Éloge
Session of 14 juin 2016

Éloge de M. Jean FLAHAUT (1922-2015)

Claude DREUX *

Grande fut mon émotion quand notre Secrétaire perpétuel Daniel COUTURIER me fit l’honneur de me demander de prononcer l’éloge de mon ami, de notre confrère Jean FLAHAUT, décédé le 5 octobre 2015.

Il argumenta cette proposition en me disant que nos carrières professionnelles furent parallèles à une quinzaine d’années d’intervalle : pharmaciens, Doyens de la Faculté de Pharmacie de Paris, Présidents de l’Académie nationale de Pharmacie, puis Membres de l’Académie nationale de Médecine.

Il aurait pu ajouter que notre amitié très profonde datait de plus de 50 années, sans aucune ombre, amitié partagée avec son épouse Simone OLIVE, décédée en 2010, Pharmacien à la forte personnalité, qui aimait beaucoup mon épouse disparue 2 ans plus tôt.

Il aurait pu dire également que jusqu’au décanat nos parcours furent également parallèles puisqu’à cette époque le passage obligé du diplôme de pharmacien aux fonctions professorales passait par la Faculté des Sciences : licence, 3ème Cycle et Doctorat, avant d’affronter les difficiles épreuves de l’Agrégation de l’Enseignement supérieur pour acquérir le titre de Maître de Conférences agrégé prélude à la nomination espérée de Professeur.

Mais j’arrêterai là le parallélisme de nos carrières pour éviter l’écueil fréquent du propre panégyrique de l’orateur sous le prétexte de valoriser la qualité de la personne honorée !

Un grand merci à Madame Nicole FLAHAUT-HUTTEPIN, fille de notre éminent confrère, au Professeur René CEOLIN qui prononça son éloge à l’Académie de Pharmacie, au professeur François CHAST qui honora sa mémoire à la Société d’Histoire de la Pharmacie et à tous ceux qui ont connu, apprécié et aimé le Doyen Jean FLAHAUT.

Plusieurs membres de sa famille, de ses amis et élèves sont présents aujourd’hui.

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Jean FLAHAUT naquit le 19 mars 1922 à Champigny sur Marne, fils et petits-fils de pharmaciens, il paraissait destiné, comme il l’écrit lui-même, à tenir après eux l’officine paternelle.

Après une petite enfance heureuse, il est atteint à 12 ans d’un syndrome fébrile mal diagnostiqué qui le contraint pendant 2 années au repos à Hendaye. Il se décrit à 14 ans comme « un grand gaillard à l’accent méridional toujours coiffé d’un béret basque, mais désespérément ignare ! ».

Il revient guéri et il opère un rattrapage express, impossible aujourd’hui, grâce au Directeur du Collège d’Epernon qui lui fit parcourir 5 années de scolarité en 2 ans ! Il obtient le baccalauréat avec la mention BIEN (en août 1940),, une vraie mention à cette époque qui le fit songer aux Grandes écoles (Polytechnique en particulier), mais son père lui dit : « mon fils, l’avenir est incertain, nous avons cette officine, seule chose sûre en ces temps troublés, inscrit-toi à la Faculté de Pharmacie ». C’est ainsi qu’il devint pharmacien sans l’avoir voulu, écrit-il !

Cependant, pour satisfaire un désir contrarié, il suivit parallèlement les enseignements de licence de la Faculté des Sciences. Jugez du peu : Mathématiques générales, Chimie générale, Physique générale particulièrement difficile, et Mécanique rationnelle.

En 1945, à 23 ans, il est diplômé pharmacien et Licenciés ès Sciences. Il sera Docteur ès-Sciences physiques à 27 ans et Maître de Conférences agrégé à 31 ans, une performance !!

À la Faculté des Sciences pharmaceutiques et Biologiques de l’Université Paris V, aujourd’hui Paris-Descartes, il est nommé Professeur de Chimie minérale, il deviendra Doyen et Vice-Président de l’Université de 1976 à 1982. L’Académie nationale de Pharmacie lui fut alors grandement ouverte en 1977 et il en deviendra le Président en 2001.

Le parallélisme entre nos 2 carrières universitaires et académique en pharmacie s’arrête là. Nous nous retrouverons à l’Académie nationale de Médecine où il fut élu membre titulaire en 1983. Je l’y rejoignis 14 ans plus tard. Nous en fûmes très honorés et heureux.

À une brillante carrière universitaire, Jean FLAHAUT ajouta une carrière exemplaire de chercheur en Sciences physiques et chimiques au sein du CNRS.

