Éloge
Session of 4 novembre 2008

Éloge de d’Albert German (1917-2007)

Monique Adolphe *

Summary

Éloge d’Albert German (1917-2007)

Monique ADOLPHE *

Le 18 Septembre 2007 le Professeur Albert German nous a quittés après avoir fêté en Mars ses 90 ans. Je n’ai connu Monsieur German, comme je l’appelais très respectueusement, que comme étudiante en Pharmacie il y a bien longtemps, puis plus tard à l’Académie nationale de médecine où notre Section des Sciences pharmaceutiques, étant constituée de seulement dix membres, fut un lieu où je pus échanger plus en profondeur avec lui et découvrir les différentes facettes de sa personnalité.

D’autre part j’ai complété mes propres impressions auprès d’une de ses filles Michèle qui lui est très attachée. Elle m’a mis en rapport avec quelques-uns de ses élèves qui ont eu la gentillesse de répondre à mes questionnements. J’espère ainsi que cet éloge pourra vous donner une image vraie d’Albert German au-delà de l’énumération des différentes étapes de sa vie et de sa carrière.

Albert German est né à Tours le 17 Mars 1917, une année terrible pour les français de cette époque où presque toutes les familles ont connu la mort d’un proche. Après son oncle maternel, son père gravement blessé décèdera six ans plus tard ce qui conduit sa maman à élever ses deux fils dans des conditions très difficiles. Albert German fit toutes ses études au Lycée de Chartres où sa mère avait trouvé un emploi réservé aux veuves de guerre et où lui-même était boursier. A la fin des ses études * Membre de l’Académie nationale de médecine Vice-Président de l’Académie de pharmacie secondaires (latin, grec, maths ce qui témoigne de l’excellence de ses dons et de son travail), il s’engage dans les études de Pharmacie, tout en assumant des fonctions de surveillant d’internat, ceci évidemment pour raison économique.

Mais pourquoi Albert German a-t-il choisi la Pharmacie ? Il répond à cette question dans son discours inaugural de Président de l’Académie de Pharmacie je cite « le choix est venu d’une néphrite streptococcique subie à douze ans qui nécessitât de nombreuses analyses réalisées par un pharmacien qui me montra sollicitude et intérêt. Pendant deux ans j’allais donc souvent le voir. Je traversais l’officine, les laboratoires de préparations, pour arriver au laboratoire d’analyses : j’avais été fascinée. Aussi le lendemain de l’oral du baccalauréat mathématique, j’allais tout naturellement lui demander de faire mon stage ». À cette époque en effet, les études de Pharmacie commençaient par un stage de un an en officine et il eut la chance de réaliser ce stage chez un maître d’une grande valeur scientifique : Monsieur Legeay était Docteur en Pharmacie, licencié es Sciences, ancien interne des hôpitaux et membre de l’Académie de Pharmacie. Albert German obtint ensuite une bourse d’Etat qui lui a permis de poursuivre ses études à Paris tout en logeant à la Cité Universitaire. Il passa l’Internat en troisième année et entra à Cochin qui avec l’Hôtel Dieu et Necker étaient les hôpitaux choisis par les meilleurs candidats.

Mais arrive 1939 où il est affecté comme pharmacien auxiliaire dans une ambulance chirurgicale légère de la 9ème Armée. Rendu à la vie civile par la défaite il complète ses connaissances à la Faculté des Sciences et poursuit son internat Il obtint en 1943 son diplôme de pharmacien, sa licence es sciences et le titre de Lauréat des hôpitaux, médaille d’Argent.

Après avoir été Chef de laboratoire à Bichat A. German est reçu au concours de Pharmacien des hôpitaux en 1945. Depuis cette date il poursuit une carrière hospitalière longue et fructueuse : douze ans à Bicêtre puis à la Salpêtrière jusqu’à sa retraite en changeant de titre et de fonctions au gré des réformes : Pharmacien et Directeur du laboratoire central de biochimie, puis Directeur du laboratoire d’Immunologie et Sérologie enfin Biologiste des hôpitaux directeur du laboratoire d’Immunologie et Sérologie du groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière.

Parallèlement, bien sur, il suit la filière universitaire de l’époque, moniteur, assistant et chef de travaux pratiques ce qui lui permet de soutenir sa thèse de Doctorat en Pharmacie préparée en partie sous la direction du Professeur Charronnat sur la floculation des protéines.

