Published 1 October 2002
Éloge

Jean NATALI

Discours

Éloge d’André SICARD (1904-2002)

Jean NATALI

Le 18 décembre dernier, notre Doyen par l’âge : il venait d’avoir 97 ans, et aussi par son appartenance à l’Académie : il y avait été élu 38 ans auparavant, assista à l’ensemble de la séance solennelle, puis il se rendit ensuite au salon Lhermite et pendant plus de deux heures conversa avec ceux qui se trouvaient là. Tous, nous fûmes frappés par sa vivacité d’esprit, sa mémoire sans faille que son grand âge n’avait nullement entamée.

Quelques jours plus tard, Monsieur André Sicard reçut chez lui sa famille qui représentait en sa fin de vie avec l’Académie sa préoccupation essentielle. Ce fut une belle fête où il sut trouver pour chacun de ses trois enfants, de ses onze petits-enfants et de ses quatre arrière-petits-enfants les paroles qui les émerveillèrent et leur firent ressentir la chance d’avoir un tel aïeul.

Quelques jours après, sa santé brusquement se détériora, mais la Providence lui épargnera la déchéance intellectuelle et physique qui touche si souvent les personnes âgées et après une brève hospitalisation, c’est en pleine lucidité que le 25 janvier 2002, il s’éteindra.

Le jeudi 31 janvier, par une matinée radieuse, seront célébrées ses obsèques dans la chapelle du Val-de-Grâce où ne résonneront que les chants de la chorale sans qu’aucun discours ne vienne troubler le recueillement d’une assistance au cœur serré ; sur son cercueil, on pouvait voir l’étoffe rouge du fanion du corps de cavalerie dont il fut le chirurgien durant la guerre 39-40.

Il y a déjà un certain nombre d’années, Monsieur Sicard avait déposé auprès du Secrétaire Perpétuel des feuillets manuscrits à l’intention de celui qui aurait « la charge », c’était son expression, de prononcer son éloge et vous comprendrez, je pense, l’émotion de celui qu’il avait désigné pour cet insigne honneur.

André Octave Adrien Sicard était né à Paris le 1er décembre 1904. Son père n’était pas parisien, mais provençal, plus précisément originaire d’une charmante petite ville, La Cadière d’Azur, fichée sur un piton au milieu des vignes à quelques kilomètres de Bandol et de Cassis. Je l’ai visitée il y a quelques mois, guère différente de ce qu’elle était lorsque Jean, le père d’André, y naquit en 1872 dans une famille d’artisans et de vignerons. Jean fait de brillantes études, passe son baccalauréat à 17 ans, et bien qu’orphelin de bonne heure, ayant à compter avec les soucis de ressources limitées, il décide de faire sa médecine à Marseille, alors siège d’une simple école de médecine. Il se présente à l’externat et heureusement pour nous et tant pis pour les marseillais, il est recalé. Cet homme d’une belle trempe familiale réagit, il décide de « monter » à Paris où sa valeur est bien vite reconnue, il est reçu à son premier concours d’externat mais aussi dixième à son premier concours d’internat en 1895 à 23 ans, dans une promotion dont le major est Bernard Cuneo, mais qui compte aussi Edouard Rist, Louis Ombredanne, Alexandre Lesné. Il fonde alors une famille et épouse la petite-fille d’Octave Gréard. Ce vice-recteur de l’Université de Paris, rénovateur de la Sorbonne, eut le grand mérite, après qu’on eût décidé en 1880 de permettre l’accès de l’enseignement secondaire public, d’où elles étaient jusque là exclues, aux jeunes filles, de créer à Paris l’Ecole Normale Supé- rieure de jeunes filles et d’ouvrir entre 1883 et 1895 les lycées Fénelon, Racine, Molière, Lamartine, Victor Hugo. Sa pensée était de faire de nos jeunes filles « non pas les égales, les similaires de leur futur époux, mais d’empêcher qu’elles ne fussent leur antagoniste, et ainsi d’ouvrir leur esprit sans altérer leur charme ». C’est à cette même époque, en 1886, que pour la première fois une femme interne, Augusta Klumpke-Edwards qui devait devenir Dejerine, est admise à se présenter à l’internat et est reçue.

Cet arrière-grand-père, qui devint Membre de l’Académie Française, devait disparaître l’année même, 1904, où naissait André Sicard qui ne manquait jamais une occasion de rappeler sa mémoire.

Dans sa leçon inaugurale en 1956, Monsieur Sicard a dit combien sa prime enfance fut heureuse à l’ombre des tours de Saint-Sulpice et de Saint-Germain des Prés avec ses deux frères et sa sœur alors que pouvait s’épanouir sans entraves son goût des choses de l’esprit et qu’il apprenait à connaître le devoir et le travail. A cette occasion, il eut la joie de pouvoir dire de vive voix à sa mère sa filiale reconnaissance, mais son père, qui était devenu médecin des hôpitaux de Paris, chef de service de neurologie, était mort en 1929 à l’âge de 57 ans alors qu’il avait déjà réalisé une œuvre scientifique remarquable et particulièrement originale comme l’exploration radio-lipiodolée du canal rachidien et de l’arbre trachéo-bronchique.

