soit d’être hospitalisés inutilement, soit d’être autorisés à sortir avec leur mère avant qu’un syndrome de sevrage ne se manifeste, mettant alors en jeu le pronostic vital. Le Subutex® est apparu comme une solution possible et a commencé à être prescrit alors même que ses effets sur l’enfant à naître étaient inconnus. De plus, lorsqu’un nouveau-né présente des troubles qui évoquent un syndrome de sevrage, la notion et le type d’intoxication maternelle ne sont pas toujours connus. L’interrogatoire des mamans, potentiellement toxicomanes, est toujours sujet à caution. La polyintoxication est fréquente, rendant difficile l’évaluation précise d’une drogue ou d’un traitement substitutif particulier. Une aide pratique au diagnostic peut être apportée par la recherche de substances toxiques dans les urines de la mère et de l’enfant, ainsi que dans les cheveux voire le méconium. Dans ce travail, nous exposerons les difficultés rencontrées en médecine néonatale à partir d’une étude clinique et pharmacologique d’une série d’enfants de mères substituées par du Subutex®. L’objectif principal de cette étude était d’évaluer les effets de ce traitement sur les nouveau-nés dans les jours suivant la naissance, en l’absence de données pharmacologiques antérieures.

Malades et méthodes

L’étude a concerné toute patiente toxicomane substituée par du Subutex® durant sa grossesse et jusqu’au terme de celle-ci, déclarant avoir arrêté toute prise de toxique, et accouchant à la Maternité Régionale Universitaire Adolphe Pinard de Nancy sur une période de trente mois. Cette recherche a été approuvée par le Comité d’éthique de l’Etablissement.

Après recueil du consentement maternel, un interrogatoire standardisé permettait de recueillir l’historique de la toxicomanie et de la substitution. Un recueil standardisé des caractéristiques médicales et obstétricales était réalisé. Un dépistage urinaire systématique à la recherche de stupéfiants et de médicaments psychotropes était effectué en salle de naissance. Lors de la pose de la voie veineuse précédant l’accouchement, un prélèvement sanguin était réalisé pour dosage de la buprénorphine et de son métabolite la norbuprenorphine, par chromatographie liquide couplée à la spectrographie de masse (laboratoire de toxicologie, Institut de médecine légale, Professeur Ludes, Strasbourg).

Chez l’enfant, un premier prélèvement était réalisé sur sang veineux du cordon ombilical pour dosage de la buprénorphine et norbuprénorphine. L’observation clinique de l’enfant comportant un score de Finnegan toutes les six heures depuis la naissance jusqu’au cinquième jour de vie postnatale, et au-delà en cas de syndrome de sevrage, était ensuite entreprise. Un prélèvement sanguin pour dosage de la buprénorphine plasmatique et de son métabolite était renouvelé chez l’enfant à vingt-quatre et quarante-huit heures de vie.

 

Résultats

Dix-neuf mères et vingt enfants (un couple de jumeaux) ont été inclus dans l’étude.

L’âge des mamans était de 24,6 fi 3,3 ans (moyennefi1 déviation standard). Cinq étaient primigestes, neuf femmes étaient à leur deuxième grossesse, une était à sa quatrième et une à sa sixième grossesse. L’information n’était pas disponible pour trois d’entre elles. Douze femmes vivaient en concubinage, deux étaient mariées, trois vivaient seules et l’information n’était pas disponible pour deux d’entre elles.

Neuf mères étaient sans emploi, quatre avaient un travail et six ont préféré ne pas répondre à la question. Neuf avaient un logement autonome, trois vivaient en foyer et l’information n’était pas disponible pour sept d’entre elles. Toutes les femmes reconnaissaient une intoxication tabagique de cinq cigarettes à deux paquets par jour, toutes avaient une toxicomanie à l’héroïne datant de deux à dix ans. Huit reconnaissaient une polyintoxication. Le traitement par Subutex® était déclaré avoir été débuté de un à vingt et un mois avant la grossesse, la posologie était de 3 à 8 mg par jour.

Treize nouveau-nés étaient des garçons. Quinze étaient nés à terme, eutrophiques (poids de naissance moyen : 3 029 fi 273g) ; les cinq prématurés étaient nés entre trente-deux et trente-six semaines. Les scores d’Apgar étaient égaux ou supérieurs à sept. Aucun enfant n’a pu être allaité, toutes les mères étant séropositives pour les hépatites B ou C et n’ayant pas souhaité allaiter.

Lors de l’analyse, les nouveau-nés ont été répartis en trois groupes en fonction de leur comportement et des résultats de la recherche de drogues illicites dans les urines de leur maman :

Groupe I (huit dont un prématuré) : mères ne prenant que de la buprénorphine, et nouveau-nés présentant un syndrome de sevrage ayant duré de cinq à trente-cinq jours (moyenne 16,1).

