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Session of 21 octobre 2003

Edmond Nocard : un précurseur en microbiologie, en pathologie comparée et santé publique

Ch. Pilet

qui caracolait à Provins et, en particulier, les broderies d’argent du médecinvétérinaire, fermant la marche » . A quoi tiennent les vocations ! Est-ce à ces broderies que l’on doit le remarquable apport de Nocard en microbiologie, en pathologie comparée et en santé publique ?

Des circonstances de carrière vont conduire Nocard à se présenter au concours de chef de service de clinique à Alfort, puis, au gré des circonstances, à la chaire de pathologie et de clinique chirurgicale, qu’il occupera jusqu’en 1887, date à laquelle il devient chef de service des maladies contagieuses , police sanitaire et jurisprudence médicale , en même temps qu’il est chargé de la Direction de l’Ecole d’Alfort. Il abandonnera cette direction quelques années plus tard, ses obligations administratives étant peu conciliables avec l’ampleur croissante de ses recherches scientifiques.

La période d’avant 1887, que je qualifierai de « pré-infectieuse », fut, elle aussi très féconde. De la névrectomie haute chez le cheval, à la maladie épileptiforme des chiens de meute, en passant par l’anesthésie du cheval et à ses études sur la leucocythémie, Nocard, pendant cette période a beaucoup apporté à la médecine vétérinaire.

Mais c’est dans le domaine de l ’infectiologie et de la pathologie comparée que

Nocard va donner toute sa mesure.

En matière de tuberculose , il prouve que la maladie humaine est transmissible aux oiseaux et que la tuberculose des oiseaux est transmissible aux mammifères de différentes espèces.

Il démontre que la virulence d’un même bacille tuberculeux varie suivant l’espèce animale qui en est la réceptrice.

Il prouve également que pour un même récepteur, la virulence d’un même microbe varie suivant son origine. Pour le bœuf par exemple, le bacille tuberculeux d’origine humaine, est beaucoup moins virulent, que le bacille d’origine bovine.

Comment ne pas noter, que l’observation de ces variations de virulence allait être à l’origine du concept utilisé plus tard par le médecin Albert Calmette, et le vétérinaire, ancien élève d’Alfort, Camille Guérin, pour la mise au point du vaccin B.C.G. ; ce qui, d’ailleurs, n’enlève en rien à leur mérite.

Confirmant les conclusions princeps de Chauveau — professeur à l’école Vétérinaire de Lyon, avant de devenir Directeur d’Alfort-Nocard prouve l’identité pathogénique des tuberculoses humaines et animales. Il en tire des conclusions pratiques en matière de prévention et insiste sur la nécessité de soumettre à ébullition le lait de toute provenance, quelle que soit la bonne santé apparente de l’animal. Il observe en effet, que l’isolement des bovins atteints, est insuffisant pour éviter la contagion. Il y a en effet contradictions fréquentes entre l’apparence et la réalité de la santé : un animal en pleine santé apparente pouvant excréter des bacilles tuberculeux.

Le 13 octobre 1891, Nocard présente à la tribune de notre Académie une communication importante pour l’avenir de la prophylaxie de la tuberculose. Robert Koch vient de mettre au point sa tuberculine en lui attribuant deux propriétés : l’une
curative, l’autre révélatrice. La vertu curatrice, on le sait, n’existe pas. Nocard confirme en revanche la vertu révélatrice de la « Lymphe de Koch », et affirme après 57 observations, que la « tuberculine décèle la maladie, même à ses débuts, même chez des bovidés qui bien que tuberculeux conservent néanmoins toutes les apparences de la santé, au point d’être primés aux concours du Palais de l’industrie ».

En 1892, il fait connaître une particularité nouvelle de la tuberculine : il est possible de frauder, en épuisant, par des injections successives et rapprochées, le pouvoir de réaction d’un animal. Ainsi un animal tuberculeux peut être frauduleusement vendu, comme étant sain.

Nocard poursuit dans la même voie avec la malleine . A l’époque sévit en effet la morve , maladie animale transmissible à l’homme. Les gendarmes et autres cavaliers paient un lourd tribu à cette maladie — découverte en Russie, la Malleine est fabriquée par Emile Roux à l’Institut Pasteur. Nocard va en faire l’instrument majeur de la prophylaxie de la morve.

Pour comprendre le caractère innovant des travaux de Nocard sur le tétanos , il convient de se rappeler qu’à l’époque, nous sortions à peine de l’aire de la génération spontanée. Pasteur venait de découvrir l’existence des microbes. En 1882, Nicolaer n’avait pas encore découvert le bacille du tétanos (1884) Par analogie avec la rage, Nocard tente en vain la transmission du tétanos par inoculation d’éléments du système nerveux central. Il reconnaît bien vite son erreur.

A partir de 1884, il s’attache à produire un sérum immunisant contre le tétanos et montre que ce sérum présente une merveilleuse efficacité à titre préventif mais pas à titre curatif.

Le 22 octobre 1895, il présentait à la Tribune de notre Académie un mémoire sur « Essais de traitement préventif ». Sous ce titre très modeste, se cache en réalité la réponse à toutes les questions théoriques et pratiques auxquelles on pouvait répondre à l’époque.