André a 10 ans lorsque la guerre de 1914 arrive, et quelques mois plus tard il est envoyé à Marseille où il commence ses études secondaires. Il a évoqué cette belle ville où sont nés les santons, que domine la colline de Notre Dame de la Garde et qu’illumine le spectacle du Vieux Port avec ses bateaux colorés et leurs mâts. Il comprit alors pourquoi son père, bien que Paris l’ait comblé, pensait toujours à sa province natale et combien il aimait revenir vers elle de ce pas indolent que donnent la rêverie et le bonheur. Il aimait à dire : « La Provence ne s’exporte pas, il faut aller à elle ».

C’est à cette époque qu’il comprit qu’il serait médecin. Peut-être cette photographie, prise de lui à l’âge de 11 ans, explique-t-elle cette vocation, sans qu’on puisse dire si elle serait médicale, il tape l’emplacement du tendon rotulien avec un marteau à réflexe ou chirurgicale avec les moulages anatomiques derrière lui.

Quoi qu’il en soit, revenu à Paris il passe brillamment son baccalauréat et commence ses études de médecine. En seconde année, il est reçu à l’externat. Sa première année se passe chez Fernand Widal, alors au faîte de sa gloire, qui enseignait la clinique au lit du malade selon un protocole spectaculaire. En deuxième année d’externat, c’est enfin la chirurgie. Il y retrouve la Provence avec Bernard Cuneo, son patron bien-aimé dont il devait devenir plus tard l’assistant, puis l’agrégé et passer douze ans à ses côtés. Il a décrit le regard de ses yeux bleus, les traits fins et réguliers de son visage qui le faisaient ressembler à un empereur romain, son intelligence vive, sa mémoire infaillible, un rare talent d’exposition, une grande habileté manuelle.

Le second semestre de sa deuxième année d’externat se passe chez Paul Lecène, mais malheureusement il ne pourra jamais être son interne puisque ce dernier décédait brutalement un an plus tard. André Sicard a évoqué sa stature imposante contrastant avec ses traits doux et bienveillants, alors qu’il trouvait le meilleur du repos dans les difficiles poèmes latins de la décadence et les chœurs sibyllins des grands tragiques grecs, le tout bien entendu lu dans le texte.

Son premier concours d’internat en 1925 arrive et il y est nommé, le plus jeune d’une promotion où on retrouve les noms de Marcel Ombredanne, Paul Funck-Brentano, Pierre Soulié, Alain Mouchet, Stanislas de Sèze, Paul Padovani.

A peine sorti de l’adolescence, il a 21 ans, il voit s’ouvrir devant lui la voie royale, et bien entendu il va être chirurgien. Mais auparavant, il doit faire son service militaire : 18 mois tout de même après lesquels vient le temps de ces années d’internat où il va découvrir, sans compter son temps ni sa peine, son métier de chirurgien, où il va partager de maître à disciple, de camarade à camarade, tant d’idées et d’émotions diverses, tant d’enseignements mutuels avec le suprême privilège d’être formé, non pas par un seul homme mais par plusieurs. Et quels hommes, qu’on en juge par la liste de ses maîtres d’internat :

— Pierre Descomps, le chirurgien anatomiste à la silhouette trapue, au caractère bouillant venu des plaines généreuses de la Garonne, — Marcel Deniker, cet extraordinaire chirurgien, ancien du Conservatoire, qui avait su conserver la jeunesse du corps, de l’esprit et du caractère, un chirurgien des hôpitaux qui savait marcher sur les mains, ce qui n’est pas si fréquent, — Louis Ombredanne, excellent dans sa consultation du jeudi où il tranquillisait d’un simple sourire l’enfant apeuré par de gauloises moustaches, — Maurice Robineau, avec sa longue silhouette de grand inquisiteur espagnol dont la jeunesse indécise et mouvementée lui avait fait prendre part à la guerre gréco-turque comme chirurgien des armées du Sultan, ce qui ne l’empêcha pas de devenir chirurgien des hôpitaux à 30 ans.

Avec Jean Sicard, Robineau constitua une équipe médicochirurgicale qui marquera le début de la neurochirurgie. Il fut en effet un des premiers, avec Thierry de Martel, à opérer les tumeurs de la moelle.

Il connut enfin Georges Lardennois qui avait une passion absolue pour la chirurgie et qui, du matin au soir, ne s’arrêtait jamais. Insatiable de travail et de science, il y ajoutait de magnifiques qualités de cœur. Ses opérés, du plus humble au plus opulent, lui restaient attachés par les liens de la reconnaissance et de l’admiration.