Groupe II (sept dont trois prématurés) : mères ne prenant que de la buprénorphine, absence de syndrome de sevrage chez les enfants.

Groupe III (cinq dont un prématuré) : mères prenant du Subutex et/ou des drogues illicites, enfants présentant un syndrome de sevrage durant un à soixante-cinq jours.

Les résultats des dosages de buprénorphine sont présentés dans le tableau. La comparaison des groupes I et II montre qu’il n’y avait pas de différence significative entre les taux moyens au cordon, que les enfants aient présenté, ou non, un syndrome de sevrage : 1,6 et 1,1 μg/l respectivement. Les rapports de taux sanguins mère/enfant, témoins du passage placentaire, étaient respectivement de 0,43 et 0,45.

Chez les enfants n’ayant présenté aucun symptôme anormal le taux de buprénorphine a baissé rapidement pour devenir indétectable à J2. Par contre les nouveaunés symptomatiques ont eu une augmentation paradoxale de leur taux sanguins moyens de 85 % à J1 et de 114 % à J2.

 

Tableau — taux moyens de buprénorphine et norbuprénorphine chez les mères et les nouveau-nés en μg/l (min-max) et durée du traitement en jours.

Gr

Mères

Sang du

J1

J2

Traitement cordon

Moyennes (min-max) — μ g/l n

Durée moyenne (jours)

I 1,6 (0,5-2,9) 0,7 (0,4-1,3) 1,3 (0,4-2,5) 1,5 (0-4,4) 7/8 16,1 (5-35) II 1,1 (0-2,3) 0,5 (0-1,6) 0,2 (0-1,0) 0 0/7

III 0,6 (0-1,8) 0,1 (0-0,5) 0,1 (0-0,5) 0 5/5 20,0 (1-69) Chez les enfants de mère ne prenant que de la buprénorphine et présentant un syndrome de sevrage, les symptômes sont apparus au deuxième jour après la naissance (J2) et ont été corrigés par du chlorhydrate de morphine per os à la dose de 0,5 mg/kg/jour pour une durée de cinq à trente-cinq jours.

Chez les enfants de mères poly-intoxiquées et symptomatiques, le taux initial moyen de buprénorphine était faible 0,1 μg/l, il est devenu indétectable à J2, d’autres substances doivent donc être incriminées. Chez ces mamans, le dépistage urinaire a permis de retrouver héroïne, cocaïne, cannabis, benzodiazépines, LSD, barbituriques, antidépresseurs, aspirine et paracétamol.

Discussion

Les taux sanguins de buprénorphine et norbuprénorphine des enfants à la naissance confirment le passage placentaire avec des valeurs chez le fœtus proches de la moitié de celles de la mère, quelle que soit leur évolution ultérieure.

Le fait que la moitié seulement des enfants de mère ayant reçu exclusivement de la buprenorphine présentent un syndrome de sevrage est retrouvé dans d’autres études [2-8] et n’a pas d’explication certaine. Les contrôles urinaires éliminent l’hypothèse de troubles liés au sevrage d’autres toxiques, hypothèse souvent évoquée dans les autres études. Une hypothèse serait que les enfants asymptomatiques bénéficient d’une régulation négative des récepteurs μ. Cet effet de la buprénorphine a été montré chez l’animal nouveau-né et serait caractéristique d’une plasticité des récepteurs propre à ce stade de développement [12]. L’évolution des taux sanguins de buprénorphine montre que la clairance est significativement plus rapide chez les enfants asymptomatiques. Ceci pourrait être lié au polymorphisme génétique des enzymes du métabolisme des xénobiotiques caractérisant les métaboliseurs lents ou rapides [13, 14]. Cette propriété pourrait, peut-être, permettre de définir une population d’enfants à bas risque de syndrome de sevrage. Une étude de Barrett chez des nouveau-nés prématurés (27 à 32 semaines d’aménorrhée) recevant de la buprenorphine à titre antalgique a montré une demi-vie de 20 fi 8h [15]. Mais les conditions sont, là, très différentes d’une exposition chronique in utéro.

En l’absence d’allaitement maternel, l’augmentation des taux sanguins entre la naissance et quarante-huit heures chez les enfants symptomatiques pourrait s’expliquer par un relargage tissulaire de la drogue très lipophile à grand volume de distribution (20 à 60 L/kg), ainsi qu’il a été constaté pour d’autres médicaments comme les anti-hypertenseurs bétabloquants (propanolol, betaxolol, acebutolol) ou l’alpha-tocopherol [16, 17]. Parmi les tissus à l’origine possible d’un relargage se situe le poumon dont le débit sanguin s’accroit considérablement à la naissance.