Tout en confirmant l’impuissance thérapeutique du sérum antitétanique, mais s’appuyant sur l’expérience acquise par l’envoi de 1800 flacons de sérum antité- tanique aux vétérinaires praticiens français, puis de 7000 autres flacons dans les deux ans qui ont suivi, il peut affirmer dans un nouveau mémoire à l’Académie en 1897 « qu’employer préventivement le sérum antitétanique est d’une efficacité absolue ».

Nocard allait prendre une part active dans le développement de la sérothérapie, tout particulièrement en matière de diphtérie.

« Quand la sérothérapie est entrée dans la pratique — écrit Emile Roux — nous n’aurions jamais pu sans Nocard installer aussi promptement un service capable de répondre à la légitime demande importante du public. Ses qualités d’organisateur et de conducteur d’hommes, son habileté expérimentale nous ont tiré d’affaire ». « Le laboratoire d’Alfort était devenu une succursale de l’Institut Pasteur ».

Nocard, en effet, avait transposé à l’échelle semi-industrielle une technique aseptique de saignée. Cette technique a été utilisée par tous les instituts de sérothérapie du monde, jusqu’à l’époque où les techniques de purification ont remplacé la récolte du plasma sanguin.

Toujours soucieux de pathologie comparée , Nocard souhaite étendre á l’homme les bénéfices de l’usage préventif du sérum antitétanique ainsi démontré chez l’animal.

« Dans les pays, écrit-il, où le tétanos ombilical tue 20, 30, 40 pour cent des nouveaunés, pourquoi, ne pas faire systématiquement une injection de sérum á tous les nouveau-nés, le jour même de la naissance ? »

Nocard fut en outre un véritable découvreur de microbes . Celui tout d’abord de la « maladie des perruches » qui fait des victimes à Paris, à la suite de l’importation d’oiseaux malades en provenance d’Amérique du Sud. Il isole de la moelle osseuse d’humérus d’oiseaux morts, une bactérie que Gilbert et Fournier isoleront dans le sang du cœur d’une femme infectée. L’origine aviaire de la psittacose était ainsi démontrée.

Cette bactérie fut bien vite dénommée « bactérie de Nocard », ce qui constitue en fait une fâcheuse dénomination lorsque l’on sait que Nocard a découvert beaucoup d’autres bactéries, qui, elles aussi mériteraient de porter son nom.

Il identifie en effet les microbes responsables de la lymphangite ulcéreuse du cheval, de la mammite gangreneuse de la brebis et de la chèvre, du farcin du bœuf et de la mammite contagieuse de la vache. On sait que par la suite, en hommage à Nocard, le nom de Nocardia fut donné à une bactérie. En 1898, il va découvrir avec son ami Emile Roux, et en collaboration avec Borrel, Salimbeniet et Dujardin-Beaumetz, le microbe de la péripneumonie contagieuse des petits ruminants .

Il s’agit là d’une découverte majeure. En effet, la bactérie est atypique, sans paroi. Le premier « mycoplasme » était né. La bactériologie naissante venait de s’enrichir d’une famille particulièrement importante. Non content d’avoir identifié ce nouveau « microbe », Nocard crée dans les deux années qui suivent, avec le concours des mêmes collègues, le vaccin et le sérum correspondants qui permettent de prévenir mais aussi de guérir la péripneumonie contagieuse.

Nocard possède également un sens aiguë de l’importance de l’hygiène et de la santé publique.

Il dénonce le danger d’épandage d’engrais fabriqués à partir de cadavres d’animaux atteints de charbon. Comment ne pas évoquer la comparaison, près de cent ans plus tard, avec le danger constitué par le recyclage des farines animales de cadavres d’animaux atteints d’encéphalopathies spongiformes ? Les leçons du passé sont bien vite oubliées…

Fort des résultats de ses recherches sur la tuberculose, il insiste sur les dangers pour l’homme de la tuberculose bovine et après avoir préconisé l’ébullition du lait, il recommande l’inspection des viandes de boucherie.

En matière de rage , il découvre avec Roux que la salive du chien est toujours contagieuse plusieurs heures avant l’apparition des symptômes.

Quant à la prévention de la psittacose, il recommande de surveiller l’état sanitaire des oiseaux arrivant de l’étranger.

Afin de s’assurer que la clavelée du mouton n’est pas transmissible á l’homme, il s’inocule lui même du claveau, en même temps qu’à des moutons témoins, qui eux seuls, prennent la maladie.

Nocard était aussi un homme d’action et de terrain . Il lui fallait convaincre. Convaincre les ignorants, les ennemis de la science, les administrateurs, ses collègues français et étrangers. Appelé en consultation dans plusieurs pays, il se prodigue en de nombreux congrès et assemblées. Servi par une remarquable éloquence, il sait rendre clair ce qui est compliqué. Il sait persuader. S. Jacoud décrit Nocard comme « l’un des orateurs les plus écoutés dans notre Académie, comme dans toutes les sociétés qui avaient la bonne fortune de le posséder ».