Comme je viens de le dire, la mort brutale de Paul Lecène le priva de la troisième année qu’il devait passer chez lui. André Sicard partagea cette année entre Charles Lenormant qui lui apparut aussitôt comme un grand seigneur de la chirurgie, riche en sens clinique et en érudition et Firmin Cadenat qui travaillait à son livre sur les voies d’abord des membres, dont l’actualité ne s’est jamais démentie.

Mais la quatrième année d’internat arrive, elle sera consacrée tout entière à Bernard Cuneo dont il avait été l’externe 7 ans auparavant. Il est maintenant un interne de 4e année, investi de la confiance du patron qui fait régner dans son service par l’égalité de son caractère, sa plaisante bonhomie, une atmosphère sereine qui facilite le travail intense. Ce fut sans doute la plus belle année de ma vie, m’a dit une fois Monsieur Sicard. C’est au cours de cette année qu’il se présente au concours de la Médaille d’Or qu’il remporte avec un mémoire consacré à la neurotomie rétro-gassérienne partielle dans le traitement de la névralgie faciale, un travail inspiré par Robineau.

Le privilège de l’année supplémentaire d’internat que confère cette distinction va lui permettre de rencontrer deux Maîtres éminents :

— le premier est Antonin Gosset qui avait édifié à La Salpêtrière un pavillon modèle. Il fut réellement impressionné par les talents d’organisateur de cet homme, par l’impression qu’il donnait d’une puissance énorme et bienfaisante ainsi que par ceux dont il savait s’entourer. Auprès de lui, œuvrait Daniel Petit Dutaillis où il retrouva la neurochirurgie à laquelle Robineau l’avait initié ;

— l’environnement du second était bien différent, c’étaient les vieilles baraques en bois sinistres et sordides de l’ancien hôpital Broussais, mais le nom du patron, Henri Mondor, était déjà célèbre et commençait à rayonner avec éclat. D’emblée il fut séduit, conquis par ce Patron qui lui enseigna « l’art de bien penser, bien dire, bien agir » et Monsieur Sicard fut certainement, jusqu’à sa mort, trente ans plus tard, son disciple le plus fidèle et, selon son expression, « il l’aima comme un père et fut traité par lui comme un fils ».

Pour qui se destinait aux concours de l’Assistance Publique, la Faculté avec ses concours d’adjuvat et de prosectorat était indispensable et André Sicard y fut l’élève de Henri Rouvière. Il en donna un portrait particulièrement réussi : « En quelques coups de craies multicolores, il faisait vivre une région anatomique. Il savait donner à cette science abstraite une allure de jeune dame gaie, pimpante vers laquelle l’étudiant se sentait sympathiquement attiré ».

Mais avant de clore la liste de ceux auxquels mon Maître devait sa formation, je dois mentionner le nom de Jean Senèque, son aîné de 10 ans, son grand frère, comme il le disait respectueusement, qui l’a guidé depuis le tout début de ses études de médecine jusqu’à la distinction la plus haute, de Professeur de clinique chirurgicale.

Originaire comme lui de la Provence, il l’appelait le Sourcier, celui qui sait découvrir les sources dans les sols les plus arides et fertiliser les plus belles régions de la chirurgie.

Pardonnez-moi d’avoir été sans doute trop long dans le rappel des Maîtres de Monsieur Sicard, mais dans les notes qu’il m’a laissées, il insistait de façon impé- rieuse sur ce devoir de reconnaissance et comme l’a dit récemment Jean Cambier, n’est-ce pas une des fonctions de notre Académie que d’être la mémoire de la Médecine ?

André Sicard a maintenant 30 ans, la diversité de son éducation chirurgicale ne lui impose pas une orientation bien précise : il n’y a guère que l’urologie qu’il n’aura jamais approchée et il se prépare avec fougue au Bureau Central, encouragé par ses patrons.

C’est en 1934 que celui que jusque là la Providence a guidé avec bonheur doit faire face à une épreuve personnelle redoutable. Voici les termes qu’il emploie : « Une grave atteinte pulmonaire tuberculeuse, liée sans doute à la préparation des concours et à un lourd travail hospitalier, m’oblige pour mon trentième anniversaire à quitter Paris avant de pouvoir me présenter au Bureau Central. Je tins à la dissimuler, inquiet de me voir écarté de la carrière universitaire à laquelle je me destinais. Je pus néanmoins passer le concours et eus la chance d’être nommé chirurgien des hôpitaux en juillet 1935. Je me suis alors trouvé enfermé dans mon secret ». Et Monsieur Sicard ajoute : « Ces faits n’ont jamais été révélés en dehors de ma proche famille. Je n’ai jamais voulu en faire état de mon vivant et j’en laisse le soin à celui qui voudra bien parler de moi après ma mort ».

Est-ce l’effet bienfaisant de sa nomination aux hôpitaux ? Les lésions évoluent favorablement et en cette même année, Monsieur Sicard fonde son foyer en épousant celle qui va être sa fidèle compagne pendant 58 ans.