En septembre 1945, il pénétra dans le Laboratoire de Chimie minérale de la Faculté de Pharmacie de l’avenue de l’Observatoire sous l’autorité des Professeurs PICON puis DOMANGE qui l’orientèrent vers une thèse de Sciences. Il y rencontra le Pr. LEBEAU, élève d’Henri MOISSAN, Prix Nobel, qui le fit nommer stagiaire, puis Attaché de Recherche au CNRS et enfin Directeur de l’équipe de Recherche n°26 du CNRS (1963-1973).

Quelques années plus tard, il s’associera au Professeur de Physique, Pierre LARUELLE, et ils créèrent ensemble le Laboratoire associé de Chimie Minérale structurale LA 200 du CNRS dont il assurera la direction jusqu’en 1985.

L’intense activité de ce laboratoire qui compta jusqu’à 40 personnes, permit à Jean FLAHAUT en 21 ans de faire état de 550 publications, de diriger 44 thèses de Sciences à Paris 6 et Paris 11 et de Pharmacie en plus de nombreuses conférences et communications scientifiques.

Il organisa également plusieurs Congrès et Colloques scientifiques.

Parmi ces élèves, je citerai en particulier mon ami Claude ADOLPHE, Professeur de Physique, Jacques RIVET, Jean ETIENNE, Jérôme DUGUE et René CEOLIN, Professeurs à la Faculté des Sciences pharmaceutiques et biologiques de Paris Descartes.

Quelques mots sur sa carrière de chercheur au CNRS.

La carrière de chercheur

Il est difficile à une biologiste hospitalo-universitaire de résumer les travaux de recherches de Jean FLAHAUT et Pierre LARUELLE. Elles portent principalement sur la Chimie structurale des composés de terres rares, ce thème de recherche ayant été impulsé par Henri MOISSAN, génial inventeur de la Chimie à haute température qui lui valut le prix Nobel.

Associé au Physicien Pierre LARUELLE et à son groupe de Cristallographie, ils utiliseront la Diffraction des Rayons X, la diffraction d’électrons et la microscopie électronique à haute résolution pour étudier la structure de sulfures métalliques et de verres en décrivant leurs propriétés optiques et électriques.

Jean FLAHAUT revendiquait sa liberté universitaire de pratiquer des recherches fondamentales de haut niveau sans finalité pharmaceutique ou biologique.

C’était une autre époque, où la France savait reconnaître l’importance de la physique et de la chimie fondamentales. Il nous reste heureusement les mathématiques où nous excellons.

On ne parle plus aujourd’hui que de recherche translationnelle. C’est bien mais encore faut-il avoir quelque découverte fondamentale à appliquer !

Jean FLAHAUT pressentait que ces recherches pourraient conduire à des retombées dans le domaine pharmaceutique. Ce n’est pas encore le cas mais le
Pr. René CEOLIN m’a signalé quelques applications dans les domaines des électrolytes/solides et la possibilité de stockage du courant électrique dans les batteries de voiture par exemple. Les propriétés optiques des terres rares ont été utilisées dans la fabrication des écrans de télévision et certains composés étudiés, il y a 25 ans, sont aujourd’hui présents dans les CD Rom réinscriptibles.

Peut-être qu’un jour quelque START-UP se penchera sur des applications nouvelles des recherches du Laboratoire associé LA 200 du CNRS des années 1960-1970 !

Après l’Enseignement supérieur et la Recherche, j’évoquerai maintenant quelques aspects moins connus de Jean FLAHAUT, Administrateur, Ambassadeur de la Pharmacie et Historien

Comme il le déclara lui-même « Bien que passionné par mon métier de chercheur, j’y suis peu à peu soustrait par la nécessité d’intervenir simultanément dans diverses structures officielles, en particulier au niveau du « Comité national du CNRS (1967-1973) et du Comité consultatif des Universités (1969-1983) »

Parallèlement, il effectue de nombreuses missions d’enseignement et de recherche dans des universités francophones et étrangères illustrées par quelques clichés : Saïgon 1960, Chine 1979, Côte d’Ivoire auprès du Professeur Houphouet-Boigny 1981, Pékin 1983[1].

 

Il occupe aussi de multiples fonctions au Ministère de l’Enseignement supérieur, à l’Institut Pasteur, à l’Ordre des pharmaciens et, plus tard, au Comité national d’Evaluation des Universités sous la Présidence de François LUCHAIRE puis de René MORNEX.

Après 6 années de Décanat, il décida de ne pas renouveler son mandat pour revenir à ce qu’il considérait comme sa préoccupation essentielle, la Recherche.

Cependant, un aspect important de sa personnalité doit être signalé : il écrit que toute son enfance fut marquée par le rôle social des pharmaciens auquel son père et son grand-père attachaient une grande importance.