Il est paradoxal de constater que les enfants présentant un syndrome de sevrage au deuxième jour ont un taux de buprénorphine plus élevé que ceux qui sont asymptomatiques. Une hypothèse pourrait être que, in utéro, les taux aient pu, de façon chronique être beaucoup plus élevés et qu’ils aient baissé dans la période de l’accouchement, les mères ayant « manqué » une ou plusieurs doses comme on le voit chez les mères fumeuses qui réduisent leur consommation de tabac dans les derniers jours de la grossesse. Toutefois, si cette hypothèse peut être compatible avec l’évolution des taux sanguin, elle n’expliquerait pas pourquoi les enfants ayant une élimination rapide de la buprenorphine sont justement ceux qui ne font pas de syndrome de sevrage clinique.

Compte tenu du contexte psychologique et social, la prévalence de la toxicomanie en cours de grossesse n’est pas connue. A la Maternité Régionale Adolphe Pinard de Nancy, membre du Groupe d’Etudes Grossesse et Addictions (GEGA), les toxicomanies avérées représentent en 2007 environ un pour cent des naissances. Si cette proportion était transposable à l’ensemble des naissances en France, ce serait 8 000 nouveau-nés concernés chaque année. Aux Etats-Unis, cette proportion peut atteindre plus de 10 % dans certains centres [6].

La mère toxicomane réunit, à des degrés divers, toute une série de facteurs de risques : marginalité, insécurité, dépendance sociale, carences nutritionnelles, infections virales comme les hépatites B ou C, le cytomégalovirus et le VIH, une polyintoxication où le tabac et l’alcool s’associent souvent à divers stupéfiants voire à des benzodiazépines et des antidépresseurs [18, 19]. Dans ces conditions, le suivi des grossesses et les mesures préventives sont aléatoires.

Les mères de l’étude pharmaco-clinique étaient supposées recevoir des doses équivalentes de buprénorphine sublinguale. Les dosages sanguins à la naissance montrent une grande dispersion des taux, de 0 à 2,9 μg/l, objectivant l’inégalité de l’observance du traitement et peut-être du métabolisme. Les cinq mères polyintoxiquées avaient des taux en moyenne plus bas que celles ne prenant que de la buprénorphine, l’une d’entre elle a reconnu revendre son médicament de substitution pour s’acheter de la drogue. La grande précarité sociale, l’instabilité psychologique des mères rendent l’approche, la situation médicale particulièrement difficile.

Bien qu’ayant accepté volontiers la participation à l’étude, on est confronté à de nombreux manques de réponses en particuliers au sujet du logement, du travail.

Dans tous les cas de vie en couple, le compagnon était également toxicomane.

En conclusion de cette étude, on peut constater que le comportement des nouveaunés de mères toxicomanes, substituées et au suivi médical incertain, est imprévisible.

Sans méconnaître les avantages du traitement substitutif, l’état d’une moitié des nouveau-nés ne diffère pas complètement de celui dont la mère consomme de l’héroïne. Les dosages pharmacologiques à la naissance ne permettent pas de discriminer les enfants qui présenteront, ou non, un syndrome de sevrage. L’observation clinique durant plusieurs jours demeure la seule façon de savoir quels sont ceux qui nécessitent un traitement substitutif. Toutefois un dosage de buprénorphine à quarante-huit heures pourrait orienter le choix du lieu et de la durée d’hospitalisation. Il s’agit de nouveau-nés à risque qu’il convient de prendre en charge dans des maternités disposant d’un service de néonatologie performant.

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[20] Addendum : depuis la rédaction de cet article citons la publication : Hytinantti T., Kahila H., Renlund M., et al. — Néonatal outcome of 58 infants exposed to maternal buprenorphine in utero. Acta Paediatr., 2008, 97, 1040-1044.

DISCUSSION

M. Christian NEZELOF

Quel rôle peut jouer la grand-mère comme substitut maternel ?

Il est exact que beaucoup de mères marginales sont, à l’occasion d’une naissance, aidées par leur famille mais cela ne constitue qu’un palliatif temporaire, sinon l’enfant peut devenir l’enjeu d’un conflit de génération dans la famille, avec des conséquences psychologiques néfastes.

M. Bernard HILLEMAND

Les hypotrophies de ces enfants coexistent-elles parfois avec de grands syndromes malformatifs comme le syndrome ‘‘ d’alcoolisme fœtal ’’ de Lemoine ?

L’alcoolisme est souvent associé aux addictions. Sans rencontrer fréquemment le syndrome dans son expression majeure, il est certain que l’alcool peut être une des causes de l’hypotrophie et en particulier de réduction du périmètre crânien sinon de microcéphalie.

 

<p>* Membre correspondant de l’Académie nationale de médecine Maternité Régionale A.Pinard-Nancy- Université de Nancy — 10 rue du Docteur HeydenreichCS 74213-54042 Nancy Cédex Tirés à part : Professeur Paul Vert, même adresse Article reçu et accepté le 19 mai 2008</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2008, 192, no 5, 961-970, séance du 20 mai 2008