Et il reprend son travail avec son pneumothorax comme si de rien n’était, les gardes hebdomadaires en tant que chirurgien des hôpitaux qui n’étaient pas de la plaisanterie puisque pendant 24 heures, on était appelé dans tous les hôpitaux de Paris, son poste de premier assistant chez Cuneo, et il garde toujours son secret en faisant ses périodes militaires, ce qui lui vaudra en 1937 d’être promu Médecin Capitaine de réserve. En 1939, il entre dans la carrière universitaire, il est promu agrégé.

Quelques mois plus tard, c’est le drame de la guerre 39-40. André Sicard part aux armées avec son pneumothorax qui, bien entendu, ne peut plus être entretenu mais qui lui assurera une guérison définitive. Il dirige l’ambulance chirurgicale 229 du Corps de Cavalerie qui est engagé dès le 10 mai 1940 en Belgique pour prendre contact avec l’ennemi. Le Médecin-général Jean des Cilleuls a raconté dans une monographie que m’a confiée notre confrère le Général Lefèbvre les exploits de ce corps motorisé d’élite qui se battit héroïquement à Gembloux pour retarder l’avance de l’ennemi. Mais les pertes sont élevées et Monsieur Sicard a rappelé dans une communication en novembre 1940 à l’Académie de Chirurgie, comment il fut appelé avec ses collègues Bompart de Paris et Trillat de Lyon à opérer sans discontinuer plusieurs centaines de blessés militaires essentiellement mais aussi civils, dans des conditions très difficiles.

Lors des mouvements de l’unité, un infirmier est tué à ses côtés et plusieurs infirmières non loin de lui. Lorsque vint le moment de la retraite, Monsieur Sicard n’abandonne pas ses blessés, il est fait prisonnier et continue à les soigner dans un hôpital de fortune à Avesnes, faisant démarches sur démarches auprès des autorités allemandes pour obtenir matériel et médicaments. Sa conduite lui vaudra ultérieurement l’attribution de la Légion d’Honneur à titre militaire. Il est libéré pendant l’été 40 et retrouve son service à l’Hôtel-Dieu auprès de Cuneo, puis d’Henri Mondor.

C’est là, tout jeune externe nommé au concours de l’externat de 1941 que je fus affecté à son service, salle Sainte-Marthe à l’Hôtel-Dieu, alors que son chef de clinique était Gabriel Laurence.

De simple aide opératoire, je devins rapidement anesthésiste par la volonté de Mademoiselle Masson qui devait demeurer sa panseuse-chef pendant 30 ans et qui nous initiait à manier le masque d’Ombredanne et l’anesthésie intraveineuse à l’Evipan. Soixante ans après, je n’ai rien oublié de nos premières rencontres. Frais et dispos après une matinée opératoire de quatre ou cinq interventions et non des moindres, sciatique, gastrectomie, hystérectomie, fracture de jambe, il savourait une citronnade que lui apportait sa panseuse. Ce jeune patron, à peine plus âgé que les internes du service, il avait 37 ans, dictait ses comptes rendus opératoires dans le bureau de la surveillante alors que nous l’entourions respectueusement. Il y ajoutait quelques brefs commentaires sur le déroulement des interventions, mais nous sentions que ce n’était pas le moment des questions, car chaque minute était comptée.

En revanche, lors de la visite hospitalière du lundi matin, où stagiaires et externes étaient invités à lire leur observation, l’interne à la compléter, le chef de clinique à y ajouter son commentaire, chaque cas qui en valait la peine était le sujet d’une courte leçon clinique et il en était de même au cours des consultations.

Dans mon inexpérience, j’avais déjà été frappé par les caractéristiques du comportement de mon Maître qui demeureront immuables durant toute sa carrière :

— il savait écouter chacun de ses patients avec bienveillance et compassion, ce qui lui valait une confiance immédiate de la part de celui qui souffrait, — le calme et l’absence de hâte durant ses visites, avec une ponctualité qu’il observera toute sa vie, — l’autorité naturelle qui émanait de sa personne n’avait nul besoin d’une voix de stentor pour s’affirmer, — l’extrême courtoisie, l’aménité de ses contacts frappaient tous ceux qui l’approchaient, mais quand il avait tout de même des raisons d’être mécontent, un observateur attentif aurait pu noter une certaine rougeur de la pommette qui témoignait d’un bouillonnement intérieur parfaitement maîtrisé ;

— le rôle très important que tenaient, déjà à cette époque, dans la marche du service, ses panseuses, ses infirmières, ses kinésithérapeutes, ses secrétaires. Il n’oubliait jamais de le rappeler, et 20 ans après la date de sa retraite, il les conviait toujours à une réunion annuelle chez lui.

Après l’Hôtel-Dieu, en 1942, Monsieur Sicard suit Henri Mondor à La Salpêtrière.

Il continue bien sûr ses activités chirurgicales, mais d’autres, d’un ordre bien différent, l’attendaient.