C’est ainsi qu’il accepta la Présidence du « Comité d’éducation sanitaire et sociale de la Pharmacie française » de 1984 à 1990. Encore un point commun entre nous puisque 9 ans après, je fus appelé, à la suite de notre confrère, le Doyen François PERCHERON, à la Présidence de ce Comité devenu le CESPHARM dont le rôle est aujourd’hui essentiel pour développer la place des Pharmaciens et des Biologiques médicaux en Santé publique. Au CESPHAM, nous militons pour la reconnaissance du rôle des professionnels de Santé de proximité, pharmaciens et biologiques médicaux au plus près des patients, notamment dans la Prévention et la Promotion de la Santé.

Jean FLAHAUT devint également en 1992 Président de la Société d’Histoire de la Pharmacie.

Comme dans les autres domaines, il y fut très actif et contribua en 1995 à l’organisation du 32e Congrès international d’Histoire de la Pharmacie.

Au sein de la Société d’Histoire (SHP), il fit de nombreuses communications et publications

Je ne résiste pas au plaisir d’évoquer l’ouvrage qu’il consacra à Charles-Louis CADET de GASSICOURT (1769-1821), bâtard royal, pharmacien de l’Empereur, ouvrage qui figure dans notre bibliothèque de l’Académie nationale de Médecine.

En signant la feuille de présence chaque Mardi à l’entrée de la Galerie des Bustes, vous avez peut-être remarqué, Cher(e)s confrères et consœurs que derrière vous était placé le buste de ce célèbre pharmacien qui vécut la fin du XVIIIe siècle. Ce buste en marbre de FLATTERS (1826) est placé sur une colonne de marbre noir.

Très engagé dans les actions révolutionnaires mais s’étant opposé à la Convention, il fut condamné à mort par contumace en 1795 et il dut émigrer.

Il fut ensuite un fidèle de Napoléon Bonaparte. Nommé 1er Pharmacien de l’Empereur, membre de la Maison impériale, Chevalier de l’Empire en 1810, il le soutint pendant les 100 jours jusqu’à WATERLOO. C’était un grand ami du Baron Dominique LARREY dont la statue orne l’entrée de notre Académie.

Il était l’un des bâtards de Louis XV (il lui ressemblait étrangement) et de Marie-Thérèse que fréquentait assidûment le père de Charles-Louis, lequel reconnut l’enfant et obtint alors du monarque de nombreuses preuves de reconnaissance. Il eut une vie agitée : successivement Avocat, Littérateur, pharmacien, chimiste, défenseur acharné de la Santé publique, c’était un homme haut en couleur, épicurien, auteur de chansons et de pamphlets très caustiques, publiées par Jean FLAHAUT. Il mena une vie dissolue après la mort de son épouse Madeleine-Félicité BAUDET, femme de petite vertu dont il divorça en 1798 mais qui lui laissa en souvenir une « infection sexuellement transmissible », comme on dit aujourd’hui, dont il devait mourir en 1821 !!

Je vous engage vivement à lire ce livre d’histoire, fort bien écrit et plein d’humour, qui témoigne de l’esprit éclectique de Jean FLAHAUT[2].

Mais il est temps de conclure cet éloge peu académique mais qui témoigne de ma sincère admiration, le temps qui m’a été fermement imparti par notre Secrétaire perpétuel étant écoule.

Le Doyen Jean FLAHAUT, notre ami, eut une carrière très riche mais toujours au plus haut niveau. Chercheur avant tout mais aussi enseignant, administrateur, ambassadeur de la pharmacie française et francophone, historien de la pharmacie et de la médecine, mais également très proche de sa famille, de ses élèves et de ses amis.

Cette carrière a été honorée par de nombreux prix et distinctions. Chevalier de l’Ordre de la Santé publique, Officier de la Légion d’Honneur, Chevalier de l’Ordre national du Mérite, Officier de l’Ordre des Palmes académiques, Commandeur de l’Ordre national de la République de Côte d’Ivoire, Médaille d’Or de la Ville de Paris.

Sa fin de vie fut d’une grande dignité comme en témoignent les lettres émouvantes qu’il adressa à nos Secrétaires perpétuels Jacques-Louis BINET et Raymond ARDAILLOU pour excuser ses absences à nos séances du Mardi.

Jean FLAHAUT, Collègues, Confrères et Amis, nous ne t’oublierons pas.



[1] Je remercie Damien BLANCHARD, Bibliothèque de l’Académie nationale de Médecine qui a élaboré le diaporama illustrant ces missions.

[2] Ce livre a été réalisé avec l’aide notamment de Marie-Noëlle Maugendre de même que la mise en page de cet éloge. Je la remercie vivement.

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Bull. Acad. Natle Méd., 2016, 200, no 6, 1079-1084, séance du 14 juin 2016