Albert German raconte dans son allocution de récipiendaire de chevalier de la Légion d’honneur qu’il cherchait à la Faculté de Pharmacie un poste de moniteur en Chimie étant donné qu’il suivait les certificats de Chimie minérale et de Chimie biologique à la Faculté des Sciences. Mais c’était sans compter sur l’intervention du Pharmacien chef de Bichat, Chef de travaux en Microbiologie, Mr. David, qui lui dit :

vous avez demandé un poste de moniteur en chimie, mais j’ai besoin d’un moniteur en bactériologie, venez chez moi ! Albert German n’a pas osé lui dire que la microbiologie ne l’intéressait pas. Je ne l’ai jamais regretté ajoute Monsieur German et on est en complète harmonie avec cette assertion car sans ce clin d’œil du destin (qui recouvre pour les uns le hasard, pour les autres Dieu) nous n’aurions pas eu ce grand patron qui partit de la Microbiologie pour se tourner ensuite vers la Virologie naissante.

Sa thèse d’État en Pharmacie soutenue en 1947 il y eut un deuxième clin d’œil du destin : la rencontre avec Mademoiselle Lambin (première femme Professeur en Faculté de Pharmacie et qui vient de nous quitter à l’age de 106 ans) qui l’introduit à l’Institut Pasteur où il fait ses recherches sur les bactéries anaérobies ce qui le conduit à l’obtention d’une thèse de Sciences en 1953 sur l’activité lipolytique de quelques clostridium. Le professeur Pierre Lépine qui lui remet la Légion d’honneur disait en 1979 que « les conclusions de cette thèse sont devenues classiques car elles abordent la production des hydrocarbures à partir des acides gras, problème fondamental dans la genèse des pétroles ».

Ces thèses successives conduisent tout naturellement Albert German à passer l’Agrégation de sciences naturelles. L’Agrégation de cette époque était en pharmacie une épreuve redoutable. Il y est reçu et devient Professeur à la Faculté de Paris encore unique. Mais, conséquence de la célèbre année 1968 la Faculté de Pharmacie se dédouble et en 1972 Monsieur German opte pour la nouvelle Faculté de Chatenay Malabry où il crée le Département de Microbiologie et organise son équipe de recherche.

En effet Enseignement et Responsabilité hospitalière ne suffisent pas à Albert German qui développe une recherche de haut niveau. Avec une intuition remarquable il sent que la Virologie va devenir une Science essentielle et c’est lui qui fait renter cette nouvelle discipline dans les études de Pharmacie.

Parmi ses recherches je mettrais donc l’accent sur la Virologie où son nom apparaît dans les pionniers.

Citons parmi ses sujets de recherche les plus importants :

— La production de l’Interféron et son rôle dans la protection des infections virales.

— La structure de différents bactériophages.

— Le virus de l’Hépatite B où il a été l’un des premiers à monter la présence du virus et de l’antigène HBS dans le sérum des futurs malades de l’hépatite.

— La mise au point de techniques d’études sur culture cellulaire et in vivo d’antiviraux ce qui lui a permis de mettre en évidence certains facteurs de risque des maladies virales tels que la fumée de tabac et l’alcoolisme.

— La fusion cellulaire obtenue avec le virus Sendaï qui l’a orienté vers les hybrides et les hybridomes.

En me centrant sur la virologie je ne voudrais pas faire l’impasse sur les importantes recherches d’Albert German en immunologie qui dérivent de son Doctorat d’Etat en Pharmacie et qui l’ont amené à proposer par exemple le diagnostic immunologique des maladies virales telles que la grippe et la rubéole et la protection immuni- taire contre le tétanos particulièrement chez les personnes âgées. Très impliqué dans les vaccins, il a participé dès sa création et jusqu’ à sa retraite à la commission sérum et vaccin de la Phamacopée. A l’Académie nationale de médecine, où il a été élu en 1988, nous avons tous bénéficié de sa grande culture soit en commissions, soit dans les assemblées où il était toujours activement présent et jusqu’au bout.

Tout cela lui a valu de nombreux honneurs que je n’énumèrerai pas car ce n’est pas ce qui l’intéressait. Il préférait la vraie recherche en communion avec ses élèves qui ont eu la chance d’avoir pu travailler sur des sujets aussi passionnants et ouverts sur l’avenir. Je citerai par ordre alphabétique quelques uns des cosignataires les plus fréquents : Pierre Bourlioux, notre consœur Claude Choisy, Michèle German, une de ses filles ici présente dont il a dirigé la thèse et qui a travaillé avec lui jusqu’à sa retraite, Jacqueline Panouse, Philippe Poindron, Anne Marie Quero.