Tout d’abord, comme l’a rappelé un livre récent, il refusa de répondre aux questionnaires que les autorités d’alors soumises à celles qui occupaient notre pays lui adressaient. Puis, il a expliqué que, ne pouvant supporter l’humiliation de son pays, il s’engage dans un réseau de résistance : Libé-Nord, où son rôle consiste à soigner à La Salpêtrière, avec l’accord d’Henri Mondor et de sa surveillante, Madame Martin, des résistants poursuivis par la Gestapo ainsi que des aviateurs anglais et américains. Ils étaient ensuite confiés à un réseau d’évasion qui les conduisait pour la plupart en Espagne. A ce propos, il convient de signaler la part essentielle dans cette action de notre Secrétaire Perpétuel, engagé dans les Forces françaises libres, et de sa famille, en particulier de la mère de Louis Auquier, qui fut arrêtée par la Gestapo et emprisonnée à Fresnes pendant de longs mois. Cette action valut à Monsieur Sicard une médaille franco-britannique, outre la médaille de la Résistance.

Parmi ces réfractaires, se trouvaient des polonais résistants, d’où cette médaille de reconnaissance de la Pologne. En 1994, au cours d’un voyage à Varsovie, j’ai assisté à la belle ovation que lui firent ceux qui avaient survécu. En 1944, Monsieur Sicard prit une part importante dans les combats de la Libération dont l’Hôtel-Dieu était le centre.

La guerre enfin se termine et en 1946, l’Hôpital Beaujon occupé pendant quatre ans par l’armée allemande est remis en état. Cette année-là, Monsieur Sicard entame la première de ses trente années de chef de service. Ce furent des années d’intense activité chirurgicale où j’ai ressenti, a-t-il écrit, « les joies les plus profondes ». On a du mal à imaginer aujourd’hui ce qu’étaient ces services, plus de 200 lits quand il est arrivé à La Salpêtrière en 1961, mais Monsieur Sicard savait s’entourer de collaborateurs de différentes disciplines : chirurgie digestive avec Fernand Flabeau, chirurgie plastique et réparatrice avec notre confrère Claude Dufourmentel, chirurgie gynécologique avec Marcel Pariente, chirurgie orthopédique avec Jacques Duparc, Yves Gérard, Ghislain Lavarde, chirurgie vasculaire avec moi-même, sans oublier son dévoué chef de consultation Raoul Godet et ses anesthésistes Yves Sibaud et François Corde.

Autour d’eux gravitaient des internes qui devinrent ultérieurement des chefs d’école.

A chacun d’entre nous étaient attribués des lits ou des salles et le personnel médical pour les faire fonctionner. Une seule obligation, non écrite, mais que tous respectaient, la visite du lundi matin où chaque opération était discutée, et à l’issue de laquelle le programme opératoire de la semaine était écrit de la main même de Monsieur Sicard. J’ai pu apprécier, pendant les quinze ans où j’eus l’honneur d’être son premier assistant, combien la diversité de ce que nous voyions était une source d’enrichissement réciproque. Il nous laissait une certaine autonomie, mais rien ne lui échappait, et il rappela un jour ce propos de Paul Valery : « Qui doit faire de grandes choses, doit penser profondément aux détails ».

Pour nous tous, ses élèves, il était un exemple, mais ce n’était pas tout. Il savait encourager l’hésitant, aider le malhabile, féliciter le réalisateur heureux, faire sortir de l’ombre le timide.

Il ne connaissait pas la jalousie du maître envers ses élèves. Au contraire, leurs succès ont toujours représenté pour lui les joies les plus pures, mais par ailleurs leurs soucis sont devenus les siens. Combien d’entre nous ont été touchés par la délicatesse de son accueil, que nul ennui, nulle peine ne laissait insensible ou inefficace.

Et voici maintenant les phrases, que dans sa grande modestie, notre Maître a écrites :

‘‘ Je me suis toujours plu en la compagnie d’hommes jeunes qui, à mes côtés, écoutent, discutent et travaillent. Mon plus grand bonheur a été de trouver autour de moi une pléiade de précieux collaborateurs. Si quelque chose d’utile a été accompli, c’est à eux, à ceux d’hier et à ceux d’aujourd’hui, que je le dois. Ils n’ont cessé de me stimuler par leur jeune ardeur, de mettre en commun leurs idées. Ils ont su entretenir cet esprit de concorde, de loyauté et de dévouement que je respire au milieu d’eux et qui réjouit mon cœur.

Je me suis souvent demandé : qu’aurais-je fait sans eux ? L’isolement stérilise les meilleures volontés. Ils n’imaginent pas le plaisir que j’éprouve chaque matin à me réchauffer au feu de leurs jeunes enthousiasmes.

 

C’est dans les conversations de tous les jours, au lit des malades, dans les discussions qui s’engagent à propos d’un cas difficile ou d’une lésion inhabituelle que les idées se croisent. Combien en avons-nous remuées ensemble ? Les unes ont germé, les autres se sont évanouies sans laisser de trace.