« Animé du souci constant de faire profiter l’homme de ses observations sur l’animal, Nocard, insiste toujours davantage sur les liens étroits qui unissent dans la réalité, la pathologie animale et la pathologie humaine. Il nous rendait ainsi l’immense service d’aider puissamment à la propagation de cette vérité aujourd’hui éclatante, à savoir qu’il n’y a qu’une médecine, et qu’en expliquant, en traitant et en guérissant les maladies de ceux qu’il est convenu d’appeler nos frères inférieurs, on augmente d’autant les chances d’expliquer, de traiter et de guérir les maladies des hommes ».

Ainsi s’exprimait le Doyen Léon Binet, dans « Figures de savants français », publié chez Vigot en 1946.

Comment ne pas évoquer enfin les rapports privilégiés qu’il entretenait avec Louis Pasteur ?

Nocard fut introduit au laboratoire de la Rue d’Ulm par Emile Roux. « Pasteur reconnut tout de suite le mérite du nouveau venu qui bientôt fut tout à fait de la maison » écrit-t-il. « Son nom doit être inscrit sur tous les bulletins de victoire . Nul n’a mieux mérité une place au premier rang dans l’Institut qui porte le nom glorieux de Pasteur », s’exprime Emile Roux lors des obsèques de notre confrère.

Pasteur éprouvait pour Nocard une estime et une amitié non feintes. Celles ci vont s’exprimer dans l’affaire de la campagne d’Egypte, relative à l’étude du choléra qui sévissait avec acuité dans ce pays. La mission dite « Pasteur » était composée de quatre membres, dont Nocard. Mais la présence de Nocard dans cette mission, suscitait de fortes réserves. Il n’était pas médecin… Pasteur dut imposer sa présence au Ministre. La lettre qu’il lui adressa le 3 août 1883 est explicite à cet égard. Pasteur y écrit :

« Quant à M. Nocard, il serait, parait-il, écarté de la mission. S’il en était ainsi, je le regretterais vivement pour deux motifs : le premier, c ’est que M. Nocard sera certainement blessé de ce qu’ayant été agréé par le Comité Consultatif, il se trouve éloigné de
l’honneur de faire partie de la mission. Ceci est une question de dignité personnelle, qui me touche par l’amitié et l’estime que j’ai pour ce savant professeur de l’Ecole d’Alfort ; toutefois, en présence des grands intérêts dont il s’agit, je ne m’arrêterais pas longtemps à cette considération. Le second motif est beaucoup plus sérieux : l’absence de M. Nocard pourrait devenir extrêmement préjudiciable aux travaux de la mission telle que je la comprends. La grande difficulté de l’étude des maladies contagieuses de l’espèce humaine consiste dans l’impossibilité de faire des expériences sur l’homme.

Mon programme de recherche comporte impérieusement des expériences nombreuses sur les animaux… C’est en se plaçant à ce point de vue, Monsieur le Ministre, que la présence d’un médecin-vétérinaire dans la mission parait absolument nécessaire. »

Nocard fut un pastorien de la première heure. Pasteur lui en fut constamment reconnaissant comme il le fut à Bouley, cet autre professeur d’Alfort qui fut Président de notre Compagnie et aussi le meilleur avocat des idées pasteuriennes, ici même et à l’Académie des Sciences.

Cette reconnaissance s’est exprimée à de multiples reprises, au delà des personnes, à l’ensemble de la profession. C’est sans doute à Nocard, mais aussi à Bouley, et également à Chauveau, ce grand physiologiste lyonnais qui fut par la suite Directeur d’Alfort ; et dont les travaux, avec Maray, sur la physiologie intra-cardiaque sont reconnus au plan international ; ce sont à ces grands devanciers, à qui Pasteur pensait, lorsqu’il écrivait :

« Si j’étais jeune et même à mon âge, si j’étais plus valide, j’irais me constituer élève de l’Ecole d’Alfort. La lecture des ouvrages vétérinaires me met la tête en feu ».

Doué d’une rare force morale, Nocard su surmonter sans faillir le décès de son épouse, bientôt suivi de celui de sa fille Marguerite dont la cousine germaine était la mère de notre excellent confrère Jean Cauchoix, qu’il m’est particulièrement agréable de saluer aujourd’hui et de remercier des conversations échangées.

Après une existence studieuse et particulièrement féconde au plan scientifique, Edmond Nocard disparaissait à 53 ans. Ses obsèques, à Saint Maurice, furent à la fois solennelles et émouvantes. 14 discours furent prononcés dont celui du représentant du Gouvernement et celui du Président de notre Compagnie. Une souscription mondiale permis l’élévation d’un monument à sa mémoire, à Provins. Un autre monument est érigé à l’Ecole d’Alfort.

Tel fut, Monsieur le Président, Monsieur le Secrétaire perpétuel, Mes chers confrè- res, sans doute maladroitement et incomplètement retracée, l’œuvre trop méconnue de l’un de nos anciens confrères.

Bull. Acad. Natle Méd., 2003, 187, no 7, 1327-1402, séance du 21 octobre 2003