C’est donc tout naturellement grâce au témoignage de nombreux de ses élèves que je tenterai de dessiner l’homme qu’a été Albert German.

Homme discret , ce qui a caché à certains sa grande intelligence, ouverte aux recherches naissantes comme en témoigne son rôle de pionnier dans différents domaines.

Homme très érudit , ses cours étaient construits sur les plus récents résultats, certains publiés la semaine même. Il a créé une véritable école qui est présente encore aujourd’hui dans la très vivante Association d’Enseignants de Microbiologie qu’il a fondée. Cette érudition et cette discrétion ne lui avaient pas ôté le sens de l’humour et je citerais l’anecdote que m’a confiée Claude Choisy qui illustre bien cette facette mal connue de beaucoup. Chaque année il offrait ses vœux à celle qu’il a toujours considérée comme sa patronne, Mademoiselle Lambin déjà citée. Ces vœux étaient exprimés en alexandrins, semés de pointes d’humour et évoquant les faits grands et petits de l’année.

Homme fidèle , d’abord à sa famille. Il eut pour sa mère une véritable dévotion qui s’est toujours poursuivie .Il rencontra sa future épouse, étudiante en pharmacie alors qu’il était moniteur et l’attachement amoureux fut totalement réciproque.

Madame German tomba dit-on sous le charme du « beau moniteur aux yeux bleus ». Leur union dura presque 60 ans et Monsieur German souffrit énormément de la mort de sa femme. Ayant perdu le goût de la vie il ne tarda pas à la rejoindre.

Monsieur et Madame German eurent quatre enfants dont deux filles choisirent la Pharmacie. La famille fut profondément touchée par la naissance d’une petite fille handicapée et là aussi Monsieur German et son épouse apportèrent à Sophie et à sa maman un soutien sans faille. Albert German, fidèle, dévoué, toujours prêt à aider il le fut pour tous ses élèves, très attentif à leur carrière il était toujours prêt à conseiller et à aider. A cette fidélité s’adjoint une réelle bonté pour les plus pauvres et malheureux qu’il rencontrait. Plusieurs cas m’ont été cités de prise en charge totale de personnes en difficulté. Il partageait avec sa femme ce sens de l’accueil, et sa famille était pour les plus esseulés un lieu ouvert et chaleureux. Beaucoup se souviennent du joli jardin de la Salpêtrière avec son citronnier dont il était fier.

Homme de conviction ferme ; ce qui l’entraînat dans des prises de position courageuses que beaucoup partageaient sans les exprimer publiquement. Dans son exposé inaugural de Président de l’Académie nationale de pharmacie en 1991 il osa dire que des dépenses considérables étaient consacrées au VIH alors que d’autres maladies virales décimaient en Afrique des millions d’enfants. Ceci lui valut des attaques médiatiques virulentes demandant même sa démission. Il eut le courage, bien que peu soutenu par la profession, de refuser de démissionner. Mais ce fut pour lui un moment très difficile.

— Homme de foi profonde il a élevé tous ses enfants en Institutions privées catholiques à une époque où elles n’étaient pas conventionnées et sa situation financière pas brillante. Monsieur German était chrétien et ne s’en cachait pas. Je l’ai souvent aperçu à Saint-Germain des Prés le mardi avant la séance faisant une courte prière. C’est cette foi qui lui a donné cet humanisme que soulignent tous ses élèves.

Ils étaient toujours en contact avec lui et l’invitaient à la Salpêtrière à toutes les occasions rituelles d’un laboratoire : anniversaires et départs à la retraite et ils l’ont accompagnés nombreux à sa messe d’enterrement.

Pour conclure je voudrais remercier Monsieur Delaveau qui m’a choisie pour faire cet éloge et Michèle German qui a confirmé ce choix. J’ai pu ainsi connaître ce parfait honnête homme que je côtoyais comme nous nous côtoyons tous sans vraiment nous connaitre.

Je terminerai par une phrase qu’il répétait souvent « va en avant, ne regarde pas derrière et une fois ton choix fait ne regrette rien ».

Je remercie tous les anciens qui ont eu la gentillesse de me faire part de leurs souvenirs. Je citerai par ordre alphabétique Pierre Bourlioux (membre de l’Acadé- mie nationale de pharmacie), Claude Choisy (membre de l’Académie nationale de pharmacie et membre de notre Compagnie), Marie Claude Diemert, Jeanne Galli, Michèle German (membre de l’Académie nationale de pharmacie), Robert Leluc, Annie Piton, Philippe Poindron.