Si j’ai pu orienter quelquefois leurs recherches dans telle direction qui m’intéressait, ils m’ont aussi souvent ouvert des perspectives sur beaucoup de problèmes par un constant échange de travail.

En regardant en arrière, je peux regretter de n’avoir pas fait plus, mais je peux affirmer que tout ce que j’ai fait, je l’ai fait avec mes élèves qui ont été ma joie et mon honneur.

La plupart d’entre eux, que ce soit mes chefs de clinique, mes internes, mes externes sont restés mes amis. Il en est bien peu à qui j’ai le droit de refuser ce titre. Je crois d’ailleurs qu’ils savent l’affection que j’ai pour eux et qu’ils me rendent si bien.

Beaucoup sont devenus chirurgiens des hôpitaux, agrégés ou professeurs de la Faculté (j’en ai compté trente-quatre à Paris), d’autres ont trouvé en province la consécration d’une brillante carrière. Tous ont été, avec leurs qualités et leurs défauts, leurs caractères différents, leur ardeur variable au travail, des collaborateurs dévoués. Aucun ne s’est effacé de mon souvenir.

Les amis et les élèves, c’est toute notre vie. Chacun pense avoir les meilleurs élèves.

Est-ce un péché d’orgueil ? Il prouve seulement que le titre de Patron est le plus beau que l’on puisse souhaiter, celui qui est sans doute le plus envié, celui qui aujourd’hui me comble de joie. » Mais à l’évidence, quand on prend connaissance de l’œuvre considérable de Monsieur Sicard qui embrasse pratiquement toutes les manifestations de l’activité chirurgicale, on est obligé de penser que son œuvre personnelle, même si elle a bénéficié de la pluridisciplinarité de son service, a été essentielle.

Il a écrit qu’il fut sans doute un des derniers chirurgiens dits « généraux » et que, élevé dans la chirurgie générale, il l’a d’abord longtemps pratiquée avant de s’orienter vers l’orthopédie et la traumatologie. Ainsi, fut-il considéré comme un chirurgien « ambigu », selon ses propres termes. Les chirurgiens généralistes ont tendance, disait-il, à me considérer comme un orthopédiste, quand aux orthopédistes, eux ils n’hésitent pas, je suis un généraliste. Et pourtant, quelle richesse, quelle originalité dans ses 600 publications, ses 8 ouvrages, ses 10 films chirurgicaux, et que dire d’une centaine de thèses inspirées. Cette œuvre défie l’analyse et Monsieur Sicard, dans sa grande sagesse, avait indiqué quels travaux lui tenaient particulièrement à cœur. Les voici :

La névralgie faciale avait été le sujet de sa thèse et de son mémoire de médaille d’or dans lesquels étaient réunis les résultats des neurotomies rétrogasseriennes faites par son Maître Robineau. Il n’a cessé de s’intéresser à cette mystérieuse affection dont il avait opéré personnellement 240 cas avec une mortalité de 3 %, chiffre faible si l’on veut bien tenir compte de l’âge souvent très avancé des malades.

La chirurgie du rachis qui concerne le plus grand nombre de ses publications a fait l’objet d’un livre dans la collection Henri Mondor, écrit en 1959, avec l’expérience de plus de trois mille opérations. Il y soulignait l’aspect nouveau que la radiographie, la biologie et la chirurgie avaient apporté à ce chapitre de la pathologie. Il y exprimait ses idées personnelles sur les voies d’abord du rachis qui devaient être antérieures avec l’utilisation d’os frais pour l’ostéosynthèse et non de vis ou de plaques et il appliquait ces principes au traitement des fractures du rachis. Il fut l’un des pionniers du traitement chirurgical des sciatiques dont il avait eu l’occasion d’opérer les premiers cas en France. Plus de 2 000 observations (qui devinrent le double à la fin de sa carrière) lui permettaient de préciser les indications, la technique et les résultats de ses interventions qui, obéissant à des modalités différentes, lui permettaient de guérir dans 85 % des cas des malades accablés par un syndrome douloureux, rebelle à toute thérapeutique. Dans ces interventions, il faisait preuve d’une virtuosité étonnante, mais il n’a jamais dit que la lenteur était une condition indispensable pour être un bon chirurgien.

Dans certains domaines, il a été véritablement un précurseur, comme le traitement hormonal des métastases osseuses du cancer du sein, mais plus encore dans la conservation des greffons osseux. Il a fondé dès 1951, avec les difficultés qu’on imagine, une banque d’os qui a fonctionné sans interruption jusqu’à sa retraite en 1976. Dans un livre rédigé avec Roger Mouly, il a exposé les résultats de travaux expérimentaux destinés à comparer les valeurs respectives des greffes autogènes fraîches et des greffes homogènes conservées dont le délai de fusion est beaucoup plus lent.

Récemment, j’ai relu ce livre écrit il y a demi-siècle, et pratiquement tout demeure valable. Y a-t-il beaucoup d’ouvrages dont on peut dire la même chose ? Et d’ailleurs la SOFCOT ne s’y est pas trompée quand en 1988, après le rapport d’Yves Gérard sur la conservation des greffons, l’assemblée a fait la même constatation et a nommé en 1991 Monsieur Sicard, membre d’honneur. Il était enfin consacré orthopédiste, à 89 ans.

L’aventure des frottis cervico-vaginaux est un exemple parfait de l’ouverture d’esprit, mais aussi de l’obstination dans l’action désintéressée qui caractérisait Monsieur Sicard.

Quand il présenta en 1950 un film de la méthode de Papanicolaou devant l’Acadé- mie de Chirurgie en indiquant la facilité des prélèvements avec l’absence de phénomène douloureux, leur possibilité de renouvellement ainsi que les différents aspects des cellules saines et pathologiques en gardant bien entendu toute sa place à la biopsie, ses collègues chirurgiens lui réservèrent un accueil glacial puis ils élevèrent les plus vives protestations devant une technique qu’ils pensaient entachée de beaucoup de possibilités d’erreurs. Ces protestations étaient si vives qu’elles ne furent pas publiées dans les Mémoires de l’Académie, mais Monsieur Sicard les avait notées et me les a communiquées. Et pourtant, il persévérera. Il fonde dans son service, avec plusieurs de ses collaborateurs, en particulier Colette Marsan, un laboratoire de cytologie, un des premiers d’Europe, il réussit à convaincre Jacques Delarue de la nécessité d’un enseignement de la cytologie qui sera repris quelques années plus tard par notre confrère si regretté, Louis Orcel. Il réalise des livres d’enseignement qui étendent le domaine de la cytologie à l’ensemble de la pathologie. Aux frottis s’ajoutent les prélèvements par ponction, geste relativement indolore et tout aussi fiable que les frottis. En 1963, il ouvre à La Salpêtrière une consultation de dépistage en masse des cancers du col utérin, avec quelques difficultés car l’Assistance Publique refuse d’en assurer la gratuité.

Ici même, l’intérêt de cette méthode est enfin reconnu, nos confrères Michel Verhaegue et Émile Aron en soulignent la valeur et actuellement en France, il y a environ 800 laboratoires de cytologie où 1 200 cytopathologistes effectuent 5 à 6 millions d’examens de frottis par an. Il n’est pas possible d’imaginer que sans Monsieur Sicard cette méthode ne se soit pas imposée en France, mais c’est tout de même lui qui, le premier, en a saisi tout l’intérêt.

Une autre aventure est celle de la traumatologie routière et je me souviens très bien qu’en 1956, il nous avait dit combien il avait été frappé par les hécatombes que la route engendrait : de l’ordre de 20 000 morts par an.

C’est à cette date qu’il envisagea le projet d’Assises de traumatologie routière, mais ce n’est qu’en 1959 que ce projet a été réalisé sous la dénomination « d’Assises nationales sur les accidents de la route » qui ont été présidées par le docteur Capette.

Après la création de la Société Française de Médecine du Trafic en 1961, le titre deviendra « Assises nationales sur les accidents et le trafic ». Ces assises, organisées avec Jean de Kearney, se sont tenues chaque année d’abord à Paris jusqu’en 1977 et, à partir de 1978, tantôt en province, tantôt à Paris, les XIXe s’étant tenues à Nice.

En 1983, sous la présidence de notre confrère Philippe Vichard, le titre est devenu « Assises Nationales de Médecine du Trafic », titre qui a prévalu depuis, alors que la société reste animée par notre collègue René Claude Touzard, avec notre confrère Maurice Cara qui en dirige le Comité scientifique.

Il fut l’un des promoteurs de la limitation de vitesse : mesure ô combien impopulaire, mais il n’en eut cure, il démontra les effets pervers de l’alcool au volant, isolé ou associé à certains médicaments ou à certaines drogues, il obtint enfin le décret imposant l’obligation légale de la ceinture de protection (il ne voulait pas l’appeler de sécurité). Il faut lire le sommaire de toutes ces réunions pour se rendre compte qu’aucun des aspects de la traumatologie engendrée par les véhicules n’est omis.

Mais cette activité ne fut pas vaine. En 1972, avec un parc automobile qui n’était que la moitié de celui d’aujourd’hui, le nombre des tués sur la route était de 16 000 dans l’année ; le chiffre de 2001, 7 720 est encore inacceptable, comme le rappelait récemment le Président de la République, mais sans l’action de Monsieur Sicard et de tous ceux qui l’ont soutenu, il serait bien plus élevé.

Durant toute sa carrière, il fut appelé à accomplir de nombreuses missions d’enseignement à l’étranger et plus particulièrement au Moyen-Orient, au Liban et pratiquement dans tous les pays francophones d’Afrique, il fut élu docteur honoris causa de plusieurs universités européennes et d’Amérique Latine. Son souci constant était de toujours faire connaître et respecter la chirurgie française, et quand il ne pouvait pas se déplacer lui-même, il y envoyait ses collaborateurs, ce qui nous valut un certain nombre de voyages. Parmi tous les pays étrangers, une place particulière doit être faite à la Belgique, il y avait été élu membre de l’Académie Royale de Médecine en 1975 et une grande amitié l’unissait à son Secrétaire perpétuel, le Baron Albert de Scoville, membre de notre Académie depuis 20 ans, et il ressentit pleinement l’honneur qui lui fut fait, quand il fut nommé en 1997 Commandeur de l’ordre de Léopold 1er. Dans ses titres français, il convient de rappeler celui qui est le plus élevé de la carrière universitaire : Professeur de clinique chirurgicale en 1955 à 51 ans. Il l’est resté 20 ans ; la croix de Commandeur de la Légion d’honneur lui fut remise en 1988 par Jean Hamburger. Il fut Président de l’Académie de Chirurgie en 1963, il se battit pour son relogement et n’échoua que de peu. Il fut le codirecteur du Journal de chirurgie pendant plus de 20 ans. Il présida en 1964 le Congrès français de Chirurgie et pendant de longues années fut le président respecté et écouté de l’Association française de Chirurgie avant d’en être pendant vingt ans le président d’honneur, toujours présent à la séance inaugurale de son congrès.

Enfin, il fut élu dans notre Compagnie en 1963 et la présida en 1982. Pendant les 38 ans de sa présence rue Bonaparte, il ne manqua guère de ses séances. Il participa à nombre de commissions et prit souvent la parole. Il y appréciait, a-t-il écrit, la gentillesse et la compétence de son personnel, de celui de la bibliothèque, de ses secrétaires. Le temps me manque pour évoquer toute ses contributions, mais je désire souligner la part importante qu’il prit, à partir de 1982 c’est-à-dire de sa vice-présidence, pour que la Médecine des Armées puisse être représentée comme elle le méritait dans notre Compagnie. Il fut très fier de faire partie du conseil de perfectionnement et du comité consultatif du service de santé et d’être appelé à siéger dans les jurys de concours d’agrégation où il retrouvait les épreuves de malade de nos concours d’antan.

Il convient de rappeler aussi le rôle très important qu’il joua dans la fondation de la Fédération des sociétés de médecine européenne, ainsi qu’à la Société d’Histoire de la Médecine où il communiqua encore tout dernièrement.

Mais bien sûr, dans cette vie tellement active, Monsieur Sicard savait se réserver quelques aires de repos, il n’était pas indifférent au domaine de l’art, et quand il visitait un pays étranger, il ne manquait aucun des monuments importants ou des vestiges de leur civilisation.

En France, il avait acquis dans les années 50 une propriété à St Prest, à côté de Chartres, dont il était le « Gentleman Farmer » et en juillet de chaque année, il y réunissait ses élèves et ses amis médecins. Enfin jusqu’à ces toutes dernières années, il retrouvait en été la Méditerranée de ses ancêtres, il y barrait son voilier à Sète et jouissait ensuite d’activités plus calmes dans une demeure qui surplombait le port de Nice.

Au début de ce propos, je vous ai parlé de sa famille, de son père, de sa mère, mais je n’aurais garde d’oublier son épouse disparue il y a tout juste 10 ans, qui a su, au milieu de tant d’occupations, préserver l’intimité d’un foyer familial, lui épargner tout souci et élever dans le respect du travail et de toutes les valeurs morales ses trois enfants, tous trois devenus médecins, qui étaient leur fierté commune.

Enfin, dans les notes qu’il m’a laissées, Monsieur Sicard a ajouté qu’il ressentait pleinement le privilège d’avoir eu auprès de lui son ancienne collaboratrice de plusieurs décennies, Madame Madeleine Guérault qui a su veiller sur lui et adoucir ses dernières années.

Mes dernières paroles ne seront pas des paroles de tristesse.

Ce fut pour nous un immense honneur d’avoir connu cet homme exceptionnel, ce Français, ce patriote qui a parcouru tout le XXe siècle et honoré notre nation, la chirurgie française et notre Compagnie.

Sa vieillesse a fait mentir l’exclamation d’un français illustre : « La vieillesse, quel naufrage », mais pourquoi ne pas rappeler ce qu’un écrivain, maintenant bien oublié, Anatole France a écrit : « La vieillesse pour le commun des mortels est le plus souvent une déchéance, mais pour ceux qui sortent de l’ordinaire elle peut être un accomplissement. » Et voici ses dernières paroles, telles que je les transcris fidèlement : « Comme tout homme qui agit, j’ai vécu avec passion, j’ai connu le succès et l’échec, l’espoir et la déception, la joie et la tristesse. Ma carrière a été le résultat d’efforts, de hasards et de rencontres heureuses. Si j’ai réussi, je le dois à la volonté, un peu au travail, à la rigueur plus qu’à toute autre qualité, surtout à la passion que j’ai eue pour la chirurgie. Mais ainsi je suis conscient d’avoir été comblé par la